Corps de l’article

Introduction

Lorsqu’il conçoit et organise les conditions d’apprentissage, l’enseignant agit sur un grand nombre de variables que l’on peut regrouper en trois catégories : les variables relatives aux contenus, les variables processuelles, et les variables relatives au cadre matériel et au dispositif. À ces variables, il faut ajouter celles liées aux caractéristiques des apprenants. En effet, les résultats des recherches de psychologie différentielle et de psychosociologie (Bru, 1992) ont montré que selon les circonstances, un même individu pouvait avoir des conduites d’apprentissage différentes (variabilité intra-individuelle). De même, à l’intérieur du groupe-classe, on peut noter des différences qui démontrent une variabilité interindividuelle : des écarts de développement importants entre élèves, des différences entre sujets quant au mode d’appréhension et de traitement de l’information (styles cognitifs), la diversité des représentations du savoir, de l’école, et de l’apprentissage, la multiplicité des caractéristiques psycho-affectives (attitudes, persévérance, motivation, styles relationnels, etc.). À ces différences, il faut ajouter celles liées au milieu social, à la langue et à la culture d’origine de l’élève. Ces différences entre les élèves d’une même classe ne doivent pas faire oublier les différences intra-individuelles. D’une part, sur une période de temps très courte, une nette évolution des représentations ou de ses attitudes s’effectue chez un sujet. D’autre part, ce même sujet peut, selon les situations, avoir recours à des modes de traitement cognitif différents.

Aux représentations initiales des élèves, à leurs différences intra et inter individuelles, s’ajoutent donc des modes de traitement cognitif différents. Les travaux de Mendelson (cité dans Bru, 1992) ont montré que le raisonnement d’un enfant, placé en situation de résolution de problème, pouvait changer pour le même type de problème en fonction du matériel sur lequel doit s’appliquer l’activité cognitive. Un autre exemple est donné par les effets du marquage social (Doise, 1989, cité dans Bru, 1992), selon lequel l’organisation des actions intellectuelles que le sujet accomplit n’est pas indépendante des normes et des régulations sociales caractéristiques du lieu et du moment. Cette variabilité des conduites de l’apprenant, de ses méthodes de travail, impose l’abandon de l’idée reçue selon laquelle il suffirait d’enseigner (au sens de montrer et de transmettre les connaissances) pour que tous les élèves apprennent. Il est donc important pour l’enseignant de pouvoir identifier non seulement les méthodes de travail méritant d’être développées chez les élèves à un niveau déterminé, mais aussi les méthodes d’enseignement pouvant favoriser un apprentissage efficace (Wolfs, 1995).

Par rapport à ce qui précède, les modèles programmatiques et déterministes qui posent l’apprentissage comme conséquence directe de l’enseignement ne sauraient convenir pour étudier la dynamique de l’acte d’enseigner dans son rapport à la dynamique de l’acte d’apprendre (Bru, 1992). Les modèles de l’interaction contextualisée paraissent, selon Crahay et Lafontaine (1986), plus pertinents en créant une rupture avec la logique de la commande et en s’inscrivant dans celle de l’autonomie, l’apprentissage étant alors conçu comme une auto-organisation. Dans cette perspective, enseigner consiste à gérer les conditions de l’apprentissage et non à gérer les apprentissages comme souvent affirmé dans le discours pédagogique habituel (Varela, 1989). Dans tous les cas, l’enseignant va organiser les conditions d’apprentissage en utilisant une méthodologie jugée adéquate, agissant ainsi sur un certain nombre de variables. Comment l’enseignant va-t-il s’y prendre pour articuler en un moment donné toutes ces variables afin d’offrir le maximum d’apprentissage à un maximum d’élèves ? Quelles méthodes d’enseignement va-t-il mettre en place ?

Problématique

Objectif de la recherche

L’objectif de la présente recherche est de répertorier les différentes méthodes d’enseignement pratiquées dans l’enseignement secondaire en Communauté française de Belgique et de mettre en évidence les facteurs qui influencent leur application.

Contexte de la recherche

La littérature spécialisée nous renseigne sur l’évolution à travers le temps des nombreuses méthodes d’enseignement. Cette évolution se remarque également au gré des réformes institutionnelles dans de nombreux pays. La Communauté française de Belgique[1] n’est pas en reste et a vu des réformes profondes se succéder dans son système éducatif. La présente recherche se situe ainsi à la charnière de deux réformes, la plus récente instaurée par le ministère de l’Éducation, le « Décret Missions » (1997), recommande une série d’orientations pédagogiques (avec l’introduction de référentiels de compétences) qui convergent vers le développement de méthodes d’enseignement basées sur les théories constructivistes de l’apprentissage et l’innovation en matière d’outils pédagogiques, capables d’amener tous les élèves à s’approprier des savoirs.

L’enseignement secondaire en Communauté française de Belgique[2] est organisé en plusieurs sections : l’enseignement général, l’enseignement technique de transition (un élève de cette section peut réintégrer l’enseignement général si son niveau est jugé adéquat) et l’enseignement technique dit professionnel de qualification. En outre, les niveaux des élèves sont différents d’un type d’enseignement à un autre et au sein même de l’enseignement secondaire, d’une école à une autre. C’est dans ce contexte que nous avons investigué, entre 1999 et 2000, les méthodes d’enseignement qui y sont les plus souvent utilisées. Le but est de voir si les enseignants pratiquent ou non les méthodes d’enseignement recommandées, non seulement par les autorités, mais aussi par les institutions de formation. En effet, étant intervenants dans le programme de formation des enseignants du secondaire supérieur (Section interfacultaire de l’agrégation de l’Université libre de Bruxelles), notre discours et nos pratiques enseignantes tendent à sensibiliser les étudiants futurs enseignants à la problématique des nouvelles méthodes d’enseignement.

Questions de recherche

Pour circonscrire la recherche, nous avons tenté de répondre aux questions suivantes :

  1. Quelles sont les méthodes d’enseignement utilisées dans l’enseignement secondaire supérieur (au cours des trois dernières années de l’enseignement secondaire, avec des élèves de 15 à 18 ans) ?

  2. Y a-t-il des différences entre le niveau d’enseignement général et celui d’enseignement technique dans le choix des méthodes pratiquées ?

  3. Y a-t-il des différences entre l’enseignement des disciplines scientifiques et celui des disciplines littéraires ?

  4. Quels sont les facteurs qui influencent l’application de ces méthodes ?

À ce sujet, Dreyfus et Mazouz (1989) ont montré que les enseignants utilisent peu ou pas les nouvelles méthodes d’enseignement recommandées soit par l’institution scolaire (ou universitaire), soit par les autorités. Les facteurs évoqués par les enseignants sont les contraintes organisationnelles et matérielles, et le manque de coopération de certains élèves. Pour Vonk et Schiras (1987), c’est l’environnement scolaire dans sa globalité qui est considéré comme l’un des facteurs majeurs pouvant déterminer le choix des méthodes d’enseignement.

L’environnement scolaire peut être décrit en considérant deux types de facteurs : ceux déterminés de l’extérieur et ceux spécifiques à chaque école. Les facteurs environnementaux déterminés de l’extérieur par les autorités politiques compétentes concernent les horaires, l’effectif des classes, le niveau de l’école, les conditions d’application du programme, etc. Les facteurs environnementaux spécifiques à chaque école concernent le type d’école, le niveau d’enseignement, le niveau des élèves, le climat scolaire et la façon dont on y conçoit les manières d’enseigner et d’apprendre. Le cadre théorique qui suit passe en revue les différentes méthodes d’enseignement, mais aussi les méthodes d’apprentissage des élèves, ces dernières devant soutenir toute action pédagogique.

Cadre théorique

Méthodes d’enseignement

Les nombreuses classifications des méthodes d’enseignement peuvent s’effectuer selon divers critères. Pour notre part, nous les classerons en trois grandes catégories : la méthode centrée sur l’action de l’enseignant, la méthode centrée sur l’activité des élèves, la méthode centrée sur le contenu.

Méthode centrée sur l’action de l’enseignant

Elle consiste à valoriser le pôle enseignant et corrélativement à minimiser la relation que l’élève pourrait entretenir directement avec le savoir. Cette méthode a, selon certains, la logique pour elle, car c’est bien « l’enseignant qui est censé savoir, et l’élève qui est supposé apprendre ». Ici, la différence des rôles bien marquée correspond aux positions institutionnelles de l’enseignant et de l’élève. Cette méthode, communément pratiquée par les enseignants, est nommée de différentes manières ; nous en retiendrons trois qui contribuent chacune à préciser sa nature. Elle est appelée « méthode magistrale » car ce qui importe, c’est ce que va faire l’enseignant, à savoir préparer une intervention, puis la réaliser en utilisant certaines techniques. Elle est parfois appelée « dogmatique » car c’est l’enseignant, et lui seul, qui détermine le contenu de l’enseignement ; ce dernier apparaît ainsi aux élèves comme un « dogme », un modèle, une vérité, qui ne peut être remis en question, au risque de remettre aussi en question l’enseignant qui en est le garant. Elle est aussi appelée « traditionnelle », pour deux raisons : d’abord parce qu’elle est ancienne, à tel point qu’il serait vain de tenter de lui assigner une origine ponctuelle ; ensuite, parce qu’elle correspond à un mode de transmission du savoir qui respecte et utilise la distinction entre le maître et le disciple, celui qui sait (l’adulte, l’homme d’expérience, le sage) et celui qui ignore (le jeune, le novice), et donne ainsi à l’enseignement l’apparence d’une initiation. Sa caractéristique principale est donc la valorisation du rôle de l’enseignant justifiée par son accès privilégié au savoir (Pelpel, 1986).

Méthode centrée sur l’activité des élèves

Selon cette méthode, l’enseignant se définit toujours par la relation qu’il entretient avec le savoir et avec les élèves ; toutefois, ceux-ci ne se définissent plus exclusivement par leur dépendance par rapport à l’enseignant. Ils se définissent également par les relations qu’ils entretiennent avec le savoir, et par celles qu’ils entretiennent entre eux. Les élèves ne sont plus un collectif abstrait, mais une pluralité d’individus différenciés qui n’apparaissent plus seulement comme les destinataires (comme c’est le cas dans la méthode précédente), mais comme les acteurs de la pédagogie. Contrairement à la précédente (où c’est l’enseignant qui sait pour les élèves), il s’agit d’une méthode qui a l’ambition de mettre en interaction dans une activité commune les élèves, l’enseignant et le savoir. Cette méthode centrée sur l’activité des élèves est dite « méthode active », car les élèves ne sont plus exclusivement tributaires de l’activité de l’enseignant ; ce qu’ils apprennent résulte pour une grande partie de l’activité qu’ils déploient eux-mêmes. Le terme d’école « active » apparaît en 1920, sous la plume de Ferrière ; depuis, l’expression « méthode active » est couramment utilisée. Encore faut-il préciser que l’activité des élèves n’est nullement exclusive de celle de l’enseignant. Ce n’est pas parce que les élèves sont actifs que ce dernier devient passif, car dans ce cas, l’activité dont il est question n’est pas une simple action, le fait de « faire quelque chose », mais bien plus. Elle est aussi appelée « méthode nouvelle », ce qui n’est pas sans être aujourd’hui paradoxal, car sur le plan théorique, des fondements se trouvent chez Montaigne, mais surtout chez Rousseau (cité dans Poedomenge, 1984). Sur le plan pratique, la période la plus riche se situe dans les dernières années du xixe et les vingt-cinq dernières années du xxe siècle. C’est pendant cette période que l’américain Dewey, l’italienne Montessori, le belge Decroly, les français Ferrière, Cousinet, Freinet et tant d’autres développent leurs pratiques novatrices. Différente, et parfois opposée aux pratiques traditionnelles, elle reste nouvelle aujourd’hui encore car, bien qu’ancienne, elle demeure peu utilisée et demande encore à être découverte pour la majorité des enseignants. Elle est de même appelée « méthode de redécouverte » ou « méthode appropriative », dans la mesure où les connaissances et les savoir-faire acquis résultent pour l’essentiel d’une activité personnellement prise en charge par les élèves. Il s’agit de mettre en pratique le principe selon lequel « quelque chose que l’on découvre soi-même est quelque chose que l’on sait pour toujours » (Poedomenge, 1984). La caractéristique principale de cette méthode consiste à créer un milieu éducatif (dont l’enseignant fait partie puisqu’il gère les interactions) qui permet aux élèves d’apprendre d’une manière plus active. Si ces différentes appellations donnent une idée de la nature de ces méthodes centrées sur l’activité des élèves, elles ne permettent pas pour autant de distinguer les différentes formes qu’elles peuvent revêtir selon l’activité demandée à l’élève et peuvent prêter à confusion surtout lorsqu’il est question de méthode appropriative. La classification de Wolfs (2001) clarifie le propos en les regroupant en deux grandes catégories, suivant le type d’activités attendues de la part des élèves : il distingue les méthodes incitatives des méthodes appropriatives. Les méthodes incitatives visent à faire participer les élèves à la découverte et à la construction du savoir. Il est possible d’en distinguer deux types. La méthode incitative de type 1 vise à susciter une activité d’observation chez l’élève ou un apport de données qui seront exploitées ultérieurement. La méthode incitative de type 2 vise, quant à elle, à faire participer les élèves à la construction d’un raisonnement. Cette dernière méthode incitative peut se présenter sous plusieurs approches comme le montre le tableau suivant.

Tableau 1

Les différentes approches de la méthode incitative de type 2 (selon Wolfs, 2001)

Les différentes approches de la méthode incitative de type 2 (selon Wolfs, 2001)

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En ce qui concerne la méthode appropriative, le professeur crée des situations d’auto-apprentissage en préparant les élèves à accéder par eux-mêmes à différentes sources de savoir. Ce type de méthode peut revêtir une forme individuelle, auquel cas les travaux sont réalisés par chaque élève, ou une forme collective dans le cas où les élèves travaillent en groupes.

Méthode centrée sur le contenu

Dans ce cas, l’enseignement est considéré comme une affaire trop sérieuse pour l’abandonner à l’intuition du professeur ou à l’initiative des élèves. Il s’agit de « supprimer l’effet du hasard dans la programmation éducative ». Or ces aspects aléatoires peuvent avoir, d’après Pelpel (1986), trois causes, d’ailleurs susceptibles de s’additionner : le contenu de l’enseignement, qui est mal structuré ou incompréhensible pour les élèves ; l’enseignant qui peut être incompétent, incohérent ou parasiter la relation de l’élève au savoir ; l’élève lui-même, dont les comportements sont imprévisibles et qui n’est pas assez sollicité au cours de l’apprentissage. Pour toutes ces raisons, il se peut très bien que le professeur fasse quelque chose, mais que ce ne soit pas de l’enseignement, que l’élève fasse aussi quelque chose, mais que ce ne soit pas de l’apprentissage, et qu’il ne s’agisse au total que d’un simulacre de pédagogie. Une part des origines de cette méthode serait constituée de la critique des méthodes précédentes ; elle s’appuierait aussi sur un fondement scientifique, en l’occurrence celui des théories de l’apprentissage (les méthodes actives se sont pour leur part appuyées sur les données de la psychologie du développement).

En définitive, il s’agit d’une méthode délibérément centrée sur le learning, et non sur le teaching ; l’élève se rapporte directement à un savoir préparé à son intention. Comme nous venons de le voir, les méthodes d’enseignement sont nombreuses et ont chacune des caractéristiques particulières. Comment dès lors les identifier dans une séquence d’enseignement ? De la multitude de grilles d’observation qui existent dans la littérature spécialisée, aucune n’englobait l’ensemble des caractéristiques des méthodes décrites plus haut. La grille d’observation (Sylla, 2004) que nous avons élaborée reprend un ensemble de 105 procédés didactiques[3] répartis en douze catégories et pouvant permettre d’identifier différentes méthodes d’enseignement. Par procédés didactiques, nous désignons les activités ou techniques particulières utilisées par l’enseignant et ayant une fonction didactique bien définie dans le cadre de l’approche méthodologique qu’il a choisie (Wolfs, 2000). Dans le cadre de cette étude, nous distinguons les procédés didactiques des méthodes, car chaque méthode fait appel à un certain nombre de procédés didactiques ou de techniques différentes.

Les méthodes d’apprentissage des élèves

Plusieurs méthodes d’apprentissage en sciences basées sur les théories constructivistes de l’apprentissage ont été proposées, notamment celle de Posner, Strike, Hewson et Gertzog (1982) qui décrit les conditions déterminant le changement cognitif qui doit se produire chez les apprenants. Selon cette théorie, les apprenants doivent d’abord reconnaître l’inadéquation de leurs conceptions existantes (insatisfaction). Ensuite, ils doivent comprendre la nouvelle conception qu’on veut leur enseigner, puis reconnaître que cette nouvelle conception est à la fois plausible et fructueuse pour leur apprentissage. Le développement de nouvelles connaissances nécessite donc une altération des constructions antérieures, dont il est le résultat. C’est que, selon Astolfi et Develay (1992), tout apprentissage vient interférer avec un « déjà-là » conceptuel qui, même s’il est faux sur le plan scientifique, sert de système d’explication efficace et fonctionnel pour l’apprenant. Ces représentations initiales, que d’autres auteurs nomment conceptions, sont conservées dans la mémoire sémantique et déterminent chez l’apprenant la manière dont vont se dérouler la sélection, l’interprétation et l’intégration de la réalité dans l’organisation des connaissances. Si la conception traditionnelle de l’éducation était l’organisation mentale et affective des élèves, la pédagogie contemporaine prônerait une éducation où l’activité propre de l’apprenant est le principal élément du processus de construction des connaissances. Dans cette construction des connaissances, il faut aussi parler de la présence d’« autrui », sa faculté de se comporter lui aussi comme si ses connaissances étaient vraies. Ainsi, il s’agit de ne pas considérer la construction des connaissances comme une tâche qui incombe exclusivement à l’enseignant. À ce propos, Giordan et De Vecchi (1994) pensent que l’apprentissage est un processus individuel au cours duquel les représentations se modèlent par paliers successifs, au contact de l’expérience. L’enseignant peut jouer un rôle crucial dans ce processus, son aide permettant à l’apprenant de dépasser ses représentations immédiates pour accéder à des représentations régulées et, par là, aux concepts scientifiques. La question d’apprentissage qui se pose alors pour l’enseignant est : « Comment organiser l’acquisition du savoir à travers des méthodes d’enseignement et de gestion de classe efficaces, en tenant compte des représentations des apprenants, de leurs stratégies d’apprentissage et du cadre contextuel de l’enseignement ? »

Méthodologie

Certaines recherches sur la variabilité des méthodes d’enseignement se sont inscrites dans une perspective d’intégration des variables venant de l’enseignant, de l’élève et du contexte (Altet, 1998), en tenant compte d’un paradigme pluridimentionnel du processus enseignement/apprentissage. D’autres se sont penchées sur l’un ou l’autre des processus d’enseignement, comme le révèle la synthèse qu’en a faite Dessus (1995) :

  1. soit sur les analyses du processus d’enseignement dans sa totalité (pré, inter et post-actif) ;

  2. soit sur les analyses de planification des séquences d’enseignement qui analysent seulement la phase préactive de l’enseignement ;

  3. soit sur les présentations de situations qui permettent aux sujets d’analyser a posteriori une situation d’enseignement typique.

Notre recherche va intégrer les processus 1 et 3, en analysant d’abord la phase active de séquences d’enseignement /apprentissage. Ensuite, à l’aide d’un questionnaire, l’occasion est donnée aux enseignants observés de s’engager dans une analyse réflexive de leurs prestations.

Échantillonnage

Sont concernés par la présente recherche deux types d’enseignement (général et technique), et deux types de disciplines : scientifique (biologie, chimie) et littéraire (français, histoire). Quant au choix des établissements et des enseignants observés, il s’agit d’un échantillonnage occasionnel effectué en fonction des possibilités que nous offrait le programme de l’agrégation de l’Université libre de Bruxelles (ULB), destiné à former des enseignants de l’enseignement secondaire supérieur. Lors des stages pratiques supervisés par des enseignants chevronnés, nos étudiants futurs enseignants sont placés dans des écoles secondaires réparties en Communauté française de Belgique dans les régions de Bruxelles Capitale et du Brabant wallon. Le souci des formateurs est de confronter les étudiants futurs enseignants à la plus large gamme de contextes scolaires possibles (écoles fortes, écoles faibles, écoles à discrimination positive, etc.). Signalons que les données de cette présente recherche ne concernent que des enseignants en exercice. Nous avions fait état, dans une recherche précédente, de différences entre novices et experts et de l’écart entre la formation théorique et la pratique réelle observée chez les étudiants futurs-enseignants en contextes scolaires.

Les instruments de recherche

La grille d’observation

Comme nous l’indiquions plus haut, la grille comporte 105 items répartis en douze grandes catégories dont voici un bref aperçu :

  1. Communication d’informations (apport de données par l’enseignant ou par les élèves…)

  2. Procédés didactiques utilisés par l’enseignant (visant la structuration de la leçon, la compréhension ou la mémorisation…)

  3. Types de questions posées par l’enseignant (questions de vérification, questions de découverte dont le but est de construire avec les élèves un raisonnement inductif, déductif ou hypothético-déductif…)

  4. Réponses et comportements des élèves (réponses aux questions, participation, échanges avec les pairs…)

  5. Démarche de l’enseignant dans l’interrogation (souci de faire participer les élèves, motivation, renforcement…)

  6. Organisation de la classe (individuelle, par groupes, classe entière)

  7. Comportements non verbaux de l’enseignant

  8. Clarté dans l’expression

  9. Utilisation du tableau

  10. Quantité de matière

  11. Évaluation des apprentissages

  12. Motivation

Le questionnaire

Le questionnaire a été élaboré dans l’idée de permettre à l’enseignant observé d’analyser sa séquence a posteriori et d’expliciter les facteurs déterminant ses choix didactiques. Cette analyse fait suite à une courte discussion avec l’enseignant avant la séquence d’enseignement/apprentissage. Comme dans la technique du « double agenda de Leinhart », nous lui posons la question : « Qu’allez-vous faire aujourd’hui ? » L’idée de ce questionnement préalable est de voir, à la fin de la séquence d’enseignement, si l’enseignant a modifié ou non sa planification et de déterminer les facteurs qui ont influencé ses décisions pédagogiques. Le questionnaire comporte quatre parties dont la première nous renseigne sur la planification écrite de l’enseignant. La deuxième est construite autour de questions permettant à l’enseignant de revenir sur sa leçon (changements, adaptations ou autres) et d’en faire une analyse réflexive. La troisième partie fait état d’une liste des procédés didactiques repris de la grille d’observation ; l’enseignant doit cocher ceux qu’il pense avoir utilisés et qui reflètent réellement ses démarches d’enseignement. La quatrième partie fait l’inventaire de facteurs relevés dans la littérature et étant susceptibles d’influencer le choix des méthodes d’enseignement. L’enseignant doit cocher et expliquer les facteurs qui lui paraissent les plus déterminants dans le choix des méthodes d’enseignement. Pour ne pas restreindre le choix des enseignants, une case intitulée « autres » leur permet d’ajouter des facteurs qui, à leurs yeux, influencent leurs approches pédagogiques.

Analyse des données

À la suite de cette procédure de recueil d’informations, nous avons retenu pour analyse, sur la base de critères de validité, 126 observations de leçons et 42 questionnaires complétés par les enseignants. Deux analyses ont été effectuées : une analyse descriptive, suivie d’une analyse quantitative. L’analyse descriptive a été réalisée en deux temps : d’abord, sur 42 leçons, nous avons effectué une analyse en termes de cohérence interne entre les objectifs, les méthodes d’enseignement utilisées et les modalités d’évaluation prévues à court, moyen et long terme, et une analyse par rapport à des critères d’argumentation. À cette analyse descriptive a été intégrée celle des 42 questionnaires post-activité, afin de mettre en évidence les facteurs déterminants les plus souvent évoqués par les enseignants. Ensuite, nous avons procédé à une analyse qualitative plus globale des 126 leçons observées pour en déterminer les tendances méthodologiques. À cela s’est ajoutée une analyse statistique de l’ensemble des 126 leçons, dans le but de rechercher les fréquences d’utilisation des différentes méthodes d’enseignement et éventuellement des différences significatives entre les disciplines investiguées et les types d’enseignement.

Résultats

De l’analyse descriptive des leçons, il ressort que les méthodes transmissives sont plus utilisées que celles basées sur les théories constructivistes de l’apprentissage. Quel que soit le type d’enseignement ou la discipline, les leçons restent basées sur des formes traditionnelles d’enseignement. En début de leçon, peu d’enseignants présentent des situations tendant à susciter l’émergence des représentations. Quand de telles situations sont proposées, les réponses des élèves sont peu ou pas exploitées. Dans de tels cas, les méthodes incitatives, lorsqu’elles sont appliquées, ne le sont pas dans leur globalité, mais plutôt par certaines de leurs composantes (faire observer, répondre à des questions factuelles), ce qui fait que les leçons restent dans l’incitatif de type 1, c’est-à-dire avec juste un apport de données de la part des élèves en début de leçon.

Des différences sont apparues entre les disciplines : en chimie, contrairement aux autres disciplines investiguées, les méthodes centrées sur la réalisation d’exercices semblent être privilégiées. Elles sont toutefois précédées d’une partie transmissive ou incitative de type 1, ce qui fait que les exercices ne sont que de simples applications de lois et de formules déjà énoncés par l’enseignant au lieu d’être axés sur des résolution de problèmes. L’analyse statistique confirme ces résultats. En ce qui a trait à la communication d’informations, quelle que soit la discipline, les enseignants exposent plus qu’ils ne sollicitent l’apport de données de la part des élèves ; les différences observées sont significatives. De plus, par rapport à ces deux modalités, des différences significatives apparaissent entre les disciplines : en français et en histoire, les enseignants semblent solliciter davantage les élèves qu’en biologie et chimie (Graphique1).

Graphique 1

Communications d’informations

Communications d’informations

Notes :

P = enseignant

Mean = nombre de fois (moyenne) où l’enseignant a exposé des faits, des lois, des concepts, des résultats, etc.

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Même si les méthodes traditionnelles semblent être privilégiées par les enseignants, les exposés se donnent plutôt à l’aide de supports. Ceux-ci restent cependant peu innovants (manuels scolaires, photocopies, transparents). L’exploitation de ces supports rélève de procédés indicateurs d’un mode de transmission et non d’un souci de faire participer les élèves à un raisonnement. En effet, il s’agit de descriptions et/ou de commentaires faits par l’enseignant. Des différences significatives sont également apparues entre les disciplines dans d’autres procédés didactiques révélateurs de méthodes d’enseignement traditionnelles : procédés visant soit la structuration de la leçon, la compréhension et/ou la mémorisation des concepts et notions enseignés, soit des procédés visant à favoriser la prise de notes (Graphique 2).

Graphique 2

Procédés didactiques observés

Procédés didactiques observés

Note :

Mean = nombre de fois (moyenne) où l’enseignant a utilisé, au cours d’une leçon, l’un ou l’autre procédé didactique indiqué en légende.

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Comme le montre le graphique 2, les procédés visant à favoriser la compréhension semblent être la priorité des enseignants. Il s’agit de procédés tels que donner une définition, expliquer un concept ou une notion, reformuler des idées, faire des analogies et/ou des métaphores, donner des exemples et/ou des contre-exemples, faire des comparaisons, schématiser, etc.

L’analyse des types de questions posées par les enseignants confirme cette tendance à la transmission des connaissances, avec toutefois des différences : les enseignants semblent être plus transmissifs dans les disciplines scientifiques que dans les disciplines littéraires. En effet, les questions visant à faire découvrir le savoir par les élèves sont plus pratiquées en histoire et en français qu’en biologie et chimie (graphique 3).

Graphique 3

Questions posées

Questions posées

Notes :

P = enseignant

Mean = nombre de fois (moyenne) où l’enseignant a posé soit des questions de vérification, soit de questions de découverte.

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Tableau 2

Facteurs ayant une influence sur le choix des méthodes

Facteurs ayant une influence sur le choix des méthodes

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Toutefois, l’analyse statistique n’a pas révélé de différences significatives qui nous permettraient de conclure que dans les disciplines littéraires, les nouvelles méthodes d’enseignement sont plus souvent utilisées. Cela s’explique par le fait que les questions de découverte restent limitées à des questions d’analyse ou de comparaison de données fournies par l’enseignant. Les questions visant à favoriser la recherche, la confrontation et la validation d’hypothèses, les questions de conceptualisation, d’interprétation et les questions visant à faire dégager les conclusions d’un raisonnement ont été peu ou pas observées.

Pourquoi les enseignants ne posent-ils pas ces types de questions révélatrices de démarches didactiques basées sur la découverte et la construction du savoir ? Les données recueillies, grâce au questionnaire, nous renseignent à ce sujet.

Discussion

Les facteurs limitants les plus souvent évoqués par les enseignants interrogés sont le temps (76,19 %), le niveau des élèves (42 %), la participation des élèves (40,6 %), le climat de la classe (38 %), le matériel didactique (23 %), la formation initiale (23 %) et les méthodes d’apprentissage des élèves (19,4 %). Les enseignants ont également évoqué la motivation (les nouvelles méthodes demandent un inves-tissement de la part, non seulement de l’enseignant, mais aussi des élèves) ainsi que d’autres facteurs liés à l’environnement scolaire (type d’école, effectifs, programmes, rapports entre les collègues, etc.). Ces résultats rejoignent ceux de Dreyfus et Mazouz (1989) et Vonk et Schiras (1987). Nous discuterons suc-cessivement de quelques-uns des facteurs les plus souvent cités par les enseignants.

Le temps

Le temps semble être le facteur déterminant dans le choix des méthodes d’enseignement ; jugé insuffisant par les enseignants, leurs choix pédagogiques se portent sur les méthodes transmissives, plus économiques, plus rapides, permettant de faire passer un maximum de connaissances en un minimum de temps. De plus, les enseignants décrivent le temps scolaire comme étant découpé avec une régularité qui confine à la rigidité (leçons de 50 minutes) ; les savoirs sont envisagés dans un cadre disciplinaire, les progressions annuelles et les contenus sont distingués en objets indépendants et bien identifiés. Tous ces facteurs, auxquels s’ajoute le cadre scolaire, ne permettent pas, de l’avis des enseignants, l’émergence des nouvelles méthodes d’enseignement.

Le niveau, la participation des élèves et le climat de la classe

Dans une séquence d’enseignement, l’enseignant ne gère pas que des contenus. La gestion de la classe et l’enseignement proprement dit (gestion de la matière) sont si étroitement liés qu’il est difficile de les démêler, soit sur le plan chronologique, soit sur le plan conceptuel. Dans le cas d’une classe dont le niveau est jugé bon par l’enseignant, il est particulièrement difficile d’établir des distinctions ; l’entente entre élèves et enseignant, qui s’est souvent édifiée sur une longue période, rend inutiles les actes de gestion de la classe, voire les fait même disparaître dans la fluidité de l’activité globale de la classe. Cependant, les choses ne se passent pas ainsi dans les classes dont le niveau est jugé faible par l’enseignant ou celles où se posent des problèmes de discipline. Dans ce cas, les manoeuvres concrètes qui visent à établir les routines de base, à imposer une structure aux activités et/ou à maintenir la discipline sont rapidement prises en considération. Dans de telles situations, les problèmes de conduite de la classe peuvent prendre le pas sur toutes les autres activités fondamentales de l’enseignement, ce qui, de l’avis des enseignants interrogés, ne leur laisse pas une marge de manoeuvre suffisante pour susciter et entretenir des interactions avec les élèves.

Le matériel didactique

À ces facteurs temps et climat de la classe, il convient d’ajouter l’inadéquation et le non-renouvellement du matériel didactique ; bien souvent inexistant ou obsolète, il ne permet pas, de l’avis des enseignants, la mise en place de nouvelles méthodes d’enseignement. De plus, en Communauté française de Belgique, aucun manuel n’est disponible pour les programmes de biologie au secondaire supérieur. Cela explique l’emploi massif de photocopies dans l’enseignement de cette discipline. Les enseignants interrogés dénoncent également le fait que l’investissement dans un matériel didactique adéquat nécessite un investissement personnel et matériel qu’ils ne peuvent consentir à faire durant de nombreuses années. Les leçons restent par conséquent traditionnelles, bien que les enseignants interrogés disent être ouverts au changement.

La formation

Dans ce contexte, il devient pertinent de se poser la question de l’efficacité de la formation initiale. En effet, dans la plupart des programmes de formation d’enseignants, les méthodes basées sur les théories constructivistes de l’apprentissage sont recommandées. Cependant, une fois sur le terrain, les enseignants ont recours à des formes traditionnelles d’enseignement. Aux contraintes organisationnelles et matérielles s’ajoutent certainement les représentations et les modèles d’enseignement vécus en tant qu’élève par les futurs enseignants. Ces représentations, qui ont une forte résonnance dans leur subconscient, s’opposent peut-être à leur volonté d’innovation. Dans la présente étude, même si seulement 4,76 % des enseignants interrogés font référence aux souvenirs de leurs anciens professeurs, les « façons de faire » observées ne sont que la reproduction plus ou moins lucide des pratiques traditionnelles vécues. Pratiques traditionnelles qui, du fait de leur ancienne expérience d’élève, sont celles qui leur sont les plus familières. La formation initiale pourrait donc être davantage axée sur la prise en compte de ces représentations, en se donnant comme priorité leur explicitation et leur évolution. Il pourrait aussi s’agir d’une mise en adéquation de ces représentations avec les réalités du terrain. À cela devrait s’ajouter un travail en formation continue, sur le processus de construction des compétences professionnelles à travers la réflexion dans et sur la pratique et les échanges avec les pairs.

Conclusion

Les facteurs limitants les plus souvent évoqués par les enseignants pour expliquer la faible pénétration de nouvelles méthodes d’enseignement dans le secondaire supérieur semblent être le temps, le niveau et la participation des élèves, le climat qui règne dans la classe, le matériel didactique et la formation initiale. Le temps scolaire, constitué d’unités relativement courtes, ne favorise ni l’émergence, ni l’expérimentation de méthodes nouvelles. Ce temps paraît être insuffisant pour gérer des classes de niveau faible ou celles où existent des problèmes de discipline. Le matériel didactique souvent inexistant, généralement obsolète, ne permet pas non plus l’innovation. Dans un tel contexte, il paraît évident que si l’on veut permettre l’émergence de nouvelles approches didactiques, une prise en compte des contraintes organisationnelles et matérielles s’avère nécessaire. À cela il convient d’ajouter une réflexion sur une formation initiale articulée autour des problèmes d’applicabilité des méthodes d’enseignement innovantes, axées sur un travail d’acquisition de la part des élèves et non un travail de transmission de la part des enseignants. Les objectifs d’une formation initiale et continue efficace pourraient aussi consister à susciter l’explicitation et l’évolution des représentations du métier et de l’exercice professionnel, ainsi que permettre à tout enseignant d’être capable d’identifier et d’expliciter son style interactif global et la variabilité de ses démarches didactiques.