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Durant la dernière décennie, un nombre croissant de recherches anthropologiques dans les universités européennes traitent à la fois du domaine du social, de l’évolution biologique et de la culture matérielle. En effet, on assiste à l’émergence d’une approche pluridisciplinaire qui réconcilie les 4 sous-champs de l’anthropologie américaine : l’anthropologie sociale et culturelle, l’anthropologie biologique, l’archéologie et l’ethnolinguistique. L’ouvrage collectif Holistic Anthropology…, auquel contribuent 10 anthropologues sous la direction de David Parkins et Stanley Ulijaszek, documente le développement de cette collaboration au sein de la discipline et offre une vue critique sur la nouvelle méthodologie mise de l’avant. Le titre fait référence au mot holisme, signifiant totalité, qui met en évidence la tentative de comprendre les activités humaines en prenant en compte toutes les sphères d’une société. À partir de documents historiques, d’illustrations, de graphiques et de statistiques, entre autres, les nombreux auteurs décrivent bien ce tournant théorique qui se présente en 3 thématiques : apport des théories bioculturelles à la discipline ; exemples d’enquêtes ethnographiques ; et critique de la nouvelle méthode holiste.

Tout d’abord, comme Ulijaszek le mentionne, le bioculturalisme ne s’avère pas un retour au courant adaptationniste du XIXe siècle, mais consiste en l’étude de la variation biologique humaine en prenant compte des relations entre la biologie humaine et la culture. Dans la même logique, Dunbar présente la contribution des approches évolutionnaires pour comprendre les comportements humains d’aujourd’hui, malgré le fait qu’elles ont autrefois justifié l’expansion coloniale. Parmi celles-ci, l’écologie comportementale et la psychologie darwinienne peuvent offrir des outils pour analyser comment la socialité d’un groupe maintient sa reproduction. Il montre ensuite l’énorme influence de Darwin en anthropologie et déconstruit les croyances négatives et les idées fausses que l’on peut se faire de ses théories.

Pour illustrer la pertinence de l’approche holiste en anthropologie, Rival met en évidence que la domestication de certaines espèces en Amazonie par les Indigènes s’avère, en fait, une question évolutionnaire en raison des contraintes écologiques, politiques et historiques qu’elle rencontre. Elle propose d’étudier les façons dont l’environnement est historiquement et culturellement produit dans les rapports entre la nature et les humains. Ces derniers se retrouvent également au coeur des concepts du corps dans la médecine chinoise. Hsu, par une approche généalogique, soutient que les termes médicaux contemporains contiennent des réalités écologiques à travers des systèmes symboliques qui se sont développés sur des milliers d’années. À partir de l’étude des processus historiques, l’auteure remonte aux origines de la conception chinoise du corps, influencé par les saisons et en relation avec les cinq éléments de la Terre. Cet environnement amène Gosden à se demander si l’intelligence est un phénomène mental, voire psychologique. Selon lui, l’homme se développe nécessairement en relation avec le monde matériel sur une très longue période de temps. Toujours en lien avec les procédés cognitifs, Parkin présente l’anthropologie de la foule et étudie comment la densité des interactions a pour conséquence de fusionner le corps et l’esprit.

Par la suite, certains auteurs nous mettent en garde contre les dangers que pourrait apporter la nouvelle anthropologie holiste. Morphy s’inspire du concept d’origine marxiste d’« autonomie relative », qui considère qu’aucun domaine d’une société n’est isolé ou autonome des autres, tous s’influençant mutuellement. En réponse à cela, l’anthropologie dans la ligne d’Ingold, qui repose sur une analogie entre le mouvement linéaire et celui de la vie humaine, dénonce le danger de la totalisation des éléments d’une société, qui représenterait la ligne fermée, soit le cercle. Peers rappelle pour sa part que les données ethnographiques recueillies sont holistes dans le sens où elles ne sont pas dénudées de conséquences : elles sont liées à la sphère politique dans la mesure où leur utilisation peut créer des tensions dans les communautés étudiées. En se projetant également dans le futur, Whitehouse annonce que l’avenir de la discipline dépendra de l’habileté des anthropologues à réorienter leurs recherches en collaboration avec les autres sciences humaines puisque sa notoriété est en baisse face à celles-ci.

En somme, le livre Holistic Anthropology… traite d’une problématique intéressante puisqu’il s’intéresse à l’émergence d’un nouveau courant holiste au sein de la discipline anthropologique. Le contenu des dix articles, très diversifié, offre une bonne vue d’ensemble pour documenter le changement qui s’opère. L’enjeu est de taille, le sujet du holisme dans la discipline étant vaste. Néanmoins, l’ouvrage livre des pistes de réflexion pour de futurs projets, du fait qu’il s’adresse principalement aux futurs anthropologues et aux autres chercheurs provenant de disciplines connexes pour favoriser une interdisciplinarité. En revanche, certains articles sur des thèmes plus abstraits, sans réels exemples ethnographiques concrets, laissent le lecteur sceptique quant à la réelle utilité d’une perspective holiste. Bien que l’objectif du livre soit de dresser un portrait global de la question, il serait pertinent de regrouper les articles sous des thématiques afin de mieux saisir la portée de leur contribution dans un domaine si large. On sent que la réflexion est encore jeune et que le courant holiste gagnerait à énoncer plus clairement une méthodologie, tout en restant prudent, afin de ne pas répéter les erreurs des théories évolutionnistes.