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Paula : [Ici] c’est un sang mélangé. Ce n’est pas un sang bleu[1] comme en Europe. Là-bas, personne ne se mélange ! Ici, il n’y a pas de définition. C’est pour ça que, des fois, tu vois un Noir avec des yeux de Chinois, c’est une chose tellement mélangée que ça paraît plus un truc de laboratoire ![2]

La nation brésilienne, née d’unions mixtes entre les trois « matrices initiales » : amérindienne, européenne et africaine, serait profondément métisse. Cette réalité a été proclamée par les différents gouvernements depuis le début du XXe siècle dans la perspective d’en faire le substrat de l’identité brésilienne. Cette représentation du métissage sous-tend qu’au Brésil, ni la race[3], ni l’ascendance ne constituent des obstacles insurmontables à la mobilité sociale : les Brésiliens ne sont pas enfermés dans un système d’ordre qui reproduit les hiérarchies au fil des générations. Mais les mesures récentes de discrimination positive prises dans le but de réduire les inégalités socioraciales sont venues perturber le fondement même de l’identité brésilienne. Si la population a progressivement intériorisé l’idée du mélange généralisé, elle exprime néanmoins des sentiments contrastés, comme Paula lorsqu’elle affirme : « Au Brésil il y a beaucoup de racisme, même si c’est un métissage ; c’est comme ça qu’on dit ? Mon grand-père disait à ma mère qu’il ne voudrait pas que l’une de ses petites-filles se marie avec un Noir ! »

Le but de cet article n’est pas de décrire une nouvelle fois les étapes de la construction du métissage brésilien qui a déjà fait l’objet de nombreux travaux. Il ne s’agit pas non plus d’un plaidoyer contre la discrimination positive comme l’a fait Maggie (2008) en soulignant le paradoxe et les dangers de rupture sociale encourus par l’attribution de droits spécifiques aux Noirs dans une société métisse. Notre intention est d’essayer de comprendre pourquoi la mise en place de ces mesures, ayant pour objet la réduction des inégalités socioraciales, est intervenue si récemment. Pourquoi est-ce seulement aujourd’hui, comme l’observe Maggie, que « les statistiques de l’inégalité entre Blancs et Noirs ont pénétré les mentalités de l’intelligentsia et des médias » (Maggie 2008 : 51) ? Notre analyse repose sur l’hypothèse que la démocratie raciale – résultat du métissage généralisé – constitue un mythe, non pas dans son sens commun de fable, comme il est presque toujours employé dans les travaux sur le sujet, mais dans son sens anthropologique tel que l’a défini Malinowski : en tant que réalité imprégnée de sacralité et difficilement contestable. La foi en l’égalité de tous aurait alors rendu inopportunes la mise en place de mesures visant à réduire les inégalités.

Après avoir décrit dans ses grandes lignes les conditions d’émergence du métissage et l’influence respective des intellectuels, artistes et politiques, nous verrons comment la croyance en la démocratie raciale a acquis le statut de mythe d’origine de la nation brésilienne. Nous analyserons ensuite les réalités et les enjeux du métissage afin de présenter les fortes différences entre les groupes selon leurs origines et les types de métissage. Nous nous interrogerons enfin sur le sens des réformes juridiques à l’oeuvre et plus particulièrement sur celui de l’adoption du principe constitutionnel de « discrimination positive » au bénéfice des Noirs et des Indiens.

De la hiérarchisation des « races » à la revendication du métissage

« Métissage qui de romantique se transforme en biologique et dégénéré pour devenir symbole de culture nationale, icône de l’État dans les années 30, exemple pour le monde dans la décennie 50 et associée à la filouterie »[4]. C’est ainsi que Schwarcz (1995 : 11) ponctue les différentes étapes de la construction du métissage au fil des décennies. Cependant, cette élaboration ne s’est pas faite de manière linéaire et une même période n’était pas caractérisée par une pensée unique. Le métissage brésilien constitue une réalité dont la singularité a toujours frappé les voyageurs principalement européens de la seconde moitié du XIXe siècle, qui lui donneront pourtant diverses interprétations.

On peut sans aucun doute attribuer à Von Martius, botaniste allemand, la première affirmation selon laquelle le Brésil est constitué du mélange de trois races qui lui confère son originalité. Dans un célèbre essai, il constate que « Voyant un peuple naître et se développer de la réunion et du contact de races humaines si différentes, on peut avancer que son histoire devra se développer selon une loi particulière de forces diagonales » (Von Martius 1991 [1845] : 2). Cependant, il voit ce métissage comme une phase transitoire car « le sang portugais, dans un fleuve puissant devra absorber les petits confluents des races indienne et éthiopienne » (Von Martius 1991 [1845] : 3) Les observateurs européens qui lui succèderont n’en feront pas la même analyse. À la suite d’un voyage au Brésil effectué en 1865, Agassiz (1938) – naturaliste suisse – considère le métissage comme une décadence des types originels et relève la supériorité de la race blanche, tandis que De Gobineau – diplomate français à Rio en 1869-1870 – y constate la confirmation de l’inégalité des races humaines (De Gobineau 1853). Or, selon De Freitas Dutra, les idées de ces auteurs sont « bien reçues dans le milieu intellectuel brésilien, dans un contexte de forte pénétration des idées scientifiques (ou pseudo-scientifiques) européennes » (De Freitas Dutra 2000 : 35) et d’inquiétude pour l’avenir du pays du fait de sa condition métisse.

Ainsi, à la fin du XIXe siècle, le retard économique que connaissait le Brésil était-il expliqué par la trop grande présence de Noirs qui empêchait son développement. Comme l’exposait J.-B. Lacerda, directeur du Musée National de Rio de Janeiro dans une conférence prononcée au « Congrès universel des races » à Londres :

L’importation, à grande échelle, de la race noire au Brésil a exercé une influence néfaste sur les progrès du pays ; elle a retardé pour longtemps son développement matériel et l’utilisation de ses immenses richesses naturelles. Le caractère de la population s’est ressenti des défauts et des vices de la race inférieure importée.

Lacerda 1911 : 30

Et Lacerda de préciser les méfaits de l’héritage génétique et culturel transmis par les Noirs :

Vices de langage, vices de sang, conceptions erronées de la vie et de la mort, superstitions grossières, fétichisme, incompréhension de tout sentiment élevé d’honneur et de dignité humaine, faible sensualité[5], tel est l’héritage médiocre que nous recevons de la race nègre. Elle a empoisonné la source des générations actuelles, innervé le corps social, avilissant la personnalité du Métis et abaissant le niveau des Blancs.

Lacerda 1911 : 30

En réaction à cette représentation d’un peuple affaibli par l’influence des Noirs et dans la perspective de modifier l’état de peuplement du pays, des mesures de « blanchiment » furent prises au début du XXe siècle. L’immigration africaine et asiatique fut limitée et, à l’inverse, on favorisa l’immigration européenne dans l’idée de faire disparaître la population de couleur, tant les Noirs que les Métis, en quelques générations. Comme le montre Skidmore (1976), la théorie du blanchiment se fondait sur la présomption de la supériorité de la race blanche à laquelle s’ajoutait l’idée que la population noire devait diminuer en raison d’un taux de fécondité plus faible dû à une plus grande sensibilité aux maladies et à l’état de désorganisation sociale dans laquelle elle se trouvait. En second lieu, la mixité devait conduire à un « éclaircissement » de la peau du peuple brésilien puisque le gène blanc était plus fort et que les personnes avaient tendance à rechercher des partenaires plus clairs qu’eux-mêmes.

Cette vision sera contrebalancée par des interprétations divergentes qui finiront par prévaloir. En 1888, Romero affirme que le mélange peut être positif. Tout comme Gobineau et Agassiz, il voit le métissage comme une décadence, et comme Von Martius il croit à la victoire de la race blanche sur les races noires et indigènes. Cependant, Romero se détache de la vision purement biologique du métissage pour introduire la dimension culturelle, sociale et historique du mélange (De Freitas Dutra 2000 : 38). Il sera suivi par Da Cunha dans Os Sertões (1996 [1902]) qui, selon Garcia « représente le premier effort réussi de revalorisation des Métis brésiliens » (Garcia 1993 : 24). Au début du XXe siècle,

[L]a contribution la plus spécifique des intellectuels fut sans doute la revalorisation de l’image de soi par l’abandon progressif de la question qui avait été au centre des débats intellectuels – celle de l’infériorité des peuples métis – au profit d’une autre représentation, celle d’une nation jeune, marquée par un lourd passé, mais porteuse d’avenir.

Garcia 1993 : 31

À la même période, le Métis occupe une place grandissante chez les artistes de São Paulo, dans le contexte de la modernisation, de l’urbanisation et de l’enrichissement de la ville qui engendre un mouvement de rupture avec le passé en acceptant et valorisant la réalité au lieu de chercher à la modifier. Ce mouvement, connu sous le terme de « Modernismo » atteindra son apogée en 1922, lors de la semaine des Arts qui commémore le 100e anniversaire de l’indépendance du Brésil. Il se traduira par la rupture avec le traditionalisme culturel, et par la mise en valeur des caractéristiques nationales. Parmi celles-ci, le métissage occupera une place privilégiée, notamment dans la peinture chez Malfatti (Tropical, 1917), Segall (Mulato 1, 1924) ou Portinari (Mestiço, 1934). Comme le stipule l’exposition permanente de la Pinacothèque de São Paulo, où une salle est consacrée à ce phénomène :

Les artistes liés au Mouvement moderne avaient pour ambition de donner une âme au Brésil comme l’a dit Mario de Andrade reprenant la question de l’identité nationale en termes de diversité culturelle. Ce n’est pas en vain que le Métis prend la place de l’Indien dans l’imaginaire collectif, pas en vain que le Mouvement moderniste voit dans les peintures de Métis de Almeida Junior le début d’un projet de peinture nationale.[6]

On trouve les mêmes tendances dans la littérature où les Métis sont mis en scène comme représentants la Nation brésilienne. Ainsi, dans Macunaíma (1928), De Andrade, en créant un langage composite, cherche selon Péan :

[N]on pas à illustrer la pluralité linguistique du Brésil mais à réunir symboliquement les régions de son immense patrie en un tout indivisible… De son héros à la fois noir, rouge et blanc, il fait un prototype de la pluralité raciale et linguistique qui sous-tend sa vision artistique de même que sa propre existence de Brésilien, enfant du métissage.

Péan 1993 : 50-51

Le métissage n’est plus seulement une réalité valorisée, mais devient une revendication, comme le montre le poète Milliet (1946 [1927]) lorsqu’il écrit : « Todo este sangue de mil raças/ corre em minhas veias/ sou brasileiro/ mas do Brasil sem colarinho/ do Brasil negro/ do Brasil índio »[7]. « Nous sommes tous des Métis » devient alors le slogan du peuple brésilien, ou du moins de son élite intellectuelle dont l’influence sera d’autant plus forte qu’elle est pour une part issue des couches dominantes liées à la culture du café.

Ce mouvement, essentiellement d’origine artistique et lettrée, sera renforcé et généralisé par l’« Estado novo »[8] de Vargas à partir du coup d’État de 1937, régime qui se caractérise par l’autoritarisme, la centralisation du pouvoir et le nationalisme. Il sera étendu à d’autres formes d’expression artistique comme la capoeira, qui sortira de la marginalité et de la répression qu’elle avait subie sous l’Empire et dans les premières années de la République. Toujours avec l’appui de Vargas, la samba, danse syncrétique d’origine angolaise, devient à la fois un symbole national et la musique officielle du Carnaval dans l’objectif de donner des valeurs culturelles fortes et fédératives aux différentes populations de cet immense État. En moins de deux décennies le Brésil s’est donc constitué une identité propre, fondée sur le métissage biologique et culturel et revendiquant l’égalité de tous.

La publication de Casa Grande e Senzala par Freyre en 1933 ne va pas seulement valoriser le métissage, mais en faire la genèse, lui donner du sens et une nouvelle dimension. Chez Freyre, les populations indiennes, africaines et européennes se fondent progressivement afin de constituer le peuple brésilien. Il s’oppose ainsi aux théories racistes fondées, elles, sur la différenciation et l’exclusion. Freyre cherche en effet à démontrer qu’au Brésil les relations entre maîtres et esclaves sont imprégnées d’un fort sentiment allant souvent bien au-delà de l’affectif puisqu’il en naissait des enfants et que cette réalité troublait les clivages et les hiérarchies et participait à l’homogénéisation de la société.

Cette thèse romantique sur la douceur des relations maîtres-esclaves, bien que très contestée (Nogueira 1955 ; Silva 1985), va idéaliser le métissage au point de construire l’idée d’une nation brésilienne parfaitement homogène, sans stigmatisation, sans conflit, et caractérisée par l’égalité de tous face au pouvoir et aux richesses. L’ouvrage de Freyre, qui en est aujourd’hui à sa 52e édition, renforcera l’idée que le Brésil constitue une démocratie raciale qui peut être interprétée comme le mythe d’origine, au sens anthropologique du terme, de l’identité brésilienne. Comme le souligne Pinto dos Santos :

Les intellectuels qui ont construit l’idée de démocratie raciale avaient pour objectif d’unifier la population du pays de telle sorte que tous puissent se penser comme appartenant à une même nation qui, bien que formée par différentes ethnies, vivrait dans une harmonie supposée. Dans le Brésil des années 30, le gouvernement de Vargas s’est approprié l’idée de démocratie raciale et de métissage pour fonder une identité nationale.

Pinto dos Santos 2011 : 1536[9]

Et c’est bien parce que le récit s’est transformé en mythe qu’il est parvenu à imprégner les représentations, à masquer la réalité des inégalités dans la société brésilienne et à orienter les décisions politiques.

La démocratie raciale comme « mythe d’origine »

On trouve dans les récits qui racontent le métissage au Brésil certaines caractéristiques des mythes d’origine telles qu’a pu les souligner Malinowski (1933). Certes la référence est ancienne, mais l’approche fonctionnelle du mythe dans la société reste aujourd’hui une analyse convaincante et peu contestée. Accordant une place particulière aux mythes des origines, l’auteur souligne qu’ils racontent comment une réalité est venue à l’existence. Il ne s’agit pas d’expliquer, mais de donner du sens, de légitimer une réalité.

Le mythe de la démocratie raciale rend compte de la manière dont les colonisateurs portugais, les populations locales indiennes et les esclaves d’origine africaine se sont mélangés, constituant un peuple brésilien métis. Cette idée déjà présente chez Von Martius et souvent combattue ou niée s’impose au début du XXe siècle dans un moment de rupture entre les normes imposées par la domination coloniale et européenne et celles liées à la construction d’une identité tenant compte de la réalité nationale. Il s’agit pour le Brésil d’un nouveau commencement : « Modernismo brasileiro » chez les artistes en 1922, « Estado novo » dans le milieu politique en 1937. Le pays rompt avec ses tendances conservatrices et paysannes pour s’assumer en tant que Nation aux caractéristiques propres puisées dans la société urbaine diversifiée et en pleine croissance.

Le mythe a pour caractéristique d’être peu fidèle à la réalité historique et au Brésil il a été d’autant plus facile de s’affranchir de cette dernière qu’en 1892, soit quatre ans après l’abolition de l’esclavage, le gouvernement a ordonné la destruction de toutes les archives concernant la traite des esclaves, laissant alors la possibilité d’une réinvention de l’Histoire. Si Freyre (1933) présente les relations maîtres-esclaves comme cordiales et apporte des arguments convaincants à l’appui de cette affirmation, il faut cependant rappeler que la suppression du fouet et des châtiments corporels a provoqué une fuite importante des esclaves des fazendas[10] où ils étaient asservis, ce qui laisse penser que les liens qui les unissaient à leurs maîtres n’étaient pas seulement d’ordre affectif. Le système esclavagiste était aussi violemment coercitif.

Le mythe a ceci de singulier qu’il ne rend pas compte d’une réalité objective visible, puisque l’inégalité des « races » est une évidence et personne ne la conteste, mais d’un idéal d’égalité. Cette contradiction est incluse dans la définition même des mythes qui, selon Malinowski, « servent à voiler certaines contradictions engendrées par les événements historiques, plutôt qu’à enregistrer fidèlement ces événements » (Malinowski 1933 : 82). Il s’agit sans doute ici d’une des principales fonctions sociales du mythe que souligne également Lévi-Strauss lorsqu’il affirme que « la pensée mythique procède de la prise de conscience de certaines oppositions et tend à leur médiation progressive […] l’objet du mythe est de fournir un modèle logique pour résoudre une contradiction » (Lévi-Strauss 1985 : 227), ou encore Roland Barthes pour qui le mythe :

[A]bolit la complexité des actes humains, leur donne la simplicité des essences, il supprime toute dialectique, toute remontée au-delà du visible immédiat, il organise un monde sans contradiction parce que sans profondeur, un monde étalé dans l’évidence, il fonde une clarté heureuse : les choses ont l’air de signifier toutes seules.

Barthes 1957 : 217

La croyance dans le mythe évite donc d’interroger les faits, il se suffit à lui-même en donnant un sens logique à la réalité.

Comme le souligne Malinowski, « Le mythe, envisagé dans son ensemble, ne représente pas une histoire froide et dépourvue de passion, puisqu’il est toujours créé volontairement, pour remplir une certaine fonction sociologique, pour glorifier un certain groupe ou pour justifier un état de choses anormal » (Malinowski 1933 : 82). Ainsi, l’idéal de démocratie raciale, d’homogénéité et d’égalité de tous sera construit et utilisé par les pouvoirs en place pour mieux faire accepter leur domination. Il s’agit ici bien sûr de masquer la condition des Noirs poussés aux marges de la société aux lendemains de l’abolition de l’esclavage et de la suprématie des Blancs qui ont le quasi-monopole des pouvoirs économiques aussi bien que politiques. Le mythe masque les inégalités en présentant la société brésilienne comme métisse avant tout. Glorifier les Métis a pour conséquence de masquer à la fois la misère des Noirs et la toute-puissance des Blancs. Défendre l’idée d’une démocratie raciale laisse imaginer l’égalité de tous les citoyens et rend illégitime les revendications qui se fonderaient sur des critères raciaux dans la mesure où les différences raciales ne sont pas reconnues.

Par ailleurs, ce mythe fondateur a été réactualisé lors des fêtes commémorant le 500e anniversaire du Brésil qui, entre 1998 et 2000, ont glorifié le métissage et la capacité d’intégration de la diversité que l’on trouve au Brésil (Da Silva 2003). Sans doute est-ce en raison de l’intériorisation de cette identité métisse que les Brésiliens se montrent si peu curieux de leurs origines (Gutel 2011). Les paroles de Conceição (Gutel 2011) illustrent toute l’ambiguïté du métissage brésilien : « Bon, sur cette question de l’origine, de voir si on a une certaine origine d’un certain peuple, de quelque chose comme ça, je ne sais pas. Parce que nous, ici, au Brésil, on a tous des origines, hein, autant noires qu’indiennes ». Toute la complexité entourant la question des « origines » nous est livrée dans cet extrait : le métissage est présenté, d’emblée, comme un trait commun partagé et accepté. Ce discours, largement partagé par la population brésilienne, évacue toute question relative à la différenciation ou au racisme, évite de remonter « au-delà du visible immédiat » comme dit Barthes (1957 : 217). Les origines restent donc très incertaines et leur recherche reviendrait à poursuivre des racines « pures » africaines, indiennes ou européennes qui ne semblent pas pertinentes pour les Brésiliens. Ainsi que le souligne Guimarães :

La démocratie raciale est morte, mais elle reste vivante en tant que mythe, aussi bien dans le sens d’une fausse idéologie que dans le sens d’un idéal qui oriente l’action concrète des acteurs sociaux, comme clé pour l’interprétation de la culture ou comme fait historique. En tant que mythe, elle restera longtemps vivante pour représenter ce que sont, au Brésil, les relations entre Noirs et Blancs ou, plutôt, entre les races sociales (Wagley 1952) – les couleurs – qui composent la nation.

Guimarães 2002 : 32

Il est difficile de contester le mythe, de prendre la mesure des inégalités au Brésil et de développer des politiques qui les réduiraient dans la mesure où elles reposeraient obligatoirement sur le rappel des origines et la remise en cause des idéologies égalitaires construites tout au long du siècle passé.

Réalités et enjeux du métissage : le Brésil, « pays de tous » ?[11]

Au début du XXe siècle, on observait donc une certaine proximité entre les discours des hommes politiques, des artistes et des intellectuels qui illustraient la prégnance de l’idée de « paradis racial ». C’est donc à la fois la curiosité et l’enthousiasme suscités par ce constat qui donneront naissance au « projet Unesco »[12], vaste programme de recherche débuté en 1950 et dont le principal objectif était de démontrer que la cohabitation entre des populations extrêmement diverses au sein d’un même pays n’était pas forcément synonyme de conflits raciaux. Contre toute attente, le paradigme de la démocratie raciale va perdre de sa valeur heuristique à la suite des enquêtes menées dans les différentes régions du Brésil. Les sociologues s’emparent alors de l’étude des inégalités mais l’irruption d’un nouveau contexte dictatorial (1864-1985) va permettre de garantir le maintien idéologique de la démocratie raciale.

L’image renvoyée par le pays est longtemps demeurée celle d’une nation issue d’un métissage généralisé et harmonieux au sein duquel il n’existe aucune frontière ethnique ou raciale, aucune attitude raciste mais au contraire une profonde égalité entre tous les citoyens. Ce qui fascine les visiteurs étrangers, c’est surtout le contraste que le Brésil représente face à un contexte international traumatique : l’Europe a connu les dérives du nazisme, les États-Unis ont adopté des lois ségrégationnistes et l’Afrique du Sud a imposé l’apartheid. En 1951, l’Unesco a pour projet de mener une « enquête témoin concernant les contacts entre les races ou entre les groupes ethniques en vue de déterminer les facteurs économiques, politiques, culturels et psychologiques favorables ou défavorables aux bonnes relations entre ces races ou ces groupes ethniques » (Métraux 1952 : 499). Le Brésil est alors choisi comme terrain d’étude puisqu’il semble détenir la recette miracle de la mixité.

Le bilan des recherches menées par les équipes pluridisciplinaires et internationales dans les différentes régions du pays s’avérera nuancé :

En dépit de conséquences inattendues, le programme de recherche de l’Unesco servit de relais efficace au modèle brésilien de paix raciale. Il permit, notamment, de transformer les thèses de Freyre et de Ramos en doxa à destination de la communauté scientifique internationale.

Almeida et Fléchet 2009 : 264

Contrairement aux idées jusqu’alors répandues, il montre que le Brésil n’est pas exempt de comportements discriminatoires et racistes, mais que ces comportements se révèlent moins ostentatoires ou rigides que dans d’autres régions du monde et semblent se caractériser par un trait singulier bientôt désigné par l’expression « racisme cordial »[13]. Le mythe fondateur national est fragilisé, car si l’esclavage a bien été aboli, les inégalités entre les populations noires, blanches et indiennes existent et persistent. Ce constat va à l’encontre des conclusions dressées par Métraux (1951 : 3) à propos « du sentiment de confiance » avec lequel les citoyens brésiliens peuvent envisager la situation raciale de leur pays.

La participation aux enquêtes de l’Unesco constitue un bouleversement des centres d’intérêts pour certains sociologues brésiliens. L’étude impulsée par Bastide et développée conjointement avec Nogueira (Bastide, Fernandes et Nogueira 1955) devient pour Fernandes une étude que l’on peut qualifier de pionnière : alors que le chercheur se disait préoccupé par « d’autres projets », alléguant que « la question raciale ne l’intéressait pas » (Cerqueira 2009 : 49), il revient sur sa position. Par la suite, il donnera d’ailleurs une nouvelle emphase à ses travaux : la critique de la démocratie raciale. Mais les réflexions des sociologues s’accompagnent de fortes critiques : ils seront considérés « tendancieux » (y compris par bon nombre de leurs pairs) et tenus pour responsables de déformer la vérité en évoquant l’existence d’inégalités raciales au Brésil.

Malgré les réticences exprimées, la contestation de la démocratie raciale se poursuit au sein du monde universitaire. Des groupes de recherches tels que l’École de São Paulo se forment autour de ces préoccupations théoriques et dénoncent l’éloge fait à la nation brésilienne à travers le mythe de la démocratie raciale[14]. En effet, ils considèrent ce discours comme purement symbolique, servant à asseoir une domination politique et n’exprimant ni un idéal poursuivi ni un fait réel. Ces débats vont permettre à la fois d’estimer l’ampleur du problème démocratique et racial mais surtout de lui offrir une visibilité, signant l’amorce d’une démythification. Une fois le « problème » identifié et mis en avant sur la scène nationale, la suite des évènements aurait assez logiquement supposé que les politiques se positionnent et interviennent dans sa « gestion ». Mais c’est justement à cette époque que le coup d’État de 1964 mettra un terme à ces réflexions.

Pour comprendre les réalités et les enjeux actuels du métissage au Brésil il est donc nécessaire de revenir sur un évènement majeur de l’histoire contemporaine du pays, il s’agit du retour à la démocratie. En 1988, l’adoption de la nouvelle constitution signe la naissance d’un État qui se veut « antiraciste », « pluriethnique » et « pluriculturel ». À la dimension « raciale » du métissage succède donc la dimension « culturelle » et c’est à partir de cette rupture conceptuelle et démocratique que commence à se poser la question des minorités.

En effet, en 1985, la dictature militaire prend fin et le retour à la démocratie se caractérise par une profonde remise en question de l’identité et de la culture nationale. C’est précisément à cette époque que le mythe de la démocratie raciale, qui avait déjà été mis à mal durant les décennies précédentes, mais dont le bricolage et le maintien furent assurés par le régime totalitaire, vole en éclats. La représentation du peuple brésilien en tant que peuple profondément métis et partageant des relations d’alliance et d’égalité ne tient plus. Le trait culturel brésilien longtemps tenu pour singulier et caractéristique d’une « intégration réussie » est désavoué. L’abandon de la doctrine assimilationniste (à présent perçue comme élitiste, autoritaire et totalisante) se double d’un processus d’affirmation des spécificités, des valeurs, des droits et de la singularité des groupes minoritaires.

Après avoir été interrompues en raison de la répression menée par la dictature, les réflexions au sein de l’Université reprennent de plus belle, donnant lieu à une production scientifique particulièrement féconde et de qualité. Celle-ci est d’ailleurs alimentée par le dialogue entre les revendications portées par les mouvements sociaux, en particulier par le Mouvement Noir qui commence à s’affirmer sur la scène nationale, et les conclusions fournies par les sociologues qui ont décidé de s’attaquer à la problématique de l’inégalité et des discriminations[15]. Du point de vue de la science, les théories multiculturalistes et postcoloniales commencent à gagner un statut propre et orientent les travaux autour de l’étude de la diversité et des minorités.

Au niveau politique, l’année 1988 va constituer un tournant décisif de la conquête démocratique avec l’adoption d’une nouvelle Constitution dans laquelle les orientations idéologiques sont clairement affirmées[16]. Les mots « race » et « racisme » apparaissent à plusieurs reprises dans le préambule intitulé « Principes fondamentaux » et toujours dans le sens de la reconnaissance et de la condamnation de leur capacité distinctive. Ainsi, l’incise IV de l’article 3 cite, parmi les objectifs fondamentaux de la République fédérative du Brésil, la promotion « du bien de tous, sans préjugé d’origine, race, sexe, couleur, âge et toutes autres formes de discrimination ». L’incise VIII de l’article 4 affirme que la République fédérative du Brésil conduit ses relations internationales dans le « rejet du terrorisme et du racisme ». Enfin, l’incise XLII de l’article 5 qualifie le racisme comme un « crime sans possibilité de liberté sous caution et imprescriptible, sujet à une peine de réclusion selon les termes de la loi ». Dans le même sens, les caractères « pluriethnique » et « pluriculturel » de l’État sont mentionnés à diverses reprises et la nouvelle constitution adopte le principe de mesures préservant les droits des populations « traditionnelles » c’est-à-dire les populations noires et indiennes. C’est ce que prévoient par exemple les articles 68 et 231, respectivement dédiés aux descendants quilombolas[17] et aux Indiens, et qui mettent l’accent sur les questions territoriales. Néanmoins, jusqu’en 1995, ces nouvelles dispositions demeureront entourées d’un profond vide juridique et surtout des moyens ou de volonté de mise en oeuvre.

Une société profondément indécise

Dès lors, il convient d’insister sur le paradoxe entre une société brésilienne idéale qui se pense (ou désire continuer à se penser) comme « métisse », soit « indifférenciée », et le récent engagement de l’État dans l’arbitrage de l’existence du racisme et des discriminations. On observe en effet le passage, somme toute assez soudain, d’un État qui entretenait le mythe de la démocratie raciale à un État qui reconnaît et dénonce l’existence d’un racisme structurel dont il porterait la responsabilité et qu’il cherche à réduire. La mise en place de politiques publiques différentialistes et les revendications identitaires vont alors se constituer autour des catégories élaborées par les juristes et les technocrates, catégories qui réifient des identités renvoyant à des origines « pures » et stigmatisantes, ceci ayant pour conséquence de nier en quelque sorte la complexité de la réalité du métissage. C’est cette incertitude qu’Arruti (2006) désigne par l’expression « soupe idéologique » (caldo ideológico) pour désigner les nouveaux assaisonnements de la recette ethnicoraciale au Brésil. Car, malgré la multiplication des études autour de la question des discriminations, du racisme et des inégalités, les revendications du Mouvement Noir brésilien et la récente inscription de ces sujets en tant que « problèmes » dans l’agenda politique, la puissance du mythe de la démocratie raciale et son caractère sacré participent à sa relative inertie.

Rappelons que les représentations du métissage au Brésil ont avant tout fait l’objet d’une « définition officielle » donnée par l’État et ont été « partiellement incorporées au sens racial commun de la population »[18] (Hasenbalg 1997 : 7). C’est cette définition qu’il est encore aujourd’hui difficile de contester sans perturber l’ordre idéalisé ou « conçu » : c’est-à-dire des ordres qui « correspondent au domaine du mythe et de la religion ». À ce propos, « on peut se demander si l’idéologie politique des sociétés contemporaines ne relève pas aussi de cette catégorie » (Lévi-Strauss 1958 : 348) ; quel est alors le sens que revêtent les changements des discours politiques et la redéfinition « officielle » de la situation nationale ?

La redéfinition « officielle » de la situation s’accompagne d’un certain nombre de réformes juridiques qui, depuis l’adoption de la nouvelle constitution, s’emparent de la problématique du métissage à travers son principal corollaire : le racisme. Dès 1988, c’est donc le droit – et notamment le droit pénal – qui va se charger d’inhiber ou du moins de contrôler le racisme par des mesures répressives qui le criminalisent[19]. Pourtant, quand on leur pose la question[20], les Brésiliens sont 90 % à se déclarer totalement dépourvus de préjugés raciaux… et tout autant à déclarer connaître des personnes racistes dans leur entourage proche. Dans ce documentaire, l’anthropologue Schwarcz déclare que la conclusion informelle de cette enquête nationale est donc que « le Brésilien croit vivre sur une île de démocratie raciale, mais entouré de toutes parts de racistes »[21]. Autrement dit, le raciste est toujours l’autre. Malgré la perspective du renforcement d’un mouvement destiné à pousser la société brésilienne à avouer ses préjugés et ses pratiques racistes, on observe la persistance d’un certain statu quo. Les discours de Paula et Luís (Gutel 2011) confirment bien cette idée :

Paula : Aujourd’hui encore, beaucoup de mes tantes disent : « Ce n’est pas un préjugé mais je n’aime pas beaucoup les Noirs ». Et moi je dis : « ça c’est pas un préjugé ? ! » On s’est toujours beaucoup moqué de tout ça : « raciste », tu sais ? Mais c’est à l’intérieur d’eux-mêmes, ils ont été élevés comme ça.

Luís : Aujourd’hui, c’est interdit d’utiliser ces deux mots [nègre et Noir] parce que c’est de la discrimination. C’est « afro-descendant » aujourd’hui. Je trouve que c’est une grande bêtise ; et si les gens t’appellent « Blanc » ? Je ne me sens pas offensé ou discriminé ; c’est une caractéristique de base !

Dans les années 1990, sous le mandat présidentiel de Fernando Henrique Cardoso le « Programme national des droits de l’homme » visant « l’implantation de politiques de compensation ayant pour but de promouvoir socialement et économiquement la communauté noire »[22] est ratifié. Les premières mesures de discriminations positives sont mises en place dans l’État de Rio de Janeiro et s’appliquent, notamment, aux campagnes d’affichage publicitaire. L’adoption de ces mesures s’accélère sous la présidence de Lula da Silva dans un contexte marqué par la troisième session du cycle de Conférences de l’Unesco à Durban en 2001 qui fait de la lutte contre le racisme une priorité internationale.

Ces nouveaux principes politiques trouveront écho dans l’adoption de mesures dites d’« inclusion » soit, par exemple, la mise en place de systèmes de quotas à caractère social, racial ou mixte[23] pour garantir la démocratisation de l’entrée à l’Université et l’accès aux emplois de la fonction publique. Si les quotas sociaux ne semblent pas soulever de grandes polémiques, les quotas raciaux en revanche ne laissent personne indifférent. Rapidement, les débats autour du principe d’adoption de quotas raciaux vont s’intensifier, trouvant pour principale concentration la violente discussion autour de l’option prise par l’Université de Brasilia, l’une des premières universités brésiliennes après celle de Rio à mettre en place un système d’accès préférentiel basé uniquement sur des critères raciaux. Entre 2003 et 2005, le monde intellectuel et politique va se diviser de plus en plus distinctement en deux camps : les « pro » et les « contre » quotas à caractère raciaux. En avril 2012, le Supremo Tribunal Fédéral[24] juge « constitutionnelles » les politiques de quotas sociaux et raciaux suite au recours d’inconstitutionnalité déposé par le DEM (Parti démocrate de centre droit). La mobilisation des différentes organisations contre le racisme reprend donc autour de projets d’applications des principes constitutionnels.

L’extrême sensibilité de ces débats nous renseigne sur le dilemme vécu par la société brésilienne. Kabengele évoque à ce titre une « polémique manichéenne […] c’est-à-dire une espèce de guerre entre le bien et le mal » (Kabengele 2011 : 44) scindant la société brésilienne en deux tendances inconciliables : ceux qui acceptent la reconnaissance des différences raciales et ceux qui les récusent. L’absence de consensus sur la définition des fondements qui rendraient légitimes l’adoption de mesures discriminatoires crée une tension dans le dialogue, et les pouvoirs publics se révèlent hésitants : s’ils posent les bases d’un nouvel ordre idéal, ils éprouvent de grandes difficultés à le réglementer et à le faire accepter comme légitime. Comment mettre en place de telles mesures qui supposent d’identifier les auteurs (collectifs) des violations des droits humains, de les rendre responsables (collectivement) et de définir quels sont les citoyens actuels devant bénéficier de ces mêmes mesures ? Comme le soulignait Hasenbalg, « l’abandon du mythe de la démocratie raciale ne pourra se faire sans heurts ni conflits mais supportera des coûts “politiques et sociaux élevés” car il suppose de renoncer à un idéal national depuis toujours fédérateur »[25] (Hasenbalg 1997 : 7).

On comprend donc mieux pourquoi le contexte actuel est extrêmement sensible : l’incertitude identitaire laissée par le fracas du mythe ainsi que la fragilité du nouvel idéal commun « antiraciste », « pluriculturel » et « pluriethnique » constituent les enjeux à partir desquels la société brésilienne doit se repenser et recréer une cohésion. Ces deux éléments se reflètent de façon très concrète aussi bien dans les discours et les pratiques de la population que dans l’analyse des hésitations gouvernementales et juridiques.

Discussion : un « multiculturalisme hybride » ?

Si le mythe de la démocratie raciale a longtemps façonné l’identité brésilienne en tant qu’idéal métis définitif et incontestable, sa récente remise en question semble aujourd’hui en empêcher tout usage ou revendication par la population qui se retrouve tiraillée entre un violent désir de continuer à se penser comme « mélangée » et la nécessité d’accompagner la mise en place des récentes politiques différentialistes. Or, il semble que la principale conséquence de ces reconfigurations idéologiques soit de raviver les tensions et les animosités nationales autour des représentations du métissage et des processus de construction identitaires au sein d’une société qui conserve dans son ensemble une organisation extrêmement hiérarchisée et racialisée.

Gustavo Lins Ribeiro, ancien président de l’Association brésilienne d’anthropologie, a écrit à ce sujet un bref article dans lequel il questionne la place attribuée aux Métis dans la société brésilienne :

On pourrait faire la provocation suivante aux anthropologues : les Métis ne constituent plus une question pour l’anthropologie brésilienne ? Sont-ils devenus une sorte de tabou toujours associé au mythe de la démocratie raciale, déjà totalement épuisé ?

Ribeiro 2005 : 229[26]

Il insiste sur l’idée de leur véritable « mise au placard », résultat du succès d’une opération « politico-idéologique » impulsée par le mouvement noir et inspirée des États-Unis dans laquelle les catégories pardas[27] et noires (pretas) ont été fusionnées. L’auteur introduit alors l’idée maîtresse de son article, celle d’un « multiculturalisme hybride » en considérant que la situation brésilienne est une expérience singulière de modèle de relations raciales au sein d’un « triangle noir » situé dans l’Atlantique :

Quel est ce multiculturalisme brésilien ? Existe-t-il des entités comparables ? J’ai cherché à expliquer ce dilemme en proposant, pour l’Amérique Latine, un « multiculturalisme hybride », un multiculturalisme qui critique des usages politiques en relation aux discours sur le métissage et la(es) démocratie(s) raciale(s) et reconnaît en même temps sa spécificité : les particularités des relations inter-ethniques dans un continent qui n’a pas honte d’être hybride.

Ribeiro 2005 : 231

Il est en effet particulièrement intéressant de se pencher sur le sort des Métis dans le débat actuel car cette analyse nous fournit cette information capitale : alors que plusieurs études soulignent l’élasticité des normes somatiques[28] – c’est-à-dire l’existence au Brésil d’un système dynamique au sein duquel les catégories raciales ainsi que les identités ethniques sont quotidiennement manipulées et négociées en fonction de repères historiques et idéologiques – il n’apparaît, dans la perspective actuelle, aucune place ni pour l’indécision, ni pour l’ambiguïté.