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Alors qu’un regard superficiel réduit facilement le christianisme indien à une entreprise missionnaire débouchant sur une diversité d’Églises, l’oeil de l’anthropologue y voit l’obligation constante pour les chrétiens de l’Inde de négocier leur place dans un monde de castes. « La question de la caste s’est posée de tout temps à tous les groupes de chrétiens comme aux diverses institutions ecclésiales oeuvrant en Inde par l’intermédiaire d’agents occidentaux. Elle a suscité maints débats entre missionnaires, entre néophytes et missionnaires et entre chrétiens indiens eux-mêmes. Chaque génération l’a considérée d’une manière nouvelle » (p. 169). Vu sous cet angle, le christianisme indien devient une sorte de cas limite défiant les affirmations générales sur cette société et mettant à l’épreuve la compréhension souvent étriquée que l’on peut avoir de ce pays.

C’est sur cette trame que se tisse un livre en deux parties. La première partie, « Être chrétien en Inde aujourd’hui » (p. 15-120), étudie entre autres les questions posées par le statut de minorité du christianisme, une minorité religieuse théoriquement protégée par cette république laïque qui ne parvient pas à faire protéger ses intouchables, par un pays qui accepte la liberté religieuse mais considère toujours la conversion comme une pratique étrangère et aliénante, par des pratiques religieuses (mariage, culte à la Vierge et aux saints) qui se démarquent mal des cultes hindous, et finalement par une théologie qui peine à s’indianiser. La seconde partie, « Le legs du passé missionnaire » (p. 121-236), confère une profondeur à des questions difficiles en faisant l’histoire des rivalités d’Églises et des conflits de juridiction, en reprenant la question des divisions de caste au xixe siècle et en amorçant une réflexion sur la signification de l’indianisation du christianisme en Inde. Le livre se termine sur quelques chiffres provenant du Census of India de 2001 (p. 247-248), les notes (p. 249-260), une copieuse bibliographie (p. 261-273), une chronologie (p. 275-282), un glossaire (p. 283-286) et un index (p. 287-291).

Ainsi présentés, les chrétiens de l’Inde deviennent un monde de paradoxes où la vie de tous les jours ne peut se vivre qu’« entre castes et Églises » (cf. p. 244). Même si bien des lecteurs n’auraient peut-être pas imaginé qu’un tel livre fût possible, il était absolument nécessaire de l’écrire pour dépasser les clichés tant sur le christianisme que sur l’Inde.

En plus de plusieurs livres qui font autorité concernant l’hindouisme moderne et contemporain et son organisation sectaire, Catherine Clémentin-Ojha a abordé dans plusieurs articles spécialisés les questions de la politique d’indigénisation catholique post-Vatican II, celle de l’inculturation du christianisme et de la formation intellectuelle du clergé indien. Pour poursuivre la réflexion, on lira avec intérêt des articles comme « La formation du clergé indigène en Inde : les débuts de l’indianisation (1925-1965) », dans Les cadres locaux et les ministères consacrés dans les jeunes Églises (xixe et xxe siècles), Publications du CREDIC (Université de Lyon), 1995, p. 241-269 ; « Les intellectuels chrétiens entre sécularisme et hindutva : une mutation théologique ? » dans C. Clémentin-Ojha, Renouveaux religieux en Asie. Textes réunis par…, Paris, Publications de l’École française d’Extrême-Orient (coll. « Études thématiques », 6), 1997, p. 231-247 ; ou encore « La communauté chrétienne : des chrétiens bien indiens », dans C. Jaffrelot, dir., L’Inde contemporaine, Paris, Fayard, 2006, p. 651-664.