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1. Introduction

L’acquisition d’un lexique varié revêt une importance capitale à l’école, notamment en lecture (Dickinson et Porche, 2011). Pour être durable et permettre à l’élève d’accéder pleinement à la réussite scolaire, cet apprentissage nécessite que l’enfant soit motivé⋅e (Fréchette-Simard et coll., 2019). La motivation peut être sous-tendue par des buts d’apprentissage qui poussent les individus à s’engager dans la tâche. On distingue les buts de performance et de maitrise qui comprennent chacun un axe d’approche (atteindre la compétence et la réussite) et un axe d’évitement (éviter l’incompétence et l’échec) (Elliot, 1999). Plusieurs moyens permettent d’atteindre ces buts d’apprentissage à l’école dans le domaine du vocabulaire, notamment les séquences spécifiques, mais aussi, dans d’autres contextes comme le jeu (par exemple, le jeu de rôle). Or, le jeu, support attractif et motivant, favorisait l’intégration d’informations chez l’individu (Sauvé et coll., 2007). Comment les buts de maitrise (au moyen d’une séquence explicite) et les buts de performance (au moyen des jeux) permettent-ils d’acquérir du lexique chez l’enfant à l’école primaire ?

2. Contexte théorique

2.1 Apprendre oui, mais pour quoi ?

Face à une activité, l’élève peut adopter un but de maitrise (Ames, 1992) ou un but de performance (Dweck, 1999) avec une tendance d’approche ou d’évitement (Elliot, 1999). Le but de maitrise (Ames, 1992) est orienté vers l’activité. Dans un but de maitrise-approche, l’objectif est d’anticiper une conséquence souhaitable (comme améliorer ses compétences) alors que la visée est de prévenir une conséquence indésirable dans un but de maitrise-évitement (comme ne pas comprendre). Par exemple, l’élève qui poursuit un but de maitrise-approche réalise un exercice écrit de vocabulaire d’association de synonymes avec pour objectif d’apprendre de nouveaux mots. Elle⋅Il accepte de ne pas connaitre tous les items lexicaux présentés, et adopte des stratégies pour tenter d’associer chaque paire mot/synonyme (par exemple, s’appuyer sur le sens de la racine du mot) même en cas de vocabulaire inconnu. Dans un but de maitrise-évitement, l’élève réalise le même exercice avec pour objectif de ne pas montrer que certains mots lui sont éventuellement inconnus. Dès lors, elle⋅il peut adopter des stratégies d’évitement pour ne pas achever l’exercice (par exemple, se plaindre de maux de ventre).

À l’école, les enseignements sont conçus par l’enseignant⋅e pour que l’élève poursuive un but de maitrise-approche. En effet, ces enseignements visent à faire acquérir des compétences nouvelles à l’enfant (être capable de consulter un dictionnaire, savoir trouver des mots de la même famille, etc.) au travers d’activités (manipulations, tris, catégorisations, etc.) conformément aux instructions officielles (Bulletin officiel de l’éducation nationale, 2020a, 2020b, 2020c). La mise en oeuvre d’une démarche d’enseignement explicite permet de renforcer le but de maitrise chez l’élève. Ainsi, lors de chaque activité (introduction, réalisation de la tâche, bilan), l’enfant explicite par le langage (oral ou écrit) à elle⋅lui-même, à l’enseignant⋅e et aux autres élèves les buts d’apprentissage et les stratégies mises en oeuvre pour y parvenir (Centre Alain-Savary, 2019). Cette explicitation que mène l’élève la⋅le conduit à orienter sa réflexion vers l’activité. Elle⋅Il est plus actif⋅ive afin de comprendre ce qu’il s’agit de connaitre et de faire pour maitriser l’apprentissage en cours (bureau de l’éducation prioritaire de la direction générale de l’enseignement scolaire, 2016).

À contrario, dans le but de performance (Dweck, 1999), l’individu souhaite obtenir de meilleurs résultats que les autres (performance-approche ; Elliot, 1999) ou éviter de montrer son manque de compétence en échouant (performance-évitement ; Elliot, 1999). Par exemple, lors de la participation à un jeu de mémoire sur le vocabulaire de la ferme, les élèves qui adoptent un but de performance-approche souhaitent gagner plus de paires mots/images correctes que leurs camarades à la fin de la partie. Les enfants qui poursuivent un but de performance-évitement, dans cette même partie de jeu, s’engageront moins facilement dans la partie. Elles⋅ils se détourneront de l’activité ou elles⋅ils tenteront d’imiter, par peur de montrer leur manque de compétence en se trompant, les stratégies des camarades qui réussissent.

En contexte scolaire, les situations ludiques, et notamment les jeux à règles, constituent souvent des appuis pédagogiques pour construire des apprentissages. Or, dès l’âge de cinq ou six ans, les enfants s’orientent préférentiellement vers des jeux à règles où l’objectif est de gagner contre les autres ou des jeux dits compétitifs (Eduscol, 2015 ; Roberts, 2016). Or, quand l’individu a pour objectif de gagner contre les autres, on peut supposer qu’il entre dans une tendance de performance. Sa visée est dès lors d’obtenir de meilleurs résultats que ses pairs pour être la⋅le premier⋅ère et remporter la victoire. A priori, les personnes qui adoptent un but de maitrise de la tâche s’engageraient dans la tâche, même lorsqu’elle est difficile, et elles maintiendraient leurs performances. Les individus qui adoptent un but de performance voient leurs résultats et leur motivation chuter face à la difficulté (Dweck, 1999). Pour d’autres auteur⋅e⋅s, ce serait surtout les buts de performance-évitement qui auraient des répercussions négatives sur la réussite scolaire (par exemple, la baisse d’efficacité ; Mägi et coll., 2010).

Linnenbrinck-Garcia et coll. (2008) précisent que les buts de performance et de maitrise pourraient, tous deux, être associés à la réussite selon différents facteurs. Ainsi, les buts de performance-approche seraient préjudiciables aux individus qui ont initialement de faibles aptitudes pour la tâche évaluée et uniquement favorables pour les activités simples. Par ailleurs, en raison du contexte d’apprentissage, les buts de maitrise semblent les plus efficaces à l’école élémentaire par rapport aux buts de performance-approche, ce qui tend à être moins vrai au collège, au lycée et au début du cursus universitaire. Si à l’école élémentaire l’objectif est d’acquérir de nouvelles compétences (comme apprendre à lire), à l’université, la visée est parfois d’avoir de meilleures notes que les autres pour accéder à l’année supérieure. De plus, les filles seraient plus en réussite en poursuivant des buts de maitrise, alors que les garçons obtiendraient de meilleurs résultats avec un but de performance-approche. Dès la petite enfance, les professionnel⋅le⋅s ont en effet tendance à encourager et à complimenter les garçons sur leurs performances alors que les filles le sont sur la maitrise de leur conduite (Rouyer et coll., 2014).

Dans une autre perspective, Sommet et Elliot (2017) expliquent qu’en combinant buts de maitrise-approche ou de performance-approche avec une motivation autonome (contrôle des buts d’apprentissage par l’enfant), on obtient une plus grande persévérance et plus de satisfaction dans la tâche que lorsque ces buts sont associés à une motivation contrôlée (contrôle des buts d’apprentissage par l’enseignant⋅e). Pris dans leur ensemble, les travaux de recherche montrent que les buts d’apprentissage et leur corrélation avec la réussite scolaire constituent un domaine d’étude complexe, probablement influencé par divers facteurs selon les individus. La présente étude permettrait d’enrichir la compréhension de ces phénomènes en comparant buts de performance-approche par les jeux et buts de maitrise-approche au travers d’une séquence explicite, à l’école élémentaire, dans le domaine de l’apprentissage du vocabulaire. Analyser par ailleurs les émotions et le sentiment d’autonomie des enfants dans chaque but d’apprentissage (par exemple, lors de jeux ou d’une séquence explicite) fournirait des informations complémentaires sur les liens entre motivation, autonomie, buts d’apprentissage et apprentissage du vocabulaire chez l’enfant.

2.2 Entre apprentissage informel et nécessité d’un enseignement structuré du vocabulaire en contexte scolaire

Bien que les enfants acquièrent du vocabulaire lors des interactions informelles avec l’enseignant⋅e en maternelle (Dickinson et Porche, 2011) et pendant la lecture d’histoires (McLeod et McDade, 2010), la structuration et l’explicitation de cet enseignement par l’enseignant⋅e semblent néanmoins optimiser leurs compétences. Ainsi, Coyne et coll. (2007) montrent qu’un apprentissage explicite prolongé (définitions des mots de la lecture, multiples rencontres dans des contextes variés, etc.) permet une meilleure acquisition du vocabulaire réceptif et expressif chez l’enfant de cinq ans par rapport à une unique exposition à ces mots ou à leur seule définition en contexte de lecture offerte. De plus, cet apprentissage explicite prolongé permettrait aux enfants de mieux retenir le sens du lexique dans le temps. Plus récemment, Dickinson et coll. (2019) examinent l’étendue (nombre de mots appris) et la profondeur (utilisation des mots dans différents contextes) du vocabulaire réceptif et expressif chez les enfants à l’école maternelle lors de la lecture d’albums. Ils comparent ainsi une méthode explicite enrichie (associations mots/images, mimes, etc.) avec une exposition répétée des enfants au vocabulaire cible lors de la lecture. Avec cette méthode explicite enrichie, tou⋅te⋅s les enfants, à l’exception de celles⋅ceux qui ont le niveau de vocabulaire le plus faible, acquièrent le lexique en réception. Celles⋅Ceux qui ont le niveau de vocabulaire le plus élevé apprennent les mots cibles par simple exposition. Toutefois, elles⋅ils approfondissent leurs compétences quand elles⋅ils reçoivent une instruction explicite. La mise en place d’un enseignement structuré du vocabulaire et explicité par l’enseignant⋅e semble ainsi nécessaire à l’enrichissement du vocabulaire chez la⋅le jeune enfant.

2.3 L’apprentissage du vocabulaire par le jeu en contexte scolaire : un vecteur de motivation et d’émotions positives pour l’apprenant⋅e

Néanmoins, le jeu semble aussi favoriser les acquisitions langagières. Ainsi, en maternelle, Han et coll. (2010) montrent que les enfants ayant bénéficié de séquences d’instruction explicite raccourcies et d’un jeu (par exemple, mettre en scène les mots) ont de meilleures performances en vocabulaire réceptif et perceptif que celles⋅ceux ayant bénéficié de séquences d’instruction explicite seules (par exemple, associer mots et images, répétitions de mots). Selon les auteur⋅e⋅s, le format du jeu de rôle serait responsable de meilleures mémorisation et restitution du vocabulaire. Il ne remplacerait pas l’instruction explicite du lire-écrire, mais permettrait de la mettre en forme.

Plus récemment, Hassinger-Das et coll. (2016) observent que les enfants de quatre ans ont de meilleures performances en vocabulaire réceptif et actif en utilisant un jeu de serpents et d’échelles par rapport à la simple réponse aux questions de l’enseignant⋅e. Selon les auteur⋅e⋅s, le jeu développe une motivation intrinsèque chez l’enfant et une attitude positive face à l’apprentissage. Il procure des sentiments de contrôle et de compétition, et il suscite de la curiosité et de l’imagination. Ceci conduit l’enfant à persévérer dans l’activité et à y participer plus activement. Sauvé et coll. (2007) indiquent en outre que le jeu favorise la coopération, la communication (partager des stratégies) et les relations humaines (développer des amitiés). De même, ces auteur⋅e⋅s mentionnent l’amélioration de l’estime de soi et de la confiance en soi au travers du jeu. Selon elles⋅eux, le jeu est en lui-même vecteur de plaisir et d’enthousiasme comme autant d’émotions positives qui favorisent la motivation chez l’apprenant⋅e.

Cependant, la majorité des études consacrées à l’apprentissage du vocabulaire à l’école, par le jeu ou par le biais de séquences explicites, a été conduite auprès d’enfants en maternelle dans un contexte de lecture d’albums. Or, l’enrichissement du lexique se poursuit tout au long de l’école élémentaire, notamment au travers de séances spécifiques menées par l’enseignant⋅e. Il semblerait dès lors intéressant de proposer un travail de recherche en vocabulaire chez l’élève en école élémentaire afin de confirmer ou d’infirmer les précédents résultats observés auprès de l’enfant plus jeune. En outre, lors des précédents travaux de recherche, le jeu a toujours été étudié en association avec séquence d’enseignement classique (Han et coll., 2010) ou en révision de notions déjà abordées en classe (Hassinger-Das et coll., 2016). L’étude du jeu de manière isolée nous permettrait ainsi de mieux comprendre l’impact des situations ludiques seules pour apprendre du lexique et le réinvestir.

2.4 Objectifs et hypothèses

Dans la continuité de ces travaux de recherche, notre objectif est de comparer les effets des buts de maitrise au travers d’un entrainement par le biais d’une séquence explicite, et des buts de performance-approche par le biais du jeu, sur l’acquisition de deux champs lexicaux chez l’enfant du Cours moyen 1 ou de Cours moyen 2 en contexte de production d’écrits à l’école. Cette étude a également pour visée de mieux comprendre comment les émotions et le degré d’autonomie suscités par le jeu ou les séquences d’apprentissage explicites pourraient influencer les performances des apprenant⋅e⋅s en vocabulaire. Au vu des précédentes études, on s’attend à observer une augmentation de la richesse lexicale (nombre de mots écrits et natures grammaticales de ces mots) et de meilleures performances en orthographe lexicale en ce qui concerne le vocabulaire, après entrainements par le jeu ou par le biais d’une séquence explicite, par rapport à l’absence d’entrainement chez les élèves de Cours moyen 1 ou de Cours moyen 2. L’entrainement par le biais d’une séquence explicite développant des buts de maitrise, permettrait néanmoins d’optimiser les apprentissages en vocabulaire, par rapport au jeu qui aurait une visée de performance. Cependant, cette observation pourrait être nuancée par les émotions de l’élève et son sentiment d’autonomie selon les moyens proposés (par exemple, le jeu ou la séquence explicite) pour étudier ces deux buts d’apprentissage.

3. Méthodologie

3.1 Population

Cinquante-sept enfants (39 filles et 18 garçons) âgé⋅e⋅s de huit à onze ans (âge moyen = 9,71 ; écart-type = 0,63) ont ainsi été inclu⋅se⋅s dans ce travail de recherche. Elles⋅Ils sont scolarisé⋅e⋅s en Cours Moyen 1 ou 2 dans des écoles élémentaires publiques de la région Occitanie. Les participant⋅e⋅s ont été réparti⋅e⋅s dans trois groupes comme suit : deux groupes A et B entrainés et un groupe C contrôle sans entrainement qui ne réalisera que le prétest et le post-test. Chaque groupe correspond à un groupe classe. Les champs lexicaux supports aux entrainements des groupes A et B sont croisés. Ceci permet de contrôler un effet potentiel de la thématique lexicale sur l’apprentissage indépendamment de l’impact des buts d’apprentissage (tableau 1).

Tableau 1

Répartition des groupes A, B, C de participant⋅e⋅s en fonction des types d’entrainement et des buts d’apprentissage

Répartition des groupes A, B, C de participant⋅e⋅s en fonction des types d’entrainement et des buts d’apprentissage

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3.2 Matériel

3.2.1 Les mots appartenant aux champs lexicaux de la ville et de la mer

Les champs lexicaux appartiennent aux thématiques de la mer et de la ville. Par leur caractère connu et familier des élèves, ces thématiques permettent une meilleure entrée dans les activités proposées. Elles offrent aussi une diversité dans le nombre de mots à apprendre, leur fréquence d’usage et leurs catégories grammaticales (par exemple, le nom, le verbe, l’adjectif). Les deux listes de mots ont été élaborées à partir des textes de littérature jeunesse et des oeuvres d’art proposés dans l’ouvrage de Cellier (2015). Quand cela était grammaticalement possible, les noms ont été déclinés en adjectifs ou en verbes correspondant et inversement. Les listes élaborées autour de la ville et de la mer (annexe A) comprennent 123 mots chacune, soit 246 mots au total. Le nombre moyen de lettres pour chaque mot est similaire lors du test t(t(56) = -1,82, ns) entre les champs lexicaux de la ville et de la mer (nombre de lettres moyen pour la mer = 7 ; nombre de lettres moyen pour la ville = 7,4). La base lexicale ainsi obtenue pour la ville et pour la mer a été prétestée avec l’outil Manulex afin de contrôler leur fréquence d’usage selon l’indice de fréquence courant (Standard Frequency Index ; Lété et coll., 2004). L’analyse statistique par un test t a permis de confirmer l’absence d’effet (t(56) = -1,82 ns) entre les moyennes de fréquences des mots (un indice de 47 en moyenne, soit environ une occurrence pour 100 000 mots lus) pour les deux champs lexicaux de la ville et de la mer.

Ces mots ont été par la suite classés par catégories grammaticales (noms, verbes, adjectifs) afin d’éviter toute disparité sémantique entre les mots d’une catégorie à une autre et d’un champ lexical à un autre. La mer et la ville présentent donc le même nombre de mots pour chaque catégorie grammaticale : 39 adjectifs, 39 verbes et 45 noms. La majorité des formes grammaticales des verbes correspondent au premier groupe de conjugaison (33 verbes en er pour le lexique de la mer et 31 verbes en er pour le lexique de la ville) qui est le plus régulier. Plus d’un quart des adjectifs sont construits à l’aide des suffixes suivants : en ante (huit adjectifs pour le lexique de la mer, 13 adjectifs pour le lexique de la ville), en ique (deux adjectifs pour les thèmes de la mer et de la ville) et en aire (un pour le lexique de la mer et deux adjectifs pour le lexique de la ville). Les champs lexicaux de la ville et de la mer, sélectionnés pour cette étude, constituent ainsi une base lexicale appropriée pour des enfants de dix ans d’âge moyen, diverse (catégories grammaticales, fréquences d’usage, nombre de lettres, etc.) et équilibrée.

3.2.1 Le prétest et le post-test

Le prétest et le post-test sont identiques pour chaque participant⋅e. D’une durée de 20 minutes chacun, ils mesurent l’effet des entrainements sur les performances des apprenant⋅e⋅s en vocabulaire. Ils se déroulent à huit semaines d’intervalle : avant et après entrainement (groupes A, B) ou sans la période d’entrainement (groupe C). Le prétest et le post-test prennent la forme d’une même production d’écrits imagée autour des champs lexicaux de la mer et de la ville. La production d’écrits est une activité connue des élèves à l’école primaire qui permet de mesurer l’étendue du vocabulaire. En effet, cette tâche leur demande de sélectionner du lexique stocké en mémoire et de l’intégrer dans le texte à écrire en faisant attention au sens et à la construction des phrases (Grossmann, 2018). La présence d’images évoquant la mer et la ville favorise l’entrée dans la tâche en suscitant leur inspiration autour du sujet de rédaction. La consigne du sujet d’écriture est volontairement ouverte (« Écris une histoire qui met en lien ces deux photos. Ton écrit commence par Un jour. ») afin de laisser place à l’imagination. La rédaction d’un texte d’au moins dix lignes est nécessaire à l’analyse des productions par les chercheur⋅se⋅s au moyen d’une grille de correction.

Cette grille d’évaluation concerne uniquement le lexique de la mer et de la ville. Elle s’articule autour des axes suivants : la richesse lexicale (nombre de mots employés en lien avec la mer ou la ville ; nombre d’adjectifs, de noms et de verbes relatifs à ces thématiques) et l’orthographe lexicale. Sur ce dernier point, l’équipe de recherche a uniquement comptabilisé les erreurs lexicales (confusions de sons, omission de la double consonne, omission de la lettre finale muette, etc.) liées au vocabulaire de la mer ou de la ville employé par les participant⋅e⋅s. Les erreurs grammaticales sur ces items lexicaux (oubli de l’accord sujet/verbe ou dans le groupe nominal entre le déterminant, le nom et l’adjectif, etc.) n’ont pas été prises en compte. Les participant⋅e⋅s n’ont pas connaissance de cette grille afin d’éviter de les orienter explicitement dans leur écrit et de biaiser ainsi l’analyse de l’évolution des performances entre le prétest et le post-test.

3.2.3 Les séquences d’apprentissage explicite des champs lexicaux de la ville et de la mer

Les deux séquences d’apprentissage explicite des champs lexicaux de la ville et de la mer ont pour visées d’enrichir le vocabulaire des élèves relatifs à ces thématiques, de mieux l’utiliser en contexte et de mieux l’orthographier. Ces séquences sont inspirées de l’ouvrage Guide pour enseigner le vocabulaire à l’école élémentaire de Cellier (2015) et du protocole d’orthographe explicite de Fayol, Grimaud et Jacquier (2013). L’ouvrage de Cellier (2015) propose une démarche d’apprentissage du vocabulaire explicite au travers de séquences organisées (en plusieurs séances avec des objectifs spécifiques), structurées (avec des tableaux de classification de mots par thème) et progressives (du relevé lexical vers sa classification et son réinvestissement). Les notions sont abordées en contexte, grâce à des supports textuels (par exemple, des extraits de littérature jeunesse) et imagés (par exemple, des oeuvres d’art) qui facilitent la production lexicale des élèves et rendent plus attractives les activités. Nous avons adapté les deux séquences de Cellier (2015) pour qu’elles soient similaires et rendent plus efficiente leur comparaison avec l’apprentissage implicite des mêmes champs lexicaux. Les séquences autour de la mer et de la ville proposent une progression en six séances autour des axes suivants : relevés lexicaux, catégorisation et réinvestissement.

Afin d’entrainer l’orthographe lexicale, l’équipe de recherche a ajouté aux séances proposées par Cellier (2015) le protocole d’entrainement explicite en orthographe de Fayol et coll. (2013). Les notions sont regroupées par difficultés phonologiques (différentes graphies pour un même son) autour de deux à quatre mots cibles par séance. Le protocole de Fayol et coll. (2013) propose une démarche explicite d’apprentissage de l’orthographe des mots sollicitant notamment la mémoire visuelle et la mémoire de travail (écriture ou épellation des mots de mémoire). Ces mémoires sont également au coeur du jeu d’orthographe (jeu du MOV ; Samier et Jacques, 2011) dans le cadre de l’entrainement implicite. Leur sollicitation dans les deux types d’entrainement permet une meilleure comparaison de leurs potentiels effets. Par ailleurs, le protocole de Fayol et coll. (2013) a déjà montré une amélioration de l’écriture des mots chez des élèves du Cours élémentaire 1.

Ces séquences sont menées par les enseignant⋅e⋅s des écoles participantes en classe entière avec l’ensemble de leurs élèves à raison d’une séance par semaine pendant six semaines. Elles ont pour visée de faire acquérir de nouveaux éléments lexicaux relatifs aux domaines de la mer ou de la ville dans un but de maitrise.

3.2.4 Les jeux d’apprentissage des champs lexicaux de la ville et de la mer

L’entrainement par le jeu, dans un but de performance-approche (jouer pour gagner contre son adversaire), se déroule en parallèle de l’entrainement par la séquence. Le lexique à acquérir correspond exactement aux champs lexicaux de la mer et de la ville. Il est composé d’un jeu de devinettes (qui suis-je ?), d’un jeu de production de phrases (jeu des trois mots pour une phrase) et d’un jeu d’orthographe (jeu du MOV ; Samier et Jacques, 2011).

Le jeu « qui suis-je » permet d’enrichir le vocabulaire de la mer ou de la ville. L’objectif pour chaque joueur⋅se est de deviner plus de mots que son adversaire. Créé par l’équipe de recherche, les devinettes qu’il contient au recto sont écrites à partir d’un dictionnaire pour enfants de sept à onze ans et sont donc proches du vocabulaire des participant⋅e⋅s. Au verso, les motsréponses sont imagés. Ces images libres de droits sont issues du site Pixabay (pixabay.com) recommandé par la Délégation académique pour le numérique éducatif de l’Académie de Besançon comme banque d’images utilisable à des fins pédagogiques.

Le jeu « trois mots pour une phrase » entraine la cohérence sémantique. La⋅Le joueur⋅se pioche trois cartes : une carte rose (verbe), une carte jaune (nom) et une carte orange (adjectif). L’objectif est de former une phrase qui a du sens à l’aide de ces trois mots. Chaque phrase correctement énoncée apporte un point. La⋅Le gagnant⋅e est celle⋅celui qui a obtenu le maximum de points à la fin de la partie.

Le jeu du MOV (Samier et Jacques, 2011) utilise un calepin visuospatial pour mieux mémoriser les mots. La⋅Le joueur⋅se pioche un mot concernant la mer ou la ville et doit l’observer quelques secondes. Puis le mot est caché. En fonction du chiffre obtenu après lancé du dé, la⋅le joueur⋅se doit rappeler tout ou partie du mot (épeler le mot à l’envers ou à l’endroit, dire une lettre sur deux, etc.). L’avancée dans le jeu est composée du nombre obtenu par le dé et du nombre de lettres correctement énoncées pour chaque mot. Des cases spéciales permettent d’avancer ou de reculer lorsque l’on s’arrête dessus avec le dé. Pour la⋅le joueur⋅se, le but est de parvenir la⋅le premier⋅ère à la case d’arrivée.

Ces trois jeux d’apprentissage du champ lexical de la mer ou de la ville seront utilisés en autonomie par les participant⋅e⋅s, en binôme, sous la surveillance de l’enseignant⋅e de la classe à raison de sessions de 15 minutes chacune, une à deux fois par semaine et par élève, durant six semaines.

3.2.5 L’évaluation des émotions induites par le matériel

Afin de mesurer l’influence des émotions inhérentes au matériel d’apprentissage (les jeux ou les séquences en vocabulaire), les enfants sont invité⋅e⋅s à remplir l’outil de mesure psychométrique validé nommé le Self-Assessment Manikin (Bradley et Lang,1994). Cet outil se compose de trois échelles non verbales : le plaisir, l’activation (arousal) et la dominance. Chaque dimension émotionnelle est représentée par des figurines classées selon leur valence (de la plus triste à la plus joyeuse : échelle du plaisir), leur niveau d’éveil (de la perception corporelle la plus discrète à la plus présente : échelle de l’activation), ou le contrôle que la⋅le sujet pense avoir sur la situation (de la figurine la plus petite à la plus grande : échelle de la dominance). La⋅Le sujet doit montrer le personnage qui correspond le mieux à son ressenti concernant l’activité après chaque session de jeu et chaque séance de la séquence. Cette échelle a déjà été prétestée auprès d’enfants (Hayashi, et coll., 2016) et permet d’évaluer rapidement les trois dimensions émotionnelles. Au sein de ces dimensions, le sentiment de dominance peut se rattacher au degré d’autonomie ressenti par l’individu dans un but de performance-approche (par le jeu) ou de maitrise-approche (par la séquence).

3.3 Procédure

Cette étude s’est déroulée entre les mois de janvier et de mars 2021 en classe entière au sein des trois écoles. Seules les productions en prétest et en post-test des participant⋅e⋅s et de leur famille ayant donné leur accord ont fait l’objet d’une analyse dans le cadre de ce travail de recherche. La⋅Le chercheur⋅se est intervenu⋅e dans les écoles lors du prétest et du post-test. L’entrainement par la séquence de vocabulaire a été mené par l’enseignant⋅e en classe entière. Les sessions de jeux sont gérées en autonomie par les élèves en classe sous la supervision de l’enseignant⋅e. En amont de l’entrainement, les enseignant⋅e⋅s ont bénéficié d’un rendez-vous initial avec l’équipe de recherche pour expliciter le protocole. En parallèle de la phase d’entrainement, elles⋅ils·se sont vu⋅e⋅s proposer un accompagnement hebdomadaire à distance par l’équipe de recherche afin de répondre à leurs interrogations éventuelles et rappeler des éléments de procédure de l’étude.

Les compétences en lexique des participant⋅e⋅s ont été évaluées initialement en classe entière grâce à un prétest sous la forme d’une production d’écrits imaginée (temps 1). La consigne donnée aux enfants par la⋅le chercheur⋅se est la suivante : « Écris une histoire qui met en lien ces deux photos. Ton histoire commence par Un jour, … Ton écrit doit faire au moins 10 lignes. Tu écris ton histoire au présent. »

Par la suite, seuls les groupes A et B suivent un entrainement relatif aux champs lexicaux de la mer et de la ville, dans un but de maitrise, au travers de la séquence d’apprentissage explicite, et dans un but de performance-approche, par le jeu (temps 2). La phase d’entrainement dure six semaines. Elle comprend des jeux autonomes en binôme faisant travailler le champ lexical de la mer (groupe A) ou de la ville (groupe B) au rythme d’une à deux fois par semaine et par élève. En parallèle, les enfants bénéficient d’un entrainement par le biais d’une séquence de vocabulaire autour du champ lexical de la ville (groupe A) ou de la mer (groupe B) menée par l’enseignant⋅e une fois par semaine. Le groupe C ne suit pas cet entrainement. À la fin de chaque session de jeu et à la fin de chaque séance durant la séquence de vocabulaire, les participant⋅e⋅s complètent la grille du Self-Assessment Manikin (Bradley et Lang, 1994) pour évaluer le matériel d’apprentissage sur le plan émotionnel.

Enfin, la⋅le chercheur⋅se revient dans les classes participantes pour proposer aux enfants le post-test identique au prétest (temps 3). Ce post-test permet d’évaluer l’évolution des compétences lexicales des participant⋅e⋅s avant et après la phase d’entrainement (groupes A et B) ou sans entrainement (groupe C). Il constitue également un support de comparaison de l’évolution de l’acquisition du lexique de la mer et de la ville en fonction du but d’apprentissage. Un temps d’échange positif est proposé à la fin de ce protocole par la⋅le chercheur⋅se dans la classe afin de recueillir les impressions des élèves.

4. Résultats

4.1 Évolution des connaissances relatives au lexique de la mer et de la ville entre le prétest et le post-test

Les participant⋅e⋅s dans les trois groupes (A, B, C) ont été évalué⋅e⋅s initialement au mois de janvier (temps 1), puis au mois de mars (temps 2) en classe entière grâce une production d’écrits imaginée. L’objectif est d’observer l’évolution du lexique de la mer et de la ville selon le type d’entrainement et les buts d’apprentissage associés pour les groupes A et B, et selon l’âge chronologique pour le groupe C. La grille d’analyse des productions écrites s’articule autour des caractéristiques suivantes : la richesse lexicale (le nombre et la nature grammaticale des mots) et l’orthographe lexicale. Une analyse de la variance (ANOVA) mixte a été réalisée sur le nombre de mots produits par les enfants. Cette ANOVA prenait comme variable indépendante intergroupe : la condition (A : avec entrainement ville/séquence et mer/jeu ; B : avec entrainement mer/séquence et ville/jeu ; C : sans entrainement), le contenu lexical entrainé (de la ville ; de la mer), et comme variable indépendante intergroupe le moment du test (en janvier ; en mars). Des analyses complémentaires ont été réalisées lorsque les résultats de l’ANOVA étaient significatifs.

4.1.1 Le nombre de mots utilisés relatifs au lexique de la mer et de la ville

L’ANOVA mixte révèle ainsi un effet simple du temps (F(1, 54) = 4,790 ; p = 0,033 ;ɳ²p = 0,081) et de la condition (F(1, 54) = 14.354 ; p = 0,000 ;ɳ²p = 0,348). Il n’y a cependant pas d’impact du contenu lexical seul (ns). Les groupes interagissent avec le contenu lexical (F(2, 54) = 4,854 ; p = 0,012 ;ɳ²p = 0,152). Aucune interaction entre le contenu lexical et le temps ou entre le temps et la condition n’est retrouvée (ns). Toutefois, on note une forte interdépendance entre contenu lexical, temps et condition (F(2, 54) = 5,550 ; p = 0,006 ;ɳ²p = 0,171). Ces liens statistiques entre condition et contenu lexical, puis entre condition, contenu lexical et temps, nous invitent à analyser en sous-plans les évolutions du vocabulaire de la mer et de la ville dans les différents groupes en fonction du temps. Plus spécifiquement pour les groupes A et B, ont été observées les évolutions lexicales dans le temps selon le type d’entrainement (dans un but de maitrise ou de performance).

Pour le groupe test (groupe C), l’analyse globale des résultats ne révèle pas d’effet du temps (ns) et du type de lexique (mer ou ville, ns) sur le nombre de mots employé entre les mois de janvier 2021 et de mars 2021. Aucune interaction entre le temps et le type de lexique n’est également retrouvée (ns). Ainsi, entre ces deux mois, le nombre de mots utilisés par les participant⋅e⋅s du groupe C reste globalement stable pour le thème de la mer (de 2,4 mots en janvier à 3,2 mots en mars) et de la ville (de 3,4 mots en janvier à 2,9 mots en mars).

L’analyse par buts d’apprentissage pour les groupes A et B montre un effet fort du temps sur le nombre de mots relatifs aux champs lexicaux de la mer ou de la ville entrainés dans un but de maitrise (de 4,5 mots en janvier à 6,2 mots en mars ; F(1, 36) = 9,953 ; p = 0,003 ;ɳ²= 0,217) sans qu’il n’entre en interaction avec le groupe (ns). Aucune augmentation significative n’est observée avec l’entrainement par le jeu dans un but de performance pour ces deux groupes (en moyenne 4,3 mots, ns).

À l’intérieur du groupe A, on remarque un impact de l’entrainement pour le lexique de la ville (t(20) = -4,10 ; p = 0,001). L’entrainement ne montre par contre pas d’effet sur le lexique de la mer (t(20) = 0,29 ; p = 0,778 ; ns). En d’autres termes, après la séquence explicite, le groupe A utilise plus de mots relatifs à la ville (de 3,7 mots en janvier à 6,2 mots en mars) alors que le nombre de mots relatifs à la mer reste stable (en moyenne 4,4 mots) après les sessions de jeu. Enfin, concernant le groupe B, les résultats ne montrent pas d’effet statistique de l’entrainement par le jeu ou par la séquence d’apprentissage au niveau quantitatif concernant le lexique de la mer (en moyenne 5,7 mots ; t(16) = -0,74 ; p = 0,473 ; ns) et de la ville (en moyenne 4,1 mots ; t(16) = -0,63, p = 0,539 ; ns).

4.1.2 Le nombre de mots nouveaux relatifs aux lexiques de la mer et de la ville

Si l’on détaille les résultats en se focalisant uniquement sur le nombre de mots nouveaux utilisés pour évoquer la mer et la ville l’ANOVA ne révèle pas d’effet simple du lexique (ns). Toutefois l’impact de la condition est fort (F(1, 54) = 4,404 ; p = 0,017 ;ɳ²p = 0,140). Par ailleurs, le nombre de mots nouveaux interagit en fonction de la condition (F(2, 54) = 3,364 ; p = 0,046 ;ɳ²p = 0,108). L’ANOVA complémentaire conduit à observer une différence significative (F(1, 56) = 13,354 ; p = 0,001) entre le groupe test (2,2 mots nouveaux en moyenne) et les groupes d’entrainement (4,0 mots nouveaux en moyenne) lorsqu’ils suivent la séquence explicite dans un but de maitrise. Cet écart n’est toutefois pas présent entre les groupes entrainés par les jeux dans un but de performance et le groupe test (ns). Si l’on compare les performances entre les buts d’apprentissage pour les deux groupes A et B, on remarque qu’ils écrivent plus de mots nouveaux relatifs à la mer ou de la ville lors du post-test après entrainement de ces champs lexicaux dans un but de maitrise (en moyenne 4,0 mots nouveaux) qu’après entrainement dans un but de performance (en moyenne 2,9 mots nouveaux) (annexe B). La différence statistique est notable (F(1, 36) = 5,576 ; p = 0,024 ;ɳ²p = 0,134). On n’observe pas d’effet simple de groupe (ns). Il n’y a pas non plus d’interaction statistique entre les types d’entrainement et les groupes A et B concernant l’emploi d’items nouveaux relatifs à la mer ou à la ville (ns).

4.1.3 La diversité des natures grammaticales

L’approfondissement de l’analyse des mots employés concernant les lexiques de la mer et de la ville et les effets constatés pour les groupes entrainés amène à s’intéresser à leur nature grammaticale dans ces groupes. Une ANOVA mixte a donc été réalisée sur la nature grammaticale des mots produits par les enfants des groupes A et B. Cette ANOVA prenait comme variable indépendante intergroupe : la condition (A : avec entrainement ville/séquence et mer/jeu ; B : avec entrainement mer/séquence et ville/jeu), le contenu lexical entrainé (de la ville ; de la mer) et comme variable indépendante intergroupe le moment du test (en janvier ; en mars). Des analyses complémentaires ont été réalisées lorsque les résultats de l’ANOVA étaient significatifs.

L’ANOVA mixte ne révèle aucun effet simple ou en interaction pour les noms (all p’s = ns). Pour les verbes, seul l’impact du temps est constaté (F(1, 36) = 4,208 ; p = 0,048 ;ɳ²p = 0,105). Tous les autres effets, simples et en interaction, sont non significatifs (all p’s = ns). Concernant les adjectifs, on observe une influence simple du temps (F(1, 36) = 10,684 ; p = 0,002 ;ɳ²p = 0,229) et du lexique (F(1, 36) = 18,930 ; p = 0,000 ;ɳ²p = 0,345). L’impact de la condition est non significatif (ns). Toutefois, le lexique interagit avec la condition (F(1, 36) = 12,272 ; p = 0,001 ;ɳ²p = 0,254). On note également une interaction triple entre temps, lexique et condition (F(1, 36) = 13,698 ; p = 0,001 ;ɳ²p = 0,276).

Ces ensembles d’impacts statistiques conduisent à approfondir l’analyse des natures grammaticales par buts d’entrainement au sein des groupes entrainés A et B. Ainsi, l’entrainement dans un but de maitrise pour les groupes A et B met en valeur une augmentation significative du nombre de noms (de 3,8 à 4,8 mots ; F(1, 36) = 4,415 ; p = 0,043 ;ɳ²p = 0,109) et d’adjectifs (de 0,3 à 0,9 mot ; F(1, 36) = 16,471 ; p = 0,000 ;ɳ²p = 0,314) relatifs aux champs lexicaux étudiés entre le prétest et le post-test. Aucun effet n’est observé pour les verbes appartenant à ces thématiques lors de la séquence (ns). Par ailleurs, on note une interaction double entre le temps et les groupes d’entrainement pour les noms (F(1, 36) = 4,415 ; p = 0,043 ;ɳ²p = 0,109) qui n’est pas présente pour les adjectifs (ns). Après entrainement dans un but de performance, les catégories grammaticales des mots concernant les champs lexicaux abordés restent stables dans les groupes entrainés (all p’s, ns). Pour le groupe C, on n’observe aucune variation statistique en ce qui concerne la nature grammaticale des items utilisés pour évoquer la mer ou la ville entre le mois de janvier et le mois de mars 2021 (all p’s, ns).

À l’intérieur du groupe A, on remarque un impact fort de l’entrainement qui augmente le nombre moyen de noms (de 3,38 à 5,14 ; t(20) = -3,33 ; p = 0,003), de verbes (de 0,2 à 0,6 ; t(20) = -2,26 ; p = 0,035) et d’adjectifs (de 0,1 à 0,5 ; t(20) = -2,609 ; p = 0,017) utilisés dans la production d’écrits en post-test pour parler de la ville. La quantité de noms, verbes et adjectifs relatifs à la mer reste, quant à elle, stable après entrainement par le jeu dans un but de performance-approche (all p’s ns).

Enfin, concernant le groupe B, on n’observe pas non plus d’évolution statistique de la nature grammaticale des mots utilisés pour évoquer la ville après l’entrainement par le jeu entre le prétest et le post-test (all p’s = ns). Toutefois, après la séquence sur la mer dans un but de maitrise, le nombre d’adjectifs concernant cette thématique augmente significativement (de 0,5 mot en janvier à 1,4 mot en mars ; t(16) = -2,99 ; p = 0,009). Les autres natures grammaticales (noms et verbes) ne subissent pas d’évolution notable (all p’s = ns). Ainsi, les mots relatifs à la mer ou à la ville employés par les groupes A et B se diversifient sur le plan grammatical seulement après un entrainement dans un but de maitrise.

4.1.4 Les performances orthographiques

Une ANOVA mixte a été réalisée sur les performances orthographiques des enfants relatives aux éléments lexicaux entrainés (vocabulaires de la mer et de la ville). Cette ANOVA prenait comme variable indépendante intergroupe : la condition (A : avec entrainement ville/séquence et mer/jeu ; B : avec entrainement mer/séquence et ville/jeu), le contenu lexical entrainé (de la ville ; de la mer) et comme variable indépendante intergroupe le moment du test (en janvier ; en mars). Seul l’effet de la condition a été constaté (F(1, 54) = 5,670 ; p = 0,006 ;ɳ²p = 0,174). Aucun autre effet simple ou en interaction n’a été relevé sur le plan statistique (all p’s, ns).

L’impact constaté du groupe nous a conduit⋅e⋅s à étudier la maitrise orthographique de ces items par les participant⋅e⋅s en comparant les buts d’apprentissage, puis chacun des groupes par des ANOVA complémentaires. Aucun effet significatif d’amélioration orthographique n’a été retrouvé entre le prétest et le post-test pour les lexiques de la mer et de la ville, en comparant les buts d’apprentissage ou à l’intérieur des trois groupes (A, B et C) (all p’s, ns). Globalement, les performances restent très stables. Le groupe C passe ainsi de 55 % à 69 % de réussite pour le lexique de la mer et de 62 % à 63 % pour le lexique de la ville, entre le mois de janvier 2021 et le mois de mars 2021. Le groupe A évolue de 73 % à 77 % de réussite pour le lexique de la mer et de 82 % à 85 % de réussite pour le lexique de la ville. Le groupe B oscille entre 79 % et 86 % de réussite pour le lexique de la mer et entre 85 % et 87 % de réussite pour le lexique de la ville. Il ne semble donc pas y avoir d’effet de l’entrainement (par le jeu ou par une séquence d’apprentissage) et des buts d’apprentissage associés (buts de performance-approche ou de maitrise) sur l’orthographe lexicale des participant⋅e⋅s pour les champs lexicaux travaillés.

4.2 L’évaluation émotionnelle de la séquence et des jeux par le biais du Self-Assessment Manikin (Bradley et Lang, 1994)

À la fin de chaque session de jeu et à la fin de chaque séance durant la séquence de vocabulaire, les participant⋅e⋅s des groupes A et B complètent la grille Self-Assessment Manikin (Bradley et Lang, 1994) pour évaluer émotionnellement le matériel proposé. Cette évaluation porte sur les échelles du plaisir (« Est-ce que cette activité était plaisante ou déplaisante ? »), de l’activation (« Est-ce que cette activité était calme ou excitante ? ») et de la dominance (« Est-ce que cette activité était difficile ou facile ? »). Une ANOVA mixte a été réalisée sur l’évaluation émotionnelle (plaisir, activation, dominance) par les enfants. Cette ANOVA prenait comme variable indépendante intergroupe : la condition (A : avec entrainement ville/séquence et mer/jeu ; B : avec entrainement mer/séquence et ville/jeu) et le type d’entrainement (par le jeu, par la séquence). Des analyses complémentaires ont été réalisées lorsque les résultats de l’ANOVA étaient significatifs.

4.2.1 Sur l’échelle du plaisir

Globalement, les jeux ont été très appréciés par les enfants avec une moyenne sur l’ensemble des séances pour l’échelle du plaisir à 7,4 sur 9,0 pour le groupe A et une moyenne de 7,5 sur 9,0 pour le groupe B. La différence d’appréciation en termes de plaisir entre les jeux et les séances de la séquence d’apprentissage n’est pas significative pour les deux groupes d’entrainement (all p’s, ns). Ce dernier résultat nous conduit à réaliser une analyse post hoc en ne se centrant que sur la première séance de la séquence explicite dans un but de maitrise en comparaison à la première séance de jeux dans les deux groupes d’entrainement A et B. En ne tenant compte que de cette première séance, l’ANOVA permet d’observer une différence d’évaluation notable entre les jeux (7,9 sur 9,0) et la séquence d’apprentissage (6,3 sur 9,0) sur l’échelle du plaisir (F(1, 35) = 9,550 ; p = 0,004 ;ɳ²p = 0,214) sans que cet effet n’entre en interaction avec les groupes (ns). Au sein de chaque groupe, cette tendance se confirme uniquement pour le groupe B sur le plan statistique (groupe B : t(16) = -2,62 ; p = 0,019 ; groupe A : t(20) = -0,50 ; p = 0,624 ; ns). Au niveau descriptif toutefois, sur l’échelle du plaisir du Self-Assessment Manikin (Bradley et Lang, 1994), le groupe A comme le groupe B préfèrent la première séance de jeux (groupe A : 7,4 sur 9,0 ; groupe B : 8,5 sur 9,0) à la première séance d’apprentissage (groupe A : 6,2 sur 9,0 ; groupe B : 6,4 sur 9,0).

4.2.2 Sur l’échelle de l’activation

Concernant l’échelle de l’activation, on n’observe pas d’écart, sur le plan statistique, entre l’évaluation des séances et celle des jeux pour les deux groupes d’entrainement A et B réunis (all p’s, ns). Toutefois à l’intérieur de chaque groupe, on remarque une différence significative entre l’appréciation moyenne des jeux et des séances pour le groupe B (t(16) = -3,59 ; p = 0,002) contrairement au groupe A (t(20) = 0,02 ; p = 0,987 ;ns). Ainsi, les participant⋅e⋅s du groupe B considèrent les situations ludiques comme étant plus excitantes en moyenne (4,5 sur 9,0) que les séances d’apprentissage (3,5 sur 9,0) alors que cette estimation est stable pour le groupe A (3,4 sur 9,0 pour les jeux et pour les séances de la séquence). Toutefois, il n’y a pas d’écart du niveau d’activation moyen des jeux ou des séances de la séquence entre les deux groupes (ns).

4.2.3 Sur l’échelle de la dominance

Sur l’échelle de la dominance, aucune différence significative n’est retrouvée entre l’évaluation des séances de la séquence et celle des jeux pour les deux groupes d’entrainement A et B (all p’s, ns). Les jeux ne sont donc pas considérés comme plus faciles que les séances de la séquence et inversement. Cependant, si l’on compare les participant⋅e⋅s dans les deux groupes grâce à l’ANOVA, on se rend compte que le groupe B a un score de dominance moyen plus fort pour les séances de la séquence (8,0 sur 9,0 en moyenne) que le groupe A (6,5 sur 9,0 en moyenne). La différence est importante (F(1, 36) = 12,337 ; p = 0,001). Elle est toutefois non significative pour l’estimation des jeux (ns).

5. Discussion

L’objectif de cette étude était de comparer les effets des buts de maitrise au travers d’un entrainement par le biais d’une séquence explicite, et des buts de performance-approche par le biais du jeu, sur l’acquisition de deux champs lexicaux chez l’enfant des Cours moyens 1 et 2 en contexte de production d’écrits à l’école. Cette étude avait également pour visée de mieux comprendre comment les émotions et le degré d’autonomie suscités par le jeu ou les séquences d’apprentissage explicites pourraient influencer les performances des apprenant⋅e⋅s en vocabulaire. Cinquante-sept enfants entre huit et onze ans ont été inclus⋅e⋅s dans ce travail de recherche : 21 pour le groupe d’entrainement A, 17 pour le groupe d’entrainement B et 19 pour le groupe C ou groupe test. L’acquisition du vocabulaire de la mer et de la ville a été mesurée avant et après entrainement pour les groupes A et B, et à intervalle temporel équivalent pour le groupe C grâce à un prétest et à un post-test identiques. Ces tests ont pris la forme d’une production d’écrits imagée relative à ces deux champs lexicaux. Les participant⋅e⋅s des groupes d’entrainement ont évalué les émotions suscitées par le matériel (jeux et séances de la séquence) grâce au Self-Assessment Manikin (Bradley et Lang, 1994) sur les échelles du plaisir, de l’activation et de la dominance.

Notre première hypothèse prévoyait de meilleures performances lexicales (nombre de mots, orthographe lexicale, diversité lexicale, etc.) en ce qui concerne le vocabulaire de la mer et de la ville utilisé en contexte de production d’écrits, après entrainements par le jeu ou par le biais d’une séquence explicite, par rapport à l’absence d’entrainement. Cette hypothèse est partiellement confirmée. En effet, le groupe C ne montre aucun effet d’apprentissage au niveau de ces champs lexicaux, tant du point de vue du nombre de mots employés que de leur diversité grammaticale ou de leur orthographe lexicale entre le mois de janvier et le mois de mars 2021. Cette absence d’effet permet également de rejeter l’hypothèse selon laquelle l’âge chronologique entre le prétest et le post-test impacterait les performances en vocabulaire dans les domaines des champs lexicaux de la mer ou de la ville, indépendamment des entrainements proposés.

Concernant les groupes d’entrainements A et B, on observe cependant un impact de l’entrainement sur leur utilisation lexicale lors du post-test, au niveau du nombre de mots employés, et/ou de leur diversité grammaticale. Par ailleurs, le nombre de mots nouveaux relatifs à la mer ou à la ville utilisés lors du post-test par rapport au prétest est nettement supérieur pour les groupes A et B par rapport au groupe contrôle. Cependant, cet effet d’apprentissage n’est visible que pour les champs lexicaux entrainés par le biais de la séquence explicite dans un but de maitrise. L’impact de l’apprentissage par le jeu dans un but de performance est absent des résultats des groupes A et B. Par ailleurs, on n’observe pas d’effet des sessions de jeux ou de la séquence sur l’orthographe des mots relatifs aux champs lexicaux de la mer ou de la ville. Ces compétences orthographiques stables entre le prétest et le post-test pour les groupes A et B peuvent s’expliquer, d’une part par les scores globalement élevés des enfants dans ce domaine lors du prétest, et d’autre part par la durée de l’entrainement qui n’a peut-être pas été suffisante pour démontrer ses effets.

Notre seconde hypothèse prévoyait que l’entrainement par le biais d’une séquence explicite développant des buts de maitrise optimise les apprentissages par rapport au jeu dans un but de performance. Cette hypothèse est vérifiée pour les deux groupes A et B, qu’ils soient réunis ou pris indépendamment, par l’absence d’effet d’apprentissage après entrainement dans un but de performance au moyen des jeux, alors que l’influence de l’entrainement dans un but de maitrise au moyen de la séquence d’apprentissage est réelle lors du post-test. Si l’on compare les buts d’apprentissage en mettant ensemble les groupes A et B, l’entrainement par la séquence montre une augmentation nette du nombre de mots relatifs aux champs lexicaux de la mer ou de la ville, une plus grande proportion de mots nouveaux dans ces deux thématiques et une diversification grammaticale de ces items. Aucun de ces effets n’est observé après les sessions de jeux.

À l’intérieur des groupes A et B, le plus grand nombre de mots nouveaux employés concernant la mer ou la ville lors du post-test confirme l’impact de l’entrainement dans un but de maitrise par rapport à un but de performance. Au sein de chaque groupe, le groupe A accroit son lexique de la ville et le diversifie sur le plan grammatical alors que le groupe B ne progresse que sur ce dernier item. Ces résultats pourraient être liés au niveau de vocabulaire initial des participant⋅e⋅s dans les domaines entrainés au moyen de la séquence explicite. Le groupe B utilise en moyenne lors du prétest plus de mots relatifs au lexique entrainé que le groupe A. Par ailleurs, les participant⋅e⋅s du groupe B ont un sentiment de dominance significativement plus important que les élèves du groupe A lors des séances de la séquence, jugeant les activités plus faciles que leurs pairs. Il est ainsi possible que les activités proposées au groupe B n’aient pas été assez difficiles pour stimuler un apprentissage quantitatif suffisant dans ce domaine. Selon Metcalfe (2011), un certain niveau de difficulté est en effet nécessaire à la survenue de l’apprentissage chez l’individu, car elle lui permet de rester engagé dans la tâche. Ainsi, une activité trop difficile submerge l’apprenant⋅e et la⋅le décourage, mais à l’inverse un exercice trop facile ennuie et ne mobilise pas dans la durée. Proust (2018) confirme l’importance de cette difficulté désirable pour que l’élève veuille apprendre en contexte scolaire.

Pris dans leur ensemble, les résultats observés pour les groupes A et B lors du post-test corroborent les travaux de Linnenbrinck-Garcia et coll. (2008). En effet, comme dans la présente étude, ces auteur⋅e⋅s montrent que les buts de maitrise semblent les plus efficaces à l’école élémentaire par rapport aux buts de performance-approche, car l’objectif des élèves de primaire est d’acquérir des compétences (par exemple, enrichir son vocabulaire), et non d’être plus fort⋅e⋅s que les autres. Plus spécifiquement, dans le domaine du vocabulaire, nos résultats soulignent l’effet positif d’un enseignement structuré et explicite (au moyen d’une séquence d’apprentissage) sur l’enrichissement du vocabulaire (Dickinson et coll., 2019). Cependant, on ne peut analyser ces données sans évoquer l’influence du genre, car les échantillons des groupes d’entrainement A et B sont majoritairement composés de filles. Or, les filles paraissent plus poursuivre des buts de maitrise contrairement aux garçons qui ont des buts de performance (Linnenbrinck-Garcia et coll., 2008). Ce phénomène probablement lié à la socialisation de genre (Rouyer et coll., 2014) pourrait venir également renforcer les meilleures performances observées dans les deux groupes après entrainement dans un but de maitrise par rapport au but de performance.

Notre troisième hypothèse postulait que l’optimisation des apprentissages au moyen de la séquence dans un but de maitrise en comparaison aux jeux dans un but de performance-approche pourrait être nuancée par les émotions de l’élève et son sentiment d’autonomie selon les moyens proposés (par exemple, par le jeu ou par une séquence explicite). La présente étude confirme que les jeux sont vecteurs de plaisir pour les apprenant⋅e⋅s, entrainant une motivation et constituant par la même occasion un terrain propice aux apprentissages (Sauvé et coll., 2007). Cependant, si l’on observe la moyenne de l’ensemble des séances de jeux et des séances de la séquence explicite, on ne note pas de différence significative d’appréciation sur l’échelle du plaisir entre ces deux modalités d’apprentissage dans les groupes A et B. Ces résultats incitent dès lors à approfondir la construction des séances au sein de ce type d’entrainement. En effet, si les séances 2 à 6 de la séquence explicite proposent des activités originales dans le domaine de l’apprentissage du vocabulaire (par exemple, créer un abécédaire) – et donc potentiellement plaisantes pour les enfants – la séance 1 s’apparente plus à une tâche classique de repérage de champ lexical telle qu’on peut la retrouver dans les manuels d’étude de la langue. En comparant ainsi l’appréciation des groupes A et B de la première séance de la séquence explicite avec leur évaluation de la première séance de jeux, on constate l’impact réel des activités ludiques sur l’échelle du plaisir. En effet, les participant⋅e⋅s, notamment celles⋅ceux appartenant au groupe B, apprécient plus la première séance de jeu que la première séance de vocabulaire classique corroborant alors les précédents travaux à ce sujet.

Les évaluations des jeux par les élèves sur l’échelle de la dominance du Self-Assessment Manikin (Bradley et Lang, 1994) confirment par ailleurs que les supports ludiques suscitent un sentiment d’autonomie, notamment dans le groupe B. Ce ressenti peut être lié aux consignes courtes et simples des différents jeux (par exemple, répondre aux questions d’une devinette) et à leur aspect familier à l’école (par exemple, un jeu de devinettes). Cependant, on ne remarque pas de différence significative entre le sentiment de dominance évoqué par les jeux et par la séance d’apprentissage dans les deux groupes. L’autonomie véhiculée par les jeux ne parait donc pas être plus marquée que pour la séquence d’apprentissage. Ce phénomène pourrait s’expliquer par le fait que les activités lors de la séquence sont certes novatrices, mais elles font appel à des compétences bien connues des élèves dans d’autres matières (par exemple, observer et décrire un tableau en art). De plus, les tâches menées lors de cette séquence sont construites dans le cadre d’un enseignement explicite entre les élèves et l’enseignant·e et des élèves entre elles·eux. Or, l’enseignement explicite permet de rendre les élèves autonomes (Cèbe et coll., 2016) vis-à-vis des tâches proposées.

Par ailleurs, malgré l’aspect plaisant des jeux et le sentiment d’autonomie qu’ils suscitent, ces éléments ne viennent pas nuancer l’optimisation des compétences par le biais d’une séquence explicite dans un but de maitrise. En effet, les jeux ne paraissent pas suffisants pour acquérir du vocabulaire dans la durée et le réinvestir au sein d’une production d’écrits. Une piste explicative conduit à envisager le contexte dans lequel est amené le jeu lors de l’apprentissage. Les précédentes études montrent certes un effet amélioratif du jeu dans les apprentissages, mais soit quand il est intégré en situation de révisions de connaissances lexicales déjà travaillées (Hassinger-Das et coll., 2016), soit quand il est combiné à un enseignement structuré et explicite du vocabulaire (Han et coll., 2010). JouneauSion (2009) explique en effet qu’une phase de formalisation est nécessaire dans le jeu pour mettre en évidence les apprentissages réalisés et les fait passer au rang de savoirs légitimes. Musset et Thibert (2009) confirment ce principe et ajoutent que l’enseignant⋅e se doit d’organiser un temps d’analyse réflexif avec les élèves après le jeu pour mettre en lumière les stratégies utilisées. Selon elles⋅eux, le jeu est un support d’apprentissage lorsqu’il est intégré au sein d’une séquence pédagogique. Il ne constitue pas, de manière isolée, une fin en soi. Les enfants n’augmenteraient donc pas leurs performances lors de la pratique indépendante du jeu, mais lorsque la situation ludique est intégrée dans une séquence d’apprentissage classique, structurée et explicite. Le jeu aurait ainsi un rôle de soutien, voire de catalyseur dans les apprentissages, notamment en ce qui concerne le vocabulaire en contexte scolaire.

Cette piste explicative nous amène à nous demander pourquoi les enfants ne réinvestissent pas les mots rencontrés lors des séances de jeux isolées alors qu’elles⋅ils le font quand elles sont couplées à une séquence d’apprentissage explicite. Peut-être peut-on évoquer le principe de spécificité de l’encodage. Ainsi, pour Tulving et Thomson (1973), la manière de stocker des informations en mémoire détermine les voies de récupération les plus optimales pour accéder à ces items le moment venu. En d’autres termes, plus les situations d’encodage et de rappel sont proches, mieux les mots mémorisés seront récupérés le moment venu (Roediger et coll., 1989). Dans notre étude, les élèves des groupes entrainés n’auraient ainsi pas pu optimiser la récupération des mots abordés lors des séances de jeux, car ces séances étaient trop éloignées de la situation de rappel du vocabulaire sous la forme d’une production d’écrits. À contrario, la tâche de rédaction test étant plus proche de la structure des séances d’entrainement explicite dans un but de maitrise, elle permettrait aux élèves de récupérer plus facilement le vocabulaire en mémoire et de l’utiliser. Ainsi, dans les jeux de notre étude, les facteurs de plaisir couplés à une séquence d’apprentissage classique plus proche du contexte de réinvestissement lors du test de production d’écrits auraient peut-être pu montrer tout leur potentiel catalyseur des performances des élèves en vocabulaire. Il est également possible qu’un post-test ludique reprenant la même structure que les jeux travaillés en entrainement ait pu mettre en lumière les apprentissages lexicaux réels des participant⋅e⋅s dans ces domaines.

6. Conclusion

Plus globalement, ces résultats nous amènent d’une part à tenter de mieux comprendre comment les enfants acquièrent des compétences nouvelles à l’école primaire. Cet apprentissage semble en effet revêtir plusieurs dimensions interagissant entre elles pour optimiser les performances des enfants. Par ailleurs cette étude nous conduit à mieux analyser les supports d’apprentissage et d’évaluation proposés aux élèves à l’école afin que les enfants puissent optimiser l’acquisition de notions nouvelles et mobiliser toutes leurs compétences. D’autre part, les appréciations des jeux et des séances de la séquence par les participant⋅e⋅s, montrent que ces supports d’apprentissage peuvent être connotés émotionnellement (sur les échelles du plaisir, de l’activation [arousal], de la dominance). On pourrait ainsi se demander si les appréciations positives des séances par les participant⋅e⋅s lors de la mise en oeuvre de la séquence ne pourraient pas avoir renforcé les apprentissages lexicaux enregistrés. De même, l’évaluation positive des jeux couplée à une situation d’encodage plus proche de celle de réinvestissement du vocabulaire aurait peut-être pu mettre en lumière toutes les compétences lexicales acquises par les élèves. Ces suppositions nous conduisent dès lors à approfondir les interactions qu’entretiennent les émotions avec l’apprentissage dans leurs dimensions respectives.

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Mélanie Mazars
Professeure, Université Toulouse 2

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Aurélie Simoës-Perlant
Maitresse de conférences, Université Toulouse 2

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Céline Lemercier
Enseignante-chercheuse, Université Toulouse 2