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Une retombée inattendue des essais nucléaires

La neurogenèse corticale chez l’homme n’a lieu que pendant le développement périnatal

La datation des fossiles au 14C est une technique bien connue des archéologues pour les temps préhistoriques. Elle est fondée sur la stabilité de cet isotope dans l’atmosphère, au cours des temps géologiques. Elle est cependant peu fiable pour les temps modernes étant donnée sa période (5 730 ans). Mais, le génie humain étant sans limites, une équipe suédoise de l’Institut Nobel (l’inventeur de la dynamite) a mis au point l’année dernière [1] une méthode fondée sur l’augmentation du taux de 14C dans l’atmosphère suite aux essais nucléaires en plein air avant la signature du traité de non-prolifération nucléaire en 1962. En effet, le taux de 14C dans l’atmosphère a pratiquement doublé entre 1955 et 1963 avant de diminuer de manière exponentielle grâce à l’arrêt des tests et à son rééquilibrage dans le biotope : le 14C réagit avec l’oxygène de l’air pour former du CO2 qui est alors incorporé dans les plantes lors de la photosynthèse. Notre consommation de plantes (et des animaux qui s’en nourrissent) amène à des concentrations internes de 14C du même niveau que les concentrations dans l’atmosphère à un temps donné. Comme l’ADN d’une cellule est stable après que celle-ci ait subi sa dernière division, il devient donc possible d’obtenir rétrospectivement la date de naissance d’une cellule. Cette datation est particulièrement intéressante dans le cas des neurones puisque le dogme de leur non-prolifération chez le mammifère adulte a été largement battu en brèche ces dix dernières années. Un consensus existe sur la production continue de précurseurs neuronaux dans deux régions du cerveau : la zone sous-granulaire du gyrus denté de l’hippocampe et la zone située sous les ventricules latéraux d’où les cellules migrent vers les bulbes olfactifs. Cependant, l’importance de cette néoneurogenèse chez l’adulte décroît au cours de la phylogénie, des poissons et oiseaux aux rongeurs puis aux primates non humains. Une des controverses les plus aiguës en neurosciences est son existence dans le néocortex de l’homme adulte [2]. Le cortex humain contient environ 10 milliards de neurones et c’est le principal organe dont dépendent nos capacités cognitives de raisonnement et de théorisation. La question de savoir quand ces cellules sont engendrées et quelle est leur durée de vie est cruciale pour notre compréhension du fonctionnement cérébral et, au-delà, de l’hominisation. Dans leur première étude, les auteurs avaient montré le renouvellement de cellules non neuronales comme celles du tractus gastro-intestinal et du muscle ainsi que celui des cellules gliales du cortex occipital mais l’âge des neurones dans cette région remontait à la date de naissance des individus testés [1]. Dans leur nouvel article [3], ils appliquent la méthode aux autres lobes du cortex humain et obtiennent une date de naissance de 0,0±0,4 an après la date de naissance des sujets. Pour vérifier ces résultats, les auteurs ont alors eu l’idée d’utiliser une autre méthode fondée sur l’analyse des cerveaux de patients cancéreux ayant reçu, pour des raisons diagnostiques, une injection de BrdU, un marqueur de prolifération. La durée de survie après les injections était de 4,2 mois à 4,3 années. Sur les 515 cellules BrdU positives analysées, aucune ne correspondait à un neurone visualisé par des marqueurs sélectifs (NeuN ou neurofilaments). Étant donné les limites de détection des deux méthodes, il est clair que si l’on ne peut exclure formellement une neurogenèse chez l’adulte, elle ne représenterait qu’une infime proportion de la quantité totale de neurones et que la durée de vie de ces neurones, s’ils existent, serait inférieure à 4,2 mois. Si on utilise le rasoir d’Occam[1], on peut donc conclure que la non-prolifération des armes nucléaires à la suite de l’arrêt des essais atmosphériques a conduit à la démonstration de la non-prolifération des neurones du cortex humain chez l’adulte…

Causes moléculaires de l’agressivité… chez les mouches

Partout, dans le règne animal, sévissent des comportements agressifs, mais on connaît encore mal les facteurs environnementaux et génétiques qui les régissent. Chez la souris, certains gènes, découverts souvent par hasard, sont impliqués à la fois dans l’agressivité et dans le métabolisme de la sérotonine [4]. Chez la drosophile, l’agressivité des mouches sauvages est nettement plus importante que celle des lignées de laboratoire. Pour savoir si cette baisse de l’agressivité était due à une pression de sélection au cours de la reproduction, des auteurs californiens viennent de mener à bien une expérience qui leur a permis, non seulement d’obtenir des mouches de plus en plus méchantes, mais aussi d’identifier certains gènes qui interviennent indiscutablement dans le comportement [5]. Ils ont d’abord observé les différentes habitudes des drosophiles mâles et découvert une variété de comportement, connu chez les diptères mais jamais encore décrit chez les drosophiles : certains mâles délimitent leur territoire en abaissant leur abdomen et en le frottant sur la nourriture tout en se déplaçant sur une certaine surface. Puis, en sélectionnant les mâles les plus dominateurs (Aggr) et les plus tranquilles (Neutr) et en les faisant se reproduire avec des femelles de la même génération, ils ont obtenus deux lignées Aggr I et II et deux lignées Neutr I et II, qu’ils ont observées pour les comparer. En dix générations, la différence - mesurée à l’aide de quatre paramètres (fréquence et durée des combats, intervalle et temps de latence entre deux combats) - entre les lignées Aggr et les lignées Neutr est évidente. Après 21 générations, l’agressivité devient 30 fois plus élevée. Les vidéos qui accompagnent la publication attestent du caractère vraiment insupportable des Aggr. Il est à noter toutefois qu’elles ne sont pas sexuellement plus actives que les Neutr. Des mesures comparatives d’expression des gènes dans le cerveau ont alors été effectuées. Parmi environ 80 gènes analysés, les auteurs ont trouvé deux gènes liés au comportement. Le premier Cyp6a20 code un cytochrome P450 connu pour être impliqué dans la croissance, le développement, la détoxification et la reconnaissance des phéromones. Dans les lignées où il est déficient, l’agressivité est nettement accrue. Les auteurs supposent que l’incapacité de dégrader les phéromones donnent aux mouches déficientes une sensibilité augmentée à ces substances, ce qui multiplierait la fréquence des combats. Le second dont l’expression est aussi nettement diminuée dans les lignées agressive est le gène Obp56a qui code une protéine liant les odeurs. Il est possible que les mouches moins réceptives aux odeurs ne respectent pas le territoire déjà marqué par des mâles, ce qui entraînerait des conflits territoriaux dont les humains sont familiers… Mais aucun de ces gènes n’est en rapport avec la sérotonine. Gardons-nous donc d’en tirer des conclusions pour les mammifères.

Les canaux capacitifs enfin identifiés ?

Dans de très nombreux types cellulaires, la libération de calcium (Ca2+) à partir du réticulum endoplasmique s’accompagne d’un influx calcique engendrant un courant de type ICRAC (calcium release-activated calcium current) qui transite à travers des canaux capacitifs ou SOC (store-operated calcium channels). Des travaux récents viennent de jeter les bases d’une compréhension moléculaire de cette signalisation calcique. Une étape essentielle a été franchie après la mise en évidence du rôle des protéines STIM (stromal interaction molecule, chez la drosophile) et STIM1 (son homologue chez les mammifères) dans l’activité des SOC. STIM1, rencontrée au niveau du réticulum, possède un domaine transmembranaire avec, au niveau de sa partie amino-terminale intraluminale, un motif de type E-F hand fixant le Ca2+ [6]. Plus récemment, l’identification de Orai1 (ou CRACM1) a été décisive pour la compréhension de l’identité moléculaire des canaux SOC [7, 8]. Orai1/CRACM1 est une protéine de la membrane plasmique constituée de 4 segments transmembranaires avec des extrémités amino- et carboxy-terminales intracytoplasmiques. Orai1 (ou ses homologues Orai2 et Orai3) forme le pore du canal [9-11]. Sur la base des données publiées ces derniers mois, le modèle suivant peut être proposé : STIM1, un « senseur » de Ca2+, activerait les canaux SOC ainsi que certains TRPC (transient receptor potential proteins of C-type) [12] en réponse à la baisse de la concentration calcique dans le réticulum. Mais ces résultats laissent cependant plusieurs questions sans réponse, notamment celle du rôle des TRPC dans le contrôle des flux calciques dépendant des SOC : longtemps considérés comme des éléments essentiels à la structure et au fonctionnement des SOC, les dernières études remettent en question leur implication.

La plus vieille tumeur du monde

Pourquoi diable la revue Cell publie-t-elle un article sur un sarcome histiocytaire du chien, décrit en 1870 [13] ? Parce qu’il s’agit du seul exemple connu de tumeur « contagieuse », transmise non par des agents oncogéniques, mais par « greffe » de cellules d’un chien à un autre via le coït, ou par morsures, léchages, reniflages et autres modes de salutations canines. Ce sarcome atteint en effet les muqueuses génitales (et plus rarement la sphère ORL), mais handicape peu l’animal, qui a le temps de le transmettre, et il régresse souvent spontanément. L’énigme scientifique que pose la tumeur canine, en partie résolue dans l’article publié dans Cell [13], connaît un regain d’intérêt car des tumeurs faciales transmises par morsures ont été observées récemment chez le « diable de Tasmanie » [14], le plus gros des marsupiaux carnivores, espèce rare dont la disparition pourrait être accélérée par cette pathologie. C. Murgia et al., appliquant une analyse génomique sophistiquée et la dissection des groupes tissulaires des tissus sains et tumoraux de chiens des cinq continents, confirment le caractère allogénique de toutes les tumeurs, démontrent l’origine cellulaire clonale de la tumeur, identifient la race du coupable initial, et datent approximativement l’émergence de la maladie. Les cellules tumorales sont aneuploïdes, mais le caryotype des différentes tumeurs est d’une stabilité surprenante. Un rétrotransposon de type LINE (long interspersed nuclear element) inséré en amont du gène myc, signe pathognomonique déjà connu, est présent dans toutes les cellules. Elles partagent toutes les mêmes allèles des quatre groupes du CMH canin (DLA, dog leukocyte antigens) - différant des allèles des tissus sains de l’hôte - et souvent sous forme haploïde. Une diminution de l’expression des antigènes de classe I et II à la surface des cellules tumorales explique probablement la tolérance de ces tumeurs allogéniques chez les chiens atteints. Un génotypage plus précis des séquences microsatellites et de l’ADN mitochondrial des tumeurs a révélé leur très faible hétérogénéité et une grande proximité phylogénique, malgré les différences d’origine géographique et de race des animaux étudiés. Cette similitude d’une tumeur à l’autre contraste avec les divergences attendues des résultats du génotypage des microsatellites et de l’ADNmt des tissus sains de ces chiens. Les calculs situent l’émergence de la tumeur il y a entre 250 et 2 500 ans et probablement dans un loup et/ou un chien d’origine asiatique, qui, semble-t-il, fut l’ancêtre de beaucoup de nos chiens domestiques [15]. Une telle stabilité du caryotype et des séquences microsatellites au cours des innombrables mitoses de cette tumeur disséminée depuis des siècles dans le monde entier est exceptionnelle, sans qu’on puisse actuellement en fournir l’explication. Peut-être les clones plus agressifs ont-ils tué leurs hôtes… qui ne peuvent plus témoigner ? Hormis les cas exceptionnels de développement tumoral dans un organe greffé, sommes-nous à l’abri de l’émergence chez l’homme d’un tel « parasitisme cellulaire » ? Principe de précaution oblige, évitons de mordre nos voisins…

Que sait-on de la fièvre hémorragique de Warburg ?

À l’automne 1998, en République Démocratique du Congo, une épidémie de fièvre hémorragique suscitait l’inquiétude en raison de sa gravité : évolution fatale dans 83 % des cas. Était-ce une nouvelle maladie émergente ? Quel était le risque de son extension ? Une équipe très internationale, coordonnée par le Center for Disease Control (CDC) d’Atlanta (états-Unis), en a fait l’étude épidémiologique et virale [16]. C’est en 1967 que l’affection avait été décrite en Allemagne après contact avec des singes verts [17] et, depuis, de façon sporadique, en Afrique [18]. Concernant la dernière épidémie, les auteurs ont recensé 154 cas dont 48 confirmés en laboratoire. Une symptomatologie sévère très multiforme est présente dans tous les cas. L’épidémie est clairement centrée sur le village de Durba (25 000 habitants), où sont exploitées des mines d’or. La désorganisation du pays a touché cette exploitation où travaillent actuellement de façon mal contrôlée des jeunes gens peu formés. Ce sont en majorité ces jeunes mineurs qui ont été atteints, mais aussi leur famille et leurs voisins. On a aussi observé quelques infections nosocomiales dans les hôpitaux. Les sujets atteints appartenaient à des groupes ethniques variables, mais chez tous il y avait un lien avec Durba. La notion d’un contact était observée chez 67 % (57/70) des malades autres que les mineurs, chez 27 % (20/75) seulement des mineurs (p < 0,001). L’étude rétrospective des cas entre 1998 et 2000 a montré un caractère saisonnier, avec début en octobre, pic en janvier, février. Les examens de laboratoire ont été pratiqués soit au CDC, soit au NICD (National Institute for Communicable Diseases) de Johannesburg (Afrique du Sud) ; ils ont permis l’identification de la protéine 35 (VP35) du virus par RT-PCR, et la mise en évidence d’une réaction immunitaire. Au moins 9 lignées différentes ont été identifiées de façon reproductible, mais le réservoir du virus n’est toujours pas connu. Une mine profonde, Gorumbwa, comportant plusieurs tunnels est particulièrement suspecte, la majorité des mineurs y ayant travaillé. Une détérioration des systèmes de pompage y a permis la multiplication de nombreuses espèces animales, rongeurs, chauve-souris, batraciens, insectes… Son inondation progressive a entraîné la cessation de l’épidémie. L’une ou plusieurs de ces espèces vivant dans les mines ou les caves serait très probablement le(s) réservoir(s) de la fièvre de Marburg.

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Cercopithecus aethiops

Cercopithecus aethiops

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L’interférence par l’ARN, outil thérapeutique de la dégénérescence maculaire liée à l’âge ?

Le globe oculaire est un compartiment relativement isolé qui en fait un lieu de choix pour la thérapie génique ainsi que pour la délivrance de siARN. Cette dernière stratégie fait actuellement l’objet d’essais cliniques dans la forme exsudative de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). La DMLA est la cause la plus fréquente de baisse d’acuité visuelle dans les pays industrialisés. Dans sa forme exsudative, la croissance de nouveaux vaisseaux anormaux dans la portion centrale de la rétine entraîne une diminution brutale de l’acuité visuelle. Le facteur angiogénique VEGF (vascular endothelial growth factor) joue un rôle majeur dans le développement de ces néovaisseaux [19] et constitue une cible de choix des stratégies thérapeutiques récentes visant à inhiber localement son effet. Celles-ci comprennent le développement de fragments d’anticorps anti-VEGF (RhuFab-Lucentis®, Bevacizymab-Avastin®) ou l’utilisation d’aptamères (Pengaptanib-Macugen®). L’emploi de siARN pour inhiber la synthèse de VEGF est une alternative intéressante dont l’efficacité a été démontrée in vitro et sur un modèle murin de néovascularisation choroïdienne [20] malgré des résultats non concluants sur un modèle de primate [21, 22]. Cette approche est développée par la société Acuity Pharmaceuticals (Philadelphie, Pensylvanie, États-Unis) qui possède un brevet pour l’utilisation de la technologie siARN dans un but anti-angiogénique visant en particulier le VEGF et deux de ses récepteurs cellulaires. Les résultats préliminaires de l’essai de phase II obtenus par injection intravitréenne de leur molécule phare, le Bevasirnaib (Cand5®), ont été présentés à la société américaine de thérapie génique à Baltimore le 1er juin dernier. Il s’agit de la première étude clinique utilisant l’approche siARN. L’essai porte sur 129 patients et démontrerait l’efficacité du Bevasirnaib sur la réduction de la croissance et de la fuite des néovaisseaux avec amélioration concomitante de l’acuité visuelle et une bonne tolérance, l’effet étant maintenu plusieurs mois. Les résultats définitifs de cet essai devraient être publiés en octobre 2006 et un essai de phase III débutera à la fin 2007. Acuity pharmaceuticals a également initié des études dans d’autres indications telles que l’oedème maculaire du diabétique et le développement de siARN à visée anti-inflammatoire pour une application dans la pathologie ophtalmologique. D’autres équipes étudient l’effet de cette approche sur la néovascularisation cornéenne et les premièrs résultats sont également encourageants [23, 24]. L’innocuité du traitement ouvre également la voie à d’autres applications non restreintes à l’espace oculaire privilégié. Il s’agit en particulier d’obtenir la suppression d’ARN viraux infectieux, de cancers ou de produits de gènes mutants dans les maladies dominantes [25-29].

Comment les maladies infectieuses émergent dans les marchés chinois

Un vieux proverbe chinois dit que les gens de Pékin parlent de tout, que ceux de Shanghai font commerce de tout, et que les gens de Guangzhou mangent de tout. Effectivement, ils consomment même des nourritures qui nous paraissent étranges comme les chauve-souris ou les civettes, qu’ils préfèrent acheter vivantes pour les cuisiner, la congélation étant supposée nuire aux propriétés bénéfiques de ces mets. D’où l’existence, en pleines zones résidentielles, de wet markets, marchés où sont vendus des animaux en cage. Une équipe de Hong Kong a étudié, sur deux exemples - le SARS (severe acute respiratory syndrome) et la grippe aviaire - les facteurs épidémiologiques de ces maladies zoonotiques, et propose des mesures à prendre pour éviter leur diffusion [30]. Le réservoir de l’agent pathogène peut être vivant ou non (déjections sur le sol) et les mécanismes de diffusion sont complexes. Une transmission directe à l’homme est possible par ingestion, par voie percutanée, mais surtout par voie respiratoire pour les formes les plus sévères. Le virus peut aussi s’accumuler dans d’autres organismes qui ne sont pas les réservoirs, mais des épicentres au sein desquels il peut se modifier par réassortiment ou recombinaison, évoluant vers des variantes hautement transmissibles, d’autant plus que la densité est élevée et que la proximité des humains est étroite. La transmission d’homme à homme serait également possible. Dans les pays développés, la pratique d’un abattage centralisé et de vaccinations animales a réduit les risques. Mais, dans les pays en développement, en Chine particulièrement, ceux-ci s’accroissent du fait de la présence de nombreux animaux sauvages sur les marchés et de l’hygiène insuffisante. Le cas du SARS est typique, le coronarovirus SARS-CoV a été isolé chez des animaux sauvages en cage. Des mutations ont permis le franchissement de la barrière inter-espèce pour l’homme, multipliant par 1 000 l’affinité pour le récepteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ACE)2. Les civettes n’ont, dans ce cas, été qu’un épicentre permettant une évolution rapide (le virus, présent chez 80 % des animaux des marchés, n’est pas retrouvé chez les civettes sauvages). Une espèce de chauve-souris (horseshoe bat) pourrait être le réservoir initial. Quant aux virus grippaux de type A, on sait que les oiseaux aquatiques en sont les réservoirs. Mais en 1997, au cours de l’épidémie de grippe aviaire H5N1 à Hong Kong, le virus était retrouvé aussi chez 20 % des poulets sur les marchés. Les cas humains relèvent toujours d’un contact direct, mais l’évolution du virus a permis une contamination des canards et l’acquisition d’une pathogénicité vis-à-vis de la souris. Comment assurer une prévention efficace ? Un abattage massif, tel qu’il a été pratiqué à Hong Kong, risque de provoquer des famines chez des paysans pauvres dont le poulet est la principale source de protéines. Certaines mesures, comme le contrôle de l’abattage, l’interdiction des canards et des cailles sur les marchés, et l’interdiction de la présence d’autres animaux dans les fermes où sont élevés des poulets, enfin la désinfection des cages de transport pourraient, si elles étaient rigoureusement appliquées, éviter le développement d’une pandémie. Mais il n’est pas facile de changer les habitudes culturelles d’un peuple.

L’hypothèse d’une vaccination contre l’obésité est-elle envisageable ?

L’obésité - ou du moins le « surpoids » - est devenue un fléau mondial en raison de sa morbidité et de sa comorbidité : pathologies cardio-vasculaires, cancéreuses, arthritiques, etc. Ce phénomène est apparu surtout dans les pays développés, le nombre d’adolescents obèses ayant doublé ou triplé depuis 20 ans. Les différents traitements s’avèrent seulement palliatifs, l’augmentation de poids reprenant dès qu’ils sont interrompus ; ils peuvent même provoquer des effets secondaires toxiques. Une équipe du Scripps Institute (La Jolla, États-Unis) propose une thérapie par vaccination, dont l’essai a pu être fait chez le rat [31]. L’hypothèse retenue a été le ciblage d’une protéine impliquée dans la régulation de l’homéostase énergétique : la ghréline, identifiée en 1999 comme un ligand peptidique se fixant dans l’hypophyse au récepteur sécrétagogue de l’hormone de croissance (GH) [32]. Sa synthèse préférentielle par l’estomac à (80 %) a fait suspecter son rôle dans la balance énergétique [33]. Elle intervient dans l’absorption des hydrates de carbone et des lipides ; les souris Ghrl-/- sont protégées contre l’obésité malgré un régime riche en graisses, et leur activité locomotrice est accrue [34]. La ghréline est un peptide de 28 acides aminés, dont deux seulement diffèrent entre l’homme et le rat en positions 11 et 12. La fixation d’acide octanoïque sur la sérine 3 est essentielle à la libération de GH. La stratégie employée, appelée immuno-pharmacothérapie, tend à une séquestration sélective de la ghréline dans le plasma, avec réduction de l’accès au cerveau. Trois haptènes ont été synthétisés, 1-10 (Ghr1), 13-28 (Ghr2), et 1-28 (Ghr3), conjugués à l’hémocyanine de patelle[2], utilisés comme anti-ghréline pour obtenir une réponse immunitaire. La sérine 3 est estérifiée par l’acide butanoïque, et une cystéine en position carboxy-terminale assure la liaison aux protéines du plasma. L’expérimentation, faite chez le rat Wister mâle, a montré une bonne réponse avec Ghrl 1 et Ghrl3, pas de réponse avec Ghrl2. Cette réponse s’est traduite par une prise de poids moindre et une augmentation de l’activité locomotrice, en même temps qu’une élévation du titre à ~1/10 000, et une diminution du rapport taux cérébral/taux plasmatique. Ces résultats obtenus chez le rat ouvrent-ils un abord thérapeutique chez l’homme ? Des ajustements et des précisions doivent être obtenus d’abord chez le rat : changement du régime, action possible sur d’autres peptides de structure voisine, série trop courte pour observer des effets à long terme. La transposition à l’homme, dont le régime dans nos pays est devenu de plus en plus riche en lipides peut se poser, mais soulève de nombreuses questions. On peut, entre autres, redouter qu’une adaptation énergétique très ancienne, prévue pour faire face aux famines, ne permette, si on inhibe un système de régulation, l’apparition vicariante d’un (ou plusieurs) autres(s) système(s). L’obésité reste une maladie de civilisation, qui semble peu accessible à un abord pharmacologique ou immunogène unique.

Un diagnostic rétrospectif : Charles Quint était malade de la goutte

Figure majeure de la transition du Moyen-Âge à la Renaissance, Charles Quint régna pendant 40 ans (1516-1556) sur le Saint Empire Romain Germanique. Celui-ci, Européen à l’origine, s’étendit en Afrique, en Asie, et sur une partie des territoires nouvellement conquis de l’Amérique, de telle sorte qu’il fut appelé l’Empire sur lequel jamais le soleil ne se couche. Très jeune, dès l’âge de 28 ans, Charles Quint souffrit de vives douleurs articulaires à tel point qu’il devait se déplacer en chaise à porteur. Le diagnostic de goutte fut évoqué, mais l’empereur, gros mangeur et buveur de bière, ne se soumit jamais à aucun régime et, vers la fin de sa vie, les atteintes articulaires devinrent si invalidantes qu’elles l’empêchaient même d’écrire. Après son abdication en faveur de son fils Philippe II, il se retira au monastère de Yuste en Espagne où il mourut et fut enterré. Mais en 1574, son corps fut transféré à l’Escorial et, à l’occasion de cette seconde sépulture (où l’on aurait constaté une momification spontanée), et pour des raisons inconnues, la phalange terminale d’un auriculaire fut conservée au monastère royal de san Lorenzo. Elle est considérée comme une relique faisant partie du patrimoine national. Toutefois, un groupe de scientifiques de l’université de Barcelone a récemment obtenu des autorités l’autorisation d’en faire l’étude [35]. L’ADN n’a pu être extrait, il n’y a donc eu ni examen génotypique, ni mise en évidence d’un déficit enzymatique. En revanche, les auteurs ont pu réaliser des examens analytiques et d’imagerie pour une exploration phénotypique. L’étude histopathologique après réhydratation a montré le dépôt massif d’une substance légèrement alcaline et cristallisée, évoquant des dépôts d’urate, qui présentait une structure en aiguille à un plus fort grossissement. Ces données furent confirmées par l’analyse chimique. De plus, les radiographies ont montré une érosion importante des épiphyses, et la microscopie électronique a précisé la structure cristalline en aiguilles. Il semble donc que le diagnostic d’une goutte particulièrement sévère soit confirmé. Maladie décrite depuis les temps romains par Galien, elle était fréquente au Moyen-Âge et à la Renaissance, exacerbée par les habitudes alimentaires riches en viande, gibier, et en boissons alcoolisées, comme l’atteste cette analyse, faite quatre siècles après le décès de Charles Quint.

Rôle du récepteur Toll-like 2 dans la pathogénie des néphropathies interstitielles au cours de la leptospirose

Les leptospires sont des bactéries spiralées responsables de la leptospirose, l’une des zoonoses les plus fréquemment rencontrées dans les régions tropicales. Les leptospires colonisent les reins par voie sanguine pour s’accumuler dans l’interstitium et tapisser la face luminale des cellules tubulaires proximales. Les deux principales endotoxines des leptospires, le lipopolysaccharide (LPS) et les lipoprotéines des membranes externes (LOMP), provoquent une intense réaction inflammatoire pouvant contribuer au développement d’une néphrite tubulo-interstitielle. Les récepteurs Toll-like (TLR), exprimés dans les cellules leucocytaires et non-leucocytaires, y compris les cellules tubulaires rénales, jouent un rôle essentiel dans la reconnaissance d’éléments microbiens et dans la régulation des réponses immunitaires innées et adaptatives. De manière singulière, le LPS des leptospires est reconnu par TLR2 (le récepteur des lipopeptides et des lipoprotéines) dans les macrophages humains et par TLR2 et TLR4 (le récepteur du LPS des bactéries à Gram négatif) dans les macrophages murins [36, 37]. Un groupe de chercheurs taïwanais (Chang Gung Memorial Hospital) et l’équipe d’A. Vandewalle (Inserm U773, Centre de Recherche Biomédicale Bichat-Beaujon, Paris-Clichy, France) ont étudié le rôle joué par les cellules tubulaires rénales dans la réponse immune causée par les leptospires. Les LOMP purifiées de différentes souches de leptospires et la LipL32 recombinante, l’une des principales lipoprotéines des leptospires, stimulent l’expression de TLR2 (mais pas de TLR4) et la production de cytokines et chimiokines pro-inflammatoires dans des modèles de cellules tubulaires murines [38, 39]. Des études réalisées sur les cellules rénales embryonnaires humaines (HEK 293) transfectées avec TLR2 ou TLR4, l’utilisation d’anticorps anti-TLR2 et une stratégie d’interférence par l’ARN (siARN) ont confirmé le rôle clé joué par TLR2 dans la reconnaissance des LOMP et l’activation des principales voies de signalisation des TLR (NF-κB, ERK1/2, p38 et JNK) [40, 41]. Ces études ont aussi montré que la voie de la MAPK p38 représente la principale voie de signalisation impliquée dans la sécrétion des chimiokines, en particulier la protéine KC (CXCL1), responsable de l’attraction de cellules leucocytaires au site de l’inflammation [41]. Ces études apportent la première démonstration du rôle joué par TLR2 dans la reconnaissance des lipoprotéines des leptospires par les cellules tubulaires rénales, et dans l’activation d’une réponse inflammatoire favorisant la survenue d’une néphropathie tubulo-interstitielle.

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Leptospire

Leptospire

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Virus H5N1 et risque de pandémie

Le virus H5N1 inquiète depuis des mois [42]. Son expansion chez les oiseaux, sauvages ou domestiques, s’avère quasiment universelle. Cependant, les cas de transmission à l’homme restent rares et ont toujours impliqué un contact direct. Une transmission d’homme à homme, si tant est qu’elle ait eu lieu, reste exceptionnelle. Elle serait caractéristique d’une pandémie éventuelle. L’étude de pandémies antérieures a montré que la transmission d’un virus aviaire à l’homme peut se faire, soit par accumulation de mutations (pandémie de 1918 due à un virus H1N1), soit par recombinaison du virus aviaire avec celui de la grippe humaine saisonnière (pandémies de 1957 et 1968 dues à un virus H3N2). Elles ont impliqué une modification de la fixation aux récepteurs de l’acide sialique (SA), α2,3 chez le virus aviaire, α2,6 chez celui de l’homme. L’isolement du virus H5N1 dans les cas humains récents a montré le maintien d’une structure aviaire et la préférence pour les récepteurs α2,3. Ce fait expliquerait-il l’absence d’adaptation du virus à l’homme et l'absence de transmission interhumaine ? Pour tenter de répondre à cette question, des scientifiques américains et asiatiques ont pris comme modèle d’étude le furet (même fixation pour les récepteurs α2,6 de SA que l’homme) [43]. La transmission d’un virus H5N1 chez l’homme peut se faire par contact, direct ou indirect. Elle se fait surtout dans l’atmosphère par émission de gouttelettes lors de la toux. Les deux méthodes ont été explorées chez les furets : ils sont placés dans une cage unique, ou dans deux cages mitoyennes interdisant le contact, mais laissant passer l’air. La présence du virus dans les sécrétions nasales du receveur potentiel a apporté la preuve d’une transmission. Les auteurs ont constaté que le virus H3N2 est transmissible, même sans contact, mais, qu’en revanche, il n’y a pas de transmission du virus H5N1 chez le furet, malgré l’utilisation de la souche qui a circulé en Asie en 2004-2005. Afin de caractériser ce qui, dans ces virus, permet la transmissibilité, les auteurs ont engendré différents recombinants à partir de souches humaines H3N2 et de souches aviaires H5N1. On a étudié leur infectivité dans l’oeuf (EID50), la réplication en cellules, la transmission chez l’animal (FID50) et constaté que ces différentes propriétés peuvent être dissociées. Les protéines de surface, neuramidinase (NA) et hyaluronidase (HA), seules, ne contrôlent pas la transmissibilité. L’acquisition de protéines internes n’est pas suffisante, non plus que la liaison spécifique aux récepteurs SA. La présence d’un gène codant pour une protéine de matrice (M) humaine pourrait réduire la transmissibilité d’un virus aviaire [44]. Ces données montrent l’extrême complexité de cette transmissibilité. Le modèle furet suggère que d’autres adaptations du virus H5N1 seraient encore requises pour que ce virus acquière la capacité de propager une pandémie.

Des cellules en état de crise identitaire…

On connaît les cellules ES authentiques, les cellules ES « hybrides » obtenues par reprogrammation d’un noyau somatique après son transfert dans un ovocyte, ou après fusion de cellules somatiques avec des cellules ES, voici maintenant les cellules « qui ressemblent à des cellules ES » : iPS-MEF[3] et iPS-TTF [45], annoncées à grand renfort de publicité depuis juin 2006.

Les deux auteurs japonais qui signent l’article de Cell [45] identifient une association minimale de quatre ADNc (parmi 24 testés), c-myc, oct4, sox2, et klf4, dont la transduction simultanée dans des fibroblastes murins, embryonnaires (MEF, ceux-là mêmes en présence desquels on cultive les cellules ES indifférenciées) ou adultes (TTF, tip tail fibroblasts), suffit à leur conférer certaines des propriétés de cellules ES pluripotentes [45]. Cette « conversion » est identifiée dans un délai de 10 à 15 jours par l’apparition de colonies de MEF exprimant une résistance au G418, la cassette bgeo étant sous le contrôle du promoteur fbx15 exprimé spécifiquement dans les cellules ES et l’embryon précoce. La prolifération des cellules iPS-MEF et iPS-TTF mime celle de cellules ES indifférenciées ; elles forment des corps embryonnaires si on les cultive en l’absence de cellules nourricières STO, et des tératomes après leur injection dans les souris NOD-SCID. Corps embryonnaires et tératomes expriment les protéines typiquement associées à la différenciation des feuillets ectodermique, endodermique et mésodermique en trois jours. Certains clones iPS restent cependant obstinément indifférenciés (« nullipotents ») in vitro comme in vivo. Mais les iPS-MEF/TTF n’ont pas tous les attributs des cellules ES typiques : leurs profils transcriptionnels ne sont pas semblables, et si les protéines Oct4 et Sox2 endogènes sont induites, Nanog l’est faiblement, et les promoteurs des gènes correspondants restent partiellement méthylés. Manque la démonstration canonique de la pluripotence, la contribution aux tissus somatiques et germinaux de souriceaux après injection dans des blastocystes réimplantés in vivo. Les clones cellulaires iPS-TTF (rien n’est dit d’expériences réalisées avec des iPS-MEF) contribuaient bien aux tissus embryonnaires à E7-13, mais le chimérisme ne persistait pas dans les tissus des nouveau-nés. Il y a donc indiscutablement une acquisition par les cellules somatiques adultes (TTF) exprimant ces 4 ADNc de propriétés partagées par les cellules ES, et ce en l’absence de protéines cytoplasmiques embryonnaires utilisées jusqu’alors comme partenaires de fusion ou de transfert nucléaire [46]. L’efficacité extrêmement faible de cette conversion (< 0,1% des cellules infectées par les rétrovirus) suggère l’existence, parmi les MEF ou TTF, de cibles particulièrement permissives (rappelons l’hétérogénéité des MEF qui proviennent d’une mise culture globale de l’embryon, après excision du foie et de la tête, et peut-être aussi celle des TTF). Mais comment qualifier ce nouvel « état » qui n’est ni embryonnaire, ni adulte ? La ré-acquisition d’une certaine pluripotence (est-elle définitive après extinction des quatre transgènes ?) ne suffit sûrement pas à en faire des cellules ES. Curieusement Nanog - molécule cruciale pour le maintien de la pluripotence de cellules somatiques après leur fusion avec des cellules ES [47] ((→) m/s 2006, n° 10, p. 828) - n’est pas très augmentée, et la persistance d’un taux élevé d’Oct-4 et Sox-2 ne compromet pas la spécification de ces iPS dans les trois feuillets. Les auteurs nous en disent d’ailleurs très peu sur la réalité fonctionnelle des cellules différenciées obtenues in vitro à partir des cellules iPS en culture. Quoi qu’il en soit, fusion, transduction, ou autre, parallèlement aux travaux sur les cellules ES « classiques », un nouveau défi est lancé, celui d’induire dans des cellules somatiques adultes un comportement proche de celui des cellules ES, une hypothèse maintenant crédible.