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Depuis le début des années 2000, la recherche en didactique des sciences humaines et sociales a connu au Québec un essor considérable, ce qui a permis d’élargir le champ de la connaissance et de la réflexion à l’égard de l’enseignement et de l’apprentissage au primaire et au secondaire de l’histoire et de la géographie.

L’ouvrage collectif Faire aimer et apprendre l’histoire et la géographie au primaire et au secondaire (Éthier et al., 2014) a ouvert la voie à une réflexion toujours en cours sur les aspects théoriques et pratiques relevant de l’usage de divers outils et méthodes dans ces disciplines. Au coeur des usages explorés, les documents et les ressources de nature variée (par exemple les documents iconographiques, les textes d’archives, les films, etc.) y occupent une place de choix. Plus récemment, l’ouvrage collectif Mondes profanes : enseignement, fiction et histoire (Éthier et Lefrançois, 2021) a poursuivi cette exploration autour des ressources issues spécifiquement de l’usage public de l’histoire par lesquelles il est possible d’approcher le passé. Cet ouvrage illustre comment les biens, les loisirs et les services culturels d’histoire, par exemple les bandes dessinées, les romans, les jeux vidéo, les musées, etc., posent de mieux en mieux certains actes mentaux relevant de la pratique savante de l’histoire. En France, Meunier et Sala ont de leur côté fait paraître en 2016 l’ouvrage Enseigner l’histoire-géo à l’école primaire. Cet ouvrage tourné vers la pratique présente une quarantaine d’outils indispensables aux disciplines des sciences humaines et sociales, dont le recours didactique à une variété de documents modaux ou multimodaux (photographies, cartes, récits, oeuvres d’art, chansons, etc.).

Ces publications présentent l’intérêt de mettre en lumière l’horizon des possibles en matière de documents ou d’objets culturels pour enseigner et faire apprendre l’histoire et la géographie. Leur analyse dans la perspective de la multimodalité y est toutefois peu présente, et les enjeux de littératie liés à leur utilisation sont peu explorés. Entre autres, les enjeux réflexifs et pratiques liés au traitement de ressources sémiotiques diverses pour (re)présenter le passé (textes, images, sons, mouvements) y sont peu ou pas étudiés.

C’est pour réaliser un premier pas en ce sens que le volume no 7 de la R2LMM (Martel et Sala, 2018) a été produit. Ce numéro thématique porte en effet sur les enjeux et les usages spécifiques de l’image (comme mode et langage) dans les disciplines des sciences humaines et sociales. Avec ce 15e numéro de la R2LMM, la marche entreprise se poursuit. Cette fois-ci toutefois, nous nous intéressons plus largement à l’utilisation d’une variété de pratiques pédagogiques liées à la mobilisation en classe de documents ou d’objets culturels qui entretiennent un rapport étroit avec la multimodalité et la littératie qui la sous-tend.

1. Multimodalité et littératie : présentation de la thématique retenue

Le recours à des sources et à des supports d’enseignement-apprentissage multiples et les nouvelles pratiques interactives en matière de communication ont favorisé au cours des dernières années l’émergence du concept de multimodalité (Kress, 2010). Ils ont aussi conduit à l’actualisation des conceptions établies en ce qui a trait au lire-écrire (Martel, 2018). Celui-ci est aujourd’hui davantage réfléchi dans la perspective plus générale de la littératie, voire de la littératie médiatique multimodale (LMM; Kress, 2003; Lacelle et al., 2017; Lebrun, 2015; Lebrun et al., 2012).

Pour mieux comprendre les compétences de littératie qui sont aujourd’hui nécessaires pour appréhender le monde et s’y intégrer, il importe de prendre en compte le caractère éminemment multimodal des pratiques contemporaines de communication, de réception (« lire ») et de production (« écrire/dire »). Ces pratiques se définissent par la mobilisation, généralement complémentaire, de plusieurs ressources, langages et modes sémiotiques (Kress, 2003, 2010). Ces modes (textuel, visuel, sonore ou cinétique) permettent que le sens s’incarne (Mitchell, 2009) dans une variété de supports (Lacelle et al., 2017) et dans différents contextes. La multimodalité sous-tend donc « […] l’usage en contexte réel de communication médiatique de plusieurs modes sémiotiques pour concevoir [et réaliser] » un objet de sens (Lacelle et Boutin, 2020).

Une telle conception de la littératie, issue de la prise en compte de l’expansion de la communication multimodale contemporaine (Kress et Van Leeuwen, 2001), n’est pas sans conséquence; elle bouleverse certaines certitudes et pratiques pédagogiques (Buckingham, 2003), dont plusieurs prennent appui sur la prévalence de l’écrit et du code alphabétique. C’est vrai pour l’enseignement-apprentissage des sciences humaines et sociales qui, par tradition, font une place d’honneur aux documents écrits et au savoir lire et écrire (Martel, 2018; Moniot, 1993; Nokes, 2013). C’est d’autant plus vrai que cette prévalence des documents écrits est aujourd’hui de plus en plus bousculée par l’accessibilité (souvent numérique) à une très grande variété de documents et d’ensembles multimodaux par lesquels on peut aujourd’hui appréhender les réalités historiques ou géographiques.

Certes, les documents écrits ont encore un poids considérable dans l’enseignement et l’apprentissage des sciences humaines et sociales – pensons simplement à l’usage encore fort des manuels scolaires et des cahiers d’apprentissage (Boutonnet, 2015). Toutefois, toutes les productions humaines ont désormais droit de cité. En cela, on peut croire que l’ancien monopole humaniste dominé par la tradition de l’écrit et de l’imprimé (Lacelle et al., 2017) tend à disparaître, notamment parce que les productions médiatiques (bandes dessinées, films, séries télévisées, jeux vidéo, balados, etc.) jouent actuellement un rôle de plus en plus important dans l’éducation formelle et surtout informelle des jeunes (Éthier et Lefrançois, 2021; Jacobi, 2018). En histoire, il est de sorte aujourd’hui admis que l’école et ses habituels outils d’enseignement et ressources d’apprentissage n’ont plus le monopole du savoir, entre autres, parce que l’histoire profane, donc l’usage public de l’histoire, lui oppose une solide concurrence (Éthier et al., 2018; Éthier et Lefrançois, 2021).

Les nombreux documents ou objets culturels (Meunier et Sala, 2016) à caractère historique ou géographique aujourd’hui disponibles, généralement multimodaux, loin d’être négligeables, jouent un rôle central pour l’enseignement et l’apprentissage des sciences humaines et sociales. C’est en effet à partir d’eux que les élèves sont invités en classe à construire leur interprétation et leur compréhension du monde, d’où l’intérêt de s’y intéresser.

Des documents et des objets culturels de nature variée. Certains de ces documents ou objets culturels pouvant être mobilisés en classe de sciences humaines et sociales ont une visée informative explicite. Les manuels scolaires et les cahiers d’apprentissage, ainsi que les ouvrages documentaires, les encyclopédies, les journaux et un certain nombre de magazines, voire des lieux de commémoration sont, par exemple, produits avec une visée informative assumée. Ils recourent généralement au mode textuel (à l’écrit donc), en plus de s’appuyer sur le mode visuel (images fixes ou mobiles), voire sonore et cinétique. Lorsque produits ou transférables sous forme numérique, ils peuvent de surcroît bénéficier des potentialités du numérique (interactivité, augmentations, facilité de navigation, etc.). Plusieurs documents recourant plus spécifiquement au mode sonore, par exemple les archives radiophoniques ou les balados, permettent aussi de s’informer par le biais du son. Enfin, un très grand nombre de documents audiovisuels, particulièrement les productions télévisées et cinématographiques de nature documentaire, de même que les nombreuses capsules informatives disponibles sur le Web, constituent des objets culturels multimodaux à partir desquels il est possible de s’informer et d’apprendre.

D’autres types de documents ou d’objets culturels proposent plutôt d’aborder les enjeux humains et sociaux à travers le prisme de la fiction et de l’art; ils permettent conséquemment d’approcher autrement des réalités historiques, géographiques ou citoyennes. Ces derniers relèvent davantage de l’usage public des sciences humaines et sociales, particulièrement de l’usage public de l’histoire. Ils facilitent l’appréhension, plus personnelle, de l’expérience humaine dans le temps et l’espace et ils favorisent la réflexion sur les reconstructions dont elle fait l’objet. Les productions littéraires (albums narratifs, bandes dessinées, romans), les oeuvres d’art (peintures, miniatures, sculptures, fresques, etc.), les films et les séries de fiction, de même que les jeux vidéo et les chansons à caractère historique, en sont des exemples.

À leur manière, chacun de ces documents ou objets culturels de nature informative ou fictionnelle (Martel, 2018) est susceptible de contribuer à la compréhension et à l’interprétation de réalités diverses, qu’il s’insère ou non dans le cadre d’une démarche d’apprentissage intentionnelle. Toutefois, les raisons qui président à leur choix, de même que leurs usages pédagogiques se doivent d’être documentés. Ultimement, cet exercice de documentation vise à mieux comprendre comment la mobilisation en classe de documents ou d’objets culturels donnés peut participer (ou non) au développement de savoirs et de compétences touchant aux visées éducatives propres à l’enseignement des sciences humaines et sociales et aux visées éducatives plus transversales couvrant notamment le domaine de la LMM.

2. Axes d’étude et présentation des articles de ce numéro

Pour réfléchir aux usages et aux enjeux de la multimodalité et de la LMM dans les disciplines des sciences humaines et sociales, trois axes de réflexion ont été proposés aux auteurs et autrices de ce numéro. C’est en s’appuyant sur des recherches (terminées ou en cours), mais aussi en permettant la présentation d’expériences et de réflexions issues de la collaboration entre les milieux scientifiques et de pratique que ce numéro approche ces axes. Il espère contribuer à une meilleure compréhension des liens qui unissent la multimodalité et l’enseignement-apprentissage de l’histoire et de la géographie au primaire et au secondaire.

Axe 1. Nature et usages des documents ou objets culturels

Pour davantage documenter le recours aux divers documents ou objets culturels éminemment multimodaux par lesquels il est possible de « faire » de l’histoire ou de la géographie, l’axe 1 s’intéresse à la nature de ceux-ci et à leur usage en classe pour favoriser des apprentissages divers en sciences humaines et sociales. Dans cet axe, le rôle que jouent les différents langages et modes sémiotiques dans la (re)présentation des réalités d’hier, d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs est identifié comme élément possible de réflexion. De même, la nature (informative ou fictive, savante ou profane) des documents ou objets culturels privilégiés et les exigences que celle-ci induit sur leur appréhension constituent d’autres éléments pouvant être explorés. Considérant que tout acte de communication (et donc tout document) est façonné par les normes et les règles sociales en vigueur au moment de leur production (Jewitt et al., 2016), ce premier axe s’intéresse aussi au caractère foncièrement réfléchi et construit de la multimodalité (Lacelle et Boutin, 2020) et des documents et des objets qui la mobilisent, ce qui n’est pas sans rappeler la tradition d’analyse critique des sciences humaines et sociales. Enfin, il vise aussi la description de l’usage de documents et d’objets culturels donnés pour mettre en lumière leurs potentialités pédagogiques observées ou envisagées, leurs apports, leurs limites, leurs biais, etc.

Dans le cadre de cet axe, Marc-André Éthier, David Lefrançois et Catherine Déry signent un texte consacré à l’utilisation du jeu vidéo Assassin’s Creed Origins en classe d’histoire. S’appuyant sur une présentation exhaustive de l’état de la recherche quant à l’utilisation des jeux vidéo dans l’enseignement de l’histoire et sur une réflexion conceptuelle riche autour des notions d’histoire savante, d’histoire scolaire et d’histoire profane, ils présentent une recherche exploratoire menée sur les effets des jeux vidéo sur l’apprentissage des élèves. Prenant appui sur un protocole quasi expérimental, leur recherche (premier volet d’une plus vaste étude) compare l’effet d’un enseignement avec et sans jeu vidéo. Les résultats, dont nous tairons ici la teneur, sont fort intéressants. Ils mettent en lumière les potentialités didactiques des jeux vidéo, mais aussi leurs limites. En conclusion, les auteurs soulignent avec raison que les jeux vidéo sont riches en pistes de développement de la pensée historienne et de la LMM, mais qu’ils doivent pour cela être utilisés à bon escient. Assurément, des fins ambitieuses dans leur usage commandent des moyens adaptés.

Toujours dans le premier axe, Chantal Déry propose une réflexion didactique novatrice autour de l’utilisation de la photographie en classe de géographie au primaire. Son article met en lumière la place fondamentale de l’image, plus particulièrement de la photographie, dans la géographie et son enseignement. Elle y explique, en prenant appui sur une riche recension des écrits, les raisons pour lesquelles il est souhaitable d’introduire l’essai photographique dans l’enseignement de la géographie, tout en y exposant les différentes formes que peut prendre celui-ci. S’appuyant sur diverses expériences menées en classe qu’elle a recensées, elle présente certaines des balises qu’il importe de prendre en compte pour intégrer efficacement l’essai photographique dans le contexte québécois de l’enseignement de la géographie au primaire. La réflexion didactique qu’elle propose est particulièrement intéressante dans la mesure où elle cible la dimension « production » de la LMM et de la communication plus largement. Plus spécifiquement, elle s’intéresse aux pratiques susceptibles d’engager les élèves dans la production d’images (de photographies) pour témoigner de leur compréhension du réel. Elle se distingue à cet égard de la plupart des écrits produits en ce qui a trait à la LMM et l’enseignement-apprentissage des sciences humaines et sociales surtout préoccupés de lecture ou de « réception ». De surcroît, elle est la seule dans ce numéro à aborder l’enseignement et l’apprentissage de la géographie comme discipline à part entière.

Comme troisième et dernier article de l’axe 1, Jean-Louis Jadoulle signe un texte qui présente une étude de cas autour de l’utilisation en classe d’histoire du film de fiction. L’expérience menée et documentée qu’il analyse porte sur les modifications des représentations initiales d’élèves de 3e secondaire (n = 53) avant et après la mise en oeuvre d’une séquence d’apprentissage relative à Charles dit Charlemagne. Celle-ci procède par confrontation entre des extraits d’une télésérie de fiction (Charlemagne, prince d’Occident) et des sources premières et secondes. Rappelant que la littérature reconnaît aux films historiques le potentiel de faire découvrir et critiquer des représentations du passé, Jadoulle s’intéresse aux potentialités spécifiques des ressources filmiques à modifier des représentations ou des connaissances préalables des élèves. Les résultats de son étude montrent que les élèves, dans le cadre du dispositif pédagogique proposé, parviennent à modifier certaines de leurs représentations erronées et qu’ils développent de nouvelles connaissances. Ils illustrent aussi que la fiction cinématographique, lorsque celle-ci est confrontée à des sources premières dans un dispositif pédagogique bien élaboré, peut amener les élèves à prendre conscience que les images ne sont pas un reflet réaliste de la réalité, mais sont porteuses de représentations. En conclusion, Jadoulle rappelle avec raison que ce n’est toutefois pas la fiction historique en tant que telle (ou tout autre objet culturel), mais l’usage qui en est fait, qui est susceptible d’avoir un effet sur les apprentissages des élèves.

Axe 2. Littératie, multimodalité et sciences humaines et sociales

L’axe 2 s’intéresse à la littératie et plus spécifiquement aux pratiques de réception et de production (modales et multimodales) des élèves dans les disciplines des sciences humaines et sociales. Ce deuxième axe sous-tend une réflexion autour des intentions et des gestes pédagogiques sur lesquels il convient dorénavant de s’appuyer pour s’assurer que les pratiques de réception et de production et les compétences de littératie qu’elles mobilisent soient efficientes.

La prise en compte du caractère multimodal de la communication (et de l’apprentissage) invite en effet l’école, et la classe de sciences humaines et sociales, à aller au-delà du lire-écrire classique pour investir les exigences de la LMM.

Aujourd’hui, le lecteur/scripteur averti et efficace, sinon compétent, doit désormais déployer avec rigueur et efficacité les clés de compréhension de nombreuses ressources sémiotiques (Kress et Van Leeuwen, 2001) tout en s’exprimant sur des supports toujours plus originaux, interactifs, diversifiés et, conséquemment, complexes (Stafford, 2011). S’il souhaite vraiment saisir l’ensemble du sens propre à chacun de ces différents messages, il doit maîtriser différents codes linguistiques, littéraires et culturels. Ainsi, un bon lecteur/communicateur contemporain est donc celui qui possède les clés de plusieurs modes sémiotiques et de supports technologiques toujours plus originaux, interactifs, diversifiés et, conséquemment, complexes.

Lacelle et Boutin, 2020

Considérant les pratiques méthodologiques spécifiques à l’histoire et à la géographie, ce deuxième axe cible aussi la nécessité de réfléchir aux exigences de la littératie contemporaine dans le cadre plus circonscrit de la littératie disciplinaire touchant principalement la discipline de l’histoire (Wineburg et Reisman, 2015).

Dans ce numéro, deux articles touchent à ces préoccupations et à ces enjeux relevant de l’importance à accorder à la littératie dans le champ des sciences humaines et sociales.

Dans leur article, Alexandre Lanoix, Catherine Déry et Marc-André Éthier rendent compte des premiers résultats d’une recherche menée depuis l’automne 2020 sur l’état et l’évolution, chez des élèves inscrits à un cours en ligne d’Histoire du Québec et du Canada de 4e secondaire, de la littératie. Situant la littératie comme la capacité à comprendre et à communiquer de l’information dans le cadre d’un champ de connaissance, en l’occurrence l’histoire, ils s’intéressent à la mobilisation de cette dernière, en contexte d’enseignement en ligne, dans les productions écrites des élèves sous deux angles : l’utilisation des documents et la production de textes historiques. L’analyse des productions d’élèves en fonction de ces deux perspectives montre les contours d’une littératie historique marquée par une difficulté certaine, en mode réception, à exploiter les documents historiques pour construire une interprétation cohérente. Elle met aussi en lumière les difficultés des élèves à produire des textes historiques qui tiennent compte à la fois de l’espace, du temps et de la causalité. Leur texte, prenant appui sur une riche recension des écrits et un cadre de référence solide à l’égard, entre autres, de la littératie historique, se conclut autour de la nécessaire réflexion qu’il convient de poursuivre quant au développement des compétences de littératie à l’école et plus spécifiquement en classe d’histoire.

Toujours pour le cours d’Histoire du Québec et du Canada, France Legault, Benjamin Lille, Isabelle Carignan et Patrick Plante proposent une réflexion théorique sur l’enseignement explicite de stratégies de lecture adaptées à différents environnements et médiums pour soutenir le développement de la littératie et la démarche d’analyse de sources en histoire. Abordant la notion de littératie – volet réception (lecture) – en s’intéressant plus spécifiquement au rôle des stratégies générales de lecture, ils explicitent comment celles-ci peuvent être transférées et adaptées afin de répondre aux besoins spécifiques des littératies en contexte disciplinaire, dont la littératie dans le cours d’Histoire du Québec et du Canada de 4e secondaire. Ils s’intéressent aussi à la transférabilité des stratégies visées aux différents supports (traditionnels et numériques) et aux différents documents (textuels, imagés, audio et vidéo) par lesquels se construit la connaissance en histoire. Souhaitant mettre en lumière les pratiques pédagogiques qu’induit leur réflexion, ils concluent leur article en présentant un outil de consignation de stratégies de lecture développé dans le cadre d’une recherche-développement. Cet outil, qui favorise le travail par les équipes-écoles du secondaire autour du développement de la littératie des élèves, met en lumière l’importance d’agir de manière ciblée et concertée dès lors qu’il est question de littératie.

Axe 3. Projets de cocréation en LMM

Le troisième axe proposé, qui n’exclut pas la prise en compte des éléments des axes précédents, repose sur le besoin ciblé de documenter des pratiques et des expériences pédagogiques de cocréation en histoire ou en géographie susceptibles de favoriser le développement et le transfert de connaissances dans le domaine de la LMM. La structuration de cet axe prend appui sur la forme attendue des articles de type « documentation de pratiques de cocréation » maintenant intégrés à la R2LMM[1].

Cet axe cherche à donner la parole à des milieux éducatifs et culturels, appuyés par le milieu de la recherche, qui s’engagent dans un processus de cocréation pour élaborer et expérimenter des projets pédagogiques intégrant des pratiques de réception et de production en LMM en classe de sciences humaines et sociales. L’objectif de documentation prend appui sur les principes directeurs de la cocréation nés des travaux réalisés à la Chaire de littératie médiatique multimodale (Lacelle et al., 2022; Lacelle et Lalonde, sous presse). Ces principes, traduits par la méthode des 4P, invitent à porter une attention particulière à la présentation (portrait) des milieux, à l’explicitation du processus de cocréation, à la description du projet élaboré et expérimenté et à la mise en lumière des productions en découlant. Pour aller au-delà de la perspective descriptive, il est toutefois attendu de contextualiser les démarches de cocréation entreprises et de réaliser à leur égard une analyse réflexive et critique.

Dans ce numéro, trois articles s’inscrivent dans cet axe et prennent conséquemment la forme d’une documentation de pratiques de cocréation. Les trois projets qui y sont relatés touchent à l’enseignement et à l’apprentissage des sciences humaines et sociales au primaire (2) ou au secondaire (1), en plus de couvrir des visées d’éducation à l’égard de la littératie en contexte numérique. Ces articles sont eux-mêmes multimodaux puisque textes, images et hyperliens s’y côtoient.

Le premier article écrit par Josianne Parent, Jean-François Mercure et Jean-François Boutin rend compte d’un projet de cocréation réalisé dans le cadre d’une plus vaste étude (CRSH 2017-2020). Celle-ci cherchait à documenter les pratiques multimodales et numériques de jeunes en contexte de recherche documentaire ou de création artistique. Le projet de cocréation présenté concerne la création en classe d’une bande dessinée à caractère historique prenant appui sur la constitution préalable d’un portfolio d’inspiration numérique. Au cours de ce projet, des élèves de 6e année du primaire ont été invités à s’engager dans la recherche et le traitement d’un grand nombre de documents ou d’objets culturels multimodaux permettant d’en apprendre davantage sur la période historique des années 1900 à 1960. Ceci fait, ils ont produit une oeuvre multimodale (textes et images d’une planche de bande dessinée) inscrite dans la période étudiée. Dans le cadre de cet article, les auteurs présentent ce projet selon l’approche des 4P (Portrait du milieu, Processus de cocréation, Projet, Production), tout en mettant en saillie quelques constats nés de celui-ci. Parmi ces constats, quelques-uns touchent spécifiquement à l’engagement (plus fort) pour la discipline de l’histoire et le développement perçu par les élèves et l’enseignant de compétences en LMM et de savoirs historiques.

Inscrite dans une étude souhaitant documenter les enjeux, les besoins et les meilleures pratiques de production, de diffusion et de réception d’oeuvres numériques pour la jeunesse (FRQSC 2017-2020), l’expérience de cocréation relatée dans le deuxième article a été réalisée auprès d’élèves et d’enseignants de 5e année du primaire. Écrit par Amélie Vallières, Virginie Martel, Sébastien Charrette et Isabelle Leduc, l’article présente un projet pédagogique mobilisant la plateforme de prêts numériques Biblius ainsi que des activités de littératie numérique en classe d’univers social. Dans le cadre de ce projet, les élèves ont été invités à explorer, par l’entremise d’oeuvres numériques pour la jeunesse et de dossiers documentaires, la société canadienne de 1820 puis celle de 1905 pour ultimement présenter en réalité virtuelle un personnage représentatif du début du 20e siècle. L’article témoigne du contexte et de la démarche de cocréation ayant conduit au projet 1820-1905@, en plus de présenter en soi le projet et les productions qui en découlent. Il met aussi en lumière des constats qui émergent de son expérimentation en classe au regard, entre autres, du développement des compétences de littératie dans le contexte de l’enseignement-apprentissage de l’univers social.

Le troisième et dernier article, écrit par Josianne Parent, Jean-Bernard Carrier et Virginie Martel, présente la cocréation d’un projet en classe d’histoire de 1er secondaire qui vise l’élaboration par les élèves d’un atlas numérique multimodal. Réalisé lui aussi dans le cadre de l’étude CRSH (2017-2020) intéressée aux pratiques multimodales et numériques de jeunes en contexte de recherche documentaire ou de création artistique, il allie des tâches de réception multimodale et des tâches de production multimodale. Pour constituer l’atlas historique numérique attendu, les élèves doivent en effet illustrer leurs acquis sous différentes modalités : textes longs, lignes du temps et cartes personnelles, production vidéo, etc. Dans cet article, le projet de l’atlas historique est présenté selon l’approche des 4P (Portrait du milieu, Processus de cocréation, Projet,Production) et les principaux constats qui émergent de l’expérience de cocréation ainsi que de l’expérimentation en classe du projet cocréé sont exposés. Plusieurs de ces constats nourrissent de manière fort intéressante la nécessaire réflexion didactique autour de l’enseignement et de l’apprentissage des sciences humaines et sociales à l’école.