Corps de l’article

1. Problématique

1.1 Les lacunes des apprenants en gestion pour résoudre des problèmes complexes

Au Québec, la compétence de résolution de problèmes complexes (RPC) menant à la prise de décision est présente dans les objectifs des programmes de baccalauréat en administration des affaires (BAA), notamment à HEC Montréal, à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université de Sherbrooke[1]. Bien que l’on reconnaisse les intentions des écoles de gestion de développer la RPC, il semble y avoir des lacunes dans la formation. De fait, des études montrent que des finissants récents[2] ne sont pas en mesure de résoudre de tels problèmes lorsqu’ils arrivent sur le marché du travail (AACSB, 2018; Koys et al., 2019; Maresova et al., 2018).

1.1.1 Une définition des problèmes complexes

Ces problèmes complexes, mal définis (Mayer et Wittrock, 2006; Newell et Simon, 1972) ou mal structurés (Ge et Land, 2004; Jonassen, 2011), correspondent à des situations authentiques pour lesquelles des éléments nécessaires à leur résolution sont incertains ou inconnus (Jonassen, 2011). En sciences sociales, ces problèmes ne possèdent généralement pas de solution endossée par l’ensemble de la communauté scientifique (Voss, 1988). La capacité de l’apprenant à résoudre ce type de problèmes dépend de ses connaissances et expériences antérieures (Jonassen, 2011).

1.1.2 Le processus de RPC

Les différents modèles théoriques présentant le processus de RPC (Ge et Land, 2004; Jonassen, 2011; Newell et Simon, 1972; Voss et al., 1983) montrent une séquence d’étapes permettant l’élaboration de la solution. Des éléments de ces modèles ont été repris pour illustrer ce processus dans le contexte d’un cours d’économie publique obligatoire au BAA à HEC Montréal (figure 1). Ainsi, la première étape correspond à l’élaboration de l’espace problème, où l’apprenant analyse le problème, identifie et examine certains éléments fondamentaux (état initial, objectif à atteindre, causes du problème), afin de planifier la séquence d’actions adéquates à mettre en oeuvre pour construire sa solution (Newell et Simon, 1972; Voss et al., 1983). Pour cela, il doit également déterminer l’ensemble de ses connaissances, de ses habiletés et des ressources externes utiles pour résoudre le problème.

La seconde étape, le développement de la solution, correspond à l’élaboration de plusieurs solutions, qui se termine lorsque l’apprenant choisit la plus pertinente. Pour cela, il doit les évaluer en déterminant leurs conséquences positives et négatives, puis prendre position en faveur de celle dont les retombées sont les plus favorables. Voss et al. (1983) et Ge et Land (2004) soulignent l’importance d’assister les apprenants à cette étape, car leur manque de connaissances disciplinaires peut les empêcher d’identifier et de comprendre toutes les conséquences possibles de leur choix.

Figure 1

Étapes de la résolution de problèmes complexes

Étapes de la résolution de problèmes complexes

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Comme les solutions aux problèmes en sciences sociales et en gestion ne font pas consensus au sein de la communauté (Jonassen, 2011; Voss et al., 1983), il importe que les gestionnaires argumentent leur solution pour convaincre leurs pairs qu’elle est optimale. Ainsi, la troisième étape (construction des arguments) vise la justification de la solution choisie en se basant sur des concepts disciplinaires qui soutiennent ses conséquences favorables ou qui montrent en quoi l’autre option est inadéquate (Voss et al., 1983). À des fins d’amélioration continue de sa démarche, la dernière étape correspond à une autoévaluation, où l’apprenant évalue son processus et sa solution, notamment en se comparant à un expert (Ge et Land, 2004).

1.2 Les faiblesses des méthodes pédagogiques couramment utilisées en gestion

Bien que plusieurs méthodes pédagogiques actives couramment utilisées en gestion portent sur la RPC, comme la méthode des cas, l’approche par problèmes (APP) et les simulations, aucune ne vise un enseignement explicite d’une démarche générale de RPC, qui permettrait à l’apprenant de réellement développer cette compétence. Par exemple, la méthode des cas, qui vise à former à la prise de décision (Conway, 2012; Mesny, 2013), ne porte pas sur l’enseignement d’une démarche structurée de RPC, et ce, même si le matériel pédagogique peut parfois guider les apprenants dans leur processus. Aussi, la méthode peut limiter l’apprentissage d’habiletés liées à la RPC, car elle se concentre sur la prise de décision, au détriment des autres processus (Mesny, 2013). Druckman et Ebner (2018) et Hopper (2018) expliquent qu’avec cette méthode, les apprenants sont amenés à résoudre le cas par analogies, soit en repérant des similitudes entre le cas et les contenus théoriques appropriés. La démarche ne vise donc pas principalement à montrer aux apprenants une démarche de RPC, mais plutôt à les amener à associer la théorie à la pratique.

Par ailleurs, bien que la méta-analyse de Walker et Leary (2009) montre que l’APP engendre un léger effet positif sur l’apprentissage de la gestion, comparativement à l’enseignement magistral, cette méthode ne porte pas sur un enseignement explicite d’une démarche de RPC. Elle repose sur l’hypothèse que les apprenants la développeront grâce à leur expérience, de façon implicite (Smith, 2005). Enfin, plusieurs études qui portent sur les simulations suggèrent que les apprenants perçoivent que cette méthode leur a permis de développer leur capacité à résoudre des problèmes (Farashahi et Tajeddin, 2018; Lohmann et al., 2019; Sierra, 2020). Toutefois, précisons que celles que nous avons consultées n’expliquent pas comment ces simulations peuvent développer cette compétence. De surcroît, elles sont souvent utilisées dans le cadre d’un problème bien structuré (Lohmann et al., 2019; Pasin et Giroux, 2011), donc peu utiles pour ce type de problèmes.

1.3 La pertinence de concevoir une application dotée d’outils d’échafaudage pour soutenir le développement de cette compétence

Ainsi, il est raisonnable de faire l’hypothèse que les apprenants en gestion éprouvent des difficultés à résoudre ces problèmes, car ils ne maîtrisent pas suffisamment une démarche générale de RPC, et que les méthodes pédagogiques actuelles ne visent pas cet enseignement. Considérant que les gestionnaires doivent être aptes à résoudre une variété de problèmes complexes (AACSB, 2018), il est donc justifiable de concevoir une stratégie pédagogique qui vise un tel enseignement explicite.

2. Cadre conceptuel

2.1 Le concept d’échafaudage et les OÉN

Pour ce faire, nous mobilisons le concept d’échafaudage, initialement défini par Wood et al. (1976), qui correspond à l’assistance d’un tuteur fournie à un apprenant, afin qu’il puisse réaliser une tâche qu’il ne pourrait réaliser s’il était seul. L’échafaudage implique d’abord que l’apprenant et le tuteur aient une compréhension commune de la tâche (Bruner, 1983; Wood et al., 1976). Ensuite, le tuteur doit évaluer le niveau de compétence de l’apprenant à intervalle régulier, afin de lui fournir une assistance adaptée. Puis, il retire son assistance progressivement pour favoriser l’internalisation du processus, qui survient lorsque l’apprenant effectue la tâche de façon autonome (Bruner, 1983; Wood et al., 1976).

Les recherches récentes sur l’échafaudage substituent au tuteur des outils d’échafaudage numériques (OÉN), qui sont souvent intégrés à une application numérique ou à un tuteur intelligent (Belland et al., 2017; Doo et al., 2020; N. J. Kim et al., 2018; Zheng, 2016). En contexte universitaire, il est pertinent d’avoir recours aux technologies d’apprentissage, car les groupes sont généralement constitués d’un nombre élevé d’apprenants (Belland et al., 2017), comme à HEC Montréal où les cours du BAA en comptent parfois 70. En outre, l’usage du numérique permet d’expliciter les stratégies et la pensée disciplinaire en conservant des traces de la démarche et de structurer des tâches complexes pour réduire la charge cognitive (M. C. Kim et Hannafin, 2011; Lin et al., 1999). Le numérique permet également de concevoir des OÉN qui amènent les apprenants à suivre un processus de RPC adéquat (M. C. Kim et Hannafin, 2011).

Contrairement aux autres supports numériques qui facilitent l’accomplissement d’une tâche, les OÉN sont temporaires, car ils visent à soutenir l’internalisation, notamment en suscitant le dialogue intérieur de l’apprenant et en l’amenant à comprendre la complexité de ladite tâche (Belland, 2014). Ils sont donc pertinents pour l’apprentissage de tâches complexes et pour faciliter la résolution de problèmes ou le développement d’habiletés cognitives de haut niveau, comme l’argumentation et l’évaluation (Belland, 2014; Belland et al., 2015). Des études et méta-analyses montrent que des groupes expérimentaux qui utilisent des OÉN obtiennent, de façon générale, des résultats supérieurs aux évaluations comparativement à des groupes témoins (Chen et Bradshaw, 2007; Devolder et al., 2012; Doo et al., 2020; Kauffman et al., 2008; N. J. Kim et al., 2018; Zheng, 2016).

Parmi les types d’OÉN, trois semblent pertinents pour l’apprentissage de la RPC. Premièrement, les questions incitatives (prompts) suscitent le dialogue intérieur de l’apprenant et l’incitent à approfondir sa compréhension du problème, à identifier les différentes solutions et leurs conséquences et à construire des arguments convaincants et justifiés par des concepts disciplinaires (Belland, 2014; Doo et al., 2020; Zheng, 2016). Deuxièmement, les fonctionnalités guidant le processus soutiennent l’apprenant, afin qu’il suive une séquence cohérente d’étapes nécessaires pour résoudre le problème (Reiser, 2004). Troisièmement, les fonctionnalités de rétroaction et d’autoévaluation lui permettent de se comparer à un expert, ce qui favorise l’internalisation du processus (Ge et Land, 2004).

Si plusieurs recherches récentes portant sur les OÉN présentent des résultats qui soutiennent qu’ils influencent l’apprentissage (Belland et al., 2017; Doo et al., 2020; N. J. Kim et al., 2018; Zheng, 2016), très peu s’intéressent aux perceptions des apprenants (Van de Pol et al., 2010), notamment quant à leur utilité ou à leur pertinence. Or, il nous semble nécessaire de mieux comprendre ces perceptions pour s’assurer que ces outils répondent à leurs besoins et qu’ainsi ils aient l’intention de les utiliser pour leur apprentissage. Cette recherche mobilise donc pour ce faire le modèle d’acceptation de la technologie (Technology Acceptance Model [TAM]) et ses principales adaptations.

2.2 Le modèle TAM et ses principales adaptations

Le modèle TAM de Davis et al. (1989) repose sur la théorie de l’action raisonnée de Fishbein et Ajzen (1975). Initialement conceptualisé pour aider des entreprises à susciter l’acceptation et l’utilisation d’une innovation technologique (IT) par leurs travailleurs, il est aussi fréquemment mobilisé pour comprendre les perceptions des apprenants à l’égard d’une IT pédagogique visant à soutenir leur apprentissage (Silin et Kwok, 2017; Venkatesh et al., 2014). Bien qu’il existe plusieurs modèles d’adoption d’une IT (Venkatesh et al., 2003), celui-ci a été choisi car il met l’accent sur la perception d’utilité (PU) et de facilité d’utilisation (PFU) en tant que principaux déterminants de l’intention d’utilisation, ce qui reflète l’intention de cette recherche en s’y intéressant particulièrement pour améliorer les OÉN conçus pour ce projet.

Ce modèle montre qu’un individu utilisera une IT s’il a l’intention de le faire (IU), ce qui dépend de son attitude envers elle. Le modèle postule que l’attitude est influencée par la PU et la PFU, qui dépendent de facteurs externes (figure 2).

Figure 2

Modèle TAM de Davis, Bagozzi et Warshaw (1989, p. 985, notre traduction)

Modèle TAM de Davis, Bagozzi et Warshaw (1989, p. 985, notre traduction)

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Davis et al. (1989) définissent la PU comme la croyance concernant le potentiel de l’IT pour améliorer sa performance, où le terme perception correspond à une analyse subjective faite par l’individu. La PFU correspond à la croyance initiale, avant une première expérimentation, que l’utilisation de l’IT se fait sans effort. Si l’individu considère que, grâce à sa facilité d’utilisation, l’IT peut lui permettre d’augmenter sa production pour un même effort, alors cela haussera sa PU. Aussi, ce modèle suggère que la PU influence directement l’IU, car un individu pourrait reconnaître le potentiel de l’IT pour améliorer sa performance, même s’il a une attitude négative envers elle.

2.2.1 Les déterminants de la PU : le modèle TAM2

À partir de recherches antérieures, Venkatesh et Davis (2000) soutiennent que la PU est le principal déterminant de l’IU, tandis que la PFU aurait une influence moindre. Leur modèle TAM2 porte, entre autres, sur l’explication de cinq déterminants qui influencent la PU et sur leur évolution avec l’expérimentation. Deux déterminants sont associés à l’influence sociale : un individu aura l’intention d’utiliser une IT si des personnes importantes le font et qu’il souhaite se comporter comme elles (norme sociale) ou si cela peut améliorer son statut social (image). L’influence de ces déterminants sur la PU diminuerait avec l’expérience, mais celle de la norme sociale serait plus importante lorsque l’usage de l’IT est obligatoire. Notons que ces déterminants semblent moins utiles en contexte universitaire, où l’apprenant ne tirera aucun bénéfice à se comporter comme son enseignant ou ses pairs.

Les trois autres déterminants portent sur les caractéristiques perçues de l’IT :

  1. croyances relatives aux tâches importantes et pertinentes pour le travail qui peuvent être effectuées avec l’IT et qui permettent d’améliorer la productivité ou l’efficacité (pertinence pour le travail);

  2. perception à l’égard de la qualité du travail effectué avec l’IT (qualité du produit final); et

  3. perception, avant d’avoir utilisé l’IT, qu’elle est avantageuse pour accomplir son travail (démonstrabilité de résultats). Enfin, Venkatesh et Davis (2000) maintiennent la relation entre la PFU et la PU du modèle TAM.

2.2.2 Les déterminants de la PFU : le modèle TAM3

L’identification de déterminants qui influencent la PFU a mené à d’autres adaptations au modèle TAM, dont le TAM3 de Venkatesh et Bala (2008). Ce modèle reprend essentiellement les déterminants de la PU du TAM2, mais il propose un éclairage sur ceux qui influencent la PFU. Ainsi, il postule que la qualité de la formation initiale (1), le sentiment d’autoefficacité (2) et le niveau d’anxiété (3) à l’égard des ordinateurs, ainsi que le caractère agréable de l’utilisation de l’IT (4) sont les quatre déterminants de la PFU, bien que l’influence des deux derniers diminuerait avec l’expérience.

2.3 Question et objectifs de la recherche

Cette recherche s’appuie sur le modèle TAM et les déterminants associés aux caractéristiques de l’IT du TAM2 et tous les déterminants du TAM3 pour comprendre l’IU des OÉN, tout en considérant d’autres caractéristiques individuelles qui peuvent contribuer à leur usage (figure 3). Les déterminants liés à l’influence sociale ont été retirés de cette étude, car il nous a semblé peu probable que cela influence les perceptions des apprenants, dans un contexte où l’usage des outils était volontaire, formatif et individuel. Cette étude vise à répondre à la question suivante : quels sont les déterminants et les caractéristiques individuelles qui influencent l’IU d’OÉN visant à soutenir le processus de RPC? Trois objectifs spécifiques sont présentés dans cet article : (OS1) décrire la PU et la PFU à l’égard des OÉN; (OS2) identifier les caractéristiques individuelles qui peuvent exercer une influence sur ces perceptions; et (OS3) analyser la relation entre ces perceptions et leurs déterminants.

Cette recherche emploie une méthodologie mixte où des données quantitatives (questionnaires) et qualitatives (entretiens et groupes de discussion) sont exploitées pour répondre aux trois premiers objectifs spécifiques. Ainsi, elle contribue à l’avancement des connaissances en analysant les OÉN sous un angle peu documenté (Van de Pol et al., 2010), permettant une compréhension plus approfondie des facteurs qui influencent l’IU d’une IT pédagogique. Or, cela nous semble particulièrement intéressant dans le contexte actuel où il est probable que plusieurs des transformations de pratiques occasionnées par la pandémie (cours auparavant donnés en présentiel qui sont maintenant à distance) demeurent de façon durable (Wasik et Bray, 2020). Ainsi, il y a un réel besoin de développer des outils numériques qui soutiennent le développement de compétences et d’habiletés de haut niveau cognitif. Par conséquent, cette recherche approfondit les connaissances relativement à la manière de concevoir des OÉN pour soutenir ce type d’apprentissage.

Figure 3

Déterminants de l’intention d’utilisation conservés pour cette étude (Davis et al., 1989; Venkatesh et Davis, 1996; Venkatesh et Bala, 2008)

Déterminants de l’intention d’utilisation conservés pour cette étude (Davis et al., 1989; Venkatesh et Davis, 1996; Venkatesh et Bala, 2008)

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3. Méthodologie

3.1 La conception d’une application avec des OÉN pour soutenir la RPC

Cette recherche a été menée dans le cours Problèmes et politiques économiques (PPE), obligatoire dans le BAA de HEC Montréal, qui est offert en anglais et en français. Ce cours a été choisi, car la chercheuse principale y enseignait depuis plusieurs années et avait constaté des difficultés chez les apprenants lorsqu’ils devaient y résoudre des problèmes complexes de politiques économiques en argumentant la solution proposée. Ainsi, ce projet a commencé par la conception d’une application dotée d’OÉN[3], qui comprenait quatre scénarios de problèmes complexes menant à la prise de décision dont la solution nécessitait l’écriture d’une lettre d’opinion pour argumenter la position choisie. En cohérence avec Jonassen (1994, 2011), des scénarios authentiques, tirés de l’actualité économique et dont les sujets faisaient référence à la théorie du cours, ont été créés. Chacun comprenait une mise en situation, un graphique économique illustrant la situation et des liens vers des articles de journaux. Il était précisé que le graphique constituait un exemple, afin que la tâche comporte une certaine part d’incertitude et nécessite la construction d’hypothèses pour construire l’argumentaire.

Le premier OÉN correspond à l’onglet Planification (figure 4), qui contient des questions facilitant l’élaboration de l’espace problème, le développement de la solution et la construction des arguments[4]. L’onglet Lettre d’opinion (figure 5) comprend un entête qui recopie les réponses à deux questions du précédent onglet, la première affichant la position choisie et la seconde montrant un libellé des deux arguments. La section centrale correspond à une zone d’écriture de la lettre et le deuxième outil, une liste de vérification, se situe en dessous. Cette liste incite l’apprenant à s’autoévaluer lors de l’écriture en lui demandant d’indiquer son degré d’accord (échelle de Likert) avec des énoncés où il doit porter un jugement sur la qualité de sa lettre. Un conseil d’expert s’affiche sous l’énoncé lorsqu’un faible niveau d’accord est sélectionné. Le troisième outil apparaît après l’évaluation (onglet Solution de l’économiste expert, figure 6) et contient une vidéo où un expert explique sa solution et des questions d’autoévaluation.

Figure 4

Onglet Planification

Onglet Planification

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Figure 5

Onglet Lettre d’opinion

Onglet Lettre d’opinion

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Figure 6

Onglet Solution de l’économiste expert

Onglet Solution de l’économiste expert

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3.2 Le contexte de la recherche (participants, pandémie, procédure)

Les participants sont les apprenants inscrits au cours de PPE durant la période de la collecte de données, qui s’est déroulée aux trimestres d’hiver et d’été 2020, durant la pandémie de la COVID-19. En temps normal, ils devaient résoudre trois problèmes individuellement en classe durant une période d’une heure trente, tout en ayant la possibilité de consulter leurs pairs ou leur enseignant. Ceci n’a été possible qu’une fois à l’hiver, puisque les universités ont fermé en mars 2020 et que les autres problèmes ont été résolus en ligne. Pour ces derniers, les apprenants disposaient d’une journée complète pour rédiger leur solution.

3.3 La collecte et l’analyse des données

Cette recherche s’appuie sur un devis mixte concomitant triangulé (Fortin et Gagnon, 2016), afin de comparer les résultats quantitatifs et qualitatifs pour en déterminer les similitudes. Aussi, les résultats qualitatifs permettront d’approfondir les résultats quantitatifs en proposant des pistes d’explication. La combinaison de ces résultats permet donc d’améliorer la compréhension des perceptions des apprenants à l’égard des OÉN, ce qui en justifie l’usage selon Creswell (2014).

3.3.1 Procédure de collecte des données quantitatives

La collecte de données quantitatives s’est effectuée avec un questionnaire composé de trente items (tableau 1) repris des questionnaires TAM2 et TAM3 (excluant les items des déterminants de la norme sociale) conçus et validés par les auteurs de ces modèles (Venkatesh et Bala, 2008; Venkatesh et Davis, 2000). La démarche de traduction des questionnaires validés de l’anglais au français a été effectuée en s’inspirant de celle proposée par (Vallerand, 1989). D’abord, le questionnaire a été traduit par une firme professionnelle tout en échangeant avec la chercheuse principale pour s’assurer de la justesse des termes. Une validation de contenu a été effectuée par la chercheuse principale et la coordonnatrice du cours PPE, qui ont analysé les items pour s’assurer d’en maintenir la signification. Notons que le questionnaire a été rempli en anglais et en français par les étudiants et étudiantes, selon la langue de leur cours. Il a donc été possible d’effectuer un processus de validité concomitante, comme le suggère Vallerand (1989), puisque les apprenants du cours possèdent des caractéristiques semblables. L’échantillon de répondants a donc été séparé selon la langue afin d’effectuer des tests t pour échantillons indépendants qui permettent de déceler des différences entre les groupes. Ces tests conduits sur chaque item n’ont montré aucune différence significative à un niveau de confiance de 95 %, ce qui indique que le questionnaire dans sa version française était adéquat.

Tableau 1

Items du questionnaire selon les déterminants des modèles TAM, TAM2 et TAM3

Items du questionnaire selon les déterminants des modèles TAM, TAM2 et TAM3

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Un courriel personnalisé pour être rempli en ligne durant les deux semaines suivant la fin du trimestre a été envoyé à 244 apprenants (169 à l’hiver). Parmi les 115 répondants (76 à l’hiver), 62 s’identifient comme femme. La figure 7 répartit les répondants en croisant leur sexe avec leur moyenne générale et le nombre de cours complétés dans le programme. Cinq apprenants ont été retirés du corpus, car ils ont omis plus de 75 % de réponses, alors que sept autres ont omis entre 1 et 3 items. Le faible nombre de données manquantes et l’absence de tendance particulière justifient qu’elles soient considérées aléatoires et remplacées par la valeur moyenne de l’item, comme le recommandent (Hair et al., 2014).

Figure 7

Répartition des répondants selon le nombre de cours réussis dans le programme (diagramme du haut) et leur moyenne générale (diagramme du bas)

Répartition des répondants selon le nombre de cours réussis dans le programme (diagramme du haut) et leur moyenne générale (diagramme du bas)

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3.3.2 Analyses factorielles et tests statistiques

Des analyses factorielles exploratoires ont été effectuées selon les démarches recommandées par Hair et al. (2014) et Yergeau et Poirier (2013), afin de comparer ces échelles à celles obtenues par Venkatesh et Bala (2008) et Venkatesh et Davis (2000) lors de la validation de leurs questionnaires. Ainsi, ces analyses ont permis d’évaluer la fidélité du questionnaire en comparant ces échelles et leur indice de fidélité (alpha de Cronbach) à celles obtenues par ces chercheurs, comme suggéré par (Vallerand, 1989) Notons que cet échantillon dépasse la norme minimale de 100 répondants (Yergeau et Poirier, 2013), mais n’atteint pas le ratio de 5 répondants par item (Hair et al., 2014). Toutefois, le test de sphéricité de Bartlett significatif [χ2 = 2202,9] et l’indice KMO élevé [0,836] suggèrent des relations entre les items, et ainsi des facteurs ont été extraits par les méthodes d’analyse en composantes principales et d’analyse des facteurs communs avec rotation Varimax. Précisons que les résultats de ces analyses sont semblables, alors ceux de la première itération ont été conservés (Costello et Osborne, 2005). La rotation Varimax a été choisie car elle permet de maximiser la distance entre les regroupements d’items, ce qui facilite son interprétation conceptuelle (Field, 2018). De plus, une faible corrélation entre les facteurs a été observée (0,349 au maximum), ce qui soutient la pertinence d’avoir recours à une méthode de rotation orthogonale plutôt qu’oblique (Field, 2018). L’analyse du coude de Cattel a mené à l’extraction de six facteurs, puis les items non corrélés ou avec corrélations multiples supérieures à 0,30 ont été retirés, ce qui a mené au retrait du sixième. Le tableau 2 présente les cinq échelles avec leurs indices de fidélité (alphas de Cronbach) et leur liste d’items. Les scores des échelles ont été calculés en additionnant les items pour hausser la variabilité de l’échantillon (Hair et al., 2014). Des corrélations non paramétriques (rhô de Spearman) ont été menées pour comprendre la relation entre ces perceptions et leurs déterminants. Les résultats des tests de normalité de Kolmogorov-Smirnov (KS) ont impliqué l’usage de tests paramétriques (tests t, ANOVA) et non paramétriques (tests Mann-Whitney et Kruskal-Wallis), pour confirmer l’influence de caractéristiques individuelles (sexe, langue du cours, moyenne générale, nombre de cours complétés dans le programme, note à l’intra, trimestre et groupe) sur ces échelles.

Tableau 2

Échelles, variance expliquée, alphas de Cronbach et items du questionnaire TAM

Échelles, variance expliquée, alphas de Cronbach et items du questionnaire TAM

* La deuxième colonne représente le pourcentage de la variance expliquée pour chaque facteur. Le pourcentage cumulé s’établit à 72,9 % avec les cinq facteurs. La matrice des composantes après rotation (corrélations des items pour chaque facteur) est ajoutée à l’annexe B.

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3.3.3 Procédure de collecte des données qualitatives

Lors de l’élaboration du devis de recherche, il était prévu de conduire six entretiens semi-dirigés, afin d’approfondir les perceptions d’utilité et de facilité d’utilisation des OÉN et de complémenter les données quantitatives. Or, certains OÉN ont été peu utilisés lors de la première utilisation de l’application, ce qui nous a incités à revoir le devis pour intégrer deux groupes de discussion. L’intention était d’obtenir plus d’informations qui permettraient de comprendre ce qui incite ou non les apprenants à les utiliser. Le guide d’entretien contenait donc des thèmes reliés aux PU et aux PFU et des questions ouvertes pour inclure tous les autres facteurs qui peuvent y contribuer. Ainsi, tous les apprenants du cours PPE étaient invités aux deux groupes de discussion, afin de susciter les échanges sur l’usage ou non des OÉN, alors que seulement ceux les ayant utilisés étaient admissibles aux entretiens. Cette collecte s’est déroulée à l’hiver et comprend deux groupes de discussion (9 et 6 participants) et six entretiens semi-dirigés.

3.3.4 Analyse de contenu thématique et création de la grille

Les verbatim ont été analysés en suivant la démarche d’analyse de contenu thématique de Miles et Huberman (1994/2003) largement utilisée dans la littérature et qui permet de faire ressortir les tendances du corpus et d’analyser les facteurs qui influencent les PU et les PFU. Cette démarche a été choisie, car elle permet de commencer le codage avec une grille générale composée des catégories principales, qui est ensuite raffinée alors que le chercheur procède de manière inductive pour créer de nouveaux codes lors de la lecture du corpus (Miles et Huberman, 1994/2003). Les principales catégories de la grille initiale portaient sur les thèmes centraux du guide d’entretien (PU et PFU), et les secondaires correspondaient à leurs déterminants selon les modèles TAM2 et TAM3. Après une première lecture, les codes ont été précisés, divisés ou redéfinis, puis leur articulation a été revue pour les rendre significatifs sur le plan conceptuel.

Nous avions initialement choisi de créer des codes thématiques, au sens de Miles et Huberman (1994/2003), car ils réduisent le corpus en un ensemble d’éléments conceptuels et permettent d’amorcer l’analyse durant le codage. Toutefois, l’usage de thèmes semblait inapproprié, car ceux-ci n’étaient pas suffisamment univoques, ce qui a été constaté lors du premier contre-codage, où le taux d’accord interjuges n’était que de 50 %. Ainsi, suivant leur recommandation sur l’importance d’une définition claire et opérationnelle des codes, afin qu’ils soient toujours interprétés de la même manière, il a été décidé de les redéfinir sous la forme d’énoncés au sens de Paillé et Mucchielli (2016, chap. 11). Après clarification des codes, un taux d’accord supérieur à 80 % a été obtenu lors du troisième contre-codage d’un entretien. L’articulation des catégories de la grille finale est présentée à l’annexe C[5].

Le tableau 3 présente la fréquence de codage par catégories principales. Les premières représentent les codes associés aux déterminants de la perception d’utilité (PU), qui ont été séparés selon que les codes réfèrent à des perceptions positives (+), négatives (-) ou neutres (neutre), c’est-à-dire que le discours du participant ne témoigne pas de son attitude (positive ou négative) à l’égard des OÉN. Les secondes reprennent la même séparation, mais regroupent les codes associés aux déterminants de la perception de facilité d’utilisation (PFU).

Tableau 3

Fréquence de codage par catégories principales

Fréquence de codage par catégories principales

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4. Résultats

4.1 Perception d’utilité

4.1.1 Échelle d’utilité et influence des caractéristiques individuelles

Les analyses factorielles (tableau 2) montrent que les items liés à l’utilité sont associés à une première échelle (α = 0,95) rassemblant également d’autres items liés à la pertinence pour le travail et au caractère agréable des outils. Ceci suggère que la perception d’importance ou de pertinence des OÉN serait positivement liée à leur utilité, sous l’angle de leurs effets sur le rendement, la productivité et l’efficacité (items 1, 13 et 17). Notons que la haute valeur de l’indice de fidélité s’explique potentiellement par le nombre élevé d’items (8) qui composent cette échelle (Field, 2018), car elle regroupe trois construits du modèle TAM2. Toutefois, les résultats qualitatifs semblent soutenir cette relation entre ces construits, ce qui justifie le choix de la conserver ainsi.

Les résultats qualitatifs soutiennent la relation entre la PU et la pertinence, puisque sur les seize participants qui ont mentionné qu’ils considéraient les questions de planification utiles, douze ont aussi indiqué qu’ils les trouvaient pertinentes, suggérant qu’ils les associent à un même concept. Notons que les quatre autres ne se sont pas exprimés sur la pertinence lors des groupes de discussion.

Ces résultats exposent une relation différente de ce que prévoit le modèle TAM2 en liant le caractère agréable des outils (items 5, 11 et 24), un déterminant de la PFU, avec la perception d’utilité. Ceci laisse suggérer que les apprenants qui considèrent les OÉN utiles les considèrent également agréables à utiliser, ce qui a été observé chez les participants des entretiens, qui ont tous indiqué qu’ils considéraient les OÉN utiles et agréables. Toutefois, il semble également qu’il y ait un lien avec la PFU, car deux participants ont mentionné qu’ils considéraient les OÉN agréables parce qu’ils étaient faciles à utiliser.

La figure 8 montre la répartition des scores de cette échelle, où l’on observe une distribution normale (test KS non significatif, p = 0,20), suggérant que cette perception n’est pas unanime entre les apprenants. Bien que les tests ne permettent pas de conclure à des différences significatives sur la base des caractéristiques individuelles, les résultats qualitatifs suggèrent que cette perception dépendrait en partie de la moyenne générale dans le programme. En effet, les deux apprenants qui ont indiqué avoir une moyenne supérieure à A- ont expliqué qu’ils ne percevaient pas l’utilité ou la pertinence des questions incitatives, alors qu’on observe l’inverse chez 5 apprenants sur 6 qui ont signifié que leur moyenne était égale ou inférieure à B. Trois participants aux entretiens ont indiqué qu’ils avaient davantage perçu l’utilité et la pertinence des OÉN alors qu’ils devaient effectuer le travail à distance et deux ont mentionné qu’ils les mobilisaient davantage selon la difficulté du scénario. Les deux participants des entretiens qui semblent avoir une PU moins élevée tiennent un discours qui suggère que leurs expériences antérieures à résoudre ce type de problèmes diminuent cette perception.

4.1.2 Relations avec les déterminants

Le tableau 4 montre une corrélation positive significative avec l’échelle de la PFU, et une seconde avec celle de la démonstrabilité de résultats (DR), en cohérence avec le modèle TAM2. L’échelle DR contient trois items portant sur la capacité à communiquer les effets de l’usage des OÉN à d’autres et un item sur la compréhension de ces effets.

Figure 8

Scores de l’échelle de la perception d’utilité, de pertinence et du caractère agréable des OÉN

Scores de l’échelle de la perception d’utilité, de pertinence et du caractère agréable des OÉN

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Tableau 4

Moyenne, écart-type et coefficients de corrélation non paramétriques (rhô de Spearman) des échelles du TAM

Moyenne, écart-type et coefficients de corrélation non paramétriques (rhô de Spearman) des échelles du TAM

* La corrélation est significative à 0,05 (bilatérale). ** La corrélation est significative à 0,01 (bilatérale).

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Si peu d’apprenants se sont exprimés sur la DR, leurs discours semblent confirmer la relation entre ce déterminant et la PU, puisque ceux qui ont affirmé ne pas percevoir comment les outils auraient pu améliorer leur lettre ou leur note avant de les utiliser sont également ceux qui ne les considéraient ni utiles ni pertinents, sans même les avoirs utilisés. L’extrait suivant illustre ce constat :

Ben moi personnellement, je ne les ai pas utilisés. […] Je pense je suis même pas allée voir [rires] les outils... je savais qu’ils étaient là, mais je les ai même pas lus... pour moi ça pas été utile […] je trouvais pas ça utile… je savais déjà ce que je voulais répondre en général tout de suite après avoir lu la mise en situation... je ressentais pas un besoin d’aller répondre à chaque petite question pour m’aider.

Simone

Néanmoins, rien ne permet de confirmer que ceux qui percevaient la DR considéraient les OÉN utiles.

Par ailleurs, les résultats qualitatifs indiquent que les six apprenants qui considèrent que les questions de planification améliorent la qualité de leur lettre ont également une PU favorable de ce type d’OÉN, alors que l’on observe la situation opposée chez deux apprenants sur trois qui ont indiqué qu’ils ne considéraient pas que ces questions pouvaient l’améliorer. De plus, la facilitation de la tâche est partagée auprès de ceux qui ont une PU favorable, puisque certains considèrent que leur usage allonge le processus en les obligeant à répondre à autant de questions, comme en témoigne l’extrait suivant :

Ça m’a sûrement aidé[e) à comme... tsé rendu à la lettre d’opinion, sûrement que ça m’a aidé[e] [...] pis là comme je savais par coeur ma prise de position, alors c’était peut-être facile de vraiment élaborer ça mais comme […] pendant que je le faisais j’étais en train de chialer dans ma tête parce que c’était long, mais ça m’a sûrement aidé[e].

Clara

4.2 Perception de facilité d’utilisation

4.2.1 Échelle de facilité d’utilisation et influence des variables de contrôle

Les résultats des analyses factorielles permettent d’observer l’échelle de la PFU (α = 0,683) qui possède une distribution asymétrique des scores (figure 9), ce qui suggère qu’elle est élevée chez la majorité des apprenants. Ceci a également été observé lors des entretiens et groupes de discussion, car tous ont indiqué que les OÉN étaient faciles à utiliser, et ce, indépendamment de leur mobilisation. Néanmoins, certains ont émis des suggestions pour améliorer leur présentation ou leurs fonctionnalités pour faciliter davantage leur usage. Notons qu’aucun test non paramétrique visant à déterminer l’influence des caractéristiques individuelles n’est significatif.

Figure 9

Scores de l’échelle de la perception de facilité d’utilisation

Scores de l’échelle de la perception de facilité d’utilisation

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4.2.2 Relations avec les déterminants

Le tableau 4 présente deux résultats significatifs cohérents avec le TAM3 : une corrélation négative avec l’échelle de l’anxiété et une positive avec celle du sentiment d’autoefficacité. Ces résultats peuvent s’expliquer par le faible niveau général d’anxiété de ce groupe d’apprenants, ainsi que par le niveau moyen-élevé de leur sentiment d’autoefficacité envers le numérique (figure 10). Les résultats qualitatifs soutiennent également cette relation, puisque les onze apprenants qui se sont exprimés sur ce sujet ont indiqué qu’ils se sentaient à l’aise et confiants quant à l’utilisation du numérique.

Figure 10

Score des échelles de l’anxiété (à gauche) et du sentiment d’autoefficacité envers le numérique (à droite)

Score des échelles de l’anxiété (à gauche) et du sentiment d’autoefficacité envers le numérique (à droite)

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Par ailleurs, on observe une corrélation positive significative inattendue avec la DR, suggérant qu’une perception positive que les OÉN engendrent des effets sur sa performance serait liée à une PFU élevée. Toutefois, aucun témoignage ne permet d’expliquer cette relation.

Enfin, les résultats qualitatifs indiquent que tous les participants qui ont mentionné avoir consulté la formation initiale ont confirmé qu’elle était suffisante (n = 4) et aucun n’a mentionné avoir ressenti un manque de formation. Quatre participants ont confié qu’ils ne l’ont pas consultée (en partie ou en totalité) et une autre a indiqué qu’elle la considérait comme superflue, puisque l’usage des OÉN était suffisamment facile et intuitif.

5. Discussion et recommandations

5.1 La PU serait déterminante pour l’usage des OÉN

Selon Venkatesh et Davis (2000), l’IU est principalement déterminée par une PU favorable. Nos résultats semblent alignés avec ce modèle, puisque les résultats quantitatifs et qualitatifs montrent que la PFU est élevée auprès de tous les apprenants, et qu’aucune variable de caractéristiques individuelles ou de déterminants ne semble influencer cette perception. Or, bien que la PFU soit majoritairement élevée, plusieurs participants ont indiqué ne pas avoir utilisé les OÉN, car ils n’en percevaient pas l’utilité. À l’inverse, ceux qui les ont mobilisés ont tous mentionné au moins un élément associé à la PU ou à ses déterminants pour justifier leur usage.

5.2 La PU serait liée à plusieurs déterminants du TAM2 et à des caractéristiques individuelles

Tout comme le modèle TAM2 le prédit, nos résultats suggèrent une corrélation positive entre la PU et les déterminants de la pertinence pour accomplir la tâche, de la démonstrabilité de résultats et de la qualité du travail, représentée par la perception que la qualité de la lettre est plus élevée à la suite de l’usage des OÉN, ainsi que la PFU.

Cependant, contrairement à ce modèle, la relation entre la facilitation de la tâche et la PU n’a pas été observée. Au contraire, des participants ont indiqué qu’ils percevaient que l’usage des OÉN leur complexifiait la tâche, mais que cela n’en réduisait pas moins leur utilité pour améliorer l’écriture de leur lettre. Autrement dit, leurs discours témoignent qu’ils auraient fait moins d’efforts sans la guidance des OÉN. Cela soutient qu’il serait inadéquat de miser sur la facilitation de la tâche lors de la conception d’OÉN, mais qu’il faut plutôt élaborer des outils qui soutiennent la compréhension et qui permettent d’étayer le raisonnement des apprenants au-delà de ce qu’ils peuvent faire par eux-mêmes. De plus, le lien entre la PU et la DR suggère qu’il faut également miser sur une démonstration claire des bénéfices potentiels de l’usage des OÉN. Ainsi, bien qu’ils pourraient être conscients que les OÉN complexifient leur processus, ils en percevront davantage l’utilité, favorisant alors leur mobilisation.

Enfin, la PU semblait plus élevée chez les participants ayant moins d’expérience à résoudre ces problèmes ou qui possèdent une faible moyenne générale. Certains ont mentionné qu’ils mobilisaient davantage les OÉN lorsqu’ils étaient à distance et lorsqu’ils ont fait face à un scénario plus complexe, ce qui suggère que ceux-ci semblent davantage pertinents pour l’accomplissement de tâches complexes, où le besoin d’accompagnement est élevé, comme en FAD.

5.3 La relation inattendue entre l’utilité et le caractère agréable des outils

La relation entre les échelles théoriques d’utilité, de pertinence et du caractère agréable des outils suggère un lien entre les attentes quant à la performance obtenue grâce à l’utilisation des OÉN (utilité, pertinence) et la valeur accordée (caractère agréable des outils). Ainsi, ces résultats semblent cohérents avec certains modèles théoriques de l’engagement, dont la théorie des attentes-valeur de Eccles et al. (1983), où l’engagement envers une tâche est déterminé par ces deux facteurs. Conséquemment, il semble pertinent d’approfondir davantage cette relation et de concevoir des OÉN en s’appuyant également sur un cadre théorique de la motivation et de l’engagement, comme la théorie des attentes-valeur. Cela permettra d’inclure une dimension affective aux OÉN et, possiblement, de hausser leur valeur auprès des apprenants.

5.4 La PFU et ses déterminants exerceraient une faible influence sur l’usage des OÉN

Comme mentionné ci-haut, la PFU semble très élevée chez l’ensemble des apprenants et la distribution des échelles d’anxiété et du sentiment d’autoefficacité suggère qu’ils se sentent habiles et confiants avec l’usage d’applications numériques, comme celle développée pour cette recherche. De plus, les résultats qualitatifs soutiennent que la formation initiale était suffisante, voire superflue pour apprendre à utiliser l’application et les OÉN. Ainsi, nous suggérons de concevoir des OÉN en accordant davantage d’importance à la PU et à ses déterminants identifiés dans le TAM2 ainsi que le déterminant du caractère agréable des outils. Autrement dit, l’influence de la PFU et des autres déterminants correspondants du TAM3 semble moins importante dans la décision d’utiliser ou non les OÉN chez ces apprenants.

Conclusion

Ces résultats encourageants confirment la pertinence de poursuivre la recherche sur la conception d’OÉN pour soutenir l’apprentissage de la RPC ou d’autres tâches complexes. Notre étude mixte a permis d’approfondir les PU et les PFU des apprenants et de comprendre les perceptions des déterminants qui n’étaient pas observables par les analyses factorielles (pertinence, amélioration de la qualité du travail, conditions facilitantes).

Toutefois, rappelons que cette recherche se base sur un nombre restreint de participants, ce qui limite la généralisation des résultats. Le contexte particulier de la pandémie a peut-être influencé les résultats quantitatifs, car les apprenants ne pouvaient indiquer si leurs perceptions étaient les mêmes lors de l’usage en classe et à distance. Les données qualitatives sont restreintes par le nombre de volontaires, et il n’a donc pas été possible d’en arriver à une pleine saturation des données. Enfin, notons que notre analyse se fonde exclusivement sur les déterminants des modèles TAM2 et TAM3, ce qui circonscrit notre compréhension des facteurs qui influencent l’usage des OÉN.

Néanmoins, les résultats laissent entrevoir la pertinence de concevoir les OÉN en contexte universitaire pour soutenir l’apprentissage. Ces outils peuvent répondre au besoin d’accompagnement des apprenants, notamment en formation à distance, s’ils sont conçus adéquatement. Pour cela, nous proposons de poursuivre la recherche en s’appuyant sur des méthodes de recherche-développement où apprenants, enseignants, chercheurs et programmeurs collaborent pour construire une solution adaptée qui répondra aux besoins exprimés par les premiers. De plus, il serait intéressant d’approfondir la recherche sur les perceptions des apprenants à l’égard des différents types d’OÉN et de s’interroger davantage sur les contextes d’usage ou les caractéristiques individuelles qui les influencent. Ainsi, nous espérons que cela permettra de concevoir des OÉN envers lesquels les apprenants auront une attitude positive, ce qui en suscitera l’usage et contribuera réellement à leur apprentissage.