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Introduction

La motivation apporte un double éclairage sur l’action humaine : d’une part, elle est le résultat d’une construction psychologique débutée dans l’enfance et qui continue tout au long de l’existence ; d’autre part, elle représente un facteur explicatif profond de la mobilisation de l’individu autour de buts plus ou moins explicites.

Dans ce cadre, la motivation entrepreneuriale doit se comprendre comme l’expression d’une attitude particulière, résultat de la rencontre entre l’image que se font les individus d’eux-mêmes et leurs besoins d’accomplissement, d’autonomie, de créativité, de confiance en soi (locus of control, LOC) et de prise de risques (Cromie, 2000). La motivation entrepreneuriale s’explique par un parcours personnel au cours duquel les besoins tendent à être satisfaits.

L’approche conceptuelle de la motivation entrepreneuriale prend racine à la fois dans les développements importants des théories de la motivation que partagent aujourd’hui les psychologues et les gestionnaires (Kark et Van Dick, 2007 ; Birley et Westhead, 1994 ; Brockhaus, 1982 ; McClelland, 1961), mais aussi dans les travaux consacrés aux origines de l’acte d’entreprendre (Baron, 2008 ; Baron et Ward, 2004 ; Boyd et Vozikis, 1994 ; Learned, 1992 ; Gartner, 1988 ; Carland, Hoy et Carland, 1988 ; Shapero, 1975, 1984). De véritables approches transdisciplinaires voient le jour et proposent des modèles explicatifs de la motivation entrepreneuriale (Man, Lau et Chan, 2008 ; Steel et König, 2006 ; Schindehutte, Morris et Allen, 2006 ; Naffziger, Hornsby et Kuratko, 1994).

L’évaluation de la motivation entrepreneuriale, comprise comme une attitude soumise à des contingences objectives et subjectives, est utile à plusieurs titres. D’une part, il s’agit d’étudier les besoins et leurs diversités à la source de la motivation. Par exemple, si l’on constate une différence entre secteurs économiques ou entre régions quant aux besoins à l’origine de la motivation, on peut s’interroger sur les moyens à mettre en oeuvre pour favoriser la satisfaction d’un besoin plutôt qu’un autre. D’autre part, certains éléments de contingence peuvent exercer une pression sur la motivation de telle sorte que cette dernière joue un rôle plus ou moins fort dans l’acte d’entreprendre.

La motivation entrepreneuriale se situe en amont de la logique entrepreneuriale. Arocéna et al. (1983) considèrent « la création d’entreprise comme la mise en mouvement d’acteurs sociaux dans un contexte particulier, global ou local » (p. 43). Ils identifient « trois pôles constituant un système d’action provoquant l’apparition ou la disparition du projet de création » (p. 61). Le poids des pôles personnel, relationnel et professionnel n’est pas constant et l’analyse des situations particulières des créateurs permet d’établir une typologie de logiques d’action entrepreneuriale.

S’appuyant sur les travaux fondateurs d’Arocéna et al. (1983), Bruyat (1993) propose quatre types de logiques d’action du créateur : imitation, innovation-aventure, reproduction et innovation-valorisation. La typologie est reprise par Bruyat et Julien en 2001. Cette catégorisation conduit à s’interroger sur les liens entre la motivation et les projets des créateurs. Par exemple, un important besoin d’accomplissement pousse-t-il davantage un entrepreneur à innover ou à reproduire un modèle d’affaires (Verstraete et Jouison-Laffitte, 2009) déjà éprouvé ? On encore, le besoin d’autonomie est-il davantage lié à un projet risqué ou à une logique d’imitation ?

Les objectifs de la recherche se déclinent en plusieurs points. Premièrement, il s’agit d’établir les besoins à l’origine de l’attitude de motivation entrepreneuriale. La motivation entrepreneuriale s’explique par un parcours personnel au cours duquel les besoins tendent à être satisfaits. On cherche donc si ces besoins se retrouvent dans un contexte de création d’entreprise. Un second objectif poursuivi par la recherche est la découverte des antécédents de la motivation entrepreneuriale. Deux facteurs principaux sont étudiés : la perception de l’entrepreneur que ses actions conduiront à des résultats et que ceux-ci atteindront, voire dépasseront ses attentes. Enfin, on s’intéresse aux liens entre les besoins explicatifs de la motivation et les logiques d’action dans lesquelles les entrepreneurs peuvent s’orienter. On tente de repérer des chemins de causalité entre les antécédents de la motivation, les besoins à la source de cette attitude et les logiques entrepreneuriales dans lesquelles les individus se situent (imitation, innovation-aventure, reproduction et innovation-valorisation).

Ces objectifs permettent de formuler notre problématique générale : Quels sont les besoins et leur intensité à l’origine de la création d’entreprise, et dans quelle mesure la motivation entrepreneuriale influence-t-elle les projets des entrepreneurs ?

Les contributions de cette recherche se veulent à la fois théoriques, méthodologiques et managériales. D’un point de vue théorique, l’objet de cette recherche est de faire émerger les ressorts de la motivation entrepreneuriale et de repérer les logiques d’action des créateurs d’entreprise. Nous relevons les liens entre les besoins et les logiques d’action (imitation, innovation-aventure, reproduction et innovation-valorisation) et nous comparons nos résultats avec les études menées précédemment.

Sur le plan méthodologique, le cadre d’analyse s’appuie sur une mesure originale de la motivation entrepreneuriale. Nous nous sommes inspirés des travaux de Caird (2006) qui propose un questionnaire (GET2) recouvrant cinq principales dimensions : accomplissement, autonomie, contrôle, risque et créativité. La mesure GET fait l’objet d’une analyse confirmatoire. Soulignons au passage que les autres instruments d’appréciation des besoins (Brockhaus et Horwitz, 1986 ; Koh, 1996 ; etc.) n’ont pas été validés sur des échantillons multiples. Notre étude constitue un pas supplémentaire vers la validation d’une échelle de mesure de la motivation entrepreneuriale. Les travaux de Caird (1991, 2006) permettent de disposer d’un questionnaire qui a pour principale vocation de mettre au jour les besoins à l’origine de la création d’entreprise. Outre les analyses menées par cet auteur, Cromie, Callaghan et Jansen (1992) utilisent le questionnaire GET afin d’apprécier les attitudes des cadres-entrepreneurs par rapport aux cadres-gestionnaires (échantillon de 194 personnes). Menée à partir d’un échantillon de porteurs de projets, notre analyse permet d’apporter un éclairage complémentaire sur cet instrument.

Enfin, les implications pratiques de l’étude apparaissent nombreuses. D’abord, connaître les origines motivationnelles d’une logique d’action permet d’orienter les aides publiques ou privées vers des profils cibles d’entrepreneurs. Par exemple, une pépinière spécialisée dans l’innovation peut sélectionner ses candidats à l’accompagnement de façon plus précise en évaluant leur motivation. Ensuite, lors d’une transmission ou d’une reprise d’entreprise, les défis internes et externes à relever sont souvent différents d’un projet à l’autre. Une entreprise peut avoir besoin de changements radicaux ou, au contraire, d’une certaine continuité. Connaître les liens entre la motivation entrepreneuriale et les logiques d’action conduit à une meilleure adéquation homme/projet (ou femme/projet). Enfin, au sein même d’une entreprise, le choix de l’intrapreneur (ou responsable de projet) peut être facilité par une compréhension de sa motivation dans le cadre d’une stratégie d’organisation, laquelle peut apparaître sous la forme d’une logique d’action (imitation, innovation-aventure, reproduction et innovation-valorisation). Les contributions managériales s’articulent autour de l’identification des besoins à l’origine d’une motivation spécifique menant l’entrepreneur vers une catégorie particulière de projets.

À partir des questionnaires à l’attention de chefs d’entreprise nouvellement installés, nous proposons d’évaluer les ressorts de la motivation entrepreneuriale (besoins et intensités de ces derniers), ses antécédents, et de repérer les logiques d’action du créateur. Cette étude s’appuie sur un cadre théorique issu de recherches sur la motivation et l’entrepreneuriat. Nous nous inspirons plus particulièrement de modèles tentant d’appréhender la motivation entrepreneuriale, que nous complétons à l’aide d’une typologie de logiques d’action des créateurs. Une série de relations de causalité est retenue puis testée. L’analyse permet de tirer un ensemble de conclusions sur la motivation entrepreneuriale.

1. Le cadre d’analyse de la recherche

Le cadre d’analyse s’appuie sur une définition précise de la motivation, sur l’identification d’antécédents motivationnels liés aux perceptions des entrepreneurs et sur les logiques d’action du créateur.

1.1. La motivation entrepreneuriale

En nous inspirant de l’approche de la motivation de Louart (1997), nous définissons la motivation entrepreneuriale de la façon suivante : elle traduit les liens entre l’activation de l’énergie interne et son orientation vers la création d’une entreprise. Elle est le résultat de déterminants personnels et environnementaux plus ou moins conscients. Elle mobilise le sujet vers la création d’une entreprise, dont le contour se construit à partir de représentations et des enjeux qu’il y voit pour lui-même. L’individu agit selon des directions qu’on peut interpréter de façon causale ou projective. L’énergie interne prend sa source dans l’existence de besoins non satisfaits.

Les besoins sont donc à l’origine de la motivation, et la recherche de leur satisfaction entraîne l’individu dans l’action, cette dernière prenant la forme de la création d’une entreprise.

Soulignons qu’au sein des théories de la motivation, l’identification des besoins est l’approche la plus communément citée parmi les recherches sur le contenu de la motivation, en particulier avec l’apparition du besoin d’accomplissement comme principal facteur explicatif de la motivation. D’autres facteurs ont été étudiés comme le besoin de contrôle, d’autonomie, de création, la propension à la prise de risques, la tolérance à l’ambiguïté et l’estime de soi. À la suite des premières recherches (McClelland, 1961 ; Fineman, 1977 ; Gartner, 1985), Birley et Westhead (1994) mènent une étude empirique importante pour tenter d’établir les besoins des créateurs d’entreprises britanniques. Ils retiennent trois principaux facteurs : « need for approval », « need for independance » et « need for personal development ». L’entrepreneur tente de combler son besoin d’être reconnu à travers les avantages financiers et affectifs que son entreprise peut lui apporter (image que peut lui renvoyer son entourage). Créer une entreprise est également un moyen de mieux contrôler son environnement et de maîtriser une plus grande partie de son temps (besoin d’indépendance). Enfin, le besoin de développement personnel se trouve satisfait par les multiples situations que rencontre l’entrepreneur et qui lui permettent d’exprimer son imagination et sa capacité d’innovation.

Complétant les théories liées aux besoins et précisant notre définition, les approches comportementales et cognitivistes considèrent la création d’une organisation comme un événement contextuel, le résultat d’influences multiples (Shapero, 1975, 1984 ; Krueger, 1993). L’entrepreneur est un élément d’un processus complexe de la création d’une nouvelle entité (Learned, 1992). L’organisation est conçue en tant que premier niveau d’analyse, et l’individu est perçu sur le plan des activités à mener afin qu’émerge l’organisation (Gartner, 1985). Les caractéristiques personnelles de l’entrepreneur sont inféodées à ses comportements. Les recherches sur l’entrepreneur sont orientées vers ce qu’il fait et non sur ce qu’il est. Boyd et Vozikis (1994) intègrent les apports sociocognitifs de Bandura (1977), le modèle du comportement planifié d’Ajzen (1991) et de Krueger (1993). Ils proposent un modèle recouvrant une combinaison de facteurs personnels et contextuels qui prédisposent les individus à avoir l’intention de créer une entreprise (expériences, traits de personnalité, etc.) (Emin, 2003). Les éléments de contingence sont les variables sociales, économiques et politiques.

Les travaux de Man, Lau et Chan (2002 et 2008) s’articulent autour d’une approche comportementaliste qui s’intéresse plus au processus entrepreneurial qu’à son contenu. La recherche s’organise autour de l’identification des compétences de l’entrepreneur et des liens entre ce dernier et la création, la survie et le développement de l’entreprise. Schindehutte, Morris et Allen (2006) s’intéressent au contexte entrepreneurial et étudient plus précisément le processus de création d’entreprise. La recherche est originale, car elle introduit des éléments contextuels peu étudiés (peak experience, peak performanceand flow). Les résultats indiquent que les variables de perception et d’émotion jouent un rôle important dans le processus entrepreneurial. Les auteurs établissent un lien entre les motivations des entrepreneurs et les chances de succès. Ainsi, dans un contexte très dynamique (peak experience), une motivation avec un besoin d’accomplissement à son origine peut-elle être particulièrement adaptée pour répondre aux défis qui se présentent (Shane, Locke et Collins, 2003).

Cherchant à dépasser les conceptions souvent isolées de la motivation, les psychologues commencent à proposer des approches qui ont pour ambition d’unifier les théories. Steel et König (2006) introduisent une approche originale de la motivation, sans s’intéresser à l’entrepreneur comme tel. Cette recherche approfondie indique le caractère central du besoin dans l’explication des sources de la motivation. Les auteurs présentent une nouvelle théorie de la motivation qui se veut une synthèse des approches développées au cours des dernières décennies. La Temporal Motivational Theory (TMT) s’organise autour de quatre composantes clés des théories de la motivation : la valeur, les attentes (Bandura, 1997 ; Carver et Scheier, 2002), le temps (Ainslie, 1992) et les perceptions en termes de bénéfices et de pertes. Reprenant la Cumulative Prospect Theory, les auteurs indiquent que la valeur représente le degré de satisfaction associé à un résultat que l’on pense réalisable. L’intérêt pour un évènement dépend de la situation et des différences individuelles. Un résultat peut satisfaire des besoins de façons différentes. Au regard des différences individuelles, les personnes diffèrent quant à la relation qu’elles entretiennent à l’égard d’un besoin déterminé (p. ex. l’accomplissement). Afin de déterminer la valeur concernant une personne et un choix, il est nécessaire d’apprécier le besoin et de mesurer la satisfaction perçue relative au choix effectué.

Cette approche récente indique la place centrale qu’occupent toujours les besoins dans l’identification des sources de la motivation. Dans ce cadre, nous avons donc retenu pour notre étude les besoins les plus souvent testés par les auteurs (Cromie, 2000) : accomplissement, autonomie, créativité, contrôle et prise de risques.

1.2. Les antécédents

Naffziger, Hornsby et Kuratko (1994) proposent un modèle explicatif de l’expérience entrepreneuriale qui intègre leurs premiers travaux sur la performance de la petite entreprise. Ce modèle a été utilisé dans un cadre plus général et a permis d’apporter un nouvel éclairage sur les comportements des intrapreneurs (Kuratko, Ireland, Covin et Hornsby, 2005). En outre, le modèle de Naffziger, Hornsby et Kuratko (1994) et leurs résultats empiriques sont souvent cités dans des études récentes sur les motivations entrepreneuriales (Edelman et al., 2010 ; Wiklund, Patzelt et Shepherd, 2009 ; Runyan, Droge et Swinney, 2008 ; Goss, 2008 ; Krueger, 2007).

En s’inspirant de ce modèle, mais également des recherches de Schindehutte, Morris et Allen (2006) et de Steel et König (2006), deux variables sont retenues comme éléments de contingence de l’expression de la motivation : la perception de la relation entre les actions prises par l’entrepreneur et les résultats ; la perception de la relation entre les attentes de l’entrepreneur et les résultats. Steel et König (2006) insistent sur les perceptions en termes de bénéfices et de pertes. La perception des bénéfices et des pertes est calculée en référence à la Cumulative Prospect Theory (CPT) et à la théorie des besoins. Cette double approche permet de comprendre que pour chaque composante retenue dans le modèle (valeur, attente et sensibilité au temps), il existe des différences individuelles selon que le résultat est perçu positivement ou négativement.

Les interprétations perceptuelles faites par les entrepreneurs jouent un rôle clé au sein du processus motivationnel. L’une des principales relations perçues est celle existant entre les stratégies des entrepreneurs et les résultats de l’entreprise. L’entrepreneur doit être convaincu que les stratégies et les actions managériales qu’il met en oeuvre conduiront à des résultats tangibles (comme l’accroissement des ventes, du profit, de sa richesse personnelle ou des parts de marché). Du moment où il prend la direction de l’entreprise, il doit essayer d’associer ses actions aux résultats. Le modèle de motivation entrepreneuriale montre que plus la relation perçue entre ces deux éléments est importante, plus la motivation à continuer à agir en tant qu’entrepreneur est forte, que ce soit dans la perspective d’un développement ou d’une création d’entreprise.

Un autre facteur qui agit sur la motivation à agir en tant qu’entrepreneur est la perception que le résultat de l’entreprise va atteindre ou dépasser les attentes. Il est suggéré que l’entrepreneur s’engage dans le processus avec des attentes en termes de récompenses intrinsèques et extrinsèques, qui résultent de l’activité de l’entreprise. Outre de varier d’un individu à l’autre, les attentes évoluent avec l’arrivée de nouvelles opportunités et/ou en fonction de la réalité des opérations et de la compétition.

1.3. Les logiques d’action

L’un des buts de cette recherche est d’identifier les liens entre les différents besoins à l’origine de la motivation d’un créateur d’entreprise et le type de projet qu’il cherche à développer. Il existe de nombreuses typologies d’entrepreneurs et Filion (1997) en fait une synthèse dans un article important qui tente de définir le champ de l’entrepreneuriat. Il s’intéresse à l’ensemble des approches catégorisant les créateurs d’entreprises, et plus généralement les entreprises. Il indique notamment que, selon Vesper (1980), on peut relever « au moins 11 types d’entrepreneurs » (p. 145) et présente sa propre typologie : « six types de propriétaires-dirigeants de PME ».

À l’ensemble de ces typologies, nous avons préféré celle de Bruyat (1993), plus focalisée sur le créateur d’entreprise, et non sur le propriétaire-dirigeant de PME (ayant parfois créé depuis longtemps et donc dans un cadre pouvant être différent de celui du créateur qui s’installe). Soulignons également que Bruyat (1993) présente les logiques d’action après une analyse approfondie des typologies d’entrepreneurs

Reprenant les travaux d’Arocéna et al. (1983), il propose une typologie à deux dimensions des logiques d’action du créateur : une dimension mesurant l’intensité du changement pour le créateur et une autre évaluant le degré de nouveauté pour l’environnement. La figure 1 illustre cette approche.

Dans la logique de reproduction, le créateur cherche à faire pour son propre compte ce qu’il faisait déjà dans son activité précédente. Dans la logique, il tente de monter une affaire selon une formule déjà bien établie, mais ne dispose par encore des compétences et des ressources nécessaires. La logique d’innovation-valorisation s’adresse à des individus voulant créer leur entreprise à partir d’un procédé ou d’un produit dont ils possèdent déjà le savoir-faire, la difficulté étant sa mise au point éventuelle et, surtout, son acceptation par l’environnement socioéconomique. Enfin, l’innovation-aventure s’inscrit dans un contexte incertain, dans lequel le créateur n’a qu’une maîtrise partielle des compétences nécessaires à son projet.

1.4. Le cadre général de la recherche

Le cadre d’analyse complète de la motivation entrepreneuriale peut être représenté à l’aide de la figure 2.

Figure 1

Les logiques d’action du créateur

Les logiques d’action du créateur
Source : Bruyat (1993).

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Figure 2

La motivation entrepreneuriale, les antécédents et les logiques d’action

La motivation entrepreneuriale, les antécédents et les logiques d’action

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2. La méthode de recherche

En premier lieu, les mesures des variables retenues dans la recherche concernent l’appréciation de la motivation, l’évaluation des éléments pouvant influencer cette attitude et les logiques d’action des créateurs. En second lieu, un large échantillon est nécessaire afin de réaliser l’ensemble des tests de façon optimale. Enfin, la méthode statistique retenue permet de tester les propriétés du questionnaire sur la motivation et d’apprécier l’ensemble des relations entre les variables.

2.1. Les variables et leurs mesures

Le cadre d’analyse retenu réunit la motivation, ses antécédents et les logiques d’action. La motivation est appréciée à l’aide du questionnaire GET2 (General measure of Enterprising Tendency version 2) qui réunit les besoins à l’origine de la motivation entrepreneuriale (accomplissement, autonomie et contrôle), ainsi que la propension de l’entrepreneur à prendre des risques et sa créativité. Ce questionnaire a été choisi parce qu’il est récent et qu’il s’appuie sur les principaux travaux ayant cherché à mesurer la motivation. Les questionnaires développés à partir du modèle de Bruyat (1993) permettent de mettre au jour les logiques d’action. Deux antécédents viennent compléter le cadre d’analyse.

2.1.1. La mesure de la motivation

Plusieurs recherches ont tenté d’approcher la motivation entrepreneuriale par des mesures du besoin d’accomplissement, de contrôle et d’autonomie (retenons les travaux de Chen, Greene et Crick, 1998 ; Rotter, 1996 ; Koh, 1996 ; Kuratko et Hodgetts, 1995 ; Cromie, Callaghan et Jansen, 1992 ; Chell, Haworth et Brearley, 1991 ; Caird, 1991). Les autres dimensions de la motivation recouvrent la propension à prendre des risques mesurés selon des approches multiples (en particulier Koh, 1996 ; Cromie et O’Donoghue, 1992 ; Chell, Haworth et Brearley, 1991 ; Caird, 1991 ; Cunningham et Lischeron, 1991), l’aptitude créatrice (avec Chen, Greene et Crick, 1998 ; Koh, 1996 ; Cromie et O’Donoghue, 1992 ; Cromie, Callaghan et Jansen, 1992 ; la tolérance à l’ambiguïté (Koh, 1996 ; Mitton, 1989) et, enfin, l’assurance de l’entrepreneur (Koh, 1996 ; Ho et Koh, 1992). Korunka, Frank, Lueger et Mugler (2003) tentent d’apprécier différents types d’entrepreneurs selon leurs caractéristiques personnelles, les ressources dont ils disposent, l’environnement dans lequel ils exercent leurs activités et les spécificités organisationnelles. Concernant les caractéristiques personnelles, ils retiennent les besoins d’accomplissement, de contrôle, de risque, d’initiative, de sécurité et de réalisation personnelle. Notons que les auteurs ne cherchent pas à construire une échelle de mesure de la motivation et que les analyses ne permettent pas d’apprécier les dimensions retenues.

S’appuyant sur l’ensemble des travaux précédemment cités, Caird (2006) propose un questionnaire (GET2) qui recouvre cinq principales dimensions de la motivation : l’accomplissement, l’autonomie, le contrôle, le risque et la créativité. Les dimensions de tolérance à l’ambiguïté et d’assurance ne sont pas retenues en raison de leur proximité trop grande des autres facteurs. Nous avons retenu cet instrument dans notre étude de la motivation entrepreneuriale.

C’est dans les années 1987–1988 que le premier test GET a été développé, après une recherche théorique approfondie sur les caractéristiques psychologiques des entrepreneurs (Caird, 1989). La validité et la fidélité de la mesure furent établies à l’aide de tests auprès d’échantillons de populations appartenant à des professions très diverses (entrepreneurs, enseignants, infirmiers, formateurs, cadres administratifs). Notons que les résultats des enquêtes révèlent une absence de différence significative entre les professions (caractéristiques psychologiques homogènes), montrant ainsi que les créateurs d’entreprise n’ont pas le monopole de l’entrepreneuriat (Caird, 1991). Le questionnaire a pour ambition de repérer les qualités entrepreneuriales qui peuvent se cacher chez chacun d’entre nous.

2.1.2. Les logiques d’action

Un questionnaire composé de 10 items permet d’identifier la logique d’action dans laquelle l’entrepreneur s’inscrit. En fonction de l’intensité du changement auquel le créateur doit faire face (d’une situation où le créateur utilise dans son entreprise des connaissances, savoir-faire, etc., proches de ceux qu’il maîtrisait dans ses expériences passées, à une création lui demandant l’acquisition de nouvelles aptitudes, comportement, compétences, etc.) et de l’intensité de la nouveauté de l’environnement (d’un contexte relativement stable à un environnement en mouvement et risqué), quatre logiques d’action se dessinent : innovation, reproduction, innovation-aventure et innovation-valorisation.

2.1.3. Les antécédents de la motivation

La perception de la relation entre les attentes de l’entrepreneur et les résultats est mesurée à l’aide de cinq items recouvrant les principales dimensions de la performance d’une entreprise : vous vous engagez dans votre projet avec l’objectif de faire des bénéfices importants ; votre objectif est de développer rapidement votre affaire ; vous pensez pouvoir assumer vos emprunts sans difficulté ; votre but d’entrepreneur est d’obtenir une certaine indépendance ; votre entreprise est un moyen de mieux contrôler votre destin.

La perception de la relation entre les actions prises par l’entrepreneur et les résultats est évaluée à l’aide de six items : passer du temps pour la vie de l’entreprise est une source de satisfaction en elle-même ; entretenir le contact avec les partenaires de l’entreprise (clients, fournisseurs, etc.) renforce l’implication ; suivre régulièrement les résultats de l’entreprise est stimulant ; s’engager dans les démarches commerciales est important pour le développement de l’entreprise ; entretenir une bonne relation avec les banques est un bon moyen pour faciliter le passage de moments difficiles ; être rigoureux dans la gestion permet une meilleure performance de l’entreprise.

La mesure des perceptions est réalisée à l’aide d’une échelle en cinq points (tout à fait d’accord, moyennement d’accord, pas d’opinion, moyennement en désaccord, tout à fait en désaccord).

2.2. L’échantillon

L’échantillon est constitué de créateurs d’entreprises rencontrés lors de leur inscription au Registre du commerce et des sociétés à la Chambre de commerce et d’industrie de Bordeaux. Les questionnaires ont été administrés lors des demandes d’information des porteurs de projets de création d’entreprise auprès de la CCI de Bordeaux. Soulignons que dans le cadre juridique français, l’inscription au Registre du commerce et des sociétés est une obligation pour toute nouvelle entreprise (exception faite des entreprises artisanales s’inscrivant au Registre des métiers).

Plus précisément, chaque lundi matin et pendant trois mois, nous avons assisté à la présentation du cadre juridique de la création d’entreprise faite par les spécialistes de la Chambre de commerce aux entrepreneurs nouvellement inscrits au Registre du commerce. À l’issue de la présentation, les participants étaient invités à remplir les questionnaires après qu’on leur eut exposé le cadre de la recherche. Aucun créateur n’a refusé de se soumettre à l’exercice.

L’échantillon réunit 235 observations et le questionnaire se compose de trois parties : la mesure de la motivation (54 items), l’appréciation des antécédents (11 items) et les logiques d’action (10 items).

Les principales caractéristiques des répondants peuvent être décrites de la façon suivante. Plus de la moitié des entrepreneurs (55,7 %) ont moins de 36 ans et 46 % sont célibataires. L’échantillon est constitué d’une majorité d’hommes (58,7 %). On peut noter que 58,4 % des personnes interrogées ont un niveau d’études supérieures au moins égal à un premier cycle universitaire. Le commerce et les services sont représentés respectivement à hauteur de 50,6 % et de 37 %. Sur le plan national, les statistiques 2007 de l’INSEE[1] indiquent 25,4 % de créations dans le commerce et 38,2 % dans les services. Si ce dernier pourcentage se rapproche de celui calculé sur notre échantillon, les niveaux différents relevés dans le commerce s’expliquent principalement par le tissu économique aquitain relativement moins bien doté en industries. Une partie importante des entrepreneurs interrogés (58,3 %) ont une expérience limitée de la création d’entreprise (0 à 3 ans) ; en revanche, 88,5 % des répondants ont plus de trois ans d’expérience professionnelle et 28,1 %, plus de 15 ans. Près de 50 % des personnes consultées déclarent n’avoir aucun enfant et 19,6 d’entre elles ont un enfant. Les porteurs de projets sont à 51,1 % des salariés non cadres et à 24,3 % sont des cadres. Un tiers des créateurs sont issus d’une famille d’entrepreneurs et 86,8 % sont d’origine française.

2.3. La méthodologie

Une analyse factorielle exploratoire (analyse en composantes principales ou ACP) est réalisée sur chaque dimension de la motivation entrepreneuriale : l’autonomie, l’accomplissement, la créativité, la prise de risques et le contrôle. La validité de construit[2] est établie (Fornell et Larcker 1981), puis l’échelle à cinq dimensions est confirmée par un modèle d’équations structurelles sous EQS (Bentler et Wu, 2002).

Une analyse factorielle est menée sur les logiques d’action et sur chaque antécédent (perception de la relation entre les attentes de l’entrepreneur et les résultats ; perception de la relation entre les actions prises par l’entrepreneur et les résultats extrinsèques et intrinsèques). Une rotation Promax est également réalisée sur les logiques d’actions.

Le cadre d’analyse mettant en relation les antécédents de la motivation entrepreneuriale et les logiques d’action (figure 3, page 153) est validé en utilisant une path analysis sous EQS (Bentler et Wu, 2002) en reprenant les scores factoriels issus des précédentes analyses. Au regard de la taille d’échantillon, une path analysis, mettant en relation des variables observables (une généralisation de la régression multiple avec plusieurs variables à expliquer), est utilisée pour que le nombre de paramètres à estimer n’excède pas les nombres de variables à expliquer et de variables explicatives (fonction aussi de la taille d’échantillon). L’objectif est de déterminer des cheminements à travers la motivation entre les antécédents et les logiques d’action.

3. Analyses et résultats

L’étude est réalisée en deux étapes : l’analyse du questionnaire (motivation entrepreneuriale, antécédents et logiques d’action) et la validation du cadre d’analyse.

3.1. L’analyse des questionnaires

L’instrument de mesure de la motivation entrepreneuriale, élaboré à partir du questionnaire GET2, fait l’objet d’une analyse en composantes principales afin d’apprécier la qualité des représentations sur chacune des dimensions : accomplissement, autonomie, contrôle, risque et créativité. La validité du construit de la motivation entrepreneuriale est vérifiée (tableau 1). En effet, les coefficients de validité convergente sont proches de 0,5 ou supérieurs. Le construit vérifie le critère de validité convergente. Les corrélations élevées au carré entre deux dimensions sont inférieures aux deux critères de validité convergente de ces mêmes dimensions. Le construit vérifie le critère de validité discriminante. Les coefficients de cohérence interne sont supérieurs à 0,8. On peut donc affirmer que la motivation entrepreneuriale est un construit fiable.

L’analyse permet de retrouver les cinq dimensions : accomplissement, autonomie, créativité, prise de risques et contrôle. Cependant, la dimension autonomie est faiblement liée à l’ensemble des autres dimensions. Elle ne sera pas utilisée pour confirmer l’échelle. Quatre dimensions sont confirmées par un modèle d’équations structurelles et la qualité d’ajustement est satisfaisante (chi2 = 67,92 ; p = 0,05 ; GFI = 0,94 ; AGFI = 0,91 ; CFI = 0,98 ; RMSEA  = 0,02).

Ce premier résultat n’apparaît pas dans l’étude de Cromie, Callaghan et Jansen (1992) dans laquelle le questionnaire GET est également utilisé. Cette recherche antérieure montre une différence significative entre les porteurs de projets et les cadres sur les dimensions autonomie, risque et contrôle. Par ailleurs, on retrouve la dimension autonomie dans les études de Sexton et Bowman (1986) et de Brandstätter (1997). Pourtant, dans une revue de la littérature approfondie, Chell (2008) montre que cette dimension de la motivation soulève plusieurs interrogations. L’auteur rappelle que la dimension autonomie de l’EPPS (Edwards’ Personal Preference Scale) n’est pas confirmée dans plusieurs études. Par ailleurs, l’autonomie, souvent confondue avec l’indépendance, n’est pas définie dans les recherches indiquant sa présence comme composante de la motivation. On peut également souligner la confusion entretenue par l’utilisation d’échantillons souvent fondés sur des propriétaires de PME et non sur des créateurs d’entreprises. Chell (2008) propose de mener de nouvelles investigations sur des échantillons de porteurs de projets afin de confirmer ou non la présence de la dimension autonomie. Notre étude répond ainsi à cette préconisation en rejetant cette composante.

Tableau 1

La validité du construit de la motivation entrepreneuriale

La validité du construit de la motivation entrepreneuriale

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L’analyse sur les antécédents permet de faire émerger deux dimensions : objectif d’indépendance et de développement. Le premier objectif se comprend comme une recherche d’indépendance financière, sachant que le porteur de projet a des attentes quant à la capacité de son affaire à dégager des résultats. Rappelons que nous testons des perceptions, ce que l’entrepreneur recherche consciemment. Il ne s’agit pas ici d’une composante de la motivation entrepreneuriale (entendue comme une attitude), mais d’une volonté de générer du profit. L’objectif de développement s’entend comme la perception qu’a le créateur d’entreprise de voir son affaire croître grâce au travail qu’il va faire ; ses actions sont à l’origine de son développement.

Quatre logiques d’action ont été posées : imitation, reproduction, innovation-aventure et innovation-valorisation. L’analyse statistique retient trois dimensions principales : les logiques de reproduction, d’aventure et de valorisation. Notre étude ne permet pas de faire apparaître la logique d’imitation. Cette dernière dimension suppose une forte intensité du changement chez le créateur et un niveau faible de changement dans l’environnement. C’est le cas classique d’un professionnel qui diversifie son activité sur des marchés traditionnels, mais sur lesquels il n’a pas encore d’expérience. Notre échantillon ne réunit pas ce type d’entrepreneurs. Les porteurs de projets qui ont été rencontrés préfèrent rester dans un environnement connu avec des compétences maîtrisées (reproduction) ou s’orienter vers de nouveaux horizons (innovation).

3.2. La validation du cadre d’analyse

L’étude exploratoire a pour but d’analyser les relations entre la motivation entrepreneuriale, ses antécédents et les logiques d’action de l’entrepreneur. La méthode d’analyse retenue est une path analysis dont les résultats sont discutés en deux étapes : l’étude de chaque bloc de variables (antécédents, motivation entrepreneuriale et logiques d’action) et l’analyse des chemins entre les dimensions relevées au sein de chaque bloc. Le modèle complet est présenté à la figure 3.

Figure 3

La motivation entrepreneuriale, les antécédents et les logiques d’action

La motivation entrepreneuriale, les antécédents et les logiques d’action

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3.2.1. L’étude de chaque bloc de variables

L’analyse statistique permet de faire émerger deux antécédents : l’objectif d’indépendance du porteur de projet et la volonté de développement. Ces antécédents représentent des éléments que perçoit l’entrepreneur. Il existe un lien fort entre les deux dimensions (0,72). Cette relation indique que la recherche d’indépendance est fortement associée à celle de développement. Les créateurs recherchant l’indépendance financière se donnent également les moyens d’obtenir les résultats qu’ils attendent. Nous analysons les perceptions entre, d’une part, les attentes et les résultats et, d’autre part, les actions prises et les résultats. Ces données indiquent un réalisme important de la part des porteurs de projet qui sont prêts à « passer du temps dans leur projet », « à entretenir les relations avec les partenaires », « à s’engager dans des démarches commerciales », etc., pour escompter « des bénéfices importants », « développer les affaires », etc. Soulignons que les deux dimensions ne sont pas liées par un lien de causalité unique.

Sur le bloc de variables mesurant la motivation, deux liens émergent entre les quatre dimensions retenues (prise de risques, accomplissement, contrôle et créativité). L’accomplissement impacte la créativité positivement (0,35) et le contrôle de façon négative (–  0,25). Il existe peu d’études qui présentent explicitement des résultats sur les relations entre dimensions (Stewart et Roth, 2001). Cromie (2000), Miller et Friesen (1982) et Atkinson et Birch (1979) insistent sur la difficulté d’isoler les relations entre les besoins d’accomplissement, de maîtrise de sa destinée (que l’on peut rapprocher du contrôle) et de prise de risques.

Notre recherche montre le rôle central du besoin d’accomplissement, comme le soulignent d’autres approches antérieures (Steel et König, 2006). Le besoin d’accomplissement va donc pousser le porteur de projet vers davantage de créativité (une idée nouvelle, une opportunité à exploiter, un modèle d’affaires différent, etc.). Parallèlement, le besoin de contrôle est moins ressenti par l’entrepreneur qui, pour satisfaire son besoin d’accomplissement, est prêt à se donner une latitude plus grande. Le besoin d’accomplissement joue comme dimension pivot de la motivation et comme élément de renforcement de deux autres composantes : créativité et contrôle.

3.2.2. Validité du cadre d’analyse

Le cadre d’analyse de la motivation entrepreneuriale est validé en utilisant une estimation par les moindres carrés (path analysis). Tous les indices d’ajustement (GFI = 0,96 ; AGFI= 0,93 ; CFI = 0,99 ; RMSEA = 0,03) respectent les critères de validité. Outre le cadre général qui indique des liens entre les antécédents, la motivation et les logiques d’action, plusieurs ensembles de relations peuvent être relevés.

L’objectif de développement d’un projet impacte le besoin de contrôle de l’entrepreneur (0,43). La croissance d’une organisation suppose chez l’individu un contrôle à la fois interne et externe (par exemple le développement d’une entreprise demande une connaissance plus fine de son marché). Le besoin de contrôle est lié à la logique d’action orientée vers la reproduction (0,29), qui se définit par une intensité réduite des changements pour le créateur et une intensité importante du changement dans l’environnement. Le contrôle a pour ambition de mieux maîtriser l’instabilité externe. L’accomplissement à travers le contrôle a également un impact sur la reproduction.

Les chemins de causalité ayant pour origine l’indépendance apportent un éclairage sur les liens entre la motivation entrepreneuriale et le passage à l’acte d’entreprendre. L’indépendance est liée positivement à la prise de risques (0,41) et négativement à la créativité (–  0,22). La prise de risques est liée positivement à la valorisation (0,29). L’accomplissement à travers la créativité a un impact sur la valorisation.

4. Discussion

La discussion s’organise autour d’une réflexion sur les mesures des principales variables retenues dans l’étude et des chemins de la motivation.

4.1. Les mesures

L’étude ne fait pas apparaître d’emblée la mesure de la motivation entrepreneuriale sous la forme d’une échelle à cinq dimensions, comme les travaux de Caird (2006) le laissent supposer. L’autonomie a disparu du champ d’analyse. Les dimensions prise de risques, accomplissement, contrôle et créativité sont retenues à l’instar de nombreuses autres études présentées précédemment. Ce résultat suggère que la création d’entreprise répond à un besoin d’accomplissement qui s’accompagne d’une prise de risques. La créativité est encouragée par le besoin d’accomplissement, et ce dernier atténuera le sentiment de confiance (locus of control, LOC). Ce phénomène de confiance en soi a des origines très diverses. Il s’explique par une maîtrise de compétences, un parcours personnel particulier, une expérience, etc. Brockhaus et Horwitz (1986) consacrent de longs développements à cette dimension motivationnelle.

Les composantes prise de risques et créativité sont souvent mises en avant dans les études passées. Par exemple, Koh (1996) fait émerger trois dimensions dans sa recherche sur la motivation : innovation, risque et tolérance à l’ambiguïté. On retrouve la dimension risque au coeur des analyses de Mill (1984) et de Ho et Koh (1992).

Inspirées des travaux de Naffziger, Hornsby et Kuratko (1994), les définitions des antécédents de la motivation sont affinées dans l’analyse. Deux facteurs sont retenus : indépendance et développement. On apprécie ici la perception des entrepreneurs concernant leurs attentes et les actions qu’ils doivent mener. La création d’entreprise suscite des attentes importantes en matière d’indépendance. Les entrepreneurs sont également prêts à se donner les moyens pour développer leur projet (activités commerciales ou de gestion, par exemple), confirmant ainsi l’étude de Hofer et Charan (1984).

L’idée que la création d’entreprise permet une indépendance (antécédent) est liée positivement à la prise de risques (0,41) et négativement à la créativité (–  0,22). La recherche d’un résultat par l’entrepreneur le conduit à prendre des risques, mais réduit son besoin de créativité. Nous sommes plus en présence d’une recherche d’innovation que d’une quête d’invention ou, plus généralement, d’idées qui ne se voudraient pas opérationnelles. Ce résultat tend à marginaliser le besoin de créativité dans la motivation entrepreneuriale et à rapprocher notre analyse d’études plus anciennes qui incitent à ne retenir que trois dimensions : accomplissement, contrôle et prise de risques (Chell, 2008 ; Korunka et al., 2003 ; Lee et Tsang, 2001).

La volonté de développement, par ailleurs fortement liée à celle d’indépendance, entretient une relation positive avec le contrôle (0,43). Ce résultat révèle la présence d’entrepreneurs prêts à s’engager dans la croissance de leurs affaires et qui ont le sentiment de maîtriser leur destinée. La motivation est ici centrée sur la confiance en soi, qui permet d’accompagner l’objectif de développement avec l’idée que rien n’échappe au créateur (Lee et Tsang , 2001 ; Korunka et al., 2003).

Parmi les logiques d’action définies par Bruyat (1993), seule l’imitation n’émerge pas de l’étude. Si l’environnement est perçu comme stable, les répondants aux questionnaires ne s’orientent pas vers des projets demandant un changement important de leur part. Il n’y a pas de perception d’opportunités d’affaires liées au fait d’aborder un même environnement à l’aide d’un modèle de création de valeur innovante et spécifique. Cette attitude se retrouve souvent dans le contexte sociohistorique français dans lequel les individus ne semblent pas déceler facilement les opportunités individuelles. Palich et Bagby (1995) affirment que certains porteurs de projets perçoivent parfois les situations de façon plus positive, et voient des occasions d’affaires là où d’autres ne voient que des possibilités.

4.2. Les chemins de la motivation

Deux chemins de causalité sont particulièrement intéressants. L’un explique les origines des projets animés par une logique de reproduction (figure 4) ; l’autre s’intéresse à l’explication des projets de valorisation (figure 5).

Figure 4

À l’origine de la reproduction

À l’origine de la reproduction

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Figure 5

L’indépendance, source d’innovation

L’indépendance, source d’innovation

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Une chaîne de causalité relie la logique de reproduction à la foi en ses capacités (0,23) et à un objectif de développement (0,43). La logique de reproduction correspond à un projet d’entreprise qui rencontre un environnement stable et dans lequel l’entrepreneur utilise des compétences qu’il maîtrise. La croyance en ses capacités ou confiance en soi (LOC) est liée à cette logique d’action, relation qui s’explique aisément par la nécessité d’être sûr de soi pour exploiter un environnement subissant peu de modifications, et donc relativement compétitif. Le secteur du bâtiment est un exemple intéressant où les innovations sont souvent incrémentales et où les nombreux artisans ont une maîtrise de leur métier. L’objectif de développement demande souvent à l’entrepreneur d’être convaincu de ses capacités pour multiplier les chantiers et recruter des salariés. Si l’un des défis actuels de l’économie française réside dans le développement de ses petites entreprises, on peut imaginer que l’un des leviers de la croissance réside dans la prise de conscience par les entrepreneurs de leur aptitude à gérer, à diriger des hommes et à commercialiser leurs produits et services.

Le besoin d’accomplissement agit de façon négative sur la foi des individus en leurs capacités. Cette dimension centrale de la motivation agit comme variable modératrice en atténuant le sentiment de confiance de l’entrepreneur. Ce résultat vient contredire les conclusions de Rotter (1966). Toutefois, la confiance en soi (LOC), comme l’une des dimensions principales de la motivation entrepreneuriale, a fait l’objet de plusieurs controverses (Brockhaus, 1982 ; Lee et Tsang, 2001 ; Hansemark, 2003). Notre résultat indique que le besoin d’accomplissement, au coeur de la motivation, n’est pas prêt à accepter l’éventualité d’un échec du fait de l’aveuglement de l’entrepreneur eu égard à ses supposées capacités. Le besoin d’accomplissement modère la confiance qui peut être excessive chez le porteur de projet.

La volonté d’indépendance, associée dans notre définition à un objectif de résultat, conduit à une prise de risques (0,41) qui permet de profiter de nouvelles opportunités avec des compétences maîtrisées (0,29) : logique de valorisation. Soulignons que ce résultat indique la présence d’entrepreneurs prudents qui ne cherchent pas l’aventure (compétences nouvelles associées à de nouveaux marchés). Notre résultat relativise les conclusions de Miner et Raju (2004) qui affirment que les entrepreneurs évitent le risque, étude qui elle-même prend le contre-pied de nombreuses autres (Stewart et Roth, 2001). Notre étude indique la présence d’un besoin de prise de risques au sein de la motivation, mais cette dimension est principalement liée à une logique de valorisation, c’est-à-dire une recherche d’opportunités nouvelles. On ne retrouve pas de lien avec la logique d’aventure (compétences et marchés nouveaux) et la dimension de créativité.

Ces résultats sont conformes aux travaux de Caird (1991), Cunningham et Lischeron (1991), Timmons (1989) et Drucker (1985) qui affirment que les entrepreneurs mesurent et calculent les risques méticuleusement, et cherchent davantage à maîtriser les risques qu’à en prendre de gros. Notons que la notion de risque diffère en fonction des points de vue. Chell, Haworth et Brearley (1991) soutiennent qu’un créateur d’entreprise fonde ses décisions sur des compétences approfondies au sein d’un environnement qui peut paraître risqué pour un outsider, mais dont il maîtrise les principales dimensions.

Un second chemin conduit à l’innovation, en passant par la créativité (0,27) et avec un objectif d’indépendance (–  0,22). Si le premier lien se comprend facilement dans la mesure où trouver des opportunités nouvelles doit faire appel à une réelle innovation, la seconde relation pose davantage de questions. L’objectif de résultat que se donne l’entrepreneur le conduit à minorer son besoin de créativité. On peut comprendre cette causalité négative par le fait que l’objectif d’indépendance ne peut pas supporter trop d’incertitude. Si le porteur de projet est prêt à s’interroger sur les marchés à investir, il préférera se rassurer par des innovations plus légères sur les champs des compétences et des produits. Le besoin d’accomplissement agit cependant de façon positive pour encourager la créativité (0,35).

Conclusion

Notre étude constitue un pas supplémentaire vers la validation d’une échelle de mesure de la motivation entrepreneuriale. Les travaux de Caird (2006) permettent de disposer d’un questionnaire qui a pour principale vocation d’établir les besoins à l’origine de la création d’entreprise. Outre les analyses menées par cet auteur, Cromie, Callaghan et Jansen (1992) utilisent le questionnaire GET afin d’apprécier les attitudes des cadres-entrepreneurs par rapport aux cadres-gestionnaires (échantillon de 194 personnes). Par ailleurs, Caird (2006) a tenté de valider le questionnaire comme un instrument mesurant une attitude (la motivation entrepreneuriale) composée de multiples dimensions (les besoins). Si notre analyse, menée à partir d’un échantillon de porteurs de projets français, n’a pas conduit à confirmer l’existence de cinq composantes, elle permet d’apporter un éclairage complémentaire sur un instrument relativement solide statistiquement.

Les chemins de la motivation nous mènent à des logiques d’action liées à des projets innovants et de reproduction. À l’origine, on relève des objectifs d’indépendance et de développement. Dans le premier cas, le créateur espère que son entreprise lui apportera des résultats tangibles sur les plans financier et matériel. Dans le second cas, l’entrepreneur est conscient que son projet lui demandera de s’investir dasn tous les aspects d’une entreprise (commercial, de gestion, etc.). L’étude montre que les porteurs de projets innovants sont lucides quant aux difficultés à venir et attendent un retour sur investissement très concret. On est relativement loin des images d’Épinal montrant les entrepreneurs innovants comme des inventeurs éloignés de la réalité.

Sur le chemin de la logique d’action de valorisation (environnement offrant des opportunités importantes pour des créateurs qui réunissent les compétences clés), on retrouve la prise de risques et la créativité. L’exploitation d’un contexte porteur suppose l’acceptation d’incertitudes et le développement d’innovation (ici sur l’appréhension du marché plus que sur l’offre).

L’interprétation des résultats de cette étude permet d’indiquer plusieurs lacunes que des enquêtes futures viendront combler. D’abord, la présente recherche utilise un questionnaire élaboré à l’aide de nombreux travaux théoriques et empiriques, mais n’ayant fait l’objet que de validations partielles. L’étude sur un échantillon d’entrepreneurs français ne permet pas de confirmer la structure du GET2, mais elle suggère l’existence de quatre dimensions au lieu des cinq à l’origine du questionnaire. Ensuite, l’échantillon à la base de l’étude est uniquement constitué d’entrepreneurs en contact avec la Chambre de commerce et d’industrie de Bordeaux (France). Soulignons que tout créateur d’entreprise sur le sol français a l’obligation de s’inscrire auprès du Registre du commerce et de l’industrie. L’échantillon choisi est donc représentatif de la population du département de la Gironde. Afin d’affiner les résultats, des études futures s’adresseront à des populations d’entrepreneurs d’horizons géographiques divers. Enfin, une path analysis a été réalisée pour valider les liens entre les antécédents et les conséquences des dimensions de la motivation entrepreneuriale.

Les limites précédentes permettent de suggérer quelques pistes de recherche complémentaires. D’abord, et afin d’améliorer la fiabilité et la validité des construits, une deuxième collecte serait à réaliser dans les mêmes conditions, respectant ainsi le paradigme de Churchill (Churchill et Peter, 1984). Puis, afin d’envisager des perspectives de généralisation de nos résultats, des études similaires pourraient porter sur des échantillons issus de zones géographiques différentes. Par ailleurs, une approche multiculturelle pourrait mettre au jour des différences dans les dimensions à retenir au sein de l’échelle de la motivation entrepreneuriale et faire émerger des chemins nouveaux conduisant à des logiques d’action spécifiques.