Corps de l’article

Le programme Integrated Psychological Treatment (IPT) de Brenner (Brenner et al., 1992 ; Pomini et al., 1998) est un programme d’approche cognitivo-comportementale composé de plusieurs modules à complexité croissante. Il combine l’ensemble des interventions considérées comme nécessaire dans le processus de réadaptation des personnes souffrant de schizophrénie (Anthony, 1992 ; Liberman et Kopelowicz, 1995). Étant donné la recherche de données probantes et le désir de rendre plus spécifiques les interventions, plusieurs cliniciens de la réadaptation s’y sont intéressés au cours des dernières années.

Le programme IPT a d’abord été implanté au Québec en 1997 par l’équipe du programme spécifique d’intervention Premier-Épisode de l’Hôtel-Dieu de Lévis (Nicole et al., 1999), préalablement formée par Dr Hodel et Dr Pomini de l’équipe de Brenner. Leur expérience clinique très favorable les a incités par la suite à développer un programme de formation et d’entraînement IPT pour les cliniciens. À l’automne 2000, une vingtaine de professionnels de la santé provenant de neuf milieux hospitaliers différents ont suivi cette formation et implanté le programme IPT dans leur milieu respectif. L’implantation du programme a fait l’objet d’une étude subventionnée au Québec. Les objectifs de l’étude étaient :

  1. de confirmer dans un contexte naturel (étude clinique non randomisée) l’impact positif du programme IPT sur la clientèle souffrant de schizophrénie (Briand et al., 2003) ;

  2. d’évaluer le niveau de satisfaction des participants [1] et des intervenants à l’égard du programme IPT et de proposer une version adaptée au contexte québécois ;

  3. de documenter les différences d’application du programme IPT dans les divers milieux et les conditions propices à son implantation et,

  4. d’évaluer les coûts associés.

Le présent article cible tout particulièrement le deuxième volet de l’étude, soit l’évaluation du niveau de satisfaction des participants et des intervenants à l’égard du programme IPT et le développement d’une version renouvelée. Ainsi, à travers les commentaires des participants et des intervenants, il a été possible d’identifier les éléments essentiels du programme IPT, ceux à modifier et/ou à ajouter. Ce volet de l’étude a permis d’élaborer une version québécoise du programme IPT plus adaptée aux besoins spécifiques des personnes souffrant de schizophrénie et transférable dans d’autres milieux cliniques. Le présent article ne présentera pas spécifiquement l’expérience individuelle de chacun des neuf milieux dans l’application de l’IPT ; cette partie fera plutôt l’objet d’un prochain article.

Description du programme IPT

La version francophone du programme IPT (Pomini et al., 1998) est composée de 6 modules hiérarchisés (tableau 1). L’ensemble de ces modules s’applique en groupe de 8 à 12 participants, sous la supervision de deux professionnels de la santé préalablement formés à l’approche. Le programme se déroule sur une période de 9 à 12 mois avec une fréquence des rencontres de 2 fois par semaine. Chacune des rencontres dure environ 1.5 heures incluant une pause de 15 minutes.

Plusieurs études expérimentales ont vérifié l’efficacité du programme IPT au cours des 25 dernières années. Müller et al. (2003) en ont fait un bilan dans une méta-analyse. Les résultats indiquent un effet global positif (taille de l’effet « effect size » : 0.55) comparativement aux conditions placebo (0.21) et aux interventions traditionnelles (0.1). Plus spécifiquement, le programme IPT améliore la psychopathologie des participants, leurs habiletés cognitives et sociales et ce, chez des patients aux atteintes variables et dans des contextes d’application différents. Les résultats cliniques de notre étude (objectif 1), faisant l’objet d’un autre article (Briand et al., 2003), rejoignent ces résultats. Pour l’ensemble des milieux, les participants ont amélioré leur symptomatologie générale, leurs plaintes cognitives, leur fonctionnement cognitif et social et leur qualité de vie et ce, malgré les différences entre les groupes de participants. L’évolution globale a été positive autant pour une clientèle en début de maladie, suivie depuis cinq à dix ans en clinique externe régulière que pour des participants en soins de longue durée.

Contexte de l’étude et méthodologie

Milieux et participants

L’étude s’est déroulée dans neuf milieux cliniques québécois intéressés au programme IPT (Voir la section Remerciements qui en dresse la liste). Ces milieux se distinguent les uns des autres de par leurs provenances géographiques et leurs liens avec le milieu universitaire. De plus, ils regroupent des personnes à des stades d’évolution différents de la schizophrénie : cliniques spécialisées pour jeunes adultes au début de leur maladie, cliniques offrant des suivis depuis près de 5 ans, mais aussi des patients plus handicapés hospitalisés dans des unités de réinsertion pour des personnes ayant connu de longs séjours.

Les groupes de 10-12 participants ont été constitués par les équipes d’intervention de chaque site. Ces milieux ont respecté leur mode de fonctionnement habituel pour sélectionner les participants. Seuls les critères suivants étaient nécessaires pour être admissible au projet de recherche :

  1. être suivi par un psychiatre du département de psychiatrie du milieu clinique ;

  2. être atteint de schizophrénie ou d’un autre trouble psychotique selon les critères du DSM-IV ;

  3. être jugé stable et capable d’entreprendre un processus de réadaptation de groupe.

Tableau 1

Description de la version francophone du programme IPT

Description de la version francophone du programme IPT

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Chaque groupe a été dirigé par deux à trois professionnels de la clinique ou de l’unité. Tous les intervenants impliqués dans l’animation des groupes (en majorité des ergothérapeutes (23/26) mais aussi des infirmier (ère) s (2/26) et un travailleur social) ont préalablement reçu une formation de trois jours par les membres de l’équipe du programme spécifique d’intervention Premier-Épisode de l’Hôtel-Dieu de Lévis (Nicole et al., 1999).

Un total de 90 participants a débuté le programme IPT entre janvier et décembre 2001 : 78 % avaient un diagnostic de schizophrénie, 19 % un diagnostic de trouble schizo-affectif et 3 % un autre diagnostic de psychose. L’âge moyen était de 33 ans réparti entre 18 et 66 ans. La durée moyenne de la maladie était de 7 ans (0-38 ans). L’ensemble des sujets recevaient une médication antipsychotique lors de leur participation au projet.

Sur les 90 participants, 35 n’ont pas terminé le programme : 29 en raison d’une recrudescence de la symptomatologie ou d’une hospitalisation, 4 en raison d’un retour au travail ou aux études et 2 en raison d’un déménagement. Le taux d’assiduité moyen du programme a été de 61 % pour l’ensemble des sujets (incluant les participants qui n’ont pas terminé le programme). Cependant, les 55 sujets qui ont participé au programme IPT jusqu’à la fin ont eu un taux d’assiduité beaucoup plus élevé (83 %) que les sujets qui ont quitté en cours de route (27 %).

Méthodes de collecte et d’analyse des données

Afin de documenter le niveau de satisfaction des participants et des intervenants, plusieurs méthodes ont été utilisées. D’abord, les cliniciens avaient à compléter un journal de bord après chaque séance. Ce journal documentait le contenu de la séance et l’appréciation générale du déroulement de la rencontre. Ainsi, il a été possible de situer les éléments appréciés et à améliorer dans le programme par les intervenants selon leur expérience, et l’observation du niveau de satisfaction des participants. Par la suite, les participants de chaque site ont été rencontrés à deux reprises en entrevue de groupe, soit en milieu de programme (T1) et à la fin (T2), lors d’une séance IPT. Ces rencontres ont permis de documenter à la fois ce qu’ils ont le plus et le moins aimé et quel a été l’impact du programme sur leur vie quotidienne. De plus, un questionnaire écrit leur a été remis pour évaluer leur niveau de plaisir à participer au programme et pour y situer les bénéfices qu’ils en ont retirés. Soixante et un participants ont été rencontrés lors des premières rencontres (T1), tandis que 45 participants étaient présents lors de la deuxième série de rencontres (T2). Pour ce qui est des intervenants, une entrevue de groupe dans chacun des milieux a été effectuée en fin d’implantation. Vingt-quatre intervenants ont été rencontrés. Ils ont eu à valider l’information recueillie dans les journaux de bord ainsi qu’à commenter avec du recul leur appréciation générale du programme IPT. Le contenu des journaux de bord et des entrevues a été analysé et synthétisé à l’aide de méthodes d’analyse qualitative, tandis que les données du questionnaire écrit ont été compilées par un logiciel d’analyse statistique. L’analyse de l’ensemble de ces données a permis d’identifier : 1) les éléments essentiels à maintenir dans le programme IPT, 2) ceux à documenter davantage pour une meilleure compréhension et application du programme et, 3) ceux à modifier et/ou à ajouter pour une version plus adaptée au contexte québécois. Ces résultats vous sont présentés dans les sections qui suivent.

Pour une version renouvelée du programme IPT

Satisfaction générale envers le programme

Les participants

L’ensemble des analyses a permis de constater un enthousiasme marqué pour le programme IPT autant de la part des participants que des intervenants. Dans le questionnaire écrit, la majorité des participants ont rapporté avoir eu du plaisir à participer au programme (T1 : 56/61, T2 : 41/45) et en avoir tiré profit (T1 : 50/61, T2 : 41/45). Selon eux, le programme IPT leur a permis de faire des apprentissages variés et d’améliorer leurs difficultés à plusieurs niveaux (tableau 2). Le climat de respect et d’entraide favorisé lors de l’IPT en a fait un groupe d’appartenance, porteur d’espoir. Plusieurs participants ont mentionné qu’ils auraient apprécié recevoir le programme plus tôt, dès l’apparition de la maladie. L’expérience clinique permet par contre d’affirmer que le début de la maladie n’est pas toujours une période propice pour s’engager dans une telle démarche et que plusieurs patients refusent même le programme. Ils pensent pouvoir s’en sortir seuls, ils manquent d’autocritique, et le deuil de la santé n’est pas fait. Cependant, pour les participants, le programme IPT est très valorisant car il ressemble aux exigences du milieu scolaire. Ils vivent donc une réelle expérience de succès qui vient diminuer l’impact négatif de la maladie et les rapproche davantage d’une notion de travail productif et valorisant (Kielhofner, 2002). Plusieurs participants ont perçu les premiers modules plus répétitifs car ils sont plus abstraits et moins près de leur vie quotidienne. Ils proposent d’ailleurs d’inclure au programme IPT une plus grande variété d’activités qui permettent de pratiquer les apprentissages dans des contextes plus variés.

Tableau 2

Satisfaction des participants au programme IPT

Satisfaction des participants au programme IPT

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Les intervenants

Les intervenants ont confirmé que le programme IPT répond aux dimensions clefs visées par la réadaptation des personnes atteintes de schizophrénie (tel que précisé par les participants). Les autres commentaires des intervenants ciblent plus spécifiquement la structure et le contexte d’application du programme IPT (tableau 3). Les intervenants ont apprécié la structure du programme, les exercices détaillés et concrets proposés mais surtout, la hiérarchie des apprentissages qui permet de construire progressivement un processus généralisable dans la vie quotidienne. Cependant, ils aimeraient que le programme soit davantage en lien avec la vie réelle des participants et qu’il favorise plus la généralisation des apprentissages. Selon les intervenants, le programme IPT s’applique plus facilement avec un petit groupe de participants dont les atteintes sont similaires. Cette condition n’est cependant pas toujours applicable dans les milieux cliniques étant donné une masse critique de candidats insuffisante pour regrouper les difficultés semblables. Pour une majorité d’intervenants, le fait qu’il s’agisse d’un groupe fermé et d’une durée prolongée sont des éléments essentiels à l’efficacité du programme. Par contre, ces conditions semblent difficilement justifiables dans certains milieux où les ressources sont limitées et où les nouvelles demandes arrivent constamment. Le fait que le programme IPT soit limité dans le temps et offert en services externes est aussi un réel avantage dans le contexte actuel de l’organisation des services de santé, où il faut être en mesure de répondre plus rapidement aux demandes grandissantes. Par contre, les intervenants ont rappelé que le programme IPT n’est pas un programme individualisé de réadaptation, et qu’il ne comble pas tous les besoins de services qu’amène la maladie. Il s’agit d’un outil d’intervention de groupe permettant de répondre à certains objectifs de réadaptation du plan d’intervention individualisé de la personne.

Les intervenants ont précisé également que la théorie sous-jacente aux différents exercices et la théorie sur les groupes n’étaient pas assez documentées. Pour eux, le livre IPT (Pomini et al., 1998) est un manuel d’application qui les prépare peu à bien situer et à utiliser le cadre thérapeutique nécessaire aux apprentissages, et il donne peu de détail sur le pourquoi de la hiérarchie de certains exercices proposés. La préparation et l’application du programme IPT ont été exigeantes pour les intervenants en terme de temps et d’énergie et ce, même avec une formation et un entraînement préalable à l’application.

Tableau 3

Satisfaction des intervenants au programme IPT

Satisfaction des intervenants au programme IPT

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Appréciation des modules et adaptations spécifiques

Le module 1 : Différenciation cognitive

L’appréciation du module 1 a été variable d’un milieu à l’autre et ce, autant chez les participants que les intervenants. Certains l’ont trouvé trop facile et enfantin et recommandaient d’y passer moins de temps, tandis que d’autres l’ont grandement apprécié et même trouvé essentiel pour établir le cadre thérapeutique et la cohésion du groupe. La diversité de la clientèle et l’émergence de besoins différents peuvent expliquer cette variation au niveau de l’appréciation. Certains participants demandent davantage de temps pour exercer leurs fonctions cognitives et expérimenter de nouvelles stratégies de compensation ou tout simplement, pour se sentir à l’aise avec le cadre d’apprentissage. Cependant, il semble que la difficulté principale du module 1 ait plutôt été la compréhension des objectifs du module.

En ce qui a trait aux objectifs généraux, le module 1 ne permet pas uniquement de stimuler les fonctions cognitives, mais aussi d’établir le cadre d’apprentissage sécuritaire et nécessaire au bon déroulement du groupe. C’est un module préparatoire aux autres modules. Il est donc essentiel qu’il soit peu exigeant au niveau des performances demandées et des interactions sociales pour que les participants y vivent des expériences de succès.

Par la suite, pour ce qui est des objectifs spécifiques de chacun des exercices et leur suite logique d’application, ils semblent avoir été moins bien saisis. Le fait que les exercices soient abstraits et ne fassent pas de lien direct avec le quotidien des participants peut expliquer cette incompréhension, et qu’ils aient été vécus comme moins stimulant autant par les thérapeutes que par les participants. Pour y remédier, le rationnel entourant les objectifs de chacun des exercices proposés dans le livre IPT (Pomini et al., 1998, 63-86) et la logique de leur ordre d’application ont été davantage documentés et clarifiés dans la version renouvelée du programme. En connaissant davantage la gradation des exercices, l’intervenant est en mesure de mieux guider l’apprentissage, d’augmenter l’implication des participants dans leur propre démarche et d’améliorer leur motivation à participer (Kielhofner, 2002).

Le module 2 : Perception sociale

Pour ce qui est du module 2, il a été apprécié davantage par les intervenants. Selon eux, ce module est primordial pour le travail cognitif et l’émergence du doute chez les participants qui présentent des interprétations erronées. De plus, il est préparatoire au module de gestion des émotions. En effet, le travail sur les perceptions prépare aux premières étapes d’analyse de la situation que les participants auront à faire lors du module 5 : l’identification des pensées automatiques, des émotions vécues et de leurs effets négatifs sur le comportement. De plus, il permet aux thérapeutes une première évaluation des schémas cognitifs des participants qui vont plus tard guider leurs comportements de gestion des problématiques quotidiennes. Il est donc important d’y accorder le temps nécessaire. À cet effet, l’intervenant doit rester vigilant aux défenses des participants qui font qu’ils veulent passer plus rapidement au module suivant. La version originale du programme IPT n’abordait pas ce lien entre les modules 2 et 5 et l’importance de travailler les cognitions des participants pour une meilleure gestion des émotions et des problématiques quotidiennes. De plus, le matériel proposé dans le livre IPT pour le module 2 (Pomini et al., 1998) s’est avéré trop statique pour permettre le travail réel des perceptions, en lien avec la réalité quotidienne. Selon les participants (mais également les intervenants), les diapositives utilisées deviennent redondantes et peu stimulantes à long terme. Il est proposé, entre autre, dans la nouvelle version : 1) d’utiliser des images plus adaptées au contexte québécois (c’est-à-dire des images représentant des situations sociales typiques ou familières pour les Québécois), 2) de poursuivre les exercices de diapositives par des situations sur vidéocassettes afin de permettre une analyse plus dynamique des situations sociales travaillées et, 3) de terminer le module par des situations sociales réelles sous forme de jeux de rôles effectués par les thérapeutes et analysés par les participants. L’utilisation de modalités variées permet ici une meilleure gradation des niveaux d’exigence : complexité cognitive de l’image (type et quantité de stimuli), niveau d’interaction sociale et de charge affective, tels que rencontrés par les participants dans leur vie quotidienne.

Le module 3 : Communication verbale

Les commentaires recueillis en ce qui a trait au module 3 ont été très positifs autant de la part des intervenants que des participants. Selon eux, le module 3 est plus stimulant car son rythme est plus rapide et les exercices permettent aux membres du groupe de se connaître davantage. En effet, le module 3 travaille un volet plus concret soit le langage et la communication et ce, tout en favorisant davantage les interactions des participants. De plus, les exercices sollicitent moins les habiletés d’abstraction et ont une application directe et spontanée dans le quotidien. Les apprentissages qui en découlent sont facilement observables. C’est un module charnière dans lequel les exigences individuelles sont plus élevées, mais où l’esprit d’équipe commence à être présent. Il est important ici d’augmenter graduellement ce niveau d’exigence, mais sans pour autant surestimer les capacités interactives des participants. À ce stade, les participants n’ont pas encore les outils leur permettant de compenser leurs déficits de communication, et ils sont toujours imprégnés de leur histoire antérieure d’échecs. Les intervenants doivent donc compenser les difficultés des participants en leur proposant des moyens techniques pour les aider à mieux performer lors de ces exercices. La version originale du programme IPT préparait peu les intervenants à comprendre ce processus d’apprentissage, et à utiliser des moyens de compensation pour diminuer les malaises provoqués par les difficultés de communication et d’interaction des participants.

Le module 4 : Habiletés sociales

Le module 4 est également un module très stimulant. Il est exigeant, mais les apprentissages sont rapidement observables. Les situations sélectionnées sont directement liées aux difficultés quotidiennes des participants permettant donc de travailler les habiletés sociales nécessaires et appropriées pour l’ensemble du groupe. De plus, elles permettent un partage d’expériences personnelles sur les difficultés à gérer leurs incompétences sociales, un regard sur soi et un soutien mutuel de la part du groupe d’appartenance. L’utilisation des jeux de rôles et de la vidéo-caméra ont été très efficaces pour guider les participants dans le façonnement de comportements sociaux plus adaptés. Par contre, ils peuvent générer de l’anxiété et des résistances lorsqu’ils sont utilisés pour la première fois dans le groupe. Dès le début du module, il est important de gérer ces résistances. Pour ce faire, il s’agit : 1) de resituer les objectifs et attentes aux participants, 2) de leur donner des moyens pour compenser et mieux gérer les difficultés rencontrées, 3) de préparer à l’avance les participants à l’utilisation de la vidéo-caméra et des jeux de rôles et, 4) d’empêcher tout sarcasme qui viendrait fragiliser le cadre des apprentissages. L’efficacité du module (et de ceux qui vont suivre) est étroitement liée à cette capacité à gérer les résistances et à installer le cadre thérapeutique. La version renouvelée du programme IPT insiste davantage sur ces principes d’animation.

C’est aussi un module où les intervenants se sont grandement inspirés des autres programmes d’habiletés sociales déjà implantés dans leur milieu (Bellack et al., 1997 ; Liberman et al., 1989). Ce module offre donc une bonne flexibilité permettant d’ajouter du matériel pour l’animation. Cependant, les intervenants doivent toujours respecter les niveaux de fonctionnement des participants et toutes les étapes d’application suggérées par le livre IPT (Pomini et al., 1998, 117-132).

Le module 5 : Gestion des émotions

Le module 5, quant à lui, a été un module plus difficile à appliquer pour les intervenants. Ils l’ont trouvé fort pertinent, mais de structure complexe. Certains intervenants ont eu de la difficulté à faire la distinction entre les objectifs du module 5 et ceux du module 6. Ils ont fait de la résolution de problèmes lors du module 5, entraînant un effet de redondance et une baisse de motivation lors du module 6. Les intervenants qui ont eu plus de facilité à appliquer le module 5 avaient davantage de connaissances en psychothérapie cognitive et étaient familiers avec l’utilisation des tableaux de Beck appliqués à la clientèle psychotique (Beck et Rector, 2000). La nouvelle version du programme IPT tente d’ailleurs de revenir plus systématiquement sur les principes de la psychothérapie cognitive sous-jacents à ce module et de faire les liens avec les modules précédents.

Le module 5 est également un module dense et exigeant qui demande aux thérapeutes une maîtrise élevée de leurs habiletés à gérer l’animation de groupe. Ils doivent maintenir le même cadre d’apprentissage établi lors des modules précédents et ce, malgré la complexité des situations rencontrées. Les thérapeutes qui n’ont pas su établir un climat de confiance, d’entraide et d’apprentissage sécuritaire ont eu plus de difficultés à rencontrer les objectifs de ce module. Une expérience antérieure en animation de groupe de type cognitivo-comportemental constitue donc, un excellent atout.

Pour ce qui est des participants, ils ont trouvé le module 5 exigeant. Plusieurs appréhensions étaient présentes et liées au fait que le module abordait spécifiquement le monde des émotions. De plus, les thérapeutes pointaient des situations directement reliées à leur vécu pour lesquelles des stratégies inefficaces avaient déjà été utilisées. Les intervenants ont donc éprouvé des difficultés à amorcer le module. Pour ce faire, les thérapeutes devaient dès le départ préciser que le module 5 ne vise pas le partage d’expériences émotionnelles dans le but d’évacuer la charge affective mais cible plutôt les stratégies de gestion des émotions, et le partage d’expériences personnelles de gestion des émotions. Cette distinction n’était pas toujours claire pour les thérapeutes. Elle a été spécifiquement établie dans la nouvelle version du programme. Enfin, malgré plusieurs appréhensions et l’exigence du module 5, plusieurs participants ont mentionné qu’il s’agissait du module le plus important.

Le module 6 : Résolution de problèmes

Enfin, le module 6 est un module tout aussi important dans le processus de ce groupe car il reprend et intègre à travers une démarche structurée et concrète tous les éléments travaillés lors des modules antérieurs. De plus, il permet de travailler sur des solutions concrètes en réponse à des problèmes spécifiques rencontrés dans le quotidien des participants. Il a donc été très apprécié autant par les intervenants que par les participants. Par contre, les thérapeutes l’ont trouvé difficile à animer. Le module 6 requiert de maintenir le même cadre thérapeutique structurant, sans avoir les balises qu’apportaient les exercices des autres modules. Il demande aux thérapeutes d’intégrer l’ensemble des habiletés travaillées dans un tout cohérent et d’amener l’apprentissage à un niveau d’habiletés supérieur. Le thérapeute doit donc être en mesure de gérer l’imprévisible et de rester en confiance face aux situations apportées par les participants. En même temps, il doit synthétiser les situations et problématiques et savoir garder l’attention sur les besoins des autres participants malgré que la situation travaillée soit plus spécifique à une personne du groupe. Le module 6 demande plus de qualités personnelles en animation que les premiers modules du programme, de là l’importance d’un entraînement IPT adapté à ce besoin.

Tel que précisé antérieurement, les thérapeutes ont eu de la difficulté à discriminer le module 6 du module précédent. Le module 5 permet l’acquisition de stratégies préétablies et de comportements réflexes à partir d’une émotion spécifique, tandis que le module 6 permet la mise en place de stratégies adaptées au contexte d’une situation quotidienne difficile. On constate alors plus facilement la gradation des niveaux de difficultés entre les deux modules, et l’importance de ne pas aller trop rapidement dans le processus de résolution de problèmes spécifiques. Cette distinction a été clairement définie dans la nouvelle version du programme. Le respect de la hiérarchie des difficultés à travailler permet une meilleure généralisation des apprentissages dans une variété de contextes applicables au quotidien des participants.

Étant donné l’exigence du module 6 et la place qu’il occupe en fin de programme, c’est le module qui a généré le plus d’inquiétude et de tristesse de la part des participants. Certains participants l’ont trouvé trop court et auraient aimé davantage de séances pour parfaire leurs habiletés et stratégies face aux difficultés quotidiennes. La durée et la fréquence du programme permet l’établissement de liens positifs d’appartenance serré, ce qui nécessite de préparer à l’avance les participants à la fin du groupe.

Ajouts favorisant la généralisation et le maintien des apprentissages

Au cours de l’application du programme IPT dans chacun des milieux, les préoccupations des intervenants sont allées bien souvent vers le maintien et la généralisation des apprentissages faits en groupe. Le programme de base de Brenner ne semblait pas répondre suffisamment à leur désir d’offrir aux participants des moyens concrets leur permettant de transférer les acquisitions dans leur vie de tous les jours. Afin de répondre davantage à cet objectif, trois modalités thérapeutiques supplémentaires ont été proposées dans la nouvelle version (tableau 4).

Les exercices à domicile

D’abord, pour chacun des modules, des exercices à réaliser à domicile ont été ajoutés. Ces tâches à domicile permettent aux participants de pratiquer les acquis dans leur contexte de vie réelle. Plus spécifiquement, il s’agit de reproduire à domicile un exercice fait en groupe et ce, tout en respectant le niveau hiérarchique des apprentissages travaillés lors du groupe précédent. Comme le mentionnent très bien Luboshitzky et Gaber (2000), les exercices à domicile sont un excellent moyen d’établir avec le participant un climat d’apprentissage où son rôle actif est encouragé et même, nécessaire. Pour eux, les exercices à domicile favorisent l’autonomie du participant mais aussi sa prise en charge et son sentiment d’efficacité personnelle. Ils mentionnent l’importance de les débuter dès les premières séances, de bien les planifier et d’y revenir aux rencontres suivantes.

Les sorties d’intégration

Des sorties d’intégration (aussi appelées sessions in vivo), adaptées à chacun des modules, ont également été ajoutées à la version renouvelée. Cette fois-ci, il s’agit pour les participants de généraliser les acquis dans un contexte de vie réelle i.e., de reprendre une habileté travaillée lors des sessions de groupe et de l’appliquer dans un autre contexte de leur environnement, sous supervision des animateurs. Ces sorties d’intégration, quoique souvent plaisantes et amusantes, ne doivent pas être confondues à de simples sorties pour le plaisir ou à une récompense pour leur implication lors des groupes. Elles font partie intégrante de la démarche thérapeutique, de là l’importance de les préparer à l’avance avec le même souci de respect hiérarchique des apprentissages que lors des séances de groupe en clinique. Il est connu que les difficultés cognitives des personnes atteintes de troubles mentaux graves limitent l’acquisition de nouvelles habiletés mais surtout, leur utilisation dans d’autres contextes de vie (Green et al., 2000 ; Liberman et al., 2002). Des interventions telles que les sorties d’intégration sont alors nécessaires pour favoriser progressivement ce passage vers l’autonomie et accélérer la réinsertion sociale. L’utilisation des habiletés acquises lors de l’IPT doit se poursuivre au-delà des séances sécuritaires de groupe à la clinique et les participants doivent être guidés progressivement pour le faire. Visant ce même objectif, Liberman et al. (1993) dans leur programme d’entraînement aux habiletés sociales et à la vie autonome, encouragent l’utilisation d’exercices à domicile mais aussi d’exercices dans la communauté en présence du thérapeute (sessions in vivo). D’ailleurs, dans leur nouveau module, le In Vivo Amplified Skills Training (IVAST), Liberman et al. (2002) vont plus loin en offrant à la personne un entraînement personnalisé directement dans son milieu de vie. Un thérapeute (IVAST trainer) entraîne alors la personne à utiliser les habiletés acquises en groupe. Roder et al. (2002), quant à eux, ont mis sur pied trois programmes complémentaires au programme IPT en ce qui a trait à la vie en résidence, aux activités professionnelles et de loisirs des participants. Ils veulent ainsi faire le pont entre les approches cognitivo-comportementales utilisées en milieu clinique et les objectifs individuels de la personne dans son processus de réinsertion sociale.

Les relances

Enfin, des relances (appelées aussi booster sessions) ont aussi été proposées à la version québécoise du programme IPT afin de permettre le maintien des acquisitions. Ces relances sont des séances supplémentaires qui ont lieu après la fin du programme et qui s’espacent progressivement dans le temps. Elles ont comme objectifs de stimuler les acquis réalisés lors de l’IPT, de travailler les difficultés rencontrées par les participants depuis la fin des modules, et de préparer la fin du programme en favorisant graduellement le développement d’une nouvelle routine de vie. Ces relances peuvent prendre la forme de discussions, mais aussi utiliser les outils d’apprentissage acquis lors de l’IPT, comme les grilles de gestion des émotions ou la démarche de résolution de problèmes pour aider certains participants qui rencontrent des difficultés spécifiques dans leur quotidien.

Conclusion

En résumé, les participants et les intervenants ont démontré un haut niveau de satisfaction envers le programme IPT et ce, malgré certaines suggestions pour en améliorer son application. La principale faiblesse identifiée est le manque de lien entre les acquis réalisés en groupe et leur application dans le quotidien. Initialement, peu de moyens avaient été identifiés pour favoriser ce passage graduel et permettre le maintien et la généralisation des apprentissages. Le programme IPT dans sa version renouvelée répond à cette recommandation et propose des éléments de solution (figure 1).

Tout d’abord, cette nouvelle version insiste davantage sur la compréhension de la structure hiérarchique du programme IPT et facilite son respect lors de l’animation. Autant entre les modules qu’à l’intérieur d’un même module, les exercices et outils proposés (en groupe ou à domicile) et les sorties d’intégration sont gradués suivant la même logique d’apprentissage. Les activités impliquent graduellement une complexité cognitive, un niveau d’interaction sociale et une charge affective. Ce principe d’apprentissage progressif, propre aux thérapies cognitivo-comportementales et qui nécessite une formation de base pour bien l’appliquer et l’ajuster aux besoins des participants, constitue à la fois la force et le défi du programme IPT.

Tableau 4

Ajouts pour la généralisation des apprentissages

Ajouts pour la généralisation des apprentissages
Extrait du Guide de l’intervenant pour l’application de la version québécoise du programme IPT

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Un autre avantage de la nouvelle version du programme IPT est l’importance accordée à son adaptabilité. En favorisant une connaissance approfondie du rationnel théorique entourant le programme et chacun de ses modules, les thérapeutes sont plus outillés pour ajuster les modalités thérapeutiques aux besoins plus spécifiques de leur groupe. D’ailleurs, cette souplesse d’application du programme va jusqu’à permettre une variabilité dans le nombre de séances par module et au total, dépendant de l’évolution et de la réponse des participants.

Figure 1

Version québécoise du programme IPT (Adapté de Pomini et al., 1998)

Version québécoise du programme IPT (Adapté de Pomini et al., 1998)

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La mise en place d’un cadre thérapeutique privilégié est également un point d’ancrage pour cette nouvelle version. En installant une dynamique de groupe forte et positive, un milieu propice à l’apprentissage par essais et erreurs ainsi qu’une relation d’aide supportante, les acquisitions deviennent plus ancrés dans la vie réelle des participants.

Enfin, par son contenu concret axé sur les problématiques quotidiennes des participants et sur le fait qu’il stimule la pratique graduelle des habiletés à l’extérieur des séances de groupe, le programme IPT dans sa version renouvelée procure aux participants des résultats significatifs et rapidement observables. Cette nouvelle version du programme IPT ajoute au processus de compréhension visant à mieux cibler les éléments favorables à l’acquisition, au maintien et à la généralisation des habiletés des personnes atteintes de schizophrénie. En favorisant le transfert du programme dans d’autres milieux cliniques, il contribue au développement d’une pratique de la réadaptation beaucoup plus performante.