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Présentation

Cet ouvrage s’inscrit dans la foulée des travaux de plus en plus nombreux sur la santé mentale au travail. Son objectif général est de décrire la nature des situations de travail qui ont un effet délétère sur la santé mentale des travailleurs. Pour ce faire, il présente une recherche-action qui invite le lecteur à adopter un regard systémique afin de quitter l’ornière de l’individualisation des problèmes reliés à l’organisation du travail. En collaboration avec l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) et la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), les auteurs établissent un portrait des conditions subjectives de travail dans une première école. Ils valident ensuite ces premières données auprès des travailleurs d’une seconde école, puis instaurent un plan d’action visant l’amélioration des facteurs organisationnels en milieu scolaire considérés comme une source de souffrance par les travailleurs consultés.

Les premiers chapitres de l’ouvrage sont consacrés à une mise en contexte efficace de la problématique. Le lecteur retrouvera dans une première section un bilan des connaissances et des statistiques descriptives de l’état actuel de la santé mentale des travailleurs du domaine de l’enseignement. Le cadre théorique de la psychodynamique du travail est par la suite introduit afin d’étayer les fondements des hypothèses au centre de ce projet d’étude. Ensuite, un troisième chapitre, consacré au détail de la méthodologie, expose le plan de la démarche. Cette étude qualitative repose sur la réalisation de huit entrevues de groupe, constituées soit d’enseignants, de professionnels de l’éducation, de membres du personnel de soutien ou de directeurs et directeurs adjoints. Une seule question était prédéfinie et abordée en début d’entrevue: «Comment vivez-vous le rapport entre santé psychologique et milieu scolaire?» Une analyse des entrevues selon le cadre théorique de la psychodynamique du travail met en exergue les éléments de décalage entre le travail prescrit et le travail vécu par les participants, les sources de plaisir au travail, les points de tension et les souffrances liés au travail. Le lecteur parcourra un texte descriptif riche en expériences étayant un ensemble de contraintes éprouvantes: précarité des emplois, lourdeur du travail, pression temporelle, complexité des contraintes institutionnelles, manque de respect et violences. L’ouvrage se poursuit en abordant nombre de stratégies défensives permettant de composer avec les difficultés inhérentes au quotidien du travail en milieu scolaire. Les stratégies d’intériorisation, d’autoactivation, d’hyperactivité, de métaphore ou encore de retrait sont aussi abordées et adéquatement expliquées. Au terme de l’ouvrage, bien détaillé et vulgarisé, la mise en place d’un plan d’action visant à diminuer les sources de tensions est décrite avec maints détails, offrant une perspective d’action judicieuse pour faire face aux enjeux endémiques des problèmes de santé mentale des personnels du milieu de l’enseignement.

Point de vue

Par son caractère descriptif, cette étude apporte un regard complémentaire et enrichissant à la littérature scientifique actuelle. De fait, en décrivant l’expérience des travailleurs du domaine de l’éducation, elle permet de se familiariser avec cet environnement unique et de mieux en comprendre la réalité quotidienne. Les concepts y sont abordés avec profondeur. La richesse de l’ouvrage tient beaucoup à cette fenêtre ouverte sur l’expérience subjective du travail des personnels de l’enseignement, acteurs les mieux placés pour en décrire la complexité. Dès lors, la compréhension du lecteur s’enrichit de la connaissance des nombreux obstacles, des facteurs de risque psychosociaux et des problèmes de santé mentale de ces travailleurs. Un apport important de ce collectif se trouve également dans les éléments de plaisir au travail et les moyens mis en place par le personnel pour contrer les difficultés recensées. Tout en tenant compte de la richesse de ces informations, le lecteur avisé prendra néanmoins en considération que l’ensemble des écoles secondaires du Québec pourrait ne pas partager le rapport au travail discuté par les travailleurs sondés. En effet, seules deux écoles provenant de milieux socioéconomiques défavorisés ont pris part à la présente étude. Bien que plusieurs établissements scolaires partagent vraisemblablement certaines réalités, il demeure prématuré de jauger de la représentativité de ces premiers résultats.

L’un des principaux points forts de cette étude réside indubitablement dans le fait qu’elle porte sur l’ensemble du personnel du milieu de l’éducation. Bien malheureusement, nombre d’études sur la santé mentale réalisées dans les écoles primaires et secondaires oblitèrent le personnel de soutien, les éducateurs et le personnel de direction. Les inclure dans cette recherche permet de mettre au jour les dynamiques existant entre ces divers acteurs du milieu scolaire et les difficultés en découlant, offrant ainsi un portrait systémique plus complet. Cette étude rappelle à cet égard toute l’importance de considérer la problématique de la santé mentale au travail dans toute sa complexité. Les résultats de cette recherche-action se veulent ainsi un rappel des difficultés et souffrances du personnel en milieu scolaire, invitant à considérer nombre d’hypothèses encore trop peu explorées, dont celles de souffrances inhérentes au fonctionnement administratif de l’organisation.

Autre apport intéressant, cet ouvrage consacre une part importante de son espace littéraire à proposer et à préciser des pistes d’action concrète découlant des résultats de consultation des personnels. La démarche complète visant à assurer la continuité de l’intervention est également bien détaillée, ce qui invite à la reproduire, à la déployer ou à l’élargir à d’autres contextes, populations ou situations de travail. Cette dernière partie de l’ouvrage pourrait toutefois laisser certains lecteurs sur leur faim. En effet, une étape cruciale de l’intervention, celle de l’évaluation, n’a pu être complétée. Bien que l’intervention soit détaillée avec soin, on ne peut pour le moment conclure à l’efficacité du plan d’intervention promulgué. Cela dit, cet ouvrage demeure digne d’intérêt pour quiconque désire en apprendre davantage tant sur l’environnement organisationnel scolaire que sur les conditions jugées délétères pour la santé mentale de ses travailleurs et laisse entrevoir des avenues de prévention et de résolutions personnelles et collectives de cet enjeu endémique.