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Dans sa définition traditionnelle, la socialisation politique renvoie à la transmission de compétences politiques, à savoir les connaissances, les préférences et les pratiques nécessaires à l’exercice du « métier » de citoyen. Les nombreux travaux relatifs à ce processus examinent plusieurs de ces dimensions. La première concerne la définition des valeurs, des normes et des compétences politiques sur lesquelles repose la socialisation et renvoie à une conception de la citoyenneté et de l’agir citoyen. Cette définition est plus ou moins extensive : soit juridique, c’est-à-dire centrée sur les droits et les devoirs résultant du statut de citoyen, soit civique, c’est-à-dire prenant en compte d’autres dimensions comme l’engagement ou le vivre-ensemble. Il s’agit alors de repérer ce à quoi est socialisé l’individu et dans quelles perspectives, mais aussi de s’intéresser aux définitions ordinaires de la citoyenneté, à savoir celles qui sont sous-jacentes aux pratiques individuelles (Leca, 1986 ; Duchesne, 1997 ; Schnapper, 2000 ; Westheiner et Kahne, 2004 ; Talpin, 2006). La deuxième dimension se concentre sur les agents de la socialisation, c’est-à-dire les individus, les collectifs, les institutions et les dispositifs qui participent à ce processus. Si pendant longtemps l’attention s’est focalisée sur la famille comme matrice de socialisation primaire (Percheron, 1974, 1985 et 1993 ; Niemi et Hepburn, 1995 ; Tournier, 2010), d’autres contributions relevant de la socialisation secondaire ont été progressivement prises en compte, le plus souvent pour en situer les effets par rapport à la socialisation familiale initiale. L’école tout d’abord (Percheron, 1993), mais aussi les différentes organisations fréquentées, les groupes de pairs, les médias ou encore les événements (Sears et Valentino, 1997 ; Gaxie, 2002 ; Ihl, 2002), sont considérés comme des agents de socialisation dont les contributions s’agrègent, transforment, voire remettent en cause les héritages familiaux, invitant à une approche intégrée et longitudinale de la construction de la citoyenneté (Joignant, 1997 ; Muxel, 2010). La troisième dimension, enfin, concerne le processus en tant que tel. Deux modèles opposés de socialisation ont ainsi été progressivement mis en évidence : un modèle de l’inculcation reposant sur une logique transmissive où l’individu serait principalement récepteur et un modèle de l’accommodation, s’y opposant, où l’individu jouerait un rôle actif dans ce processus (Joignant, 1997 ; Gaxie, 2002 ; Percheron, 2003 ; Maurer, 2004). En cela, la socialisation politique apparaît comme un processus complexe dont les tenants et aboutissants méritent d’être interrogés, qu’il s’agisse des normes véhiculées, des agencements et des effets des éléments susceptibles d’y contribuer, des temporalités à l’oeuvre, etc.

Le présent article propose d’examiner le rôle du service civil volontaire dans la socialisation politique des jeunes Français. Ce dispositif public est particulièrement intéressant à étudier non seulement parce qu’il conduit à examiner les trois dimensions précitées, mais aussi parce qu’il permet d’analyser l’éventuelle contribution à l’acquisition de compétences politiques d’un dispositif d’incitation à l’engagement. Ce second aspect mérite une attention particulière compte tenu de l’accroissement et de la diversification des interventions publiques en matière de citoyenneté des jeunes. S’il est fréquent à ce sujet de faire référence à l’éducation civique mise en oeuvre par l’école, qui constitue une des modalités les plus anciennes et sans cesse actualisée de l’action publique dans ce domaine, d’autres outils sont mobilisés et valorisés, en France et au-delà (Niemi et Hepburn, 1995 ; Bîrzéa, Kerre et Mikkelsen, 2005 ; Fournier et Hudon, 2012). Les « politiques de citoyenneté » dans les secteurs de l’éducation et de la jeunesse poursuivent la plupart du temps une visée éducative dont les principes, les objectifs et les effets en matière de socialisation politique ne sont pas toujours explicités et mesurés (Becquet, 2012). Le service civil volontaire est typique de ces dispositifs qui énoncent des normes civiques et des contributions à leur acquisition sans nécessairement les analyser.

Le service civil volontaire est une des mesures annoncées par le président de la République Jacques Chirac au moment des émeutes urbaines de l’automne 2005. Ces émeutes apparaissent comme les plus importantes qu’ait connues la France depuis de nombreuses années. Leur durée (du 27 octobre au 17 novembre 2005), leur ampleur (près de 300 communes touchées sur l’ensemble du territoire métropolitain et plus de 10 000 agents des forces de l’ordre mobilisés), leurs conséquences (peu de blessés graves mais des destructions de biens publics et privés et de nombreuses arrestations et condamnations) et le recours à l’état d’urgence à partir du 8 novembre 2005 en ont fait un événement sans précédent (Lagrange et Oberti, 2006 ; Le Goaziou et Mucchielli, 2006 ; Mauger, 2006 ; Kokoreff, 2008). Créé dans un contexte de crise, le service civil volontaire est présenté comme une innovation permettant de répondre à la situation des jeunes des zones urbaines sensibles. Si, techniquement, il s’agit d’un label qui agrège des dispositifs publics déjà existants mettant ainsi sur le même plan les volontariats civils[1], les contrats de volontariat[2] et des dispositifs d’insertion[3], symboliquement, il mobilise des références qui lui attribuent d’emblée des fonctions spécifiques. En effet, l’usage de la notion de « service » fait directement écho à l’ancien service national, supprimé en 1997 et auquel étaient prêtées des fonctions d’intégration sociale et politique. Bien que leur effectivité ait été discutée, voire remise en cause (Lecomte, 2000), la construction politique du service civil autour d’un symbole renvoyant au lien entre les citoyens et l’État-nation apparaît particulièrement efficace dans le contexte où cette décision est prise. Le service civil est présenté dans le discours gouvernemental comme un moyen de remédier à l’exclusion sociale et politique de ces jeunes en leur offrant la possibilité de faire l’expérience d’un engagement citoyen, mais aussi comme un moyen d’établir ou de rétablir des comportements conformes à l’ordre social. Le service civil est ouvert à l’ensemble des jeunes Français ; ses objectifs et son organisation traduisent cette double approche[4]. Il est structuré autour de logiques de formation (modules de préparation du projet professionnel et de formation aux valeurs civiques) et d’action (réalisation de missions d’intérêt général[5]). L’affichage d’une vocation civique amène à s’interroger sur l’éventuelle contribution de ce dispositif à la socialisation politique des jeunes. Elle reposerait sur une éducation à la citoyenneté, renvoyant aux principes traditionnels de l’action de l’État sur les individus, tout en sollicitant la participation des individus et, par conséquent, un travail sur leurs propres représentations et pratiques civiques dans la perspective d’un ajustement volontaire à des normes civiques[6].

L’examen de l’expérience des jeunes effectuant un service civil volontaire au sein de l’association Unis-Cité permet d’interroger cette contribution et, par là même, la fonction d’agent de socialisation que pourrait remplir ce dispositif. L’association Unis-Cité a développé depuis sa création en 1994 un programme de service qui comporte certaines spécificités. Mobilisés en équipes composées de huit ou quatre jeunes, les volontaires interviennent au sein d’associations partenaires d’Unis-Cité pour y réaliser différents projets[7]. Bien avant la mise en place du service civil volontaire, cette association affichait comme objectif de « développer la citoyenneté active »[8] des jeunes. Ainsi, tant du côté du dispositif institutionnel que de la structure d’accueil des volontaires, les objectifs et les contenus dessinent un cadre d’engagement apparemment propice à l’acquisition de compétences mobilisables dans le champ politique et à la construction des comportements s’y référant, et de ce fait inscrivent les volontaires dans un processus de socialisation politique. Pour tenter de le vérifier, les données issues d’une enquête quantitative réalisée auprès des volontaires seront mobilisées. Chaque année, depuis 2006, une enquête quantitative longitudinale est menée auprès de l’ensemble des volontaires[9]. Elle comporte trois phases complémentaires. Au début du service, un premier questionnaire est distribué aux volontaires par les salariés d’Unis-Cité afin de connaître leur profil, leurs motifs d’engagement, leurs expériences citoyennes et professionnelles antérieures et leur perception des effets éventuels du service sur plusieurs dimensions. À la fin du service, les volontaires complètent un deuxième questionnaire portant sur leur expérience, sur les bénéfices retirés et sur leurs projets pour l’année à venir. Un dernier questionnaire leur est adressé six mois après leur service par voie électronique, dans le but de connaître leur situation et de les interroger à nouveau sur les effets de cette expérience. Les réponses aux questionnaires de début et de fin de service apportent un certain nombre d’éléments sur la contribution de cette expérience à la socialisation politique des volontaires. Les données 2008-2009 présentées ici concernent les répondants au premier et au deuxième questionnaires, soit 569 individus sur les 799 qui avaient répondu au premier questionnaire[10]. Il convient de noter qu’il existe une importante stabilité dans les réponses des volontaires depuis 2006 (Becquet, 2011), mais que, pour des raisons de clarté, le choix s’est porté sur une seule promotion.

Dans un premier temps, le présent article s’intéressera à l’expérience politique des volontaires avant le début du service, afin de baliser le point de départ à partir duquel s’opère cette socialisation. Cette balise n’est qu’indicative car elle repose sur une vision nécessairement incomplète des processus de socialisation politique antérieurs. Néanmoins, ces éléments, mis en perspective avec des données plus générales sur l’expérience politique des jeunes, offrent la possibilité de caractériser les pratiques des volontaires. Dans un deuxième temps, il s’agira de présenter les matrices de socialisation politique que contient ce cadre d’engagement. En effet, l’affirmation d’objectifs de formation citoyenne ne suffit pas à valider la fonction d’agence de socialisation du service civil. Il convient de repérer les situations et les mécanismes concrètement vécus par les volontaires. Enfin, il s’agira de mesurer la contribution de cette expérience à la socialisation politique et de préciser le rôle du service civil volontaire dans ce processus.

Avant le service civil volontaire : une expérience politique contrastée

Les volontaires, âgés de 18 à 25 ans, détiennent des compétences et témoignent d’un rapport au politique qui résulte à la fois d’héritages familiaux et d’expériences individuelles et collectives. Ces dimensions sont en partie abordées dans le premier questionnaire par une série de questions traditionnellement utilisées pour les étudier. Elles permettent d’analyser l’expérience des volontaires et de la resituer dans un continuum plus général en comparant les résultats obtenus avec ceux des principales enquêtes sur les jeunes (Muxel, 2001, 2007 et 2010 ; Becquet, 2009 ; Roudet, 2010, 2011). Cette comparaison est particulièrement instructive compte tenu des caractéristiques sociales des volontaires. En effet, se donnant, entre autres, pour objectif de contribuer à la construction d’une « société d’individus respectueux des différences », l’association Unis-Cité promeut et met en oeuvre, par le biais de campagnes d’information et de critères de sélection privilégiant la motivation sur les qualifications et les compétences, un recrutement socialement mixte. Cette politique introduit une certaine hétérogénéité sociale au sein des promotions de volontaires (Becquet, 2011). Ainsi, si les jeunes recrutés ne peuvent pas être considérés comme étant représentatifs des jeunes Français, ils proviennent de milieux sociaux plus diversifiés que les bénévoles, les militants ou les volontaires, qui se distinguent généralement par une origine sociale et un niveau de qualification plutôt élevés (Becquet, 2004 ; Prouteau et Wolff, 2004 ; Agrikoliansky et Sommier, 2005 ; Becquet et Cohen, 2007 ; Cohen, 2008 ; Bosselut, 2009 ; Roudet, 2010). La typologie réalisée à partir des variables descriptives, telles que le sexe, l’âge, le diplôme, l’activité avant le service civil volontaire, le revenu mensuel, le type d’habitation et la profession du père, permet de distinguer trois profils de volontaires. Le premier (n = 159), les « jeunes précaires », regroupe principalement des jeunes hommes, de niveau infra-baccalauréat, qui étaient, avant leur service, en recherche d’emploi ou d’orientation. Ce sont des jeunes qui proviennent plutôt de milieux populaires et qui souvent vivent dans des grands ensembles urbains. Le deuxième (n = 182), les « futures professionnelles du social », est avant tout composé de jeunes femmes, âgées de 18 à 20 ans. L’année précédant leur service, elles étaient scolarisées (lycéennes ou étudiantes) et sont titulaires d’un baccalauréat. Elles sont davantage issues de classes moyennes ou supérieures. Enfin, le troisième (n = 228), les « diplômés de l’enseignement supérieur », réunit des volontaires plus âgés, entre 21 et 25 ans, qui ont obtenu une licence ou un master et qui effectuent un service à la fin de leurs études supérieures. Les femmes y sont plus nombreuses que les hommes. Ainsi se côtoient des jeunes aux situations sociales plutôt hétérogènes et on remarque des contrastes relativement importants entre des jeunes non titulaires du baccalauréat et précaires, d’un côté, et des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur, de l’autre. Les premiers sont généralement sous-représentés dans les collectifs d’engagement par rapport aux seconds. Cette mixité construite par l’association rend l’examen de la socialisation politique particulièrement intéressant parce qu’il permet, d’une part, de se pencher sur le cas des jeunes considérés comme étant plus éloignés de la politique et de l’engagement (Muxel, 2010) et, d’autre part, de comparer des populations aux expériences a priori différentes. Les résultats du questionnaire administré au début du service civil permettent d’analyser quatre dimensions : le rapport aux institutions, le comportement électoral, la participation protestataire et la participation à des projets collectifs et à des organisations[11].

Des niveaux de confiance variés envers les institutions

Le rapport aux institutions, mesuré par un degré de connaissance et de confiance, informe sur la manière dont les jeunes perçoivent les « différents pôles de pouvoir et de décision » de la société et s’y orientent (Bréchon, 2001 ; Muxel, 2001 : 125). Ce rapport témoigne plus globalement de la légitimité accordée aux institutions et d’un niveau d’intégration politique. Il peut également orienter le comportement électoral et la participation à des organisations collectives. Le score de connaissance générale des institutions[12] montre une connaissance plutôt forte (57 %) ou moyenne (39 %) du rôle et du fonctionnement des principales institutions qui organisent le système politique français. Néanmoins, le niveau de connaissance varie entre les institutions. Si le rôle du président de la République (80 %), du gouvernement (69 %) ou de l’Assemblée nationale (57 %) est connu, celui des collectivités locales, comme le conseil régional ou général (42 %), du Sénat (37 %) et des institutions européennes (21 %), l’est par une proportion moindre de volontaires. L’appréhension de l’environnement institutionnel ne débouche pas nécessairement sur une confiance forte dans ces mêmes institutions. En effet, les volontaires ont une confiance plutôt moyenne, même faible, en la majorité des institutions proposées dans le questionnaire. Parmi les institutions publiques nationales, ils n’accordent pas la même confiance aux institutions politiques et législatives. Les premières sont plus fréquemment disqualifiées que les secondes : 67 % ont une confiance faible dans le président de la République et 54 % dans le gouvernement, contre 40 % dans l’Assemblée nationale et 42 % dans le Sénat. Cette différence tient probablement à une lecture politique de la question posée, mais aussi à une plus forte exposition médiatique du président de la République et des ministres. Les volontaires étant plutôt positionnés à gauche, ils portent un regard plus négatif sur la présidence et le gouvernement, car ils les associent à des personnalités alors de droite. Quant aux niveaux local et européen, 44 % ont une confiance moyenne dans le maire de leur commune et 41 % dans les institutions européennes. Des contrastes similaires apparaissent concernant les organisations collectives. Alors que les volontaires expriment une défiance envers les partis politiques (2 % de confiance élevée) et les syndicats (17 % de confiance élevée), ils adoptent un point de vue opposé au sujet des associations (70 % de confiance élevée). Leur engagement dans un service civil qui se déroule au sein d’associations explique probablement un tel niveau de confiance, et ce, dans les deux sens. Les volontaires légitiment a priori l’espace au sein duquel ils vont agir au cours des mois qui suivent. Mais c’est peut-être aussi parce qu’ils font confiance aux associations qu’ils ont choisi d’inscrire leur action dans ce type de structures. Bien que les données sur la confiance dans les institutions varient d’une enquête à l’autre, rendant difficile la comparaison, les volontaires ont plutôt des opinions proches des jeunes en général. Le plus intéressant concerne leur position à l’égard des partis politiques, des syndicats et des associations, car elle reflète un rapport à l’exercice de la citoyenneté. Les associations sont en effet considérées comme des « concrétiseurs de l’action » (Fondation de France, 2007) et correspondent à l’articulation entre morale humanitaire et efficacité gestionnaire décrite par Anne Muxel (2010) au sujet des valeurs des jeunes.

La position des volontaires à l’égard des partis politiques se retrouve en partie dans leur comportement politique. Ils ont été interrogés sur leur participation à l’élection présidentielle de 2007 et à l’élection municipale de 2008 et il s’avère que leur taux de participation est supérieur à celui des jeunes âgés de 18 à 24 ans : il est de 91 % à l’élection présidentielle contre 83 % chez les 18-24 ans[13], et de 67 % à l’élection municipale contre 46 % chez les 18-24 ans[14]. Les volontaires considèrent le vote plus comme un devoir citoyen (45 %) ou un droit (19 %), ce qui traduit une vision relativement normative de cet acte, que comme un mode d’intervention politique, seuls 13 % le définissant comme une « manière d’agir sur le monde ». Cette position fait écho à l’attachement à cette pratique dont fait part Muxel (2007 : 146) au sujet des jeunes. Le droit de vote n’est pas contesté, mais il n’est pas pour autant considéré comme un canal d’expression et d’action. Son efficacité politique est plus fréquemment remise en cause chez les volontaires abstentionnistes qui traduisent en acte leurs doutes à ce sujet. En tenant compte de leur inscription sur les listes électorales et de leur participation à deux scrutins, il est possible d’établir un score de participation politique : 58 % des volontaires sont des « votants » et 23 % des « intermittents », les premiers ayant participé aux deux scrutins et les seconds à un seul. Quant aux autres, soit ils sont abstentionnites (inscrits mais non-votants), soit ils sont distants, se déclarant non inscrits sur les listes électorales (13 %). Tout comme les jeunes Français, mais dans une proportion inférieure, les volontaires éprouvent des difficultés à se positionner politiquement. Si 58 % d’entre eux se situent sur l’axe gauche-droite principalement à gauche (56 %), les autres expriment leur incertitude. Soit ils se déclarent « ni de gauche, ni de droite » (11 %), soit ils refusent de se positionner (19 %) ou déclarent ne pas savoir (12 %)[15]. Le refus de se positionner peut être interprété comme une volonté de ne pas révéler ses opinions politiques ou comme une absence d’affiliation partisane. Les volontaires « positionnés » ont tendance à être moins abstentionnistes que les volontaires « non positionnés ». Par exemple, pour l’élection présidentielle de 2007, le taux de participation des premiers est de 93 %, contre 85 % chez ceux qui refusent de se positionner ou déclarent ne pas savoir. Ainsi, à l’instar des jeunes, les volontaires légitiment le vote, qu’ils perçoivent comme un devoir, se mobilisent inégalement pour les élections et ne parviennent pas toujours à se situer sur l’axe gauche-droite. À ce sujet, ils se distinguent entre eux avec, d’un côté, des volontaires positionnés à gauche et votants et, de l’autre, des volontaires plutôt non positionnés et plus fréquemment abstentionnistes.

Des pratiques protestataires et associatives élevées

Se repèrent également dans les pratiques une tendance de plus en plus présente chez les jeunes générations, à savoir le recours à la protestation pour exprimer leur point de vue (Becquet, 2009 ; Muxel, 2010). La majorité des volontaires ont déjà protesté : 46 % d’entre eux déclarent avoir déjà expérimenté de quatre à six formes protestataires et 42 % deux ou trois[16]. L’intensité de leurs pratiques les distingue des jeunes : par exemple, 85 % déclarent avoir déjà manifesté contre 48 % des 18-29 ans et 89 % avoir déjà signé une pétition contre 64 % des 18-29 ans (Roudet, 2010). Aux questions concernant leur expérience d’engagement antérieure au service civil, soit l’exercice d’une fonction de délégué des élèves au cours de leur scolarité, soit la participation à un projet collectif scolaire ou extrascolaire ou à une association, 21 % des volontaires ont un score d’engagement fort, ce qui signifie qu’ils ont cumulé plusieurs investissements scolaires et extrascolaires avant leur service, et 44 % ont un score moyen, ce qui signifie qu’ils ont été impliqués à plusieurs reprises, mais de manière moins intense et suivie. Finalement, seuls 15 % des volontaires n’ont aucune expérience antérieure. L’absence de données ne permet pas une comparaison avec la population juvénile en général. Seule la participation associative peut être comparée. L’année précédant leur service, 28 % des volontaires étaient à la fois adhérent et bénévole, 15 % étaient uniquement adhérent à une association, 11 % uniquement bénévole. Si leur taux d’adhésion est proche de celui des jeunes, leur activité bénévole est plus importante, 23 % des 18-29 ans déclarant une activité bénévole en 2008 (Roudet, 2011). Quant au type d’association, les volontaires, tout comme les autres jeunes, fréquentent plutôt des associations sportives et culturelles. En revanche, ils citent nettement plus fréquemment les associations de solidarité ou à but humanitaire et les associations locales (Becquet, 2004 ; Roudet, 2011).

Des différences liées aux profils sociaux identifiés

S’il est possible de décrire les grandes tendances de l’expérience politique des volontaires avant leur service, il convient également d’être attentif aux différences au sein de cette population. En effet, comme indiqué précédemment, le recrutement introduit une diversité qu’illustrent les trois profils sociaux repérés. Or, les travaux sur l’expérience politique des jeunes soulignent l’effet de certaines variables sociales sur les comportements politiques de la population juvénile. L’hypothèse que ces effets se retrouvent chez les volontaires mérite d’être examinée. De plus, réfléchir sur les processus de socialisation politique suppose de préciser à partir de quelles bornes celle-ci s’opère. L’examen des comportements politiques des trois profils identifiés auparavant fait apparaître de nettes différences[17]. Ainsi, les « jeunes précaires » se distinguent par une forte distance du monde politique et une faible expérience d’engagement. Ces volontaires ne sont pas inscrits sur les listes électorales ou, lorsqu’ils le sont, n’ont pas voté à l’élection présidentielle de 2007 ni à l’élection municipale de 2008. D’une manière générale, ils refusent de se positionner et certains parmi eux qualifient le vote de « corvée ». Quant à l’expérience d’engagement ou l’expérience protestataire, elle est faible ou nulle. Cet éloignement de la scène politique et cette absence de participation font écho aux constats de Muxel (2010). C’est le cumul entre faiblesse du niveau de qualification et précarité professionnelle qui induit une distanciation des enjeux collectifs et une défiance à l’égard du politique. Les deux autres groupes se différencient du premier par leur attitude plus positive à l’égard de la chose publique. D’un côté, se trouvent les « futures professionnelles du social » qui, au regard de leur âge, ont une expérience d’engagement dense. De plus, elles votent régulièrement et considèrent cet acte comme « un droit » ou « un devoir citoyen ». Par conséquent, elles se situent à l’opposé du groupe précédent, leur intégration politique étant plutôt élevée. De l’autre, se trouvent les « diplômés de l’enseignement supérieur » qui ont en commun avec le groupe précédent un fort capital d’expérience. Ce qui les en distingue est leur rapport au vote, plus distancié. S’ils estiment que le vote est plutôt « une manière d’agir sur le monde » ou « une responsabilité », leur positionnement politique n’est pas tranché et leur pratique électorale est plutôt intermittente. Ce profil est très proche de celui des jeunes qui ont le plus de diplômes : à la fois très intégrés politiquement et ayant « un rapport au vote moins assuré et plus intermittent » (Muxel, 2010 : 131). Cet écart entre les volontaires peut laisser supposer que la contribution du service à la socialisation politique sera plus importante chez les volontaires les plus éloignés de la politique ou les moins expérimentés que chez les autres. Or, interrogés sur l’influence éventuelle du service sur leur orientation politique, leur connaissance des institutions et leur compréhension des phénomènes sociaux, ces volontaires éprouvent, au début de leur service, davantage de difficultés à évaluer les bénéfices qu’ils peuvent en retirer, alors que les volontaires aguerris les perçoivent nettement. Leur distanciation à l’égard des institutions et du politique conduit en fait les premiers à être plus dubitatifs quant aux effets du service civil volontaire sur cette dimension.

Le service civil volontaire comme matrice de socialisation politique

Avant de s’intéresser à la contribution de l’expérience volontaire à la construction des dispositions politiques, il est nécessaire de préciser le cadre dans lequel elle se déroule et, en particulier, les dimensions liées au politique. Trois peuvent être repérées : les deux premières, la formation aux valeurs civiques et les missions d’intérêt général, sont inhérentes à l’organisation du service civil volontaire[18] et font l’objet d’une adaptation par Unis-Cité ; la troisième concerne l’organisation privilégiée par l’association, à savoir la constitution d’équipes de volontaires. Ces dimensions peuvent être considérées comme des matrices de socialisation dans le sens où elles se présentent comme des dispositifs de production des individus qui peuvent générer des ajustements et des désajustements cognitifs et pratiques associés à un décalage plus ou moins important entre les univers sociaux des volontaires et les expériences proposées au cours du service civil (Lahire, 1998). Chacune de ces matrices comporte une logique propre, voire renvoie à des normes citoyennes différentes, dont l’agencement dessine les contours d’« une architecture normative » (Cantelli et Genard, 2007).

La formation aux valeurs civiques renvoie à la fonction politique attribuée au service civil volontaire : « le Président de la République a décidé la création d’un service civil volontaire, parce que la cohésion sociale de notre pays passe par la transmission des valeurs de la République à la jeunesse, et le renforcement de l’égalité des chances entre les citoyens[19] ». Cette fonction fait directement écho à celle antérieurement attribuée au service national obligatoire qui était, entre autres, considéré comme un rite d’accès à la citoyenneté des jeunes hommes, mais aussi à celle généralement attribuée à l’institution scolaire par l’intermédiaire de l’instruction civique. Deux aspects sont mis en avant dans la Charte du service civil volontaire : « une connaissance des principes et des valeurs, des institutions et des lois qui fondent et organisent la République française » et « la compréhension des règles de la vie en collectivité »[20]. Dans cette perspective, l’objectif est d’accroître l’intégration politique des jeunes, la socialisation étant appréhendée comme « une adaptation des individus à un système donné » (Maurer, 2004). Bref, il s’agit d’un travail de mise en conformité des individus à travers la légitimation et l’inculcation de connaissances et de comportements normés. D’ailleurs, le fait d’avoir utilisé la notion de « valeurs civiques » et non de citoyenneté n’est pas anodin. Cette expression renvoie à la dimension morale de la citoyenneté, le citoyen devant avoir des qualités morales (Leca, 1986), et, de manière sous-jacente, au contexte d’émeutes urbaines dans lequel a été mis en place le service civil volontaire. Il apparaissait important aux yeux du législateur d’insister sur les valeurs, le civisme et la vie en collectivité. Cette approche de la formation ne se traduit pas pour autant par l’adoption d’un modèle transmissif. L’âge des volontaires le rend difficile et la comparaison avec l’école irait probablement à l’encontre des objectifs poursuivis. Ainsi, une pédagogie active est largement encouragée par les textes[21] : « La formation ne peut en aucun cas se limiter à la remise de documents écrits : elle est nécessairement interactive et doit favoriser la participation active du jeune » ou « la démarche pédagogique qui doit être retenue est celle de la formation-action, qui est une modalité de formation qui permet via le traitement d’un cas concret, une appropriation des compétences visées ». La valorisation de cette méthode met en lumière le fait que le processus de mise en conformité des individus suppose une appropriation des normes : « elle a pour objectif d’accroître le pouvoir d’intervention de chacun sur les situations dans lesquelles il est engagé et de développer des compétences nouvelles. Ce qui doit être recherché, c’est la capacité des jeunes à analyser des situations, à résoudre des problèmes concrets, à formaliser les compétences implicites produites dans l’action et à les transformer en savoir-faire et savoir-être[22]. » La formation aux valeurs civiques repose sur deux approches – la transmission et la participation – qui ne mobilisent pas les mêmes logiques cognitives et pratiques. De plus, elle n’apparaît pas vraiment tenir compte des conceptions ordinaires de la citoyenneté résultant des expériences antérieures des volontaires. Le contenu de la formation aux valeurs civiques, tel qu’il est énoncé, présuppose une ignorance et une absence d’expérience ou de réflexion de leur part, alors que les données issues de l’enquête mettent en évidence que ce n’est pas le cas.

Si les textes tentent de définir cette formation, ils laissent également aux organisations une certaine latitude[23]. Par conséquent, il existe des différences entre les structures qui accueillent les volontaires, chacune en faisant une traduction en fonction de son projet associatif et de ses ressources. Dans le cas de l’association Unis-Cité, l’intérêt pour la dimension citoyenne est antérieur à la création du service civil volontaire. Bien que les formats et les contenus aient évolué, il existe une tradition de formation qui s’appuie sur les principes et les objectifs de l’association. Le but d’Unis-Cité est de former des citoyens à la fois intégrés et actifs : « Une société d’individus responsables et solidaires, conscients de leur propre rôle dans la construction de la société de demain, aux côtés des associations, des acteurs publics et des entreprises. Une société d’individus respectueux des différences et capables de les intégrer comme une richesse[24]. » Les termes mobilisés diffèrent de ceux utilisés par le législateur, la notion de respect des différences remplaçant celle d’intégration républicaine pour désigner la vie en collectivité. Unis-Cité insiste également sur la nécessité d’une méthode active, prenant en compte le vécu des jeunes : « des temps de réflexion et d’échanges, afin de permettre aux volontaires de mieux appréhender leur propre ‘citoyenneté’, et de faire le lien entre les enjeux de société, les actions et le travail d’équipe qu’ils vivent sur le terrain[25] ». Il en résulte des contenus de formation qui répondent aux exigences du service civil volontaire et intègrent l’approche de l’association.

Le contenu des modules de « Formation citoyenne » peut varier d’une région à l’autre en raison des différences entre les projets menés par les volontaires, des ressources et des partenaires locaux qui interviennent dans les formations. Par exemple, les objectifs et le contenu du module « Citoyenneté et connaissance des institutions » s’inscrivent dans cette logique : d’un côté, il est fait référence à la transmission de connaissances sur les institutions et à l’exercice de la citoyenneté et, de l’autre, est déclinée l’approche d’Unis-Cité, à savoir la nécessité de travailler sur les représentations et les préjugés.

Tableau 1

Exemple de contenu de formation : module « Citoyenneté et connaissance des institutions »

Exemple de contenu de formation : module « Citoyenneté et connaissance des institutions »
Source : Unis-Cité, document interne

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Dans ce module, l’apprentissage de la citoyenneté est appréhendé sur un mode réflexif. L’appropriation des normes ne passe pas majoritairement par la transmission de connaissances, mais par un travail sur les représentations sociales et sur leur inscription dans la vie quotidienne. La citoyenneté n’est pas abstraite, mais située. Il y a également chez Unis-Cité des modules directement articulés autour des principes défendus par l’association. C’est par exemple le cas du module « Respect de la diversité et lutte contre les discriminations », dont les objectifs sont : « valoriser la diversité à laquelle sont confrontés les volontaires » ; « les sensibiliser à l’importance et à la nécessité de la lutte contre les discriminations » ; « leur permettre de réfléchir sur leur propre comportement » ; et « développer leur esprit critique face aux préjugés ».

L’activité des volontaires, à savoir la réalisation de « missions d’intérêt général », constitue la deuxième matrice de socialisation. Chez Unis-Cité, les volontaires effectuent plusieurs projets au cours de l’année et découvrent ainsi plusieurs types d’associations. La qualité et le déroulement de ces projets jouent un rôle important dans la réussite du service civil volontaire. Ces projets, du fait de leur thématique et de leur contenu, peuvent être considérés comme contribuant à la socialisation politique des volontaires. En effet, l’activité militante ou volontaire est fréquemment associée à des rétributions cognitives, matérielles, sociales ou symboliques (Gaxie, 1977). Il en résulte des « savoirs militants » (Willemez, 2007) qui participent à la formation des dispositions politiques, voire plus globalement d’un « capital militant » (Matonti et Poupeau, 2004). Cependant, le lien entre activité et formation n’est pas systématique et dépend de nombreux paramètres. Nonna Mayer rappelle par exemple que s’il existe une corrélation entre un engagement et une politisation élevée, il est difficile de préciser l’origine de la politisation observée chez les adhérents associatifs, c’est-à-dire si elle « est l’effet ou la cause de la participation associative, si celle-ci conduit les adhérents à s’intéresser à la politique ou s’ils étaient déjà politisés avant d’adhérer » (2003 : 393). Johanna Siméant fait preuve de la même prudence au sujet des activités humanitaires : « évoquer en amont des socialisations susceptibles de structurer des rapports au politique ne dit rien de leur activation, de leur transformation et plus encore de l’effet propre de l’exercice d’activités humanitaires » (2003 : 177). Bref, ni le fait d’adhérer, ni le secteur d’activité n’auraient a priori d’effets politiques, car des mécanismes propres à l’activité associative pourraient interférer et en limiter l’émergence. C’est ce que pointent Nina Eliasoph (1998, 2011) et Camille Hamidi (2006, 2010) lorsqu’elles soulignent que le fonctionnement des associations, mais aussi la nécessité pour les bénévoles d’agir concrètement et d’atteindre leurs objectifs, peuvent conduire à mettre de côté les dimensions politiques de l’action. Ainsi, s’il peut sembler au premier abord que la réalisation de missions d’intérêt général dans des associations contribue à la socialisation politique des volontaires, d’autres paramètres liés à leur réalisation peuvent en limiter l’effectivité. Par conséquent, il importe de les prendre en compte tout en faisant preuve de prudence quant au rôle qu’elles peuvent jouer.

La dernière matrice de socialisation est la vie d’équipe, qui est un contexte d’interactions construit par l’association. Depuis sa création, Unis-Cité a opté pour un modèle relativement original, à savoir la réalisation des projets en équipe, alors que la majorité des associations qui accueillent des volontaires leur proposent des missions individuelles. Les équipes de quatre ou huit volontaires sont composées de jeunes issus d’horizons différents. Ainsi, les trois profils décrits précédemment s’y côtoient. Les volontaires perçoivent cette diversité. Les résultats du questionnaire administré à la fin du service montrent que 63 % d’entre eux estiment que les membres de leur équipe étaient différents d’eux et 25 % très différents[26]. Ce sont principalement les « différences de parcours personnel » qui retiennent leur attention (37 %), suivies des « différences culturelles » (17 %), des « différences de niveau scolaire » (16 %) et des « différences de motivations pour l’engagement volontaire » (14 %)[27]. Ces différences, qui ne sont pas considérées comme négatives par les volontaires, ont un effet considérable sur le fonctionnement de l’équipe. Elles génèrent des échanges entre des jeunes aux origines, aux représentations et aux préoccupations sociales hétérogènes, mais aussi des conflits le plus souvent imputés aux « traits de personnalité » et à « l’implication de la personne dans la réalisation du projet ». Ainsi, la vie d’équipe est traversée par des discussions qui portent le plus souvent sur l’organisation du travail volontaire, mais aussi sur les missions réalisées et les publics fréquentés, ces deux derniers aspects pouvant déboucher sur la publicisation d’opinions politiques et, par conséquent, sur la construction de celles des membres de l’équipe. Cependant, tout comme pour les activités, les analyses invitent à demeurer prudent. Si la discussion est considérée comme constitutive du lien politique et comme une contribution à la politisation, la réalité des interactions sociales et des contextes d’énonciation, qu’il s’agisse de la sociabilité volontaire ou suscitée, peut aussi en orienter les effets (Weatherford, 1982 ; Huckfeldt, 1984 ; Huckfeldt, Plutzer et Sprague, 1993 ; Talpin, 2006). La discussion peut par exemple être perçue comme une pratique sociale risquée pouvant déboucher sur des niveaux et des formes d’implications individuelles diverses, les uns souhaitant faire part de leur point de vue, les autres s’y sentant enrôlés (Duchesne et Haegel, 2004). Dans le cas des associations étudiées par Eliasoph (1998, 2011) et Hamidi (2006, 2010), ces discussions ont plutôt tendance à être mises à l’écart, afin de protéger la sociabilité associative et l’unité du groupe. En cela, la vie d’équipe comme forme d’organisation de l’activité volontaire et la composition des équipes créent des conditions d’interaction qui sont a priori propices à la construction des dispositions politiques, mais qui portent aussi en elles les ingrédients d’un « évitement du politique » (Eliasoph, 1998).

Des représentations et des comportements modifiés à la marge

Si le service civil volontaire agit effectivement, au regard de ses objectifs et de son contenu, comme une matrice de socialisation politique, les résultats du questionnaire rempli par les volontaires au terme de leur engagement devraient mettre en évidence des renforcements ou des modifications d’opinions et d’attitudes relatifs aux différentes dimensions préalablement examinées. Le niveau d’intégration politique des volontaires devrait globalement avoir augmenté et, au regard des trois profils décrits, les jeunes les plus distanciés au départ devraient en toute probabilité l’être moins. Pour mesurer ces changements, les volontaires ont répondu à des questions similaires à celles du premier questionnaire et ont été interrogés sur l’influence du service sur leurs compétences, leurs pratiques et leurs velléités d’engagement. Plusieurs remarques générales peuvent être faites.

Concernant la première dimension, le rapport aux institutions, la comparaison entre les connaissances de départ et les connaissances d’arrivée met en évidence une progression inégalement importante d’une institution à l’autre. D’une manière générale, la progression des connaissances est plutôt moyenne ou faible. Elle n’est importante que pour deux institutions et pour une proportion relative de volontaires : 32 % de ces derniers estiment nettement mieux connaître le rôle des institutions européennes et 28 % le rôle des conseils général et régional. Pour les autres institutions, la progression est jugée faible : 68 % pour la présidence de la République, 67 % pour le Sénat et 63 % pour l’Assemblée nationale, par exemple. Par conséquent, dans le cas des institutions dont le rôle était peu connu au départ, une amélioration se constate. Pour les autres, l’apport n’est pas absent, mais relatif.

Tableau 2

Progression de la connaissance dans les institutions

Progression de la connaissance dans les institutions

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Cette amélioration des connaissances ne se traduit pas nécessairement par une augmentation de la confiance dans ces mêmes institutions. D’emblée, la proportion de volontaires ne souhaitant pas donner leur avis sur le sujet a nettement augmenté, y compris ceux qui au départ avaient un avis. En dehors des associations, cela concerne environ un tiers d’entre eux. Pour les autres, les réponses mettent plutôt en évidence une stagnation ou une diminution de la confiance. Une partie des volontaires a ainsi moins confiance dans le président de la République (38 %), les partis politiques (31 %) et le gouvernement (30 %). Ce résultat est à mettre en perspective avec le positionnement politique des volontaires (plutôt de gauche), mais aussi avec l’échéance électorale de 2009 (élections européennes) qui a pu avoir un effet sur leur appréciation des partis politiques. Au final, seules les associations voient leur image s’améliorer, alors que celle-ci était déjà très positive au début du service. De plus, alors que, dans la perspective de la socialisation politique, l’hypothèse d’un lien entre accroissement de la connaissance et augmentation de la confiance peut être formulée, ce lien n’est pas nécessairement avéré. En s’intéressant au lien entre connaissance et confiance au sujet de quatre institutions (le gouvernement, l’Assemblée nationale, le Sénat et les institutions européennes), les résultats mettent en évidence que, quelle que soit la progression de la connaissance, elle est plutôt associée à une stagnation de la confiance. Lorsqu’elle est faible ou absente, les volontaires affirment également ne pas avoir d’avis sur la confiance qu’ils ont dans l’institution concernée. Par conséquent, dans le cas de ces quatre institutions, le lien n’est pas établi. Il ressort qu’il ne suffit donc pas de mieux maîtriser un fonctionnement institutionnel pour en avoir une représentation plus positive.

Tableau 3

Évolution de la confiance dans les institutions

Évolution de la confiance dans les institutions

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Concernant la deuxième dimension, la participation politique, 59 % des volontaires estiment que le module de formation citoyenne n’a pas eu d’influence sur leurs orientations politiques, résultat qui entérine la représentation qu’ils en avaient déjà au début de leur service. Leur positionnement politique n’a d’ailleurs que peu évolué. S’il n’est pas étonnant que les volontaires « positionnés » le restent, ceux ne se positionnant pas politiquement au début de leur service ou refusant de le faire auraient pu changer d’opinion. Or, seuls une quarantaine d’entre eux se déclarent désormais positionnés à gauche ou à droite, ce qui représente une faible proportion de l’échantillon (moins de 10 %). En revanche, plus de volontaires ont voté à l’élection européenne de juin 2009 que de jeunes Français : 48 % contre 30 % des 18-24 ans. Il est possible que le contexte du service et un effet d’entraînement collectif en soient à l’origine. Il reste que, globalement, le service civil n’a pas amélioré le rapport des jeunes au monde politique ; il a plutôt maintenu ou renforcé la distance. Ainsi, par rapport au début de leur service, leur confiance dans les partis politiques a stagné (40 %) ou diminué (31 %). Les volontaires n’auraient donc pas opéré de « recodage subjectif » de leurs activités, ne les labellisant pas comme des pratiques qui relèvent du champ politique (Lagroye, 2003 ; Hamidi, 2006), alors que les missions réalisées et les bénéficiaires côtoyés renvoient, entre autres, à des débats sur les rôles respectifs de l’État et de la société civile et à des valeurs situées politiquement.

La troisième dimension concerne les velléités d’engagement dans le secteur associatif. Il semble que ce soit sur cette dimension que l’effet du service soit le plus important. En effet, 86 % des volontaires estiment qu’il a une influence forte sur leur connaissance de la vie associative et 68 % sur leur envie d’agir. Cette influence est un peu moins élevée chez les volontaires qui pensaient au début de leur service qu’il n’en aurait pas, mais pour la moitié d’entre eux, elle est réelle. Ainsi, le fait d’avoir effectué son service civil au sein d’une association et, dans ce cadre, d’avoir réalisé des projets, a clairement contribué à améliorer la connaissance de ce secteur et au désir de continuer à s’y investir. À ce sujet, les volontaires ont été interrogés sur les liens qu’ils souhaitent ou non maintenir avec les structures qu’ils ont fréquentées au cours des mois précédents et sur leur envie d’y adhérer ou d’y devenir bénévole. Ils ont l’intention de se tenir informés des activités des associations rencontrées (46 %) et 17 %[28] d’entre eux souhaitent y devenir bénévole. Au-delà des associations fréquentées, les volontaires expriment une intention forte d’adhérer à une association (61 %) et de devenir bénévole (71 %). Ainsi, si les associations fréquentées leur ont permis de découvrir ce secteur et d’y agir, ce n’est pas toujours en leur sein que les volontaires envisagent d’inscrire leurs engagements futurs. Cette prise de distance n’est pas nécessairement négative. Elle peut tout autant renvoyer aux types de structures au sein desquelles les volontaires interviennent, aux projets réalisés, ou encore traduire une volonté de différencier leurs expériences en choisissant un autre espace d’engagement. Les secteurs au sein desquels les volontaires souhaitent s’investir sont d’ailleurs relativement proches de ceux côtoyés au cours de leur service. Ceux de la solidarité de proximité et de l’humanitaire sont cités par 50 % des volontaires et ceux de l’animation locale et de la défense de l’environnement par près de 20 %. Le service a clairement permis une ouverture à d’autres secteurs que ceux antérieurement fréquentés par les jeunes. En tenant compte des expériences antérieures, les résultats montrent que les volontaires qui fréquentaient une association avant leur service s’inscrivent dans une continuité de pratiques : 92 % des volontaires qui étaient bénévole et 86 % des volontaires qui étaient adhérent et bénévole souhaitent l’être à nouveau. Si, dans leur cas, leur carrière d’engagement se poursuit, dans le cas des volontaires qui n’avaient pas d’activité associative avant leur service, elle semble prendre une nouvelle direction : 78 % souhaitent désormais devenir bénévole dans une association. Pour ces volontaires, le service civil a eu un réel effet sur leur rapport à l’engagement.

Tableau 4

Souhait de devenir bénévole à la fin du service civil en fonction de l’activité associative avant le service civil

Souhait de devenir bénévole à la fin du service civil en fonction de l’activité associative avant le service civil

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Au regard de ces résultats, il est possible de conclure que la socialisation politique est faible : les représentations et les comportements des volontaires n’ont globalement pas changé. Si des déplacements pouvant avoir des effets sur les comportements à venir se repèrent, ils restent ciblés et concernent une partie des volontaires. Premièrement, si la confiance dans les institutions n’augmente pas proportionnellement à leur connaissance, les réponses des volontaires mettent en évidence une intensification des jugements critiques. Or, la formation du jugement relève de la socialisation politique. En revanche, ce résultat peut ne pas correspondre aux souhaits du législateur qui s’attend plutôt à une hausse de la confiance dans les institutions qu’il associe à une meilleure intégration politique, alors que, dans le cas présent, il s’agit plutôt d’une intégration politique critique. Deuxièmement, au sujet des missions réalisées, des publics côtoyés, mais aussi du travail en équipe, les volontaires ont expérimenté à temps plein pendant une période de six à neuf mois des modes d’intervention et de collaboration qu’ils ne connaissaient pas nécessairement et qui étaient la plupart du temps en décalage avec leur univers social de référence. Cette activité légitime le principe de l’action collective, comme en témoigne l’expression de velléités d’engagement. Ces changements montrent que la socialisation politique ne s’opère pas nécessairement là où elle est la plus attendue. Elle concerne le rapport à l’engagement en écho à l’expérience vécue plus que le rapport aux institutions à l’égard desquelles la distance déjà notée au début du service civil se perpétue. De plus, ces contributions ciblées ne se repèrent pas chez l’ensemble des volontaires. L’hypothèse d’une socialisation politique plus forte chez les volontaires les moins intégrés politiquement n’est pas globalement vérifiée. Les réponses des « jeunes précaires » témoignent plutôt d’une absence de changement, les items négatifs restant prépondérants dans leurs réponses. Si le service civil ne semble pas avoir d’effet sur leurs opinions et leurs comportements politiques, ceux-ci s’étant plutôt abstenus à l’élection européenne de 2009, il ne semble pas non plus avoir globalement accru leur volonté de s’engager dans une association. Ils sont en effet plus nombreux à répondre par la négative aux questions sur l’envie d’adhérer ou d’être bénévole. Cette absence de changement se repère également au sujet des « diplômés de l’enseignement supérieur », mais, à la différence des précédents, ils exprimaient au début de leur service des opinions politiques et étaient plutôt votants et engagés. Dans leur cas, le service civil ne semble ni avoir remis en cause ni accentué leur rapport à la politique et à l’engagement. Ils restent positionnés politiquement, ont voté en 2009 et ne se démarquent pas quant à leur éventuelle participation associative. En revanche, le dernier groupe, les « futures professionnelles du social », ont renforcé des pratiques déjà existantes. Au-delà du fait qu’elles restent positionnées et ont voté en 2009, elles considèrent que le service civil a eu une influence sur leur connaissance de la vie associative et leur envie d’agir et déclarent vouloir conserver des liens avec les associations fréquentées et devenir membre d’une association.

Les effets respectifs des trois matrices de socialisation

Si la comparaison entre les réponses des volontaires au début et à la fin du service mettent en évidence une contribution globalement faible de ce dispositif public à la socialisation politique, il apparaît intéressant pour achever cette analyse de revenir aux trois matrices de socialisation qui le constituent : la formation aux valeurs civiques, les projets et la vie d’équipe. Les questionnaires n’ayant pas uniquement comme objectif de mesurer leurs effets respectifs, les données en limitent l’évaluation. Concernant la formation aux valeurs civiques, les volontaires ont été interrogés quant à son influence sur plusieurs dimensions[29]. L’influence la plus faible imputée à ce module concerne les orientations politiques (10 % d’influence) et l’envie d’aller voter (19 %). Ainsi, la construction des préférences politiques apparaît plutôt déconnectée de l’expérience volontaire. À l’opposé, l’influence la plus forte concerne la connaissance de la vie associative (86 % d’influence), ce qui renvoie au contenu des formations, mais aussi au fait que les volontaires les fréquentent quotidiennement. Entre ces deux pôles, apparaissent les réponses renvoyant à la connaissance des institutions (65 % d’influence) et des faits sociaux (70 %), la perception des attitudes discriminantes (60 %) et la compréhension du monde (56 %). Sur ces sujets, les volontaires estiment qu’ils ont progressé. Par conséquent, le module de formation permet de transmettre des connaissances, ce qui est un de ses objectifs, mais ne va pas nécessairement jusqu’à modifier des comportements, voire des représentations, en ce qui concerne la confiance dans les institutions.

Quant aux projets réalisés par les volontaires, leur rôle effectif dans la socialisation politique est difficile à évaluer. Dans le second questionnaire, ils étaient interrogés sur leur satisfaction à l’égard des projets. En croisant cette question avec celles portant sur les velléités d’engagement, les résultats montrent que la satisfaction à l’égard des projets a un effet sur la perception qu’ont les volontaires de l’influence du service civil sur leur envie d’agir après le service et sur les liens qu’ils souhaitent maintenir avec les associations. Par exemple, 91 % des volontaires très satisfaits et 84 % des volontaires assez satisfaits souhaitent continuer une activité bénévole. Ainsi, la qualité des projets réalisés joue sur les dispositions à s’engager car elle participe à la construction de représentations positives de la vie associative et de la possibilité d’y agir.

La dernière matrice repérée est la vie d’équipe. L’enquête met en évidence que, au cours de leur service, les volontaires discutent d’actualité et de politique avec les membres de leur équipe. D’un côté, 38 % des volontaires déclarent avoir discuté souvent d’actualité et 53 % en avoir discuté quelquefois et, de l’autre, 16 % des volontaires déclarent avoir discuté souvent de politique et 44 % quelquefois. L’intensité des discussions est proportionnelle à la qualité de l’intégration dans l’équipe et varie en fonction du niveau de diplôme, les « jeunes précaires » y participant nettement moins que les deux autres groupes. Le fait que les volontaires parlent plus souvent d’actualité que de politique témoigne de leur distance du monde politique, mais aussi d’une certaine hésitation à exprimer publiquement leurs opinions politiques. Il convient de ne pas minimiser l’intérêt des discussions sur l’actualité car elles renvoient à des questions sociales qui sont le plus souvent directement en lien avec les projets réalisés. Cet « évitement du politique » est une manière de protéger les liens entre des volontaires qui se côtoient quotidiennement et qui doivent, au sein de leur équipe, faire face à des conflits pratiques portant sur la réalisation des projets. La sociabilité entre les membres varie d’une équipe à l’autre, mais elle est déterminante pour son fonctionnement et, plus globalement, pour le bon déroulement du service civil.

Ces quelques éléments sur les matrices de socialisation vont dans le même sens que les résultats sur les effets du service civil sur la socialisation politique des volontaires. La déconnexion de la politique partisane apparaît clairement, tout comme, à l’inverse, la connexion avec la découverte du monde associatif et des phénomènes sociaux qui sous-tendent les projets réalisés par les volontaires au cours de leur service.

Conclusion

Au terme de cette analyse, la contribution du service civil volontaire à la socialisation politique des jeunes apparaît relativement diffuse, voire globalement faible. Sur les plans de ses objectifs et de son contenu, ce dispositif public se présente clairement comme un agent de socialisation politique. Il offre en effet une formation aux valeurs civiques, dont le contenu est relativement proche de l’éducation civique proposée par l’institution scolaire, mais dont les méthodes diffèrent, et un cadre d’engagement, dont le contenu dépend directement des missions proposées par l’association qui accueille les volontaires ainsi que de l’organisation de leur travail. Ces deux éléments ne contribuent pas de façon identique à l’acquisition de compétences citoyennes et ne répondent pas toujours aux attentes du législateur. Il convient de retenir deux éléments principaux. Premièrement, le service civil volontaire a un effet sur l’intégration politique des jeunes. Il renforce la connaissance des institutions et améliore la compréhension des faits sociaux. Cependant, il ne génère pas nécessairement une adhésion à l’ordre politique existant. La confiance dans les institutions reste très relative et le rapport au champ politique plutôt distancié. Ainsi, les volontaires sont davantage au fait de phénomènes sociaux, économiques et politiques et acquièrent un regard critique, ce qui constitue une compétence politique indispensable à l’exercice du « métier » de citoyen. Deuxièmement, le service civil volontaire a un effet sur la perception de l’intérêt et de l’utilité de l’action collective, qui se remarque encore plus chez les jeunes qui ne s’étaient jamais engagés avant leur service. Toutefois, seules les associations en bénéficient, les partis politiques et les syndicats restant des organisations qui suscitent encore de la méfiance. Ainsi, le service civil volontaire produit un vivier de jeunes bénévoles qui, s’ils trouvent un espace d’engagement approprié, passeront à l’acte. Ces éléments montrent que, si un dispositif public se donne pour objectif de participer à la socialisation politique des jeunes, sa contribution effective varie en fonction des socialisations politiques antérieures qui ont déjà construit des représentations et des pratiques. De plus, cette socialisation ne s’opère pas nécessairement dans le sens postulé par le législateur. Cet éventuel renversement pose une question souvent peu abordée par les décideurs au moment de la conception de dispositifs publics touchant à la citoyenneté : à quelle conception du citoyen est-il adossé ? Que ce soit en matière de normes de citoyenneté ou d’effets présupposés du cadre d’engagement proposé, la visée de formation du citoyen dont sont porteurs ces dispositifs est plus affirmée qu’explicitée. Si les résultats de l’enquête permettent de soulever la question de la contribution de l’action publique à la socialisation politique des jeunes, ils comportent également des limites inhérentes aux données disponibles qui appellent une certaine prudence. D’une part, l’enquête ne comportait pas de population contrôle et, d’autre part, elle n’effectuait pas un repérage et une analyse des expériences de socialisation politique vécues parallèlement au service civil. Par conséquent, les résultats permettent d’interroger une contribution plus qu’un effet propre du service civil. De plus, il n’existe pas d’enquête portant sur le service civil volontaire en général et, par conséquent, pas de données sur les autres associations qui accueillent des volontaires. Il est donc délicat de généraliser les constats dressés au sujet du cas d’Unis-Cité à l’ensemble du dispositif. Cependant, compte tenu des choix politiques et pédagogiques de cette association, il est fort possible que, dans d’autres associations où l’accueil des volontaires est plus individualisé et où le projet de formation civique est moins ancré, la socialisation politique des volontaires soit moindre.