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Rares sont les historiennes et historiens québécois qui ignoraient les incessantes démarches de l’éditeur français, Vincent Barbare, et de son amie québécoise, Louise Beaudoin. Celle-ci lui avait fait rencontré à peu près tout ce qui bouge en histoire au Québec. Je fus de ceux-là évidemment. Cette recherche m’amusait. Elle me ramenait à l’époque où j’étais à l’emploi du Centre éducatif et culturel. J’y avais fait la connaissance de Serge Martiano, exceptionnel gestionnaire qui m’a beaucoup appris. Un jour à la foire de Francfort, alors que je venais de créer les éditions Septentrion, il me faisait valoir ses succès avec First Editions. Il n’avait pas de livres à me montrer, car il ne venait pas à Francfort pour vendre des droits mais pour en acheter. Il me confia un secret : Il avait un oeil sur une collection américaine d’ouvrages informatiques « for dummies ».

Il acheta la licence et entreprit de produire un premier titre avec Jean-Joseph Julaud, Le français correct pour les nuls. Chez First Edition (sans accent aigu !) ! Vous vous rendez compte !

Le succès fut immédiat. Tellement que Julaud se laissa convaincre de produire Une Histoire de France pour les nuls. Martiano lui-même était dépassé par le succès et accepta les millions que valait soudainement sa maison d’édition.

Vincent Barbare ne s’était pas trompé. La formule valait son pesant d’or. Au-delà du succès commercial, il y avait un merveilleux moyen d’éducation populaire. C’est évidemment ce qui animait Louise Beaudoin et qui a finalement convaincu Éric Bédard lequel a accepté de lier son nom à une Histoire du Québec pour les nuls.

La formule a fait ses preuves et Bédard s’y est soumis. L’approche est chronologique. La matière a été divisée en 25 chapitres. Longtemps, l’histoire du Québec a été présentée en trois parties à peu près égales : Régime français (1534-1760), Régime britannique (1760-1867) et de la Confédération à nos jours.

Éric Bédard a choisi d’imposer un découpage qui favorise la troisième partie, soit plus de 50 % de la matière. C’est d’ailleurs la période qu’il maîtrise le mieux si on y associe les années qui précèdent la Confédération et qui correspondent à sa thèse de doctorat devenue  Les Réformistes : une génération canadienne-française au milieu du XIXe siècle (Boréal, 2009).

La première partie appelée « La Nouvelle-France » présente une honnête synthèse tout à fait classique, si ce n’est que l’auteur la termine en 1754. Pourtant rien n’est joué avant 1763. Le sort de la Nouvelle-France ne s’est jamais décidé en Amérique, ni en 1729 à la suite de la capitulation de Québec, ni à la chute de Louisbourg en 1745 ni même en 1760 avec la capitulation de Montréal. Ce survol correspond exactement au quart du volume et ne réserve pas de surprises. Certains auraient souhaité un développement un plus important sur le rôle des femmes et en particulier sur les filles du roi. L’auteur dit l’essentiel tout en insistant, à juste titre, sur leur contribution à l’implantation de la langue française. Il croit nécessaire d’écrire :  « Contrairement à ce qu’on longtemps cru, elles n’étaient pas des prostituées. » On a jadis fait un jeu de mots facile avec « filles du roi » et « filles de joie » – Gustave Lanctôt en fait le titre d’un livre – mais il y a longtemps que cette question est réglée. Ce qu’on connaît moins c’est le poids de cette génération de femmes sur la formation du caractère canadien.

D’autres trouveront que les Autochtones ne sont pas suffisamment présents. Évidemment, ils sont là au début et même victimes du méchant Jacques Cartier ; ils sont à la Grande Paix de Montréal en 1701, mais le rôle d’un Kondiaronk aurait pu être souligné. Ici et là, il est question d’épidémies, peut-être pas assez d’ailleurs, étant entendu que la pire faucheuse reste la variole et non la vérole, comme le mentionne, certes par distraction, l’auteur en page 53. La vérole, ou syphilis, est une des rares maladies à avoir été transmises aux Européens par les premiers habitants des Amériques. L’auteur néglige le poids des alliances franco-indiennes. En fait, il nous entretient de la guerre de Sept Ans et non de la French and Indian War. Pierre Pouchot ou William Johnson sont des acteurs oubliés tout comme le massacre de William-Henry qui, sous sa plume, devient la victoire de William-Henry. Je suis de ceux qui croient que cet incident a contribué à mobiliser l’opinion publique des Treize Colonies. Elle fut un tournant dans la guerre.

Pour rester sur la même question, l’auteur omet les articles qui concernent les Autochtones dans la capitulation de Montréal, ignore la rencontre de Caughnawaga de septembre 1760 et plus étonnant encore il ne fait aucune allusion aux aspects de la Proclamation royale de 1763 qui concernent les Autochtones. Exit la magna carta qu’applaudissent certains juristes.

À la défense de l’auteur, il faut reconnaître que la question autochtone suscite de l’intérêt depuis peu. À l’occasion d’une réédition, on peut s’attendre à ce que la mobilisation des Autochtones contre le livre blanc de Trudeau de 1969, laquelle conduit à celle de 1981 contre le rapatriement de la constitution, trouve sa place dans son exposé. Après tout, elle mène à l’introduction, dans la loi constitutionnelle de 1982, d’une nouvelle notion des droits ancestraux et du respect de ceux issus des traités. Par ailleurs, il souligne la reconnaissance des nations autochtones du Québec par René Lévesque en 1985 ou le blocage par un député autochtone du Manitoba, Elijah Harper, qui était d’ailleurs parmi les activistes de 1981. Également la crise d’Oka retient son attention. Comme quoi l’auteur n’a pas totalement ignoré le dossier autochtone.

Dans l’ensemble, la synthèse d’Éric Bédard est solide. On lui reprochera parfois son découpage chronologique, ainsi le peu d’importance accordée à l’Acte d’Union de 1840. Ce sont des choix qui se défendent. On peut dire la même chose de plusieurs titres et sous-titres. Ils sont souvent pittoresques et imagés. En l’absence d’un index thématique, je suis de ceux qui auraient toutefois préféré des titres descriptifs. Je me demande d’ailleurs si la préparation d’un index thématique n’aurait pas eu l’effet d’une sonnette d’alarme sur certaines questions en plus d’être fort utile aux lecteurs.

Un livre comme cette Histoire du Québec pour les nuls est un ouvrage qui connaîtra plusieurs rééditions. Il le mérite et le public en a besoin. L’éditeur devra accepter de le remettre vingt fois sur le métier. Éric Bédard a relevé un défi que plusieurs de ses confrères ont écarté, il tient la matière de base pour une remarquable synthèse. Chapeau ! C’est également ce qu’exprime Jacques Lacoursière dans sa préface.