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Mon nom wolastoqey est Opolahsomuwehs, qui signifie “Lune du vent tourbillonnant”. Ce nom m’a été donné par ma grand-mère maternelle. Je suis née sous la lune de janvier. J’ai été mise au monde en 1949 par une sage-femme dans un petit motel situé à Andover, au Nouveau-Brunswick, à proximité de la réserve malécite de Tobique. »

Q. – Pourriez-vous raconter dans quel contexte vous avez appris le wolastoqey/malécite ?

R. – Ce sont mes grands-parents qui ont pris en charge mon éducation ; ils sont mes guides de vie. Ils continuent d’influencer ma vie à travers leur cheminement spirituel (Spirit Walk). C’est avec un profond respect que je dis cela car ils m’ont transmis leur trésor le plus cher, leur langue maternelle. J’ai 61 ans et, au cours de ma vie, j’ai eu la chance de recevoir un héritage culturel qui me permet de sauvegarder mes valeurs, ma conception du monde, mon histoire et mon identité, grâce à la langue wolastoqey.

Q. – Dans quelles circonstances le wolastoqey/malécite était-il parlé – plutôt que l’anglais ?

R. – J’ai vraiment eu de la chance d’avoir grandi dans une communauté où cette langue était parlée. Dans ma famille, il y avait des conteurs, des leaders communautaires, des chasseurs, des guides de pêche, des tisserands, des sculpteurs, des trappeurs, des guérisseurs, des visionnaires, des légendes du baseball, des anciens combattants, des orateurs et des cuisiniers hors pair. Tous ont contribué à mon apprentissage de la langue wolastoqey/malécite. Enfant, tout mon univers s’exprimait dans cette langue. Je jouais dans ma langue, je m’interrogeais dans ma langue, je créais dans ma langue, je guérissais dans ma langue, je chantais dans ma langue, je priais dans ma langue, je louangeais dans ma langue et j'appre­nais dans ma langue jusqu'à ce que l'enseignement de l’anglais en immersion soit imposé, dans le but de le substituer à notre langue maternelle  ; il s’agissait alors d’une mesure soustractive. Les mesures soustractives visent à promouvoir la langue dominante, l’anglais, et à rejeter la langue ancestrale, le malécite.

Q. – Aujourd’hui les choses ont-elles changé dans votre entourage familial concernant la pratique de cette langue ?

R. – Ma pratique de la langue se limite aujourd’hui à mon foyer, aux cérémonies, aux cours de langue et aux visites hebdomadaires chez les Aînés. Ma génération est la dernière à parler couramment le malécite – qui est actuellement menacé. Seulement deux générations le parlent sporadiquement. Mon mari et moi avons la chance d’avoir cette langue en commun. Nous savons qu’il est de notre responsabilité de le revitaliser et de veiller à la continuité et à la préservation de notre héritage culturel. Nous espérons que nos petits-enfants seront prêts à accepter la responsabilité, qui est la leur, de transmettre leur « trésor » aux générations à venir.

Q. – Comment s’est déroulé le passage à l’écrit de la langue wolastoqey/malécite, et quels sont les défis passés ou actuels concernant son écriture ?

R. – Le passage de l'oral à l’écrit a été très bénéfique en ce sens que nous pouvons à présent « voir » notre langue. Il existe des documents écrits à l’aide de ­l'alphabet phonétique international. En outre, c’est une chance pour nous d’avoir notre propre système d’écriture ­malécite/passamaqoddy qui nous aidera à laisser en héritage d’autres documents historiques et d'autres récits, chants, prières, recettes et thérapies médicinales, ainsi que des nouveaux termes malécites. Le système d'écriture génère très peu de difficultés. Cependant, le défi consiste à le rendre universel.

Q. – Comment en êtes-vous venue à enseigner le ­wolastoqey/malécite ?

R. – J’ai obtenu un diplôme de premier cycle en linguistique et en anthropologie, avec une spécialité en enseignement de langue seconde et en éducation bilingue/biculturelle. J’ai également une maîtrise en éducation portant sur l'élaboration de programmes d'études. Au cours de cette formation, j'ai eu l'occasion de donner des cours de langue dans deux écoles communautaires (grade K-5) et à l’école secondaire publique (grades 10 à 12), ainsi qu'à l’Université du Nouveau-Brunswick et au sein de différents groupes communautaires de renaissance de la langue autochtone (community language nests). Ces groupes de renaissance s’inspirent du modèle de revitalisation de la langue maorie, et j'ai eu le privilège de pouvoir étudier ces programmes en Nouvelle-Zélande avec un groupe de professeurs de langue spécialisés. À mon retour de Nouvelle-Zélande, mon mari et moi avons créé des centres de langue et de culture wolastoq dans deux communautés. Nous proposons toujours des ateliers culturels, des rassemblements linguistiques, des céré­monies et des outils de développement pour des programmes linguistiques.

Q. – Quels projets ont été concrétisés ou sont en cours de réalisation au Nouveau-Brunswick pour le maintien de cette langue ? Quels sont ceux que vous espérez voir un jour mis ­en place ?

R. – Actuellement, nos centres participent aux projets de revitalisation suivants :

  • Oluwikoneyak Weckuwapasihtit (From the Womb to Beyond) : Programme prénatal et postnatal qui vise à accompagner les parents d’enfants de moins de six ans dans leur apprentissage de la langue et dans la revitalisation culturelle.

  • Nuhkomossok (Grandmother Guides) : Initiative de Santé Canada visant à soutenir les grands-mères qui accompagnent les nouveaux parents à travers la langue et les savoirs culturels.

  • ‘Ciw Wolakomisuwakon (For Healthy Mind, Body and Spirit) : Initiative de Santé Canada pour contribuer à améliorer la santé mentale dans toutes les communautés malécites. Il s’agit d’un mélange très bénéfique de soutien à la fois clinique et culturel pour le bien-être mental. Le personnel et les participants ont la possibilité d’apprendre la langue et de l'appliquer à des situations culturelles concrètes.

  • Say It First (Dis-le en premier) : Système de soutien linguistique en ligne conçu pour seconder les enseignants du malécite dans les écoles et pour aider les personnes qui apprennent la langue à la maison à chercher, à trouver et à apprendre le vocabulaire malécite. Un programme audio aide à la prononciation des mots.

  • Mesq Kpihikonol (Before The Dam) : Projet de recherche conçu pour enregistrer les derniers locuteurs du malécite dans le but de maintenir et de préserver le mode de vie, tant social que culturel et spirituel, tel qu’il existait avant la construction des barrages. Les données recueillies serviront à favoriser l'élaboration de matériaux linguistiques pertinents sur le plan culturel.

  • CKTP : Station radiophonique locale qui se consacre à la préservation de la langue. Quinze heures de programmation hebdomadaire seront consacrées à l’utilisation, à l’apprentissage et au partage du malécite.

Tous les dirigeants malécites déclarent soutenir les programmes de langue, mais très peu d’entre eux sont prêts à entreprendre des actions concrètes. Dans certains cas, des fonds sont collectés pour appuyer des initiatives linguistiques, mais ils sont malheureusement redirigés vers divers programmes ou d’autres priorités. Cette situation est inacceptable, étant donné le peu de financement disponible pour soutenir les efforts de revitalisation linguistique.

Cependant, compte tenu des nouveaux développements de ces dernières années, il y a de l’espoir. Les nations malécites ont réussi à convaincre les ministères fédéraux et provinciaux de reconnaître et d’admettre la nécessité de revitaliser et de soutenir financièrement les initiatives linguistiques. Par exemple, le ministère de l'Éducation du Nouveau-Brunswick participe activement à la promotion d'un programme de langues malécite et micmaque au sein des écoles publiques. Ce programme malécite et micmac est mis au point avec l'aide des aînés. En tant que membre actif de ces comités, je suis à la fois optimiste et reconnaissante du fait que l’on tient compte de nos langues ancestrales.

Q. – Que pensez-vous du cas des Malécites de Viger pour lesquels la langue wolastoqey/malécite n’est plus parlée depuis près d’un siècle ?

R. – Mon grand-père maternel était un Malécite de Viger. Aussi, je suis préoccupée par la perte de leur langue ancestrale. Je leur ai promis tout le soutien ­qu’il m’est possible de leur apporter afin de s’assurer qu’ils maintiennent un lien avec leur langue et leur culture. La Cheffe Archambault et moi-même sommes en contact. La communauté est favorable à la langue, aux cérémonies et à la tradition.

Q. – Quel est votre sentiment au sujet de l’avenir de cette langue au Canada ?

R. – Je suis optimiste quant à la survie de ma langue ancestrale, et ce tant que nous aurons les moyens de laisser en héritage nos récits à travers des programmes de recherche et des initiatives communautaires, ainsi que des cours universitaires, des leçons de malécite dans les écoles publiques, des groupes de renaissance de la langue et des matériaux pédagogiques adaptés. La survie de cette langue a également besoin de locuteurs qui continuent d’utiliser et de transmettre leur langue au sein de la famille, de la communauté et de la nation malécite. Les publications en malécite, les journaux, la radio et les programmes linguistiques en ligne contribueront à renforcer davantage notre langue. Différents efforts supplémentaires de revitalisation linguistique ont fait leurs preuves, notamment le financement du « Mois de la langue malécite », des camps linguistiques pour locuteurs et non-locuteurs du malécite, des programmes de santé se déroulant dans la langue et la culture malécites, mais aussi la bonne volonté d’éditeurs disposés à écrire au sujet de notre parcours linguistique.Je souhaiterais que de nouvelles recherches mettent l’accent sur l'identification de programmes de revitalisation efficaces, tels que le modèle maori ou l'école d'immer­sion d’Hawaï. Ces modèles aideraient les locuteurs de langues menacées à contrer la perte de leur langue. Enfin, il serait bon que les gouvernements fédéral et provincial reconnaissent et admettent l’existence de notre langue ancestrale.