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Ardelaine, le temps de la transmission…

Une assemblée générale, une assemblée générale extraordinaire, une table ronde, une réunion du réseau des clients solidaires et une conférence de Jean-François Draperi… : tel était le programme des manifestations centrées sur le passage de relais des fondateurs d’Ardelaine, les 29 et 30 avril derniers à Saint-Pierreville (Ardèche), siège de la Scop. Michel Chaudy et Michel Ronzy en restituent les temps forts.

Fondée à Saint-Pierreville en 1982 en vue de reconstituer la filière de la laine en Ardèche, Ardelaine est devenue au fil du temps une coopérative de développement local. Elle collecte chaque année 70 tonnes de laine chez 250 éleveurs de moutons de la région, qu’elle transforme, dans ses ateliers, en matelas, couettes et divers articles de literie, ainsi qu’en une vaste gamme de vêtements. La production est commercialisée en circuit court aux particuliers, par correspondance, dans les magasins bio et dans les salons et les foires.

La Scop Ardelaine regroupe aujourd’hui quatre bâtiments de 6 à 700 mètres carrés rassemblant les ateliers de production (cardage et filature, confection literie), des ateliers de menuiserie, de mécanique, d’électricité, ainsi que deux parcours muséographiques animés sur l’histoire du travail de la laine, un café-librairie aux thématiques ciblées sur l’économie sociale, l’écologie et le patrimoine, et un pôle alimentaire avec une conserverie et un restaurant bio, une boutique et des espaces de bureaux. Son site de production est donc également un lieu touristique et culturel, qui accueille 20 000 visiteurs par an.

« Cette richesse accumulée dans ce petit village rural situé à une heure de la première ville (Valence, Drôme) appartient à une coopérative et son devenir, quoi qu’il arrive, est conditionné par la particularité de ses statuts qui en font une sorte de “bien commun” mutualisé entre les associés et au service de son territoire » (Barras B., 2014, Moutons rebelles, Repas éd.).

Le temps de la transmission

Ardelaine tenait son assemblée générale (AG) annuelle le 30 avril 2016. Cet événement revêtait une importance particulière dans la mesure où il actait le passage de relais des fondateurs d’Ardelaine.

La transmission, comme on le sait, est une question centrale de la vie coopérative : le statut et l’organisation de la coopérative facilitent la transmission du capital et de l’outil de travail ; en même temps, le départ des fondateurs est fréquemment un moment délicat, lors duquel le projet va être revisité et sa réalisation questionnée.

Ce sont les raisons pour lesquelles la coopérative a anticipé ce moment, où la transmission est officialisée, en activant une animation coopérative. Cette animation ne se limite donc pas au temps de l’AG et de l’élection du conseil d’administration. L’assemblée générale d’Ardelaine du 30 avril vient acter une organisation testée et mise en place progressivement au cours des dernières années. Ce travail collectif a permis également de constituer un « groupe porteur » en guise de comité directeur.

L’AG a donc élu son nouveau conseil d’administration (CA), qui a accepté la démission de Gérard Barras de son poste de PDG et celle de Béatrice Barras de son poste de directrice des ressources humaines. Ils resteront membres du CA, qui a élu Meriem Fradj présidente et Tanja Wolf directrice générale. Ce CA, qui a intégré de nouveaux membres, mêle plusieurs générations ; il est essentiellement féminin.

La transmission générationnelle oblige à porter une attention particulière à l’équilibre de la détention des parts de capital. Le départ des fondateurs, porteurs d’une plus grande partie des parts sociales, diminue la part détenue par les salariés, qui doit cependant rester plus importante que la part détenue par les sociétaires extérieurs. Bien que cette question ne soit pas réellement d’actualité pour Ardelaine, les administrateurs ont décidé de l’aborder, dans la mesure où elle se posera tôt ou tard. L’équilibre des parts a fait l’objet d’une discussion au cours de l’assemblée générale extraordinaire, qui a suivi l’AG ordinaire, à partir de deux propositions du CA : l’obligation pour chaque salarié de devenir sociétaire au bout de deux ans et le versement de 1 % du salaire au capital de l’entreprise. Ces deux propositions ont été votées (à la quasi-unanimité des membres).

A l’occasion de cette transmission, la Scop Ardelaine avait organisé un ensemble de manifestations, qui se sont déroulées sur deux jours : une émission de radio dans le cadre de la sortie du magazine De Scop en Scic, animée par Michel Chaudy (vendredi 29 en matinée, sur le plateau de Radio Mega, radio de la Drôme), avec Béatrice Barras et Jean-François Draperi ; une table ronde autour du thème « S’habiller local aujourd’hui ? Suivez le fil ! », avec : Patrick Mainguené de Soft’in, atelier français de fabrication de chaussures éco-conçues à Romans (Drôme) ; Thomas Huriez de 1083, marque de jeans et de chaussures fabriqués en France (1 083 kilomètres est la distance entre les deux villes les plus éloignées de l’Hexagone), et Meriem Fradj, de la Scop Ardelaine ; une réunion du réseau des clients solidaires, qui regroupe des amis d’Ardelaine, pas nécessairement sociétaires ; enfin, une conférence de Jean-François Draperi intitulée « Le temps des coopératives ».

Michel Chaudy

Le temps des coopératives

Au terme de cette assemblée de transmission, la conférence de Jean-François Draperi, « Le temps des coopératives », venait à point nommé. Se saisissant de quelques traits marquants du passé comme du présent d’Ardelaine, les croisant avec les grandes étapes de l’histoire coopérative, Jean-François Draperi a en effet proposé au public attentif, qui avait rempli la salle des fêtes de Saint-Pierreville ce samedi 30 avril, sa vision de cette histoire, et fournit une véritable ressource d’intelligibilité, une aide pour penser et construire la durée du projet coopératif, ici et ailleurs. J’en retiens et commente deux mots.

Le « travail », et d’abord l’étonnement devant la quantité de travail que les coopératrices et coopérateurs d’Ardelaine ont mobilisé avec constance, pour « relever, restaurer, équiper, outiller, explorer, inventer, faire grandir pas à pas… » Une telle quantité et une telle constance auraient-elles été envisageables si ce travail avait été « sans qualité » ? Je ne le crois pas. Je crois plutôt que l’une des intentions fondatrices était et demeure celle de faire du travail un « travail vivant [1], émancipateur », avec comme boussole la double préoccupation de prendre soin du monde dans toutes ses composantes et de l’agir ensemble.

Etonnement, lancé comme un pont par Jean-François Draperi, vers le moment de la naissance des associations ouvrières de production, où la question du travail était au coeur du débat politique, particulièrement lors de la Révolution de 1848. Droit au travail, droit à l’appropriation des fruits de ce travail, revendication d’en finir avec l’exploitation et la servitude dans laquelle la « nouvelle aristocratie bourgeoise [2] » tenait les ouvriers qui, seuls, produisaient le travail utile… : tels étaient, en vrac, les mots d’ordre traduisant une volonté de s’affranchir, de s’émanciper.

Et Jean-François Draperi de nous rappeler l’effervescence de ce moment, moment de « l’éclosion coopérative [3] », qui verra se multiplier une série d’expérimentations multifonctionnelles se développant comme des « micro-républiques communautaires ». Elles ne parviendront cependant pas à durer, car, d’une part, elles seront frappées par la répression impériale, et, d’autre part, elles connaîtront le sort des utopies pratiquées qui est de gagner en réalisme ce qu’elles perdent en imagination [4], voire en vision prophétique ou messianique.

Voilà donc un pont, celui du travail, jeté sur bientôt deux siècles d’histoire coopérative. Il établit une filiation entre l’aventure Ardelaine et toutes ces expérimentations pionnières, que Jean-François Draperi rassemble dans la première des quatre utopies [5] coopératives qu’il a distinguées et présentées dans plusieurs de ses ouvrages : celle de la « micro-république des travailleurs ». Voici quelques mots [6] sur les trois autres, sans doute familières au lecteur de la Recma.

La deuxième « utopie » est celle de la « macro-république des consommateurs » (1880-1970), à la poursuite du rêve d’une conquête coopérative de l’industrie commerciale, de l’industrie manufacturière, puis de l’industrie agricole, jusqu’à la République et la Nation ; la troisième est celle de la « république du développement coopératif » (1960-1970), c’est celle des pays accédant à l’indépendance et qui promeuvent « les coopératives pour fonder un développement endogène censé leur permettre d’échapper au pouvoir des deux superpuissances » ; la quatrième, nous la vivons, c’est celle de la « méso-république coopérative intercoopérative ». Une expression un peu lourde, mais précise, dit Jean-François Draperi, et qu’il convient d’expliciter.

« Meso » : « Parce qu’elle n’est ni à l’échelle de l’entreprise, ni à celle du monde, ni à celle des Etats », mais… entre ces échelles, et précisément à l’échelle des territoires.

« République » : c’est l’invariant, un invariant coopératif mondial qui renvoie au socle de la liberté et de l’égalité en droit des personnes, et donc à la démocratie, ainsi qu’à l’horizon d’une fraternité créatrice de solidarité.

« Intercoopérative » : « Parce qu’à la différence des précédentes effervescences, elle s’appuie simultanément sur les pouvoirs des producteurs et des consommateurs […]. Ces coopérations et échanges […] fondent l’ancrage territorial, dans la mesure où ils induisent la prise en compte des populations en tant que, à la fois, travailleurs et habitants, c’est-à-dire en tant qu’usagers. » Une expression qui va comme un gant à Ardelaine !

La « république », saisie non plus par la taille mais par la chaîne valeurs-principes-règles. Ainsi peut-elle plus facilement descendre des frontons pour, en quelque sorte, nourrir la conduite d’une action collective « co-entrepreneuriale », inscrite dans le champ de la production marchande sans être ordonnée par la recherche de la maximisation d’un profit privativement approprié. Le choix de la démocratie politique égalitaire : « Une personne, une voix » comme régime d’action conduit à des règles (lois et statuts) qui font reposer, comme l’écrit François Espagne [7], « les pouvoirs de décisions, de délégation à des membres égaux en droits, parce que […] ni leur patrimoine ni leur revenu ne fondent leurs droits civiques ». Primauté des personnes et acapitalisme se tiennent ensemble.

Ensemble, ils constituent un moteur de transformation socioéconomique, dont la nature, la portée et les conditions ont été au centre des échanges qui ont suivi l’intervention de Jean-François Draperi. Des échanges comme des ferments, qui ont permis de mesurer une nouvelle fois que toute transformation d’ordre général appelle et passe par la maturation de chacun de celles et ceux qui choisissent librement d’accéder à la qualité de co-entrepreneur dans un corps de règles, héritage des expérimentations passées, qui est une ressource précieuse pour faire vivre ce moteur de transformation coopérative !

Dire maturation, c’est aussi convoquer le cinquième des principes coopératifs : celui « d’éducation, de formation, d’information », pertinemment illustré par la citation de W.P. Watkins avec laquelle Jean-François Draperi a clos la conférence : « La coopération est un mouvement économique qui se sert de l’éducation, mais on peut tout aussi bien retourner la proposition et dire que la coopération est un mouvement éducatif qui se sert de l’action économique [8]. »

Une pensée stimulante pour celles et ceux qui viennent de prendre le relais.

Michel Ronzy

Le Mercosur coopératif

Le 26 mars 1991, l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay signaient le Traité d’Asuncion, donnant naissance au Marché commun du Sud (Mercosur), équivalent austral de l’Alena pour l’Amérique du Nord. Le Mercosur a acquis sa personnalité juridique internationale par le Protocole d’Ouro Preto, le 17 décembre 1994. Cet accord politique et de coopération constitue la plus importante initiative d’intégration économique réalisée entre des pays en voie de développement. Les quatre pays fondateurs ont été rejoints en 2012 par la République du Venezuela, formant un ensemble de plus de 295 millions d’habitants. Cinq Etats d’Amérique du Sud se sont associés : le Chili (1996), le Pérou (2003), la Bolivie, la Colombie et l’Equateur (2004). Par sa superficie, cette zone constitue le second territoire douanier du monde, entre la Russie et l’Union européenne.

Le Mercosur a vocation à constituer un réseau d’accords commerciaux dans un cadre favorable à l’expression démocratique. Ses langues officielles sont l’espagnol, le portugais et le guarani.

A l’intérieur du bloc régional, existent 120 universités publiques, auxquelles s’ajoute un grand nombre d’universités privées. En 1922 a été créée l’Association des universités du Groupe Montevideo, qui regroupe vingt-deux universités publiques d’Argentine, du Brésil, de Bolivie, du Chili, du Paraguay et de l’Uruguay.

Ce processus d’intégration ne pouvait ignorer la pensée et les potentialités d’action de l’économie coopérative et solidaire. C’est la raison pour laquelle, le 10 octobre 2001, le Groupe du marché commun (GMC) a approuvé la création de la Réunion spécialisée des coopératives (RECM), qui est donc l’agence du Mercosur sur les coopératives, à laquelle participent des institutions gouvernementales et des organisations des secteurs privés des Etats membres.

Les représentants gouvernementaux sont : l’Institut national des associations et de l’économie sociale (Inaes), Argentine ; le Secrétariat d’aide rurale et des coopératives, le Département des coopératives et des associations (Sarc-Denacoop) et le Secrétariat national de l’économie solidaire (Senaes) du ministère du Travail et de l’Emploi (MTE), Brésil; l’Institut national des coopératives (Incoop), Paraguay ; l’Institut national des coopératives (Inacoop), Uruguay, et la Surintendance nationale des coopératives (Sunacoop), Venezuela.

Les organisations représentatives du secteur privé sont : la Confédération intercoopérative agricole (Coninagro) et la Confédération coopérative de la République argentine (Cooperar) ; l’Organisation des coopératives brésiliennes (OCB) et la Centrale des coopératives et des entreprises d’économie sociale (Unisol) du Brésil ; la Confédération paraguayenne des coopératives (Conpacoop), la Confédération uruguayenne des entités coopératives (Cudecoop) et la Centrale coopérative nationale du Venezuela (Ceconave).

Le bureau de la RECM se trouve au siège du Mercosur, à Montevideo (Uruguay), capitale administrative du bloc. Depuis sa création, la RECM fait du lobbying auprès des organismes du Mercosur, des gouvernements et des Etats nationaux pour promouvoir et renforcer les mouvements coopératifs de la région, en tant qu’acteurs de développement local et régional.

Parmi les points qui sont à l’agenda de la RECM figure la constitution de coopératives de premier et de second degré, admettant des associés domiciliés dans plus d’un Etat membre. Il reste cependant à transposer cette décision dans la législation des Etats membres, car le Mercosur n’a pas, à ce jour, de compétence supranationale.

L’Uruguay a adopté le « statut des coopératives du Mercosur » en décembre 2010. Par ailleurs, la RECM a créé le « fonds de promotion des coopératives du Mercosur ». Cet instrument financier vient en appui aux initiatives coopératives au niveau régional. Depuis une dizaine d’années, la RECM a pris des initiatives et engagé des actions, notamment les suivantes :

  • En 2003 : déclarations sur le rôle des coopératives dans le Mercosur et sur les coopératives, l’emploi et le travail décent.

  • En 2008 : projet d’établissement de centres de développement coopératif dans les zones frontières.

  • En 2011 : conférence intergouvernementale « Avancées dans la mise en oeuvre de la Recommandation 193 de l’OIT », recommandation adoptée en 2002 sur la promotion des coopératives, Montevideo (Uruguay).

  • En 2012 : Agrobrasilia, rencontre des coopératives du Mercosur à Brasilia ; sessions de formation coopérative sur l’équipement touristique des zones frontalières à Concordia (Argentine) ; filière solidaire de la laine, secrétariat de l’Economie solidaire et d’Aide à la micro et petite entreprise du gouvernement de Rio Grande do Sul, Porto Alegre (Brésil) ; adhésion de la RECM à l’Année internationale des coopératives, dans le cadre du VIIe Congrès fédéral de l’économie solidaire et des associations de petites et moyennes entreprises, congrès Mercosur.

  • En 2013 : Rencontre des coopératives et de l’ESS, à Bella Unión (Uruguay) ; colloque sur « Le rôle des coopératives et des mutuelles dans les économies régionales : leur intégration dans le Mercosur », à Monte Caseros (Argentine) ; achèvement du programme « Promotion des mouvements coopératifs du Cono Sur, en tant qu’outils d’intégration sociale et de création de travail digne, et comme acteurs du développement et d’approfondissement du Mercosur ».

  • En 2014 : Expocoop à Curitiba (Brésil), Foire internationale des coopératives et IVe Rencontre des coopératives des pays du BRICs, groupe comprenant les grandes puissances émergentes actuelles (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).

  • En 2015 : présentation des initiatives en cours pour intégrer les coopératives au Paraguay, en Argentine, au Brésil et en Uruguay, à Asunción (Paraguay).

Au cours de la 39e session plénière, qui s’est tenue à Montevideo en avril 2016, divers axes d’action ont été exposés pour mieux diffuser la pensée coopérative et positionner les coopératives du Mercosur dans les secteurs de la production, du commerce et de la culture. Les échanges commerciaux intercoopératifs intra et extrarégionaux sont riches en potentialités de complémentarité entrepreneuriale, notamment dans le domaine des services. Leur accroissement nécessite une plus grande impulsion institutionnelle.

Il a aussi été envisagé d’inviter les organismes mutualistes des Etats membres à venir présenter leurs secteurs respectifs à la RECM.

Pour la RECM, il s’agit plus largement d’accélérer la marche vers l’intégration des espaces de l’économie sociale dans les paysd’Amérique latine.

La RECM commémorera les vingt-cinq années d’existence du Mercosur dans le cadre du IVe Sommet coopératif des Amériques, qui se tiendra à Montevideo (Uruguay) en novembre prochain, sur le thème « Coopératives : action commune pour le développement durable ». Ce sommet fera suite aux précédents, qui se sont tenus à Mexico en 2009, à Panama Ciudad (Panama) en 2012 et à Carthagène des Indes (Colombie) en 2014.

Eduardo Fontenla [9]

Vers des alliances entre économie sociale et « communs »

Avec les « communs », s’ouvre un champ important d’expérimentations pratiques et théoriques, interpellant celui de l’économie sociale, en rendant compte de la conférence internationale “The City as a Commons”, écrivions-nous dans le dernier numéro de la Recma. Mieux connu depuis l’attribution, en octobre 2009, du prix Nobel d’économie à Elinor Ostrom, le concept de « communs » ou de « biens communs » fait actuellement florès dans de nombreuses disciplines : économie, gestion, droit et science politique, mais aussi dans les programmes de militants et responsables politiques. Le Parlement européen a ainsi constitué un intergroupe dédié aux « services publics et biens communs ».

Surtout, de très nombreuses initiatives témoignent de la vitalité de nouvelles forces sociales du vivre et produire ensemble et autrement. Ces initiatives visent à promouvoir des laboratoires citoyens et économiques dans des domaines tels que l’économie collaborative, la santé, l’éducation, la transition énergétique, le domaine foncier. Elles se nourrissent des logiques de biens communs pour une gouvernance plus démocratique de fourniture de services d’intérêt général et pour élargir les choix dans les partenariats publics-privés.

Le Centre culturel international de Cerisy propose un colloque, du 8 au 15 septembre prochain, sur le thème « Vers une république des biens communs ? [10] ». Le colloque est conçu comme un carrefour pluridisciplinaire de rencontres et d’échanges entre chercheurs et acteurs venant de plusieurs pays européens et américains, pour discuter le contenu du concept de biens communs et sa capacité à permettre la construction d’une nouvelle manière de vivre en société.

Les intervenants sont attendus sur des thèmes riches et diversifiés comme : la dimension historique et l’actualité des communs dans le développement Nord-Sud ; l’analyse économique et les sciences de gestion, avec notamment les modèles économiques des communs ; les communs et le droit de propriété ; le partage de la valeur et les biens communs ; les communs et le numérique ; le travail et le développement des communs ; la gestion d’un bien commun naturel (l’expérience de Chausey) ; territoires et biens communs ; les biens communs pour produire et consommer ensemble ; les biens communs pour entreprendre et travailler ensemble ; la finance et le concept de commun ; les biens publics mondiaux ; prospérité et diversité des communs dans le monde et, pour finir, la question des communs et de la voie coopérative.

Le colloque a été construit par La Coop des communs. Récemment créée, cette association résulte d’une phase de maturation démarrée en 2011 au sein d’un atelier, lors des Rencontres du Mont-Blanc (RMB) sur les communs [11]. L’échange aux RMB a été repris en 2013, activé depuis 2014 avec Benjamin Coriat, Jean-Louis Bancel et une trentaine de chercheurs et d’acteurs des communs et de l’économie sociale et solidaire (ESS).

La Coop des communs sort de sa phase de préfiguration, qui a réuni des activistes, des militants, des chercheurs, des entrepreneurs de l’ESS et du monde des communs, ainsi que des acteurs publics qui veulent collaborer dans une perspective tournée vers l’action au service des acteurs. Persuadés qu’alliés, communs et ESS peuvent former de véritables piliers d’un développement soutenable dans une vision plurielle de l’économie, une économie collaborative fondée sur la réciprocité, les porteurs du projet visent à contribuer à la construction d’un écosystème favorable à l’éclosion de communs co-construits avec l’ESS et les pouvoirs publics intéressés.

La dynamique s’appuie sur la grille d’analyse des communs promue par E. Ostrom. Elle associe une ressource, un groupe d’acteurs et un mode de gouvernance (voir B. Coriat [coord.], Le retour des communs, 2015, Les Liens qui libèrent éd.).

L’action de la Coop des communs est ancrée dans le cadre français. Elle échange beaucoup avec les pratiques équivalentes dans d’autres pays et contribue à l’émergence de propositions à l’échelle mondiale. Une liste e-mail ESS-Communs permet le débat sur l’actualité de l’ESS et des communs. Des alliances concrètes entre ESS et communs sont ambitionnées pour : alimenter la recherche et les discussions sur les domaines dans lesquels les communs peuvent et doivent se déployer, et sur les modalités sous lesquelles ils peuvent le faire ; promouvoir des laboratoires citoyens et économiques dans des domaines comme l’économie collaborative, la santé, l’éducation, la transition énergétique, le domaine foncier, la ville ; montrer qu’on peut utiliser des logiques de communs pour fournir des services d’intérêt général sur une base démocratique et élargir les choix dans les partenariats publics-privés-communs.

Quatre axes de travail sont en cours de structuration :

  • droits de propriété, communs et entreprise : interface avec le programme de recherche « Entreprendre en communs » et le séminaire de recherche coordonné par Benjamin Coriat, Fabienne Orsi et Sébastien Broca ;

  • villes, territoires et communs : la « production de la ville » par ses habitants, avec les apports de l’Atlas des chartes des communs urbains [12] et de l’Ecole des communs de Labsus (Italie), qui aide à la mise en place de pactes des communs urbains avec un nombre croissant de villes ;

  • protection sociale et communs : mise en place d’un groupe de travail collaboratif au carrefour de plusieurs préoccupations, notamment l’émergence de nouvelles formes d’activité et d’emploi liées aux communs et à l’ESS, et l’absence de visibilité des « communs mutualistes » dans la recherche de protection sociale associée ;

  • communs et services d’intérêt général dans les traités internationaux.

Nicole Alix