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Si le bilinguisme fait présentement partie de l’ADN du pays, son ascension à titre de valeur canadienne ne s’est pas faite sans heurts[1]. Matthew Hayday nous montre dans So they Want us to Learn French qu’un contingent plus ou moins organisé d’individus au Canada anglais s’est mobilisé contre cette politique linguistique[2]. L’augmentation de la présence de la langue française semblait inacceptable pour ces groupes qui cherchaient à préserver la prédominance de l’anglais dans l’espace public. Le cantonnement du français à l’intérieur des frontières québécoises était suffisant, soutenaient-ils. Bien qu’ils aient été les premiers à profiter de cette politique qui a été taillée pour eux, il ne faut pas croire que les Canadiens français ont été unanimes dans leur appui au bilinguisme. Au contraire, certains, comme l’historien Michel Brunet, s’y sont vigoureusement opposés. Alors que d’autres individus, comme Jock V. Andrew, auteur de Bilingual Today, French Tomorrow, voient dans le bilinguisme canadien un grand complot canadien-français mené par Pierre Elliott Trudeau pour subjuguer le Canada[3], l’historien Brunet estime que le contraire est vrai. Le bilinguisme canadien, et son corollaire l’unité nationale, croit-il, cherche tout simplement à intégrer la nation canadienne-française dans un pays anglophone qui n’est pas le sien. L’historien Donald Creighton figure parmi les plus ardents opposants du bilinguisme à l’échelle nationale. Selon lui, l’obsession canadienne avec la langue durant les années 1960 et 1970 viendrait à affaiblir le pays et le mènerait vers une intégration économique et politique aux États-Unis. Dans les deux cas, ces historiens ont pris la parole dans l’espace public pour dénoncer le bilinguisme.

Cet article propose une étude comparative entre deux historiens qui se sont opposés au bilinguisme canadien durant la période de l’après-guerre. Creighton, un Torontois né en 1902 qui intègre le département d’histoire de l’Université de Toronto sans jamais obtenir de doctorat[4], devient néanmoins l’une des figures marquantes du courant tory de l’histoire canadienne en raison de ses nombreuses études sur la bourgeoisie bas-canadienne et de son opus magnum en deux tomes sur John A. Macdonald. Nationaliste canadien-anglais soucieux de préserver l’aspect britannique de la nation canadienne, il a décidé tardivement dans sa carrière d’investir l’espace public afin de défendre ce qu’il considère être le destin national de son pays contre l’assaut des « libéraux[5] »et contre son intégration dans le système économique continental. De son côté, Brunet, né en 1917 d’une famille bourgeoise de Montréal et ayant complété des études doctorales à l’Université Clark au Massachusetts afin d’occuper un poste de professeur d’histoire à l’Université de Montréal qui lui avait été promis, est un (néo) nationaliste de la première heure. Il s’est souvent livré au jeu du débat public par l’entremise des médias pour condamner les politiques fédérales qu’il estime être orientées contre les intérêts des Québécois. Unis dans leur condamnation du bilinguisme canadien, le croisement entre ces deux intellectuels permet de nous éclairer sur l’éventail des critiques qui sont formulées chez certains nationalistes canadiens-français et canadiens-anglais devant ce vaste projet de refondation identitaire[6] opéré par le Parti libéral du Canada depuis le mitan des années 1960. Partant de deux nationalismes distincts, l’avenir de leurs nations respectives devient un enjeu qui les pousse à agir dans l’espace public et à mobiliser leurs connaissances historiques, longuement cultivées dans les archives et bonifiées par leur érudition, dans l’arène politique. Pour chacun, l’évolution « normale » de leur société est menacée par le projet de refondation.

Beaucoup a été écrit au sujet de Michel Brunet au cours des dernières décennies. Jean Lamarre demeure la référence au sujet de Michel Brunet et de ses collègues de l’École historique de Montréal[7]. Il offre à ses lecteurs une étude approfondie des écrits de Maurice Séguin, Guy Frégault et Michel Brunet, sans toutefois approfondir leur participation dans l’espace public. Brunet est également passé sous la loupe de Ronald Rudin dans son étude sur l’historiographie québécoise du XXe siècle[8]. Notons également l’étude classique de Michael Behiels sur la pensée des principaux intellectuels néonationalistes[9] et libéraux du Québec au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale dans laquelle figure brièvement Brunet[10]. Michel Bock[11] et Marcel Martel[12] ont eux aussi réfléchi en partie sur Brunet dans leurs recherches sur les minorités françaises du pays. Bref, les contours de la pensée brunetienne ont été largement explorés par les labeurs de ceux qui nous ont précédés, ce qui nous permet de cibler ses activités dans l’espace public.

De son côté, Donald Creighton commence à peine à faire l’objet de recherches par les historiens. Il a été longuement ignoré par l’histoire intellectuelle, à l’exception de l’étude de Carl Berger sur l’historiographie canadienne-anglaise qui lui dédie un chapitre[13] et un article de Ralph Heintzman sur l’esprit biculturel de la Confédération et les écrits de Creighton[14]. L’historien Ramsay Cook a également participé à un projet de la CBC dans lequel il a interviewé Creighton et Michel Brunet. La transcription éditée a été par la suite publiée dans The Craft of History[15]. À l’extérieur de la sphère universitaire, le journaliste Charles Taylor lui consacre en 1982 un chapitre dans son livre Radical Tories[16]. Notons toutefois une recrudescence de l’intérêt pour l’historien, notamment dans les recherches de Donald Wright. En 1995, ce dernier a proposé un article sur la pensée de Creighton au sujet des Canadiens français afin de briser le mythe de sa francophobie[17]. Wright a d’ailleurs récemment publié une biographie de l’historien[18]. Cela dit, peu de chercheurs francophones se sont intéressés à son cas, et encore moins à sa participation dans l’espace public.

Or, pourquoi croiser ces deux historiens qui, à première vue, n’ont rien en commun ? Outre une très courte correspondance entre eux, les échanges sont demeurés rares. Notons d’une part que ces deux intellectuels se rejoignent dans leur interprétation du sens du pacte de 1867 qui crée la Confédération, bien que pour différentes raisons. Chacun affirme que le Canada n’a jamais été un pays bilingue et encore moins biculturel. Tous sont d’accord qu’il s’agit d’abord et avant tout d’un pays britannique, voire « Canadian », comme le dit Brunet. Qui plus est, les deux résistent âprement à l’opération de refondation identitaire des gouvernements Pearson et Trudeau. Cependant, si le diagnostic est le même, les remèdes pour la crise que traverse le pays au cours des décennies qui suivent la Deuxième Guerre mondiale ne peuvent être plus contrastants.

La nation organique de Donald Creighton

Donald Wright soulève rapidement le caractère burkien[19] de la pensée de Creighton sur le Canada français dans son article « Donald Creighton and the French Fact, 1920s-1970s », soulignant que l’historien « instinctively distrusted anything revolutionary[20] », expliquant ainsi son dédain pour le néonationalisme canadien-français et l’impérialisme américain. En effet, si Creighton ne fait pas explicitement référence à Burke dans ses écrits, la correspondance intellectuelle avec le philosophe irlandais est très présente. La nation est, chez l’historien, organique. Elle doit donc évoluer selon sa nature propre. Il demeure incrédule devant les projets de réforme constitutionnelle de l’époque qui sont, selon lui, scribouillés pour satisfaire les caprices de la conjoncture. Le bilinguisme, le biculturalisme et la décentralisation, qui ont la cote chez plusieurs intellectuels ne feraient qu’affaiblir le pays et trahir la mission du Canada à faire vivre, en terre d’Amérique, une société imprégnée des valeurs britanniques qui peut servir de contre-exemple au matérialisme des États-Unis[21]. Cette vision explique en quoi l’utopie d’un Canada bilingue est à combattre chez l’historien. Creighton n’est pas conservateur uniquement par méfiance contre les révolutions, mais du fait qu’il croit que le pays doit évoluer de manière naturelle. Il craint le modernisme, dont le seul but est d’assurer une croissance – économique, technologique ou autre – perpétuelle. Il se dit sceptique de la glorification du « progrès » à tout prix. Enfin, pour Creighton, la Constitution du Canada demeure un texte sacré qu’il ne faut pas toucher à la légère. Cette vision se traduit particulièrement bien dans son jugement du « caractère permanent » du Manitoba et de l’Ouest canadien que nous étudions ci-après.

Opposition au bilinguisme dans l’Ouest canadien

Creighton s’oppose à la notion d’un Canada constitué à partir d’un pacte entre deux nations. Jamais les Pères de la Confédération n’ont voulu créer un pays bilingue et biculturel. Les écrits du vieux routier au tournant des années 1970 ne laissent aucun doute quant à sa position. Mais les appuis se font rares dans le monde universitaire. En effet, personne ne se porte à la défense de Creighton lorsque le jeune Ralph Heintzman critique sa conception de la nature politique du Canada[22]. En examinant les débats entourant la Loi sur le Manitoba de 1870 et la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest de 1877, et en les comparant aux analyses de Creighton, Heintzman soutient que l’historien a tort d’affirmer que ces lois ont été adoptées de manière expéditive[23]. Selon le futur fellow du Collège Massey de l’Université de Toronto, la lecture rigide de la période que propose l’historien obscurcit notre compréhension du passé.

Heintzman a raison d’affirmer que Creighton offre peu de jeu pour interpréter la fondation du pays. Mais il simplifie les raisons intellectuelles qui motivent l’historien à faire ainsi. Pour Creighton, il allait de soi que le « caractère final » du Manitoba allait être anglo-protestant. La décision d’instituer le bilinguisme dans la province a été un obstacle à cette fatalité. Autrement dit, la Loi sur le Manitoba de 1870 ne reflétait pas le destin anglo-protestant de la province. Les décisions entourant la création du nouveau gouvernement ont été prises « prematurely and unwisely before the prairies had time to develop their true and permanent character[24] ». Pour Creighton, l’Ouest allait, de manière organique, se transformer en un pays anglo-canadien. Sa conversion en territoire bilingue et « biculturel » s’opposerait donc à « l’esprit » de la Constitution. Selon Creighton, l’octroi de droits linguistiques aux populations francophones de l’Ouest s’est fait à contrecoeur et de manière artificielle. C’est sous la contrainte des Métis et des nationalistes canadiens-français que de telles dispositions ont été adoptées. Il est donc tout à fait naturel que l’Ouest canadien se révolte contre les arrangements linguistiques qui lui ont été imposés : « The West turned with determination against the inappropriate constitution which had been imposed upon it ; and […] ended in the virtually total rejection of biculturalism[25]. » Autrement dit, le caractère artificiel des droits linguistiques ne pouvait résister à l’évolution normale de la région.

Selon Creighton, la décision hâtive de donner des droits linguistiques aux Canadiens français du Manitoba s’explique en raison de la nécessité de créer un nouveau territoire canadien pour contrer les prétentions américaines sur la région[26]. L’appui des francophones était nécessaire, ce qui explique ces concessions[27]. Mais le caractère final de la province n’était pas arrêté. Pour Creighton, celui-ci allait être déterminé par les courants migratoires qui devaient se prolonger sur une période plus ou moins longue. En ce sens, l’historien a visé juste : la province allait devenir un fief de l’Ontario en raison de l’arrivée de milliers de colons de cette province et, par la suite, une province de langue anglaise, d’où la loi linguistique de 1890 qui a provoqué un tollé au Canada français.

Autrement dit, Creighton croit à la lente évolution du pays vers son destin final en tant que partenaire du Commonwealth qui se distingue des États-Unis. Sa critique du bilinguisme au Manitoba ne peut être analysée comme une simple attaque contre les Canadiens français et les Métis francophones de la province. L’historien adopte plutôt une posture conservatrice sur l’avenir de la province. Appliquer le bilinguisme québécois pour le Manitoba demeure pour lui une mesure artificielle, car la province allait inévitablement – voire organiquement – devenir anglophone.

Un Canada britannique… et dualiste ?

L’analyse qu’offre l’historien torontois est largement influencée par ses recherches sur John A. Macdonald et les documents qui ont entouré la fondation du Canada. Selon Creighton, le pays doit faire hommage à la vision des Pères de la Confédération qui ont tracé la voie à suivre. Ces héros ont donné au pays tous les outils nécessaires à son succès : une gouvernance centralisée, une reconnaissance de la nature dualiste du pays et, surtout, les liens culturels, institutionnels et économiques avec la Grande-Bretagne.

Le Canada devait donc se distinguer de son voisin du sud. Dans The Road to Confederation, publié en 1964, Creighton affirme que les Pères de la Confédération cherchaient à créer « something radically different [than the United States]. They planned a paramount national parliament and government, and subordinate, quasi-municipal local institutions[28] ». En effet, le pays demeurait fidèle à ses racines britanniques. Cette « britannicité » forme le bouclier qui protège l’avenir du pays : « The British connection was a precious cultural inheritance. But it was also an essential political defence ; beneath the few insignificant remaining forms of the old colonial relationship, there lay the reality of a diplomatic and military alliance by which alone Canada could maintain its separateness and its autonomy on the North American continent[29]. »

Macdonald avait compris ce fait et Creighton a toujours cherché à le rappeler aux politiciens et historiens « libéraux » qui n’avaient d’amour que pour l’autonomie politique du pays face à la Grande-Bretagne. Visionnaire, le premier chef du Canada a légué à ses citoyens un vaste pays gouverné sous le système parlementaire britannique[30]. L’avenir du pays passait, et passera toujours, par cette « alliance ». Selon Creighton, « Canada must remain, what it has become, an autonomous nation inside the British imperial system ; and if it kept steadfastly to its first true course, the certainty of transcontinental nationhood lay before it[31] ».

L’historien répète cette thèse quelques années plus tard après avoir été sommé de participer à un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes sur la Confédération en 1971. Il plaide pour le respect de la Constitution telle qu’elle est écrite, car elle s’inscrit dans une vision globale sur l’avenir du pays :

The Fathers of Confederation clung to constitutional monarchy because they believed it was the best government ever devised for free men and they were determined to retain the imperial connection because they were convinced that it was essential to Canada’s survival as an independent nation in North America and also because they regarded the British Empire as the greatest secular force for good in their own age[32].

Cet arrimage entre le Nouveau Monde et l’Empire britannique serait le principe fondateur du pays. C’est là d’où vient le « contre-argument » de l’intégration aux États-Unis, un mal fondamental que nous explorerons ci-après. Macdonald avait compris cela dès son jeune âge, si l’on s’en tient à Creighton. L’arrivée de milliers de loyalistes des États-Unis en Amérique du Nord britannique aurait consolidé le destin canadien.

Malgré son insistance sur la nature britannique du pays, il n’est pas juste d’affirmer que l’historien s’acharne contre le fait français. Il est souvent arrivé que Creighton souligne l’importance des Canadiens français pour le Canada. D’ailleurs, Macdonald savait très tôt qu’il était impossible d’assurer la survie de l’Amérique du Nord britannique sans le concours des Canadiens français. Au sujet du Canada-Uni, l’historien affirme que

[Macdonald] was prepared [in 1853] to accept the cultural duality of Canadian life, to recognize that what was in form a unitary province was in fact a half-acknowleged federal state. […] The union could only be preserved by a series of compromises and conventions which sanctioned this cultural duality and one of the most important of these compromises was the equal representation of the two sections of the province in the Assembly[33].

Il dit d’ailleurs à Paul Fox, animateur à la CBC lors d’une émission spéciale, A Long View on Canadian History, diffusée le 16 juin 1959, que le fait français du pays fait partie des traits distinctifs de l’aspect dualiste du Canada :

[T] he most important thing that French Canada has given to this country is its own distinctive culture. And that is what makes this country a distinctive nation in North America. It’s one of our distinguishing features. It distinguishes us, for example, sharply from the United States, which, in the contrary, is the melting pot country par excellence. The country in which all national distinctions are blended in one common stock. But we didn’t accept that. We stuck behind the idea of a dual culture. A cultural dualism. And we made the compromise and accommodations necessary to support that[34].

Il existe donc une place importante chez Creighton pour le Canada français à l’intérieur du pays. Cela dit, cet espace doit se cantonner aux frontières du Québec et ne doit pas se traduire par des concessions linguistiques à l’échelle du Canada, encore moins par une refonte constitutionnelle pour accommoder la souveraineté-association, une idée que Creighton attaque sévèrement dans le magazine Maclean’s, suggérant qu’un Québec indépendant devait être amputé de son territoire[35]. Toujours selon Creighton, il existe une dépendance mutuelle entre le Québec et le Canada – tout comme lors des délibérations autour de la Confédération – afin d’assurer le salut des deux sociétés. Un Canada sans le Québec ne peut résister aux États-Unis. Du même coup, un Québec sans Canada est voué à l’assimilation et à l’intégration américaine.

Or, ce même Creighton est, durant les années 1960 et 1970, l’ultime pourfendeur du bilinguisme et du biculturalisme canadien. N’existe-t-il pas une contradiction fondamentale entre l’affirmation selon laquelle le pays a été créé, du moins en partie, en raison de la dualité culturelle et l’attaque infatigable de cet intellectuel contre un pays bilingue et biculturel ? Si l’on accepte que Creighton adopte une vision organique du Canada, les raisons derrière sa résistance deviennent plus nuancées. Pour bien comprendre l’opposition de Creighton, toutefois, il faut explorer une autre facette de sa pensée : son anti-américanisme.

Une république « radicale » : l’anti-américanisme de Creighton

L’oeuvre de Creighton cherche en partie à assurer l’indépendance du Canada et à donner un sens à l’expérience canadienne par rapport aux États-Unis. Le récit de l’historien selon lequel les États-Unis forment une république « radicale » et « étrangère » (alien) lui permet de distinguer le Canada de son voisin du sud.

Le caractère centralisé du Canada aurait été formulé en opposition à ce que Creighton estime être les faiblesses fondamentales du système américain, c’est-à-dire sa décentralisation, qui d’après lui aurait été au coeur de la Guerre civile américaine[36]. Les Pères de la Confédération auraient non seulement appris des erreurs des États-uniens, mais se seraient également pliés à l’ordre naturel des choses. Le Canada a été prédestiné à devenir une monarchie constitutionnelle érigée à l’encontre du voisin. La responsabilité ministérielle, qui est octroyée plusieurs années après les rébellions de 1837-1838, a simplement confirmé la marche du pays vers ce destin politique. Elle est « a natural development of our British North American tradition[37] ».

Il demeure que l’historien craint la puissance culturelle et économique des États-Unis. Il a souvent pris la parole dans l’espace public pour dénoncer l’intégration en douceur du Canada au continent qui est contrôlé, selon lui, par les Américains. À l’émission Speaking of Books de la CBC diffusée en 1970, Creighton indique que l’avenir du Canada en tant que « independent nation-state » n’est pas gagné. « I think the outlook is very dark indeed », affirmait-il. En ce sens, Canada’s First Century est le produit d’un espoir « of awakening Canadians to the perils that I think confronts them[38] ».

Creighton demeure découragé par l’impérialisme américain. Sa grande crainte est que le Canada soit englouti par le capital états-unien. Pire encore, le pays risque de devenir un satellite, tant culturel que politique, du géant du sud. Dans une envolée particulièrement excessive, l’historien affirme en 1970 que les villes du Midwest comme Chicago et Detroit sont des bassins de « criminels anarchistes » et de personnes à caractère « animalier ». La solution pour s’immuniser contre la reproduction de ce modèle au Canada est d’assurer l’indépendance du pays en adoptant des politiques « socialistes ». C’est du moins ce qu’en conclut le Toronto Daily Star en juin 1970[39].

Creighton serait-il un socialiste ? Le Toronto Daily Star exagère grossièrement lorsqu’il colle cette étiquette sur l’historien. Fondamentalement, ce dernier croit que le pays a été créé comme un contre-exemple des États-Unis. Alors que les Américains ont opté pour une république « radicale », le Canada, quant à lui, a délibérément choisi des institutions britanniques. Selon l’historien, le modèle britannique s’imposait au Canada dans la pensée de Macdonald lorsqu’est venu le temps de créer des institutions pour le nouveau pays. « [W]hen it became a question of alien borrowings, and particularly of imports from the exotic theory or practice of the congressional system in the United States », le grand chef Macdonald s’est sagement rangé derrière les institutions britanniques qui ont fait leurs preuves[40]. Comment faire autrement pour un pays qui doit être une excroissance de la mère patrie dans le Nouveau Monde ? L’essence du Canada est, pour Creighton, britannique. Adopter les institutions américaines serait donc une perversion. Cela explique d’ailleurs pourquoi le pays doit faire des sacrifices afin de résister aux États-Unis : « I think it’s still possible for Canadians to maintain their independence and preserve their identity. But I am sure also that it will take a far mightier effort, an endeavour yet attempted, or even that we’ve never dreamed of making. We’ll have to pay a big price. And I can’t help wondering if the mass of Canadians will be willing to pay for it[41]. »

Creighton n’a pas beaucoup d’espoir pour l’indépendance du Canada, toutefois. Il se contente d’examiner la situation et de décrire ce qu’il perçoit être un avenir fort pessimiste. Le modernisme américain qui érige en doctrine la croissance à tout prix fait également partie des éléments à combattre. C’est ici où la correspondance intellectuelle avec Burke est la plus présente chez l’historien. Creighton soulève l’enjeu de la souveraineté économique du Canada comme étant fondamental pour l’avenir du pays. Son « socialisme » est plutôt le désir de faire adopter une nouvelle Politique nationale comme l’a déjà fait John A. Macdonald, sans quoi la ruine économique est à l’horizon : « I think for example that the takeover of Canadian business, for example [sic], is proceeding at an accelerated pace. And as the supply of the raw materials which are essential to the very elaborate and costly life which modern world demands decline, or perhaps even disappear in the United States, [they] will be bound to reach out and try to claim new sources in Canada[42]. » L’enjeu américain, dit l’historien, est voilé par « l’obsession » linguistique. C’est ce qui motive l’historien à le combattre.

Un bilinguisme à combattre, un pays à défendre

Donald Creighton s’est joint sans grand enthousiasme au Comité consultatif de l’Ontario sur la Confédération (CCOC) sur l’invitation du premier ministre John Robarts. Ce comité, institué en 1965, a pour objet de conseiller le premier ministre sur les questions liées à l’avenir de la Confédération. Robarts, convaincu que l’Ontario doit faire preuve de leadership en matière d’unité nationale, nomme un ensemble éclectique d’intellectuels et d’experts à ce comité comme Ian Macdonald, l’économiste en chef de la province, Bora Laskin, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Toronto et futur juge de la Cour suprême, et Eugene Forsey, un grand ami de l’historien qui deviendra sénateur libéral en 1970[43].

Dès le début du CCOC, les deux compagnons d’armes se forgent un pacte. Ils cherchent à « résister » aux idées « dangereuses » qui circulent concernant l’avenir du pays. Dans une lettre envoyée à son ami Forsey le 13 janvier 1965, Creighton veut s’assurer que les deux empêchent l’empoisonnement de la politique canadienne :

I hope devoutly that you will join the Committee and lead the resistance to all this dangerous rubbish. It seems to me that we are approaching a crisis in our national affairs and that this Dominion government, instead of providing leadership, has in fact contributed to our division and bewilderment. The only government that can speak with any force for the old conception of Canada is the government of Ontario, and personally I feel that I am bound to do anything I can to help it[44].

Creighton s’engage donc à combattre l’assaut du biculturalisme et du bilinguisme contre son « ancienne conception » du pays. De son côté, Forsey affirme à son collègue qu’il appuiera avec « a fervent “amen”[45] » les démarches de l’historien.

Mais Creighton voit rouge dès les premières rencontres du CCOC. Le 18 janvier, Paul Fox, Lucien Matte, Roger Séguin et Alex Brady proposent, sans délibération préalable, l’adoption d’un discours préliminaire pour guider les réflexions du groupe selon lequel

[a] distinguishing characteristic of Canada is its bicultural and bilingual nature. The committee is convinced that the fuller recognition of this duality is desirable to preserve Canadian unity and maintain an identity different from that of the United States. In view of the current situation, bold measures are needed to further this end, and Ontario, which did so much to shape the Confederation of 1867, can play a significant part in initiating them[46].

La proposition n’est ni plus ni moins « révolutionnaire », selon Creighton. En effet, la Confédération n’a jamais été un compromis entre deux nations et est encore moins de « nature » bilingue et biculturelle. Ce dernier n’arrive pas à digérer l’affirmation de Brady selon laquelle il faut reconnaître le bilinguisme officiel de la province de l’Ontario pour amadouer les nationalistes québécois. « It amounts to a constitutional revolution in the province of Ontario », d’après l’historien[47]. Aucune disposition n’existe dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique pour donner un statut bilingue à l’Ontario. Selon Creighton, l’article 133 précise clairement quelles institutions du pays sont bilingues. En se tenant au pied de la lettre, il affirme qu’il n’y a que le Parlement canadien, la législature québécoise et les tribunaux de ces deux États qui sont bilingues. Toute modification nécessiterait la réécriture de la Constitution. Qui plus est, l’article 133 aurait été très généreux selon l’historien : « that section of the statute, has been interpreted to mean in time the use of both languages in all official publications of Canada ; and it has also been taken to mean the use of both languages in such organizations as, say, Air Canada, Canadian [N]ational Railways, and so on[48]. »

Rappelons que l’historien croit sincèrement que le document fondamental du pays est un texte organique qui évolue tranquillement, comme un bon Bordeaux. Le déboucher pour le verser dans un nouveau contenant gâcherait le vin, tout comme cela ruinerait la Constitution. Au comité mixte du Parlement sur la Constitution en 1971, il affirme que le document « is not a petrified relic of a bygone day, it is a living creation, which should accommodate itself to the varied changing conditions and respond sensitively to new demands and new problems[49] ».

Creighton prévoit également le désastre pour les Canadiens français de l’Ontario si la province adopte le bilinguisme et offre à ses citoyens francophones un système scolaire entièrement de langue française. La province serait alors peuplée de cancres incapables de s’intégrer à l’économie canadienne : « To the extent to which people are brought up in these secondary schools and taught with French, with French as the language of instruction, it seems to me it might impair them from obtaining an idiomatic and fluent command of a language which is certain to be the language of the enormous majority of this province[50]. » Ce n’est pas à l’État de protéger la minorité de langue française avec des mesures artificielles de redressement ou en lui offrant une éducation dans sa langue. Une telle approche empêche son intégration dans la société majoritaire. En 1978, Creighton, à la fin de sa vie, indique lors d’une entrevue à Arts World à la CBC que le destin du français est scellé : « I think the French language will disappear within, oh, say 75 years. […] Because there simply isn’t place for it and it has been steadily declining ever since Confederation here. I don’t believe it will last […] [51] ».

L’historien réitère que le réel danger pour le Canada n’est pas la précarité de l’unité nationale, mais bien l’enjeu américain. Le véritable débat n’est pas de savoir s’il faut donner ou non plus de pouvoirs au Québec ou s’il faut instaurer un régime de bilinguisme et de biculturalisme. L’enjeu est l’avenir du pays contre l’impérialisme américain. Car, d’après Creighton, le bilinguisme et le biculturalisme n’ont servi qu’à diviser le pays :

This country is more divided now than it has been for more than half a century. During the 1960s, the government of Quebec and Ottawa […] with some help from Ontario and with cordial massive assistance from all mass media of the country concentrated on language as the one important [issue], the top priority of this country. Now language is the one thing that divides us most, and therefore at the very point which we needed unity more than ever, we were divided by this I would say almost fanatical obsession with language[52].

Mais Creighton est conscient de défendre une opinion très minoritaire. Lors d’une émission spéciale intitulée A Conversation with Donald Creighton en 1970 animée par Larry Zolf, le doyen de l’histoire canadienne-anglaise ironise sur l’opposition à sa pensée :

It’s a kind of heresy to say things like this [sur le bilinguisme et le biculturalisme]. If this were a different kind of world and they would have a holy office down in Montreal […] with an inquisition […] I’d be [inaudible] subjected to a good deal of torture and tried and forced to recant and betray my associates and all the rest of it and no doubt in the end I’d be burned to the stake[53].

Certes théâtrale, l’image d’une inquisition canadienne-française traduit néanmoins le dégoût qu’a Creighton pour ce débat et l’appui quasi universel qu’obtient le bilinguisme au Québec et dans les nombreux partis politiques à Ottawa. Ceux qui critiquent ces positions sont accusés d’être des réactionnaires. La position de Creighton est, certes, impopulaire. « I’ve been denounced as a bigot » affirme-t-il à Zolf[54]. Mais il explique le faire pour dénoncer la mise en tutelle du pays : « If language is the number one priority » indique-t-il, « then defense against the American is not a priority[55]. »

L’historien a tort de croire que son oeuvre n’a pas eu d’impact auprès de la société civile au Canada. De nombreux activistes qui sont contre le bilinguisme se réfèrent aux travaux de Creighton afin d’appuyer leur point de vue. Dans un récent livre, Matthew Hayday nous mentionne l’utilisation de la pensée de Creighton par ces militants, notamment chez Joseph Thorson de la Single Canada League, qui, en juin 1970, cherche à intenter un procès contre le procureur général du Canada, les commissaires de la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme et le secrétaire d’État, affirmant qu’ils ont conspiré pour doter le pays d’une loi linguistique anticonstitutionnelle[56]. De leur côté, Marcel Martel et Martin Pâquet soulèvent l’existence d’une correspondance entre Thorson et Creighton qui permet à ce premier de s’armer intellectuellement pour ce procès qui n’aura jamais lieu[57].

Creighton souhaite lever le voile sur la véritable « question nationale » du pays, c’est-à-dire son indépendance face aux États-Unis. D’après lui, les partisans du bilinguisme et du biculturalisme manipulent l’histoire canadienne et font preuve de malhonnêteté. Il s’érige donc comme un défenseur de la tradition canadienne, de son histoire et du projet de son concepteur : John A. Macdonald.

Défaire le malentendu historique : l’opposition de Michel Brunet

L’historien montréalais Michel Brunet a très tôt fait sa marque dans l’espace public au début des années 1950. Après un court séjour états-unien pour obtenir son doctorat à l’Université Clark de Worcester, l’historien des États-Unis se lance de plain-pied dans l’étude du Canada français et de ses relations avec le Canada anglais. Brunet est un historien de combat. Jean Lamarre nous l’indique de manière imagée en reproduisant la fameuse phrase de Mason Wade qui disait que l’École historique de Montréal était un groupe composé « d’un qui pense [Maurice Séguin], d’un qui écrit [Guy Frégault] et d’un qui crie [Brunet][58] ». En effet, Brunet a le sens de la polémique et sait bien user de son statut et de ses connaissances historiques pour promouvoir ses convictions dans le débat public.

Contrairement à son collègue anglophone, Brunet est un libéral pour qui la Conquête a empêché le développement d’une bourgeoisie francophone au Québec, ce qui l’a privé d’un développement « normal » en tant que société occidentale et américaine. La quête pour cette « normalité » l’amène à s’opposer à toute forme de centralisation fédérale et aux nombreux projets politiques émanant d’Ottawa. Bien qu’il se dise progressiste – il fait souvent référence au besoin de nouer le Québec avec la social-démocratie –, Brunet s’oppose aux investissements d’Ottawa dans les universités québécoises, citant l’autonomie du Québec dans ses champs de compétences et la nécessité que les Canadiens français s’occupent à eux seuls du réseau universitaire québécois. Il estime nécessaire, au cours des années 1950, que les gouvernements observent la Constitution au pied de la lettre – une position qui le lie paradoxalement à Donald Creighton, bien que les deux n’aient pas la même lecture de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB). Dans les années 1960, il fait volte-face pour marteler l’idée qu’il faut renouveler la Constitution selon les aspirations des deux nations qui composent le pays[59]. Lors du référendum sur la souveraineté-association de 1980, l’historien prend enfin position en faveur de l’indépendance du Québec, après avoir tergiversé et être demeuré plutôt froid à l’idée pendant trois décennies.

L’idée maîtresse qui guide l’opposition de Brunet au bilinguisme est ce qu’il nomme le « malentendu historique » du pays. Le Canada, malgré son nom, n’est pas le pays des Canadiens français, mais bien de la majorité « Canadian », c’est-à-dire des Canadiens anglais. Il est composé de deux nations dans un État dont la majorité est anglo-saxonne. Brunet estime nécessaire que les Canadiens français prennent conscience du fait que l’État fédéral n’est pas administré dans leur intérêt. Seul l’État québécois leur permet de réaliser les ambitions des ancêtres de la Nouvelle-France. Croire le contraire serait se leurrer. Pour Brunet, l’élite canadienne-française doit aussi cesser la propagation de « mythes compensatoires » qui nourrissent les illusions selon lesquelles les Québécois sont des partenaires égaux de la Confédération. Ce n’est qu’en se réveillant de cette torpeur qu’il est possible pour les Canadiens français de se doter d’une société « normale » et, ainsi, d’accéder à l’universel.

Les « mythes compensatoires »

Brunet se lance dès le début de sa carrière contre ce qu’il nomme les « mythes compensatoires » du Canada français qu’ont créés les historiens de « l’ancienne » méthode. L’historien montréalais, qui a fait ses études aux États-Unis, communie à l’autel de l’objectivité scientifique dans ses réflexions sur le Canada français. Il veut donc éliminer la Providence des analyses des historiens et cesser de faire des « héros » avec les « échecs » du passé. Souvent, il dénonce ces « excès [de] romantisme » par des phrases cuisantes. Il affirme à de nombreuses reprises qu’il ne faut pas se surprendre de la survivance des Canadiens français. Celle-ci n’est pas le résultat d’une intervention providentielle, mais bien de la croissance naturelle de la population[60]. Pour Brunet, les promoteurs de mythes empêchent les Canadiens français de faire état de leur situation politique au pays. Impossible pour ces derniers de devenir majoritaires sur le territoire canadien, affirme Brunet. Il faut donc mettre fin à cette « illusion ». « Cessons de prendre nos désirs pour la réalité », dit-il[61].

Ce dernier se présente donc comme un briseur de mythe professionnel. En 1968, il participe à l’émission Le sel de la semaine, durant laquelle les Canadiens français sont invités à voter pour choisir « l’événement capital et le héros par excellence du Canada français ». Brunet explique à l’auditoire que ce n’est pas le rôle de l’historien de faire des héros[62].

Deux nations qui s’opposent

L’opposition de Brunet au projet de bilinguisme et de biculturalisme se distingue nettement de celle de son homologue torontois. Nous l’avons vu, Creighton estime que les Pères de la Confédération ont sciemment refusé d’inclure une batterie de droits linguistiques pour les Canadiens français. Ce choix historique doit être respecté par les politiciens contemporains, faute de quoi l’avenir du pays serait en jeu. Brunet écrit d’ailleurs à son homologue pour le féliciter de ses textes, indiquant que les recherches de Creighton permettent de bien comprendre la place qu’occupent les Canadiens français au pays : « Vous avez raison […] de soutenir que l’[AANB] n’avait pas pour but de créer un Canada décentralisé, bilingue et biculturel. Je suis d’ailleurs convaincu que la plupart des provinces canadiennes demeureront unilingues anglophones et que les îlots de Franco-Canadiens en état de survivance végétative s’intégreront à la majorité Canadian[63]. »

Brunet craint surtout que l’approche du bilinguisme a mari usque ad mare ne soit qu’un subterfuge pour faire taire les nationalistes du Québec. Selon sa vision du pays, le Canada est composé de deux États-nations, dont le Québec. Tout appel à « l’unité nationale » n’est qu’une tentative voilée pour mater les velléités nationales des Canadiens français. La formule est « une expression trompeuse qu’emploie la majorité [Canadian] pour exiger de la minorité [canadienne-française] ce qu’elle n’ose pas réclamer », c’est-à-dire des concessions, et même l’intégration[64]. À son collègue Bill Morton, l’historien montréalais affirme qu’il est temps que les historiens écrivent la « vraie » histoire du pays, ce qui signifie mettre au clair qu’il existe un malentendu historique entre les deux sociétés canadiennes. L’unité nationale ne serait qu’un rêve impossible et le fruit de l’imagination trop fertile de certains idéalistes. « Mort au romantisme ! » lui lance-t-il, car il faut enfin « renoncer à toutes les vieilles illusions » et au « wishful thinking » dans l’écriture de l’histoire canadienne[65].

Brunet estime également que la démographie domine l’action politique d’un pays. En d’autres mots, la majorité l’emporte. De fait, il est impossible pour les Canadiens français d’être réellement « chez eux » au pays. Par la force du nombre, le pouvoir central du gouvernement d’Ottawa réside sans contredit entre les mains des Canadians. Cette conception du pays est fondamentale dans l’objection de Brunet aux desseins du gouvernement fédéral. Puisque les Canadiens français sont minoritaires et incapables d’imposer leur volonté au pays, il va de soi que leurs projets politiques soient écartés au profit de ceux de la majorité Canadian. Selon Brunet, le Canada anglais cherche à ériger un État central fort qui répondrait à ses « aspirations légitimes ». Celui-ci dresse l’impressionnante liste de programmes et de commissions d’enquête qu’ont créées les Canadians d’Ottawa depuis les années 1920 pour montrer à quel point l’État central, un État au service des Canadiens anglais, se propage partout dans les sphères de compétences provinciales[66]. Si plusieurs s’en félicitent, Brunet nous met en garde : c’est la démonstration, explique-t-il, de la montée d’un nationalisme Canadian qui mène ce projet. Ce nationalisme, d’ailleurs, aspire à fonder un véritable État national à partir d’Ottawa pour combattre les régionalismes provinciaux. Brunet n’est pas opposé à ce phénomène : il est tout à fait normal que les Canadiens anglais cherchent à ériger un État central puissant. L’écueil est que le Canada compte deux nations. Puisque c’est la nation Canadian qui contrôle cet État, elle impose sa volonté sur la population canadienne-française. C’est une nation qui est subjuguée à l’autre : « Les Canadiens français ont tout intérêt à prendre une vue réaliste de la situation. Ils doivent d’abord se rendre compte que le gouvernement d’Ottawa est devenu et demeure le gouvernement national du Canada anglais[67]. »

D’ailleurs, selon Brunet, le bilinguisme auquel aspire une partie de l’élite canadienne-française ne concorde pas avec la Constitution du pays. Le bilinguisme et le biculturalisme sont inatteignables[68]. Ce récit se confronte violemment à celui d’un Canada construit avec deux partenaires égaux que privilégient les élites traditionnelles. Le calcul est simple : la force démographique des Canadiens français ne lui permet pas d’imposer sa volonté. Il faut donc renoncer à l’idéal mythique d’une reconquête du Canada et de l’Amérique française et accepter que le Québec demeure le seul État où les francophones peuvent se gouverner :

Pour les Canadiens français, le gouvernement d’Ottawa ne peut être que le gouvernement central d’une fédération unissant Québec au Canada [sic]. Une collaboration étroite peut et doit exister entre les autorités provinciales et fédérales. Cependant, le gouvernement chargé de défendre et de promouvoir le bien commun de la nationalité canadienne-française est celui de la province où habite l’immense majorité des Canadiens français. C’est pourquoi le Québec ne doit pas être considéré ni se considérer simplement comme l’une des dix provinces. Elle a le droit de réclamer un statut spécial dans la fédération canadienne puisqu’elle est la porte-parole et le défenseur de la minorité. Si la majorité des Canadiens français n’accepte pas cette vérité de science politique, c’est parce qu’elle renonce à se donner les cadres minimums nécessaires à toute nationalité qui ne veut pas mourir[69].

Accepter « cette vérité de science politique » peut permettre à ces deux nations de se développer comme elles l’entendent. Selon Brunet, la voie « d’action possible » du Canada français a été limitée « à 90 % » par la présence et le pouvoir des Canadiens anglais. Pour leur part, les Canadiens français auraient limité le champ d’action collective du Canada anglais par seulement 10 % [70]. En finir avec les politiques d’unité nationale comme le bilinguisme permettrait donc aux deux sociétés d’accéder à une plus grande indépendance.

Entre autonomie et souveraineté

Les prises de position de Brunet expliquent le rôle que joue l’historien dans la composition de deux mémoires proposés par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal (SSJBM) à l’Assemblée législative en 1954 et 1964. Ces mémoires portent sur l’avenir politique du Québec et évoluent pour proposer, en premier lieu, que le Québec agisse comme État-nation des Canadiens français et, en deuxième lieu, que la province rompe avec le Canada actuel pour épouser la formule des États associés.

Le premier mémoire préparé pour la Commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels est publié aux éditions de L’Action nationale. Il fait la promotion d’une large autonomie québécoise au sein du Canada tout en épousant de nombreux éléments de la social-démocratie afin de mieux outiller les Canadiens français de la province et combattre les effets pervers de la Conquête. Le texte d’une centaine de pages affirme que l’État du Québec doit agir à titre de gouvernement national ou de « Nation-État » des Canadiens français de la province. Le mémoire propose un programme politique pour régler les principaux maux qui affligent la société canadienne-française du Québec. Il prétend d’ailleurs que c’est là une interprétation fidèle des idées « de tous les Canadiens français intéress [és] au progrès de leur nationalité[71] ». Le document présenté à la commission reprend le récit brunetien typique sur l’histoire du Canada français. La conquête militaire par les Britanniques a décapité la société canadienne-française, la privant de sa bourgeoisie et la barrant du grand commerce. Les Canadians ont d’ailleurs fait naître une nouvelle nation dont les aspirations diffèrent de celles des Canadiens français. Ces derniers doivent se rabattre sur l’État québécois, le seul gouvernement qu’ils contrôlent, car le gouvernement fédéral est l’État national du Canada anglais et non pas celui de la nation canadienne-française.

Sur les trois options possibles présentées dans le mémoire, seule la troisième s’accorde réellement à l’ambition politique de Brunet et de la SSJBM. Le Québec doit rejeter les politiques « d’assimilation graduelle » par le Canada anglais et « renforcer les cadres politiques et économiques essentiels à la survivance et à l’épanouissement » des Canadiens français[72]. Il importe, dans une large mesure, d’investir l’État québécois des structures et institutions nécessaires à une « nation-État » afin d’enrayer le mal encouru par la Conquête et les politiques centralisatrices du Canada anglais : « La situation vraiment anormale qui a prévalu depuis la Conquête ne peut pas durer plus longtemps[73]. » Il s’agit entre autres que le Québec adopte le rôle de gouvernement national des Canadiens français sur son territoire. Le mémoire est un mélange de la promotion de l’État-providence et de l’idéologie de la survivance du Canada français. En effet, la SSJBM cherche à outiller l’État québécois afin d’élaborer une gamme de programmes sociaux pour les citoyens de la province tout en voyant d’un oeil suspect les projets fédéraux. Le Conseil national de recherche du Canada, la Société Radio-Canada et l’Office national du film du Canada « permettent au gouvernement d’Ottawa d’acquérir un très grand prestige dans les milieux intellectuels canadiens-français », lui donnant une certaine légitimité qui échappe à l’État québécois et qui, enfin, mène à une politique assimilatrice[74].

Le mémoire rejette également les notions de biculturalisme et de bilinguisme pour le pays. « Aucune des deux nations en présence n’a le droit de demander à l’autre de renoncer aux idéaux que chacune incarne[75]. » Le Canada anglais est « anglo-saxon », le Québec est canadien-français. Il est impossible de le voir autrement. En somme, indique le mémoire, il faut que les Canadiens français du Québec s’arment d’une conscience nationale qui leur permet de mettre sur pied une telle « politique canadienne-française » :

Il est nécessaire pour les Canadiens français de prendre conscience qu’ils forment une [n]ation-État. De même que les Anglo-Canadiens s’appuient sur le gouvernement central comme sur leur pôle politique naturel, les Canadiens français doivent apprendre à considérer leur gouvernement provincial du Québec comme le gardien légitime du bien commun de leur nationalité. Ils s’efforceront d’en faire un grand gouvernement moderne, pleinement conscient de ses lourdes responsabilités et ayant la ferme volonté et les moyens de s’en acquitter[76].

Dix ans plus tard, la SSJBM produit un second mémoire sous la plume de Brunet qui démontre une évolution de sa pensée et un durcissement du discours autonomiste. Cette fois-ci, la SSJBM appuie une forme de souverainisme qui démontre l’évolution de la pensée de l’historien sur la place des Canadiens français au Canada[77].

Le mémoire affirme que l’AANB a cherché à réduire les provinces au statut de « grandes municipalités » qui seraient « sous la tutelle du gouvernement central », ce qui aurait grandement nui à la société canadienne-française[78]. Une réforme constitutionnelle s’impose : « Lorsqu’ [une constitution] devient un document intouchable, une camisole de force pour la société, le moment est venu d’en adopter une autre. Une constitution n’a pas une existence indépendante du peuple ou de la nation qui l’a établie. Sa raison d’être c’est de servir la société[79]. » La camisole de force à laquelle fait référence Brunet a des affinités avec la vision de Creighton et Forsey, pour qui il est impossible et impensable d’apporter des transformations à la Constitution sans dénaturer le pays. Brunet croit plutôt que, lorsque la Constitution est malade, il faut opérer.

La première recommandation du mémoire propose une réforme constitutionnelle pour reconnaître les deux nations et les cinq régions qui constituent le Canada. La centralisation aurait échoué dans sa tentative de créer un État unitaire. L’impasse qui en découle ne peut être résolue que par l’adoption d’une nouvelle Constitution. Le « fédéralisme coopératif », affirme Brunet, demeure une chimère et non pas une solution[80].

L’AANB doit donc être réécrit afin de refléter la réalité du terrain et les ambitions des Canadiens français. « Québec ne peut plus se contenter de n’être qu’une province. Tous les Canadiens français sont aujourd’hui unanimes sur ce point[81]. » Le Canada doit être recomposé à partir du système des États associés, une demande qui ressemble à la position de René Lévesque lorsqu’il fonde le Mouvement souveraineté-association trois ans plus tard. Selon ce schéma, « [l] e Canada anglais et l’État du Québec s’associ[ent] pour former une véritable confédération » ayant chacun une représentation égale dans une chambre unicamérale élue par les députés des deux États. Le pouvoir de l’État « central » doit être précis. Aucune loi ne peut être adoptée si elle n’est pas appuyée par une majorité à la fois du Québec et du Canada anglais[82]. En tout et pour tout, la formule proposée par Brunet et la SSJBM se rapproche singulièrement de la souveraineté-association qui fera bientôt partie du vocabulaire politique québécois et qui sera monnaie courante à la fin de la décennie. En somme, bien que Brunet et Creighton s’entendent sur les principes qui ont entouré la création du pays, l’historien montréalais, contrairement à son homologue torontois, propose activement des réformes substantielles.

Des minorités à écarter

Les minorités canadiennes-françaises sont, dans la pensée de Brunet, un éternel agacement. Leur présence rend difficile la réécriture de la Constitution dans le sens que le souhaite le professeur, car plusieurs francophones du pays estiment que la nation déborde les frontières du Québec[83]. Cette notion n’est qu’une chimère pour Brunet. Il faut que les minorités françaises s’intègrent à la majorité Canadian afin d’assurer l’autonomie québécoise. Au Métro-Magazine du 17 mars 1965, l’historien indique, à l’instar du mémoire de la SSJBM déposé l’année précédente, qu’il faut opter pour une nouvelle solution canadienne basée sur les États associés plutôt que sur le bilinguisme à l’échelle canadienne[84]. À l’émission Partage du jour du 25 juin de la même année, il balise clairement les frontières du Canada français : « Le Canada français existe là où se trouvent les centres de décision qui sont au service du Canada français […]. Les centres […] sont dans la province de Québec, et il [en] est ainsi d’ailleurs depuis 357 ans, ç’a commencé en 1608 à Québec, et ça continue à nos jours [sic][85]. »

Le Canada français serait donc limité au territoire québécois. Le choix est clair : pour s’épanouir, les francophones doivent accepter de sacrifier les minorités. Lors d’une émission évocatrice de Présent, édition du dimanche diffusée le 21 janvier 1968, Brunet dévoile toute sa pensée sur cet enjeu. En effet, l’historien montréalais soutient que des lois sociologiques et démographiques imposent un réaménagement du pays. Lors d’une intervention lors du Festival de la culture française au Canada à Toronto, il affirme qu’il est impossible pour les minorités francophones hors Québec d’avoir un avenir. Les jeux sont faits : il n’y a point de salut hors du Québec pour la culture canadienne-française. C’est la science qui l’affirme :

Brunet : L’assimilation fatale peut exister là où le Canadien français est très minoritaire. Bon, je le dis depuis quinze ans, je sais là dessus j’ai provoqué beaucoup de minoritaires en dehors du Québec. Personnellement, je dis que l’homme de science n’a pas le droit de changer les événements fatals de l’histoire. Alors l’individu canadien-français, perdu dans la masse anglo-nord-américaine, dès qu’il veut passer au stage progressif de la vie nord-américaine, doit s’assimiler comme l’Italien, l’Espagnol.

Intervieweur : Mais il ne l’a pas fait ! Brunet – Euh, oui, mais c’est qu’il y a un prolongement psychologique à ce moment-là. […] Mais je pense que [les améliorations chez les minorités] ce sont des illusions optiques [sic]. Dans le cas de l’Ontario […], le problème en est un de promotion individuelle et non pas de promotion collective. Et c’est en ce sens que je suis favorable à tout l’appui qu’ils peuvent recevoir […]. [Néanmoins], il faut que le francophone ontarien s’insère dans la vie nord-américaine [Brunet frappe ici la table avec vigueur] à un autre niveau que celui de laveur de plancher, de plongeur, ou de femme de ménage. […] Mais comme promotion collective, je suis obligé de dire [sa voix monte ici] il n’y en a pas ! Bon, ça, c’est le fait brutal. Et comme historien, je n’ai pas la liberté de changer les données d’un problème !

Intervieweur : Mais monsieur Brunet, qu’est-ce que vous diriez si dans quinze ans […], le successeur de M. Robarts [le premier ministre de l’Ontario] vous apport[ait] sur le plateau un Ontarien parlant français, éduqué en français de A à Z ?

Brunet : Ça, je ne demande pas mieux, et je dirais que je me suis trompé.

Intervieweur : Croyez-vous que c’est possible en ce moment ?

Brunet : J’en doute fort[86].

Il est nécessaire, selon Brunet, de canaliser les efforts de l’élite canadienne-française pour accroître l’autonomie du Québec plutôt que d’aspirer à renouer avec une tradition bourassiste ou groulxiste. De toute façon, le bilinguisme ne peut pas rescaper les minorités de leur inexorable assimilation. Empêcher leur « intégration » à la société dominante les empêcherait d’accéder à la société « progressiste » qui se développe au Canada, limitant leur bien-être matériel et leur ascension sociale.

Conclusion

Les deux intellectuels à l’étude estiment chacun que le projet d’un Canada bilingue est contraire à l’évolution « normale » de leur société respective. Brunet aime rappeler que le gouvernement canadien ne peut pas représenter les intérêts de la nation québécoise, elle qui est minoritaire à Ottawa, mais majoritaire à Québec. Ce débat, loin d’être enterré, a d’ailleurs été relancé par le gouvernement québécois à l’été 2017[87]. De son côté, Creighton croit funestes les conséquences d’un réaménagement constitutionnel en faveur du bilinguisme canadien. L’évolution du pays doit, pour ce dernier, respecter sa tradition britannique devant la menace américaine. Les deux s’entendent, toutefois : le Canada, État centralisé et anglo-britannique, est fondé pour s’opposer aux États-Unis et pour assurer l’existence en terre d’Amérique d’une société qui peut contrer le républicanisme au sud du 49e parallèle. De là découlent deux ambitions nationales différentes chez ces intellectuels.

Donald Creighton estime que le Canada est une nation organique qu’il faut laisser évoluer. Il est donc nécessaire de résister au bilinguisme et au biculturalisme pour se prémunir contre la réelle menace qui plane contre le pays : l’invasion économique et culturelle des États-Unis. Pour Creighton, la Constitution telle qu’écrite en 1867 répond adéquatement aux besoins du pays. Une refonte de l’AANB risque de violer l’esprit du projet politique des Pères de la Confédération. La conséquence d’une refonte serait énorme, car le Canada s’en sortirait affaibli et n’aurait pas les moyens de tenir tête au voisin du sud.

Il est inutile, d’après Creighton, de précipiter les choses ou de multiplier les chartes et constitutions. Ces solutions myopes ne permettraient pas de garantir l’indépendance du Canada. Il faut plutôt privilégier l’évolution « naturelle » de la nation canadienne en renouvelant avec le projet de John A. Macdonald dont la dimension coloniale permettait de se distinguer des institutions américaines. De plus, cette tradition britannique forme un garde-fou contre la pensée radicale états-unienne, perçue chez plusieurs penseurs conservateurs canadiens[88] comme foncièrement négative pour le Canada et l’Occident. Cette réaction contre des institutions jugées « étrangères » produites par la République américaine pousse Creighton à proposer une fuite en arrière vers le projet originel de la Confédération, seule pouvant protéger le pays contre l’invasion culturelle et économique des États-Unis. En ce sens, le débat entourant le bilinguisme qui, somme toute, propose une transformation radicale du projet de 1867 et est donc contraire à l’évolution « normale » de la société canadienne, voile l’urgence d’agir face au modernisme américain.

La vision de Brunet est tout autre. Ancien disciple du chanoine Lionel Groulx, qui a été le principal penseur du nationalisme canadien-français, Brunet se rallie rapidement aux idées du théoricien néonationaliste Maurice Séguin[89]. Une nuance importante s’impose, toutefois, car bien qu’il soit un des trois piliers de l’École historique de Montréal, Brunet ne partage pas la vision foncièrement pessimiste au sujet de l’avenir de la nation canadienne-française. Alors que Séguin estime que la Conquête a rayé la possibilité d’une amélioration des conditions de cette dernière, Brunet partage l’optimisme de Groulx concernant la « courbe ascendante » de l’histoire des Canadiens français. Contrairement au chanoine, toutefois, Brunet estime que ce progrès est limité aux frontières du Québec. Pour réussir, les Québécois doivent larguer les minorités françaises du Canada, qui sont vouées à l’assimilation, et investir pleinement les capacités d’un État provincial fort, lui permettant ainsi de résister aux desseins de centralisation que caresse le gouvernement d’Ottawa, un gouvernement qui représente les intérêts d’une autre nation, celle-ci « Canadian ».

Chez l’historien montréalais, le bilinguisme demeure un frein au progrès des deux nations qui cohabitent au pays. Les Canadiens français et les Canadians s’empêchent mutuellement d’atteindre leurs objectifs respectifs. Les anglophones cherchent à ériger un État-providence « anglo-saxon » par l’entremise d’un gouvernement central fort. Cette ambition, toutefois, ne peut qu’affaiblir le Québec. Le bilinguisme canadien ne serait pas une solution, mais bien une autre couche de frustration entre les deux sociétés. Le pays doit accepter le concept des deux États associés qui permettrait à chacun d’établir les programmes sociaux qu’ils souhaitent, tout en limitant les confrontations. Ces changements permettront enfin un nouveau partenariat entre les deux composantes du Canada. Pour ce faire, l’abandon des minorités françaises, vouées à l’assimilation, et l’investissement des Québécois dans leur gouvernement provincial, seul État outillé pour répondre aux ambitions nationales des Canadiens français, sont nécessaires.

Au final, ces deux hommes, cherchant à promouvoir l’évolution « normale » de leurs sociétés respectives, s’opposent vertement au projet de bilinguisme canadien. Pour Creighton, sacrifier la nature britannique du pays sur l’autel du bilinguisme serait une trahison de première classe du destin national du Canada et livrerait le pays aux mains de l’économie américaine. Brunet estime pour sa part que l’histoire démontre qu’il est impossible que le Canada puisse jouer le rôle d’État-nation des Canadiens français. Le Québec seul peut représenter le gouvernement national des francophones. Le bilinguisme nourrit ainsi le malentendu entre les deux nations et les empêche de se développer selon leurs intérêts distinctifs. Dans chacun des cas, c’est l’histoire qui sert d’élément justificateur pour leur opposition.