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Une fois n’est pas coutume, l’année 2024 voit un troisième numéro d’Alterstice paraître (peut-être en ligne seulement en janvier 2025, mais l’équipe a travaillé d’arrache-pied pour qu’il soit prêt). Pourquoi un tel changement dans notre rythme habituel, me demanderez-vous ? Parce qu’aucun numéro n’a vu le jour en 2023. Non par manque de contenu – notre "gare de triage" était bien remplie – mais en raison d’une accumulation de contretemps. Plutôt que de retarder davantage la publication, j’ai choisi de transformer la tradition. Après tout, les traditions ne sont-elles pas faites pour évoluer ? Et cela pourrait bien se reproduire à l’avenir.
Ce numéro, le 25ᵉ d’Alterstice, fait monter le nombre de textes publiés à près de 300 depuis la création de la revue. Nous avons récemment ouvert un compte LinkedIn, et je vous invite à le suivre et à partager nos publications. Merci pour votre soutien !
Ce numéro a été édité par Garine Papazian-Zohrabian (Université de Montréal), Mickael Idrac (Université de Liège), et Célia Le Normand (Université de Montréal). Il propose une réflexion précieuse sur l’accueil et l’accompagnement des familles réfugiées, un sujet toujours d’actualité. Je remercie les éditrices et l’éditeur invités pour leur patience et leur précieuse collaboration avec la direction de la revue.
Avant de vous laisser découvrir ces articles nécessaires, je souhaite partager une expérience récurrente, bien qu’heureusement peu fréquente. Il s’agit d’échanges avec des collègues sur des questions de diversité. Pour illustrer, imaginons un collègue fictif – le masculin ici n’a rien de déterminant et son âge n’est pas important non plus. Ce qui importe c’est qu’il est chercheur, professeur d’université en sciences sociales, il s’intéresse donc aux humains. Pourtant, ce collègue, qui ne se considère certainement pas comme violent ou haineux, peut affirmer que les privilèges n’existent pas, que son groupe d’appartenance (il pourrait en avoir plusieurs) n’est ni raciste ni discriminant, et que les avancées sociales récentes suffisent : « les migrants du passé se sont bien intégrés », « les personnes de la diversité sexuelle sont désormais acceptées. Mais, selon lui, aujourd’hui il y en a « trop ». Trop de diversités, trop de migrants, trop de revendications… trop de bruit.
Lorsque l’on tente de lui répondre – en rappelant par exemple que les discriminations ont toujours existé ou que son propre groupe d’appartenance a dû, par le passé, revendiquer ses droits –, il rétorque que ce n’est pas comparable : « La société d’aujourd’hui est bien plus accueillante ». Mais quand on lui demande combien de fois il a réellement écouté l’expérience d’une personne issue de ces diversités qu’il critique, il avoue ne pas le faire.
Ces échanges sont éprouvants. Ils me touchent, car ces sujets me tiennent à coeur. Ils me peinent, car ce collègue, malgré son statut, ses compétences et les ressources dont il dispose, semble peu disposé à remettre en question ses perceptions ou à chercher à comprendre ceux qu’il accuse de contribuer à ce qu’il perçoit comme une nuisance (le bruit est une nuisance, non ?).
Malheureusement, ce type de discours résonne bien au-delà des cercles académiques. Le monde occidental traverse une période sombre pour les diversités. Des élus tiennent des propos de plus en plus violents, et ces discours alimentent des discriminations, parfois même institutionnalisées. Ce phénomène s’aggrave, et des figures comme ce collègue fictif, grâce à leur statut et non leurs connaissances, contribuent à légitimer ces dynamiques délétères.
Mais alors, que tirer de positif de ces échanges, aussi difficiles soient-ils ? Peut-être qu’une graine de doute a été semée. Peut-être qu’un jour, ce collègue trouvera le courage d’écouter, avec humilité, une personne dont il semble redouter la diversité. Peut-être même se tournera-t-il vers la littérature scientifique pour comprendre, par exemple, les impacts réels du racisme et des discriminations.
Certains considèrent que, paradoxalement, l’existence des diversités dans « l’esprit » de ceux qui les rejettent pourrait être perçue comme une forme de reconnaissance. Après tout, cela signifie qu’elles ne sont pas ignorées. Même si cela ne conduit pas immédiatement à un dialogue constructif, cette irritation témoigne au moins d’une présence impossible à nier. Ce n’est pas une satisfaction véritable, mais plutôt une petite revanche : mieux vaut être perçu – même comme une source de dérangement – qu’effacé.
Reconnaître l’existence des diversités, même de manière conflictuelle, ouvre la porte à des discussions possibles. Certes, ce dialogue ne se produit pas toujours, mais il reste envisageable. Et dans cette possibilité, aussi infime soit-elle, réside un espoir pour l’avenir. Continuons à promouvoir la recherche interculturelle qui, je l’espère, aide à semer ces graines et ouvrir des dialogues.
Je vous souhaite une année lumineuse!