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Le 4 avril 2020, la communauté historienne québécoise et canadienne a appris avec consternation la perte d’un de ses membres. Disparu beaucoup trop tôt, à 49 ans, Jarrett Rudy était un historien de Montréal, du Québec et du Canada, internationalement lu et reconnu. Pour plusieurs, il était aussi un bon ami.

Ce départ prématuré nous prive d’un chercheur et d’un professeur en pleine ascension et dont les réalisations s’étaient imposées par leur originalité et leur inscription dans une historiographie polyvalente. Son livre, The Freedom to Smoke : Tobacco Consumption and Identity (McGill-Queen’s University Press, 2005), a contribué fortement à l’essor de l’histoire culturelle au Québec, tout comme ses études et sa monographie en cours, et déjà primées, sur la normalisation du temps dans le Québec des XIXe et XXe siècles. Il a notamment reçu le prix du meilleur article de la Canadian Historical Review en 2012 pour « Do you have time ? » en plus d’obtenir le titre de Fullbright Scholar en résidence au programme d’études sur le Canada de l’Université d’État de New York à Plattsburgh.

Fier de ses origines, issu d’une famille tricotée serrée de Tavistock en Ontario, il a poursuivi des études avancées en histoire à Montréal et s’y est établi à demeure ensuite. Depuis 2004, il s’est investi dans son travail de professeur à l’Université McGill avec toute la fougue qui le caractérisait. Passionné de la culture québécoise passée et présente, il a contribué au rayonnement de l’histoire du Québec au-delà de ses frontières comme directeur du Programme d’études sur le Québec et à titre de codirecteur du livre Quebec Questions : Quebec Studies for the Twenty-First Century (Oxford University Press, 2010) ainsi que de la collection « Studies on the History of Quebec » de McGill-Queen’s University Press. Par ailleurs, il a été actif au sein du comité étudiant de l’IHAF dès ses premières années au Québec et a poursuivi sa collaboration avec l’Institut en acceptant la présidence du comité d’organisation du congrès « Urbanités » de 2015. Ne se limitant pas au cadre universitaire, Jarrett a agi en qualité de témoin expert dans un recours collectif de 17 milliards de dollars intenté, et gagné, contre des multinationales du tabac au Canada. Cette expérience l’a mené à créer le cours « Global Tobacco », bien apprécié de ses étudiant.e.s, qui a fait valoir les dimensions pratiques, éthiques et controversées de la profession d’historien dans un contexte judiciaire, entre autres.

Que ce soit dans la presse écrite, à la radio ou à la télévision, Jarrett prenait plaisir à partager ses connaissances sur Montréal, le Québec et le Canada. Défenseur anglophone de la langue française, il mettait en relief tous les nuances d’une société québécoise en évolution constante. Cette sensibilité et cette ouverture à l’autre sont devenues sa signature. Pour le Groupe d’histoire de Montréal (regroupement engagé dans des études historiques ancrées dans les perspectives marxiste et féministe), il était le coeur même des opérations. Il a su y introduire de nouveaux questionnements originaux grâce à sa faculté habile de favoriser un consensus amical. Dans son engagement social et politique, Jarrett a fait de l’histoire un lieu de dévoilement des inégalités, des injustices, ainsi que des luttes entreprises pour y mettre fin. Cet engagement s’étendait tout naturellement à sa communauté locale où il s’est impliqué à bâtir des ponts entre les différentes cultures avec sa joie de vivre sans pareil.

Jarrett nous laissera le souvenir d’un historien curieux, rigoureux, chaleureux et, surtout, rassembleur. Son sourire, son écoute et sa générosité débordante laisse un vide qui ne saura être comblé. L’Institut d’histoire de l’Amérique française transmet ses plus sincères condoléances à sa conjointe, Cynthia Kelly, à sa famille ainsi qu’à tous ceux et celles éprouvés par la perte de cet ami, mentor ou collègue. Nous sommes convaincus que d’autres reprendront le flambeau pour poursuivre ses questionnements et ses engagements, de même que son oeuvre se perpétuera à travers ses étudiants, ses étudiantes et les militants qui ont eu le plaisir de le connaître.