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Pour l’essentiel une thèse de doctorat en didactique soutenue à l’Université Laval en 2003, le livre de Charland porte sur les programmes d’histoire au palier secondaire dans les écoles de la région montréalaise et de la région torontoise. L’étude constitue une adaptation de la grande enquête menée en Europe par Magne Angvik et Bodo von Borries sur la relation entre les jeunes et la discipline historique. Le travail de Charland se situe dans la foulée de ceux de Jocelyn Létourneau, Christian Laville et Robert Martineau sur la mémoire et la conscience historique. Toutefois, l’auteur apporte une attention particulière à la dimension comparative, entre les deux grandes métropoles canadiennes, mais aussi entre le Canada et l’Europe. C’est là sa contribution la plus importante au débat québécois sur l’enseignement de l’histoire, qui n’est jamais bien loin de celui sur la question nationale.

L’auteur a constitué un échantillon représentatif des élèves de Montréal et de Toronto, tenant compte de la diversité socioéconomique, culturelle et linguistique. À peine peut-on lui reprocher de ne pas avoir fait de distinction entre les écoles publiques et les écoles confessionnelles de l’Ontario. Toujours sur le plan de la méthode, Charland a adapté quelque peu le questionnaire européen lui ayant servi de modèle. Si on en juge par la critique qu’il fait lui-même de certaines questions ou de leur intérêt dans le contexte canadien, il aurait pu modifier davantage le questionnaire d’Angvik et von Borries. Charland a posé une cinquantaine de questions aux élèves et une quinzaine aux enseignants, en plus d’avoir conduit une quarantaine d’entrevues avec des groupes d’élèves.

Après une longue et fastidieuse démonstration, les conclusions de l’auteur se résument à quelques idées : en Ontario, le plus grand nombre d’heures vouées à l’histoire dans les programmes scolaires permet aux enseignants de faire plus de place à l’apprentissage du métier d’historien, de faire davantage prendre conscience aux élèves du dialogue entre le présent et le passé, d’aider ceux-ci à se sensibiliser aux valeurs démocratiques et, plus simplement, à leur donner le goût de l’histoire. À l’opposé, les maîtres québécois, confinés qu’ils sont dans les limites de temps et de contenu imposées par le ministère de l’Éducation, favorisent l’enseignement de type magistral et le recours aux cahiers d’exercices, deux méthodes moins efficaces pour ancrer la conscience historique chez les jeunes. En Ontario, on n’a pas peur non plus de s’engager sur le terrain du civisme en promouvant l’ouverture, la tolérance, la solidarité, alors que dans la province voisine les « péripéties de l’histoire politique » mènent « les élèves sur le long chemin de l’affirmation du groupe canadien-français » (p. 272). Dans certains cas, les cours d’histoire se transforment en manifestes souverainistes, ce qui déclenche l’hostilité des élèves ; se réfugier dans les faits devient alors une façon pour les enseignants de conserver une apparente neutralité, au détriment de l’acquisition de réflexes historiques propres à former la citoyenneté.

Cependant, il ne faut pas sous-estimer les ressemblances entre les jeunes Montréalais et les jeunes Torontois. Les deux groupes éprouvent des difficultés à utiliser leurs connaissances historiques à l’extérieur de l’école et ils s’intéressent surtout aux phénomènes mondiaux ainsi qu’au passé récent. Dans les deux provinces, les élèves sont passablement pessimistes face à l’avenir de la planète mais, paradoxalement, optimistes quant à leur propre avenir. Ce qui est plus inquiétant, selon Charland, c’est que les jeunes des deux régions métropolitaines affichent un net scepticisme envers la démocratie.

Au fil du texte, le lecteur réalise que l’écart entre les élèves montréalais et torontois est quand même le seul qui compte vraiment. Charland a eu beau élaborer diverses catégories – fréquentation d’une « bonne » ou d’une « mauvaise » école, notes scolaires, revenu, scolarité des parents, sexe, langue, nationalité, citoyenneté, religion – à l’intérieur de son échantillon et effectuer de multiples croisements de données, les écarts entre ces catégories sont généralement très faibles. Cela explique la difficulté qu’il a parfois à interpréter les résultats.

On ne peut que se réjouir du fait que l’auteur prévoit donner suite à son étude en effectuant des entrevues pour essayer de comprendre l’engouement des jeunes pour le régime capitaliste et, du même souffle, leur suspicion envers le régime démocratique, ainsi que pour évaluer la place de l’école et de l’éducation historique dans la formation de la citoyenneté. Souhaitons que Charland diffuse largement ses recherches auprès des enseignants et des fonctionnaires oeuvrant dans le domaine de l’éducation. Ceux-ci pourraient en effet, trouver rébarbative cette monographie qui conserve trop l’allure de la thèse dont elle émane.