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Petit ouvrage d’une centaine de pages, Entre steppe et oasis est un livre témoignage de trois amis ayant une bonne connaissance du monde arabe et de sa langue : César Sakr, professeur d’arabe à l’École militaire de Paris, John Jayet, général ayant servi au Liban, et Yves de France, chef d’entreprise et ancien officier de l’armée française ayant vécu au Maghreb.

À l’aide d’exemples concrets et d’un vocabulaire simple et compréhensible, les auteurs nous entraînent des steppes guerrières aux oasis paisibles... des prémisses de l’islam vers la guerre en Syrie et les événements récents en France. L’ouvrage s’articule en trois parties. La première, divisée en six chapitres, amène le lecteur à comprendre la situation en Syrie.

Dans les quatre premiers chapitres, les auteurs analysent comment l’environnement social a déterminé le mode de vie des Arabes avant et après l’avènement de l’islam. C’est ainsi qu’ils définissent trois états. Avant l’islam règne un nomadisme pastoral et guerrier dans la steppe syrienne où les tribus, adorant un dieu guerrier, se font la guerre et vivent de brigandage. Avec la redéfinition des routes maritimes redonnant de la vitalité au trafic caravanier, la création des cités marchandes, la sédentarisation des tribus et la naissance de l’islam, apparaît un islam de réseau commercial fondé sur le monothéisme et le commerce entrepreneur où foi et argent sont compatibles tant qu’il y a équité et où le jihad (« guerre légale ») est une notion plurielle utilisée différemment selon les époques et les espaces. Se développe, dans les milieux pacifiques ruraux et agricoles, un islam de l’oasis pour lequel argent et foi sont incompatibles et où le paysan sédentaire « a partiellement renoué avec le fond religieux trinitaire ».

Le cas de la Syrie est abordé dans les cinquième et sixième chapitres. La population syrienne est à 75 % sunnite. Quatre groupes sociologiques y vivent en harmonie soutenant à leur façon le régime politique. Si l’islam de réseau commercial est sunnite et citadin, l’islam de l’oasis est principalement sunnite mais aussi chiite ; l’islam de l’oasis trinitaire est constitué d’alaouites, communauté dont sont issus le président Bachar al-Assad et l’armée ; le dernier groupe, majoritaire à Alep, est composé d’une multitude de communautés chrétiennes, catholiques et orthodoxes. Les auteurs attribuent le déclenchement du conflit en Syrie aux difficultés économiques engendrées par la vulnérabilité à la sécheresse, qui ont poussé les paysans vers les villes de Damas et d’Alep. Vivant en situation de grande précarité, ces paysans reviennent au brigandage. Avec minutie, est décrit le mode opératoire suivi par les factions rebelles pour soumettre les populations au pouvoir de l’État islamique. L’État syrien, soutenu par une large partie de la population, l’armée et des acteurs régionaux et internationaux (Iran, Liban, Russie, Chine) forme l’alliance des oasis qui combat l’internationale des brigands de la steppe.

Les deux chapitres de la seconde partie abordent, au travers d’exemples, les dérives de l’islam. Les auteurs attestent que, pour s’adapter au monde moderne, l’islam est obligé de contourner les prescriptions du Coran par une multitude de stratagèmes (ruses). Ainsi, pour forger une norme juridique ou fixer une règle économique, on se réfère aux versets du Coran (parole d’Allah) : si l’un d’eux s’exprime sur la question, le verset fait loi, mais si le Coran est muet, on se penche sur les propos de Mahomet ou sur ceux de ses compagnons ou des docteurs de la Loi. En dernier recours, on adapte une loi existante.

À travers la question du riba, du hanbalisme et du wahhabisme, ils démontrent comment les Occidentaux cèdent aux exigences économiques et financières des pétromonarchies, « de ceux qui professent l’islam le plus rétrograde » alors qu’il existe des formes d’islam plus progressistes. Après avoir expliqué l’usage politico-militaire du zakat (impôt religieux purificateur), ils s’intéressent au jihad : « Sommes-nous face à un nouveau jihad de l’expansion commerciale de jadis ou face à une violence extrême qui se prétend jihad pour acquérir quelque légitimité ? » Avec quelques exemples de violences armées au motif du jihad (assassinats en France, décapitations au Liban ou rôle des pétromonarchies en Syrie pour renverser le président Assad), ils précisent le sens des mots apostat, mécréant, kamikaze et achèvent leur démonstration en décrivant le mode opératoire orchestré : « Détecter des sunnites ruinés, les financer pour qu’ils basculent dans la violence de l’état antérieur à l’islam, déguiser cette violence en jihad à coup de fatwas et se servir de ces malheureux contre les adversaires politiques que l’on veut abattre. »

La troisième partie sert de conclusion et traite de la France. L’influence d’Internet et des réseaux sociaux, les discours de propagande de certains imams, amènent une jeunesse musulmane française vulnérable à se dresser contre la société française. S’y propage alors un climat de radicalisation. Partant du fait qu’il existe trois zones dans la géographie du jihad : une terre d’islam (dar al-asalam), une terre de trêve (dar al-soulh) et une terre de guerre (dar al-harb), l’Occident serait passé du stade de trêve à celui de guerre. Dans la mesure où l’islam est déconsidéré, la guerre devient légitime et partir s’entraîner au combat en Afghanistan, en Libye ou en Syrie est de mise.

Les auteurs soulignent le rôle des pétromonarchies arabes (financement des écoles religieuses), de la Turquie, des États-Unis, mais aussi celui de la France dont la politique étrangère pousse à la radicalisation. L’engagement de ce pays au Mali, en Afghanistan, en Irak et en Syrie en fait une cible légitime – en témoignent les nombreux attentats dont il est victime. Ils déplorent que la réunion de Grozny (2016), qui exclut le wahhabisme du sunnisme, n’ait été relayée par les médias français. Enfin, ils assurent que l’oasis France fait la différence entre la faible minorité manipulée et l’écrasante majorité de musulmans qui lui font honneur.

Synthétique et concis, cet ouvrage constitue une source de connaissances sur l’islam, son histoire, ses croyances, ses traditions et son rapport avec la politique internationale ; il apporte un éclairage utile sur l’évolution de l’islamisme radical dans le monde. Les analyses sont profitables au lecteur qui veut comprendre l’actualité d’un sujet aussi complexe. Une bibliographie en fin d’ouvrage aurait été plus enrichissante que des notes de bas de page. La cartographie, présente dans les premiers chapitres, est un plus, mais elle demande à être complétée par des échelles, titres et légendes, pour certaines cartes. Une volonté de vulgarisation réussie qui donne envie d’approfondir ses connaissances sur le sujet.