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Odette Chaput a fait des études de baccalauréat en gestion et intervention touristique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Depuis 1986, elle est directrice générale de l’Association de l’agrotourisme et du tourisme gourmand du Québec (AATGQ).

GR : Dans quel contexte est née l’AATGQ ?

OC : Au Québec, le phénomène de l’agrotourisme date des années 1970. À cette époque sont apparues des initiatives réunissant des producteurs agricoles souhaitant offrir de l’hébergement aux citadins qui désiraient visiter et vivre l’expérience de la ferme dans les régions. Les régions du Saguenay–Lac-Saint-Jean situé au nord du Québec et des Cantons-de-l’Est au sud sont à l’origine de ces premières offres. En 1975, le ministère de l’Agriculture des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) et le syndicat agricole, soit l’Union des producteurs agricoles (UPA), ont décidé de réunir ces deux régions en une fédération, la Fédération des Agricotours du Québec, qui est l’ancêtre de notre association.

Nous sommes nés de l’agrotourisme ; notre but était donc de mettre en place un réseau qui permettrait de promouvoir ce secteur au Québec. À cette époque, l’agrotourisme était très limité et ne concernait que des hébergements à la ferme. Nous retrouvions aussi quelques fermes qui offraient des visites avec participation ou des activités d’observation du travail à la ferme.

Fig. 1

Illustration 1 : Odette Chaput

Illustration 1 : Odette Chaput
Source : Association de l’Agrotourisme et du Tourisme Gourmand du Québec

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GR : Comment le concept de tourisme gourmand est-il apparu ?

OC : Nous avons assisté à une évolution. Dix ans après la création de la Fédération des Agricotours, nous avons vu apparaître les premiers gîtes et bed-and-breakfasts. Certains de ces gîtes étaient dans des fermes, mais de plus en plus se trouvaient aussi à la campagne et en ville. Nous avons décidé de développer l’offre de cette catégorie d’établissement et de créer une marque, les « Gîtes du passant ». Cependant, durant cette période, l’agrotourisme a commencé à décliner. De moins en moins de fermes souhaitaient recevoir des visiteurs et il ne restait que quelques adresses qui offraient de la restauration, des visites et un peu d’hébergement. L’offre était devenue marginale, et cela a duré jusqu’au début des années 2000. C’est à partir de cette période que nous avons commencé à voir une effervescence renaître. Et depuis dix ans le phénomène est plus marqué. De nouveaux modèles d’agrotourisme sont apparus avec des producteurs agricoles qui proposent maintenant un nouveau volet, soit la découverte de produits. Auparavant, les fermes n’effectuaient aucune transformation ou, si elles en faisaient, c’était sur une base commerciale et jamais sur une base artisanale consistant à recevoir des clients pour leur vendre des produits. Aux quelques fromages qui existaient déjà, les vins, les cidres, les alcools fins du terroir se sont ajoutés. Dans les vergers, les visiteurs n’allaient plus simplement cueillir des pommes ; l’activité d’autocueillette a pris un sens nouveau. Des activités nettement plus développées sont apparues. Les fermes ont installé des bistros et des boutiques dans lesquels il est possible d’acheter des produits transformés à base d’ingrédients produits sur place. Le modèle a complètement évolué. Et l’agrotourisme s’est mis à revivre avec une nouvelle couleur et des producteurs très passionnés qui ont développé de nouveaux produits. Au-delà de l’agrotourisme qui se situe à la ferme, nous avons commencé aux alentours de 2009-2010 à parler de « tourisme gourmand ».

GR : Et pourquoi cette évolution ?

OC : Les tendances sur le terrain et la littérature le confirmaient. Le tourisme gourmand était une nouvelle façon de promouvoir le Québec gourmand. Les artisans et les transformateurs de petits villages ont commencé à accueillir des clientèles touristiques. Avant, une boulangerie recevait les gens du village. Mais maintenant, elles sont également des entreprises touristiques. Évidemment, il y a des secteurs plus favorisés que d’autres et avoir une boulangerie n’est pas un facteur suffisant pour être une « entreprise touristique ». Il est nécessaire d’être connecté à l’industrie touristique. Au Québec, plusieurs villages, comme Kamouraska, petit village sur le bord du fleuve Saint-Laurent, présentent une abondance de petits commerces tels que des microbrasseries artisanales, des boulangeries, des chocolateries, des fumoirs, etc. L’ensemble de ces entreprises profitent de l’industrie touristique. Le tourisme gourmand englobe ce type d’entreprises qui favorisent la mise en valeur du terroir.

GR : Du point de vue institutionnel, quel est le statut de l’AATGQ ?

OC : Nous sommes une association privée avec des membres. Nous sommes aussi une association sectorielle reconnue depuis 2009 par le ministère du Tourisme dans le domaine de l’agrotourisme et du tourisme gourmand. Au Québec, il y a près de vingt associations qui sont reconnues au ministère avec des produits différents tels que le ski, les spas, les événements. Nous sommes donc le porte-parole du ministère dans le domaine de l’agrotourisme et du tourisme gourmand. Notre mandat est de développer l’offre au Québec, d’accompagner les entreprises, de développer et de partager des expertises sectorielles et des connaissances stratégiques. Nous avons aussi le mandat de faire la promotion et la mise en marché. Nous travaillons également avec le MAPAQ, un partenaire important qui œuvre aussi dans le secteur de l’agrotourisme au Québec. Nous travaillons avec ce ministère sur des projets spécifiques sans avoir de réelle reconnaissance sectorielle de notre organisation. C’est une forme de partenariat pour la mise en place de projets.

GR : Quand a été mis sur pied « Terroir et Saveurs », et pourquoi ?

OC : En 2009, nous avons pris un virage stratégique. Avant cela, nous avions plusieurs marques dont nous faisions la promotion, telles que Gîte du Passant, Auberge du Passant, Table champêtre, Table aux Saveurs du Terroir, Ferme Découverte et Relais du Terroir. Nous avions mis en place un système de certification qui reconnaissait selon certains critères des établissements comme des gîtes, des auberges, des bonnes tables et des fermes. Quand nous avons pris le virage du tourisme gourmand, nous avons décidé de ne plus promouvoir plusieurs marques, mais d’en garder une seule qui engloberait l’ensemble de nos marques. Nous avons donc défini la marque « Terroir et Saveurs ». Dès lors, les établissements ont été certifiés « Terroir et Saveurs » et non plus Gîte du passant ou Table champêtre. Notre but était d’unifier notre système et de faire une grande marque. Les établissements sont donc affichés à l’effigie de « Terroir et Saveurs », tout comme les outils promotionnels que nous déployons.

GR : Qui sont les membres de Terroir et Saveurs ?

OC : Nous rassemblons des établissements d’hébergement, soit des gîtes de cinq chambres et moins. Ils doivent mettre à l’honneur les produits du terroir québécois à travers leur offre, soit dans les petits déjeuners ou dans les maillages qu’ils peuvent offrir dans la forfaitisation. Nous devons essayer de trouver un angle qui valorise le terroir québécois. Nous avons aussi des auberges avec une plus grande capacité d’accueil et qui, pour la grande majorité, ont un volet de restauration le soir. Dans ces cas-ci, ils ont une obligation de valoriser les produits du terroir québécois à la table du soir. Nous retrouvons également des producteurs « agrotouristiques », c’est-à-dire des producteurs agricoles qui doivent offrir une certaine forme d’animation pour être reconnus comme tels, par exemple l’autocueillette, donner accès à un volet sur la transformation des produits, des panneaux d’interprétation, des vidéos, etc. Les producteurs agricoles qui vendent des produits tout comme les artisans transformateurs, dont les microbrasseurs artisanaux, les boulangeries artisanales, les fumoirs, sont aussi reconnus. Finalement, les restaurateurs qui n’ont pas de volet d’hébergement et qui rejoignent cette mission de valoriser le terroir québécois sont aussi inclus. Cela correspond à un peu plus de 300 adresses.

Fig. 2

Illustration 2 : Portes-ouvertes de l’UPA

Illustration 2 : Portes-ouvertes de l’UPA
Source : Association de l’Agrotourisme et du Tourisme Gourmand du Québec

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GR : Quel est l’intérêt pour ces entreprises de faire partie de votre association ?

OC : C’est pour elles un choix d’affaires pour mieux se positionner. Nous sommes la seule association provinciale œuvrant dans ce secteur. Les membres paient une cotisation. En échange, nous faisons la promotion du secteur. C’est un volet important de notre organisation. Nous offrons aussi des services. Par exemple, nous avons mis en place un projet d’accompagnement de 40 entreprises actives en œnotourisme. Des producteurs d’alcool fin, des cidriculteurs et des vignerons ont été sélectionnés et le tourisme expérientiel qui est offert dans ces entreprises-là a été analysé. Il faut nous voir comme un ordre ou une association professionnel qui regroupe des entreprises actives dans le même univers. Faire partie de l’association permet aux entreprises d’être membres d’une communauté qui a les mêmes préoccupations. De plus, nous développons des projets pour valoriser les entreprises et les positionner. En positionnant la marque « Terroir et Saveurs », nous permettons aux entreprises de travailler ensemble et de faire partie de la grande route provinciale Terroir et Saveurs.

GR : Le site Internet de Terroir et Saveurs apparaît comme un répertoire de l’ensemble des entreprises qui produisent ou promeuvent les produits du terroir au Québec. Mais comprend-il uniquement vos membres ?

OC : Évidemment nous faisons la promotion des établissements membres de l’association sur le site Internet de Terroir et Saveurs. Mais ce dernier comprend aussi un bottin qui regroupe tous les producteurs agrotouristiques du Québec. C’est une visibilité minimale, mais ils sont là et il est possible de trouver les coordonnées de toutes les entreprises. À travers les outils marketing que nous développons, nous n’avons pas le choix de parler de l’ensemble de l’industrie. Sur les réseaux sociaux, par exemple, nous sommes très actifs. Nous allons parler de nos entreprises et de leurs produits. Nous allons les promouvoir, mais nous allons aussi promouvoir des événements ou parler de nouveautés en termes de tendance. Donc, nous abordons aussi des sujets qui ne sont pas en lien direct avec nos membres, car nous sommes un porte-parole sur les médias sociaux à propos de ce qui se fait dans l’industrie.

GR : Quel constat dressez-vous du tourisme gourmand au Québec ?

OC : En moins d’une décennie, le secteur a littéralement explosé et cela aussi bien en termes d’offre que de demande. Il y a dix ans, le secteur était considéré comme secondaire et complémentaire. Je n’étais pas d’accord. Les touristes viennent ici pour ça et vont ailleurs pour ça aussi. Le tourisme gourmand ne peut pas être un secteur secondaire, il peut devenir un produit phare d’attraction. Nous pouvons attirer des touristes de l’international pour le produit de tourisme gourmand que nous développons. Il y a des destinations qui ont su se démarquer. Je pense que nous avons aussi la capacité d’offrir un produit d’appel important pour attirer les touristes et faire que le Québec devienne un Québec gourmand. Nous avons un produit qui est encore en plein développement. À certains endroits, il est à maturité alors qu’ailleurs dans la province il est en effervescence et il se développe. La région des Cantons-de-l’Est, qui est la première région viticole au Québec, a fait du vin un produit d’appel. Dans cette région, le tourisme gourmand est fort et le secteur regroupe plusieurs entreprises. Un sondage réalisé au printemps dernier auprès des municipalités révélait que le secteur qui a connu la plus grosse croissance au cours des dix dernières années et aussi celui qui devrait connaître la plus grosse croissance pendant les dix prochaines est celui de l’agrotourisme et du tourisme gourmand. Au Québec c’est un produit qui éclot à plusieurs niveaux. Nous observons un grand dynamisme. Nous constatons toutefois une grande quantité d’acteurs sur le terrain qui sont préoccupés par le développement et la promotion du tourisme gourmand. Nous sommes aussi beaucoup à nous poser les mêmes questions, soit comment faire pour être une région ou un secteur gagnant ? Comment se positionner comme destination pour devenir un produit de calibre international ? L’enjeu est là. Nous avons mené une enquête ce printemps auprès des intervenants et des exploitants qui manifestent tous cette même préoccupation. Cela a confirmé la nécessité d’organiser un événement qui se tiendra en novembre prochain. Le « 1er Grand Rendez-vous en agrotourisme et tourisme gourmand » veut ainsi rassembler les acteurs du secteur pour créer une synergie entre les partenaires et avoir une cohésion dans les actions. Nous voulons nous mobiliser autour de notre produit que nous jugeons de calibre international. Nous avons encore du travail, mais nous avons des forces. Il reste à voir comment celles-ci peuvent servir notre destination gourmande et bien la positionner.

GR : Pouvez-vous donner plus de détails sur le « 1er Grand Rendez-vous en agrotourisme et tourisme gourmand ? »

OC : L’événement est une initiative de l’AATGQ. Nous avons mené des enquêtes et une grande étude économique de l’industrie. Ces résultats vont être dévoilés lors de l’événement. Nous allons aussi divulguer les enjeux du secteur ; nous permettre la réflexion tout en y participant. Nous sommes un leader au Québec et en créant un événement de cette envergure, nous démontrons notre leadership pour rassembler les gens autour d’un plan stratégique qui est à développer.

Le « 1er Grand Rendez-vous en agrotourisme et tourisme gourmand » a eu lieu à Victoriaville, du 16 au 18 novembre 2016. Pour plus d’information, voir le site de l’événement : <http://rendezvousaatgq.com>.