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C’est à la Conférence de La Havane en 1947 que les pays se sont entendus pour fixer certaines règles au commerce international. La Charte laborieusement élaborée avait prévu d’instituer une organisation internationale du commerce (oic). Elle a été rejetée par le Congrès américain, mais un accord qui avait été négocié en marge de la Charte à propos des tarifs douaniers est signé en octobre 1947. C’est le gatt qui était provisoire mais qui sera réexaminé à plusieurs reprises : ce sont les cycles de négociations bien connus, notamment l’Uruguay Round qui aboutira à l’accord de Marrakech en 1994, donnant naissance à l’Organisation Mondiale du Commerce et instituant des procédures pour le règlement des conflits.

Les pays en voie de développement ont été complètement ignorés au départ. La Conférence de La Havane a été, comme celle de Bretton Woods en matière monétaire, une initiative américaine. L’accord sur les tarifs douaniers a été négocié et ratifié par 23 pays seulement. Il faut dire qu’un bon nombre de ces pays en voie de développement n’étaient pas indépendants à l’époque. C’est ensuite, peu à peu, qu’ils ont adopté les règles fixées et, surtout, qu’ils ont essayé d’obtenir qu’elles leur soient adaptées, et qu’ils soient traités d’une façon distincte. C’est toute cette histoire que cet ouvrage analyse avec une grande précision et de façon minutieuse.

L’auteur distingue deux niveaux d’intégration de ces pays dans le système commercial multilatéral. La première, dite périphérique, s’est développée, d’une façon marginale, à partir du rejet de la Charte de La Havane, à mesure que de nouvelles dispositions ont été introduites dans l’Accord du gatt pour mieux répondre aux besoins de ces pays. C’est l’appui à l’industrie naissante et l’autorisation de recourir aux restrictions quantitatives, c’est l’application d’une formule de non-réciprocité, c’est la possibilité d’un traitement préférentiel pour certains produits. La seconde intégration, dite profonde, a été expressément prévue par l’Accord de Marrakech et elle s’est développée à travers la mise en place de nouveaux outils, tels que le Traitement Spécial et Différencié réservé à ces pays, ainsi que les nouvelles dispositions relatives aux subventions. Et certains secteurs, particulièrement sensibles pour les pays en voie de développement, font désormais l’objet d’un traitement particulier. Il en est ainsi des textiles et, plus encore, de l’agriculture à laquelle est consacré le dernier chapitre, le plus long.

À travers l’analyse de toutes ces règles juridiques et de leur évolution, l’ouvrage montre bien les enjeux des discussions qui ont précédé tous ces compromis. Il fait bien apparaître la position dominante – dans tous les sens du terme – des États-Unis qui ont pesé et qui pèsent toujours lourdement sur l’organisation du commerce international, comme sur l’organisation de la monnaie et maintenant de la finance. La politique européenne est aussi considérée, notamment avec l’Accord de Lomé, comme la politique agricole communautaire. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale sont évoqués à plusieurs reprises. Et la situation de certains pays ou de certains groupes de pays, ou les problèmes particuliers qu’ils rencontrent, font parfois l’objet d’une analyse qui englobe, à propos de chacun, la plupart des aspects. C’est notamment le cas de la Chine…

L’organisation du commerce international n’est pas figée. Ce droit-là aussi va continuer d’évoluer. Et les décisions de l’omc feront jurisprudence. Mais un ouvrage comme celui-ci présente beaucoup d’intérêt. Il fait le point de l’évolution, depuis soixante ans, des relations Nord-Sud dans le domaine du commerce international qui est aujourd’hui essentiel, et qui va certainement le rester dans les prochaines décennies.