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Le livre coordonné par Diane-Gabrielle Tremblay porte sur un thème d’actualité, intéressant autant les politiques publiques, les entreprises et les salariés. En effet, la compatibilité entre les temps professionnels, les temps familiaux et personnels s’avèrent d’être une préoccupation majeure de la vie quotidienne dans les pays industrialisés, terrain privilégié des recherches présentées dans cet ouvrage. Quels sont les chemins que les auteurs ont parcouru pour aborder le problème de la conciliation emploi-famille ?

L’ouvrage est structuré en quatre parties.

La première partie, intitulée « les enjeux » met l’accent sur la difficile conciliation entre les temps sociaux (Dominique Méda) rendant difficile la gestion des temps, mais aussi l’accès à l’emploi et la construction des carrières des femmes. Plusieurs solutions pourront être envisagées : le développement des modes de garde des enfants, la gestion concertée du temps des villes, la réduction de la durée du travail, un aménagement négocié des horaires de travail, et l’incitation des hommes à prendre leur part de responsabilités familiales. La seconde contribution (Gilbert de Terssac et Anne Flautre) continue cette réflexion sur la réduction de la durée du travail en s’interrogeant sur cette opportunité de remettre en cause la division sexuelle du travail et de rapprocher les deux sexes. Ce rapprochement pourrait s’opérer dans le travail professionnel, dans la sphère privée, mais encore dans une troisième sphère d’un « temps apprivoisé », permettant la redécouverte d’un temps non contraint. Ce rapprochement des sexes n’équivaut pourtant pas à un effacement de la division en genres (Francine Descarries et Christine Corbeil). L’enjeu de connaissance porterait sur l’adoption d’un modèle d’analyse qui tient compte de la nature sexuée de la réalité en observation, des tensions et des recouvrements entre les univers familial et professionnel et de la diversité de besoin des « conciliatrices » et des « conciliateurs ». Ces besoins concernent aussi la santé. Dans le cadre d’un bilan de la littérature sur les impacts de la conciliation emploi-famille sur la santé (Nathalie St-Amour) nous apprenons de ses incidences sur la santé mentale et physique et sur les conséquences pour la vie conjugale et familiale. C’est la course contre la montre, responsable des principaux effets négatifs sur la santé des individus.

Le cas des femmes immigrées au Québec (Natacha Normand et Diane-Gabrielle Tremblay) met en valeur la construction de divers indicateurs pour mesurer les possibilités de conciliation : la division des rôles, le problème de garde, la gestion du temps, les facteurs de réussite, la stratégie du couple, le travail autonome, le profil personnel et l’apport du conjoint constituent les principaux indicateurs de cette analyse.

La première partie est alors clôturée par une interrogation des temps parentaux et en particulier des possibilités de l’aménagement du temps, comme projet global et coordonné par les instances politiques et administratives (Gilles Pronovost). La question d’un temps choisi reste d’actualité, dans le cadre d’avancées timides vers une meilleure compatibilité des temps sociaux, mais aussi dans le contexte d’une précarité grandissante.

La seconde partie s’interroge sur le rôle des institutions, du gouvernement, des entreprises et des syndicats.

D’abord, l’ouvrage enquête sur les raisons pour lesquelles les entreprises mettent en place des mesures de conciliation emploi-famille (Hélène Lee-Gosselin). Alors que la rationalité économique et la responsabilité sociale poussent les entreprises à mettre en place des dispositifs de conciliation, une lecture plus détaillée de ces dispositifs montre que ceux-ci ne dépassent que rarement le minimum exigé par la loi, ne sont proposés qu’aux employés clés de l’entreprise, ne font pas l’objet d’une réelle évaluation périodique, et produisent souvent des conséquences négatives sur la vie professionnelle.

La pertinence des politiques gouvernementales et des actions spécifiques visant le milieu familial et le milieu du travail sont alors préconisées (Marguerite Blais) : évaluer les effets de la loi sur les heures d’ouverture des commerces, poursuivre l’amélioration des lois du travail, utiliser le secteur public pour impulser des politiques ambitieuses. Comme les gouvernements, les organisations syndicales peuvent esquisser un tel projet politique en matière de conciliation travail-famille (Chantal Roy). Cette contribution expose l’exemple d’une telle initiative syndicale au Québec autour de quelques principes : la prise en compte de la dimension familiale dans le travail, conférer un rôle exemplaire à l’État employeur, exercer une influence sur la gestion des ressources humaines, accroître la satisfaction du personnel, mais aussi son engagement vis-à-vis de l’organisation. Une autre contribution déplace ce regard vers la politique familiale et sur l’analyse du soutien aux femmes au foyer (Ruth Rose). Une comparaison des politiques familiales entre le Québec et d’autres provinces canadiennes permet d’argumenter en faveur d’une aide au développement des enfants pauvres.

Ensuite, une troisième partie, plus courte, se concentre sur le rôle des villes.

Alors que le premier article s’interroge sur l’origine et la portée du concept de temps des villes en s’appuyant sur les politiques de la famille des municipalités locales du Québec (Michel de la Durantaye), le second article met en relief la transférabilité des expériences européennes au Québec avant d’exposer le projet de politique familiale de la Ville de Québec (Nicole Brais).

La conclusion tranche en faveur de la nécessité d’un débat de niveau national. En revanche, les accords et les négociations concrètes de la conciliation seront plutôt envisagées à un niveau local, interpellant en particulier les acteurs municipaux.

La quatrième et dernière partie de ce livre est consacrée à la comparaison des politiques de conciliation dans différents pays : la Suède, la France, les États-Unis, la Finlande, et le Japon. Nous partons à la recherche de modèles ou de types de conciliation (Diane-Gabrielle Tremblay). En tout, trois modèles différents sont dégagés. Le premier concerne la coexistence entre emploi et famille, sans avoir à sacrifier l’un ou l’autre. Le second modèle porte sur l’alternance entre emploi et famille. Avec ce modèle l’intervention publique incite l’une des deux sphères à s’effacer au profit de l’autre. Enfin un troisième modèle « non interventionniste » conduit à une conception exclusivement privative de l’articulation emploi-famille. Cette recherche comparative des politiques nationales se termine avec un exemple concernant les sociétés finlandaise et japonaise (Bernard Fusulier). La société finlandaise est caractérisée par l’étendue et par la qualité des dispositifs assurés et garantis par l’État social, faiblement différencié selon le genre. Le cas du Japon en revanche, montrerait un maintien d’un modèle alternant travail-famille fortement différencié selon le genre. Cette division sexuée du travail rend la conciliation particulièrement difficile, au niveau individuel, professionnel et familial. Cet exemple plaide en faveur d’une politique cumulative.

En résumé, cet ouvrage intéressant a le mérite d’avoir franchi le pas d’une analyse de situations diverses, à une discussion sur une politique possible des temps sociaux, analysée à l’aide d’exemples concrets. À la vue de ces recherches, l’initiative politique émerge de niveaux forts différents, des entreprises, des familles et communautés, des villes, des régions, du niveau national. Le problème de la conciliation devient alors un problème de coordination politique de ces différents niveaux. D’où l’intérêt de conserver une place aux politiques publiques et nationales. Plus que de décréter une ligne à suivre, il pourrait s’agir de fournir un cadre aux arrangements multipolaires que l’enjeu social de la conciliation risque d’imposer à l’avenir.