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Introduction[1]

La réédition d’une oeuvre offre, en outre, à son auteur l’occasion de « corriger des dégâts dûment constatés par les réactions du public et de la critique[2] ». C’est précisément là ce que fait Marx dans la postface auctoriale de la seconde édition allemande du Capital (1872-1873). Devenu célèbre au xxe siècle, ce texte de circonstance s’adressait initialement à ceux qui venaient alors tout juste de terminer la lecture du Capital, ou à ceux qui en avaient lu la première édition, parue cinq ans plus tôt, et qui savaient déjà, en tout cas, ce que Marx pensait du capital, de la propriété foncière, du travail salarié, de l’étalon-or ou encore de ces mystérieuses crises économiques qui se succédaient inexplicablement les unes aux autres, tous les dix ans, depuis cinquante ans (1825, 1837, 1847, 1857, 1866…). Son interprétation ne leur posait donc pas les difficultés qu’elle nous pose parfois aujourd’hui : d’une part, nous ignorons à peu près tout des auteurs allemands, français, anglais ou russes à qui Marx y donne la réplique ; d’autre part, la tradition commentatoriale nous a habitués à considérer isolément ce texte, alors même qu’il vient compléter ou renforcer le livre de Marx. C’est afin de pallier cette lacune herméneutique que nous nous sommes proposé de restituer dans ce commentaire linéaire le sens des 25 paragraphes [§ 1-25] qui composent la postface auctoriale de la seconde édition allemande du Capital.

I. Avis aux lecteurs de la première édition [§ 1-3]

[§ 1-2] Marx explique d’abord à ses lecteurs allemands les modifications qu’il a apportées à la première édition de son livre (1867), au moment de sa réédition (1872-1873)[3]. Ses explications sont difficiles à comprendre aujourd’hui, puisque nous ne lisons plus désormais que la seconde édition allemande du Capital, qui sert notamment de fond à la célèbre traduction française de Joseph Roy, ou bien l’une ou l’autre des éditions posthumes dirigées par l’exécuteur littéraire de Marx — Friedrich Engels[4]. La première édition du Capital, rappelons-le, comptait un appendice didactique, consacré à la forme de la valeur réalisée dans la forme monnaie (= valeur d’échange). Marx a rédigé cet appendice à la hâte, en juin 1867, après qu’un ami — Ludwig Kugelmann — à qui il avait montré les ultimes épreuves de son livre, lui eut avoué qu’il n’avait rien compris à ses analyses[5]. Suivant une suggestion expresse d’Engels, Marx a alors reformulé ses analyses dans un style didactique, comparable à celui que Hegel utilisait dans ses propres ouvrages[6]. Il a composé une série de courts paragraphes logico-mathématiques, qu’il a numérotés ou identifiés à l’aide de caractères grecs et coiffés de titres aux fortes intonations spéculatives[7]. Les lecteurs de la première édition du Capital étaient ainsi maladroitement invités à interrompre leur lecture du premier chapitre pour lire cet appendice, placé en annexe, et à reprendre par la suite leur lecture du premier chapitre là où ils l’avaient d’abord interrompue[8]. Ce double exposé (doppelte Darstellung) de la forme de la valeur était un pis-aller temporaire, dont Marx, à titre d’auteur, ne pouvait évidemment pas se satisfaire. De fait, il a remanié l’ensemble des pages consacrées à la forme-valeur alors qu’il travaillait à la réédition de son livre. En dépit des protestations d’Engels, il a alors gommé presque tous les hégélianismes du texte de l’appendice, avant de l’intégrer à celui du premier chapitre[9]. Il a de plus corrigé à cette occasion les différentes démonstrations mathématiques auxquelles il a initialement eu recours au chapitre III et au chapitre VII. Il a également révisé les pages consacrées au fétichisme de la marchandise, dans lesquelles il répète que les marchandises, à commencer par l’or — l’équivalent universel —, ne possèdent pas de valeur in propria persona. La distinction entre la valeur et son expression phénoménale, la valeur d’échange, apparaît ainsi plus clairement dans la seconde édition du Capital.

[§ 3] Marx était occupé à combattre l’anarchiste Mikhaïl Bakounine, qu’il a longtemps soupçonné, entre autres choses, de vouloir placer l’Association internationale des travailleurs (International Workingmen’s Association) sous contrôle russe, lorsqu’il apprit, en novembre 1871, que le premier tirage du Capital était épuisé et que son éditeur — Otto Meißner — comptait mettre une nouvelle édition sous presse au mois de janvier 1872. Pressé par le temps, il n’a pas eu le loisir d’apporter à son livre toutes les corrections stylistiques qu’il aurait aimé lui apporter[10]. Comme le rapporte par ailleurs Engels, Marx a travaillé en secret à la réédition du Capital afin de surprendre ses rivaux intellectuels et politiques, a fortiori Wilhelm Roscher[11]. Faisant maintenant mine de rien, Marx leur annonce ici la parution prochaine, à Paris, de la traduction en langue française de son livre.

II. L’attaque contre l’économie politique allemande [§ 4-13]

[§ 4] Vexé par l’indifférence des intellectuels allemands, qui n’avaient pas accueilli son livre comme il aurait aimé qu’ils l’accueillent, Marx évoque captieusement une brochure sans intérêt, publiée au cours de la guerre franco-prussienne par un petit fabricant juif que personne ne connaissait à l’extérieur de Vienne — Sigmund Mayer. Selon Marx, Mayer aurait su montrer dans cette brochure que le profond sens théorique (große theoretische Sinn) censé appartenir au patrimoine allemand avait complètement disparu dans les classes instruites (gebildeten Klassen), qui n’entendaient plus rien à Leibnitz, à Kant, à Lessing, à Herder, à Fichte, à Goethe, à Schiller, à Hegel ou à Humboldt, mais, qu’en revanche, ce profond sens théorique avait réapparu dans la classe ouvrière[12]. Ce thème, nous le verrons, revient comme un véritable leitmotiv dans la postface de la seconde édition allemande du Capital, dans laquelle Marx cultive une posture de réprouvé ou d’incompris, dont le malheur s’érige en gage de légitimité (§ 13). Mais Mayer ne montre rien du tout dans sa brochure. Il y affirme simplement que les ouvriers, eux, ne se feraient pas la guerre les uns aux autres s’ils étaient au pouvoir[13]. La paix entre la France et la Prusse était pour lui une condition nécessaire à l’adoption de réformes libérales en Prusse. Or, la guerre a plutôt conduit à l’unification de l’Empire allemand, que Marx lui-même nomme quelques pages loin, par dérision, le nouveau Saint Empire prusso-germanique (neuen heiligen, preußisch-deutschen Reichs)[14].

[§ 5] Marx décrit l’économie politique comme une science étrangère (ausländische Wissenschaft), importée d’Angleterre et de France comme un produit fini, en raison même du retard que l’Allemagne affichait alors sur ces pays. À son avis, les économistes allemands avaient adopté avec trop d’empressement les idées de Thomas Malthus, de John Stuart Mill ou de Frédéric Bastiat. Les économistes allemands, disons-le, ne partageaient pas l’avis de Marx. Ils se rattachaient plutôt eux-mêmes à la tradition caméraliste (Kameralwissenschaft), qu’ils faisaient remonter jusqu’à la réforme luthérienne. Le fondateur de l’École historique allemande d’économie politique — Roscher — distinguait, en outre, à la manière de Comte, trois périodes dans la longue histoire de l’économie politique allemande, soit une période théologico-humaniste (theologisch-humanistische), une période mercantiliste (polizeilich-cameralistiche) et, enfin, une période scientifique (wissenschaftliche), c’est-à-dire la période positiviste et historiciste moderne[15]. Quoi qu’il en soit, l’économiste Gustav von Gülich aurait tout de même su expliquer, selon Marx, le retard économique de l’Allemagne[16]. Selon Gülich, l’Angleterre avait inondé les marchés allemands de marchandises à bon prix, tandis que les exportations allemandes avaient elles-mêmes été freinées par les barrières tarifaires qu’avaient érigées autour d’eux les autres États européens[17]. C’est ainsi qu’il condamnait le libre-échangisme, qui ne servait, selon lui, que les intérêts de l’Angleterre ; mais alors que Friedrich List, cette figure phare de la tradition caméraliste, réclamait, par exemple, l’augmentation des tarifs douaniers en Allemagne, dans l’espoir d’y stimuler le développement de la grande industrie, Gülich, lui, exigeait que l’on ferme les marchés allemands aux importations anglaises, afin de sauvegarder la petite-production artisanale et/ou patriarcale et de prévenir le développement du machinisme, dont les ouvriers allemands étaient presque certainement appelés à pâtir[18]. Contrairement à Roscher, à Gülich et à List, Marx était, à sa manière, un partisan du libre-échange, puisque le libre-échange devait précipiter, croyait-il, la destruction du mode capitaliste de production[19]. Il entame ainsi son attaque contre l’économie politique allemande en s’en prenant aux professeurs et aux maîtres d’école (professoren… schulmeistern) qui s’opposaient au libre-échange, en étalant leur érudition littéraire et historique dans les universités ou en tentant vainement de rénover la tradition caméraliste (= mercantilisme)[20]. Marx n’identifie pas nommément les auteurs allemands auxquels il s’en prend dans la postface de la seconde édition allemande du Capital. Il n’y nomme en fait que des auteurs étrangers. Mais il vise sans doute ici Roscher, professeur d’administration publique et d’économie nationale à l’Université de Leipzig, depuis 1848, et Eugen Dühring, privat-docent, celui-là, à l’Université de Berlin, depuis 1863. Auguste, auréolé de prestige et bien en cour, Roscher incarnait alors la tradition caméraliste en Allemagne ; quant à Dühring, il était l’héritier de List, à qui on devait une pénétrante critique du libéralisme manchestérien, à laquelle Dühring avait greffé des thèses protectionnistes empruntées, plus ou moins honnêtement, à l’économiste américain Henry Charles Carey. Au regard de l’histoire, Roscher faisait ombrage à Dühring v. 1867-1870, bien que Dühring jouît lui-même d’une réputation appréciable. Il était, en fait, l’un des théoriciens positivistes les plus importants de son temps et, au plus grand désespoir de Marx, il tirait à lui les principales figures du parti social-démocrate allemand — Bebel, Bernstein, Most, Liebknecht, etc. Dühring détestait Roscher, dont il enviait le succès, mais il considérait également Marx comme un dangereux rival[21]. C’est Dühring qui fit paraître le tout premier compte rendu du Capital en Allemagne. Il s’agit là d’un point décisif, comme nous le verrons plus loin (§ 22).

[§ 6] Marx feint entre-temps la sollicitude. Les économistes allemands, ironise-t-il, n’ont décidément pas de chance : « […] tant qu’ils pouvaient faire de l’économie politique sans arrière-pensée, le milieu social qu’elle présuppose leur manquait. En revanche, quand le milieu fut donné, les circonstances qui en permettent l’étude impartiale même sans franchir l’horizon bourgeois, n’existaient déjà plus[22] ». Pourquoi ? Parce que l’économie politique ne peut rester une science, dit Marx, que si la lutte des classes demeure latente ou ne se manifeste que par des phénomènes isolés[23]. Une fois déclarée, la lutte des classes oblige d’elle-même les économistes à se ranger du côté de la classe qui possède les moyens de production (§ 11). Comme toujours, Marx illustre ses idées à l’aide l’exemple anglais.

[§ 7] David Ricardo fut, selon Marx, le premier économiste à faire de « l’antagonisme des intérêts de classe, de l’opposition entre salaire et profit, profit et rente, le point de départ de ses recherches[24] ». Or, Ricardo n’avait pas le sens de l’histoire et il était incapable d’imaginer le dépassement futur du mode capitaliste de production. Mieux connu en Allemagne, son rival Jean de Sismondi avait lui aussi brillamment exposé les contradictions du mode capitaliste de production[25]. Il ne comprenait toutefois pas plus l’histoire que Ricardo, qu’il accusait, en outre, de faire « abstraction du temps et de l’espace, comme les métaphysiciens allemands[26] ». Tourné vers le passé, il défendait lui-même les vieilles corporations du Moyen Âge et le fermage patriarcal[27]. Comme Ricardo, Sismondi a reculé devant ses propres conclusions scientifiques[28]. D’aucuns l’auront compris, Marx se présente dans ce passage comme un interprète sûr de lui et clairvoyant des tendances historiques à venir (§ 16-17, 22, 25).

[§ 8] La période qui va de 1820 à 1830 se distingue donc, selon Marx, par une très vive activité scientifique (wissenschaftliche Lebendigkeit) en Angleterre[29]. Les partisans et les opposants du libre-échange s’y disputaient alors âprement la répartition de la richesse nationale entre les classes sociales, tandis que les socialistes exigeaient que cette richesse soit remise aux ouvriers qui l’avaient créée par leur seul travail[30]. La naïveté de cette polémique apparaît évidente maintenant que l’aristocratie foncière a été vaincue, explique Marx, mais il était encore difficile à cette époque de percevoir la « guerre de classe entre le capital et le travail[31] ». La grande industrie n’était pas encore parvenue à maturité — les ouvriers et les bourgeois luttaient toujours ensemble contre l’aristocratie foncière, dont les représentants s’étaient rassemblés au sein de la Sainte-Alliance en 1815[32]. L’adoption du Importation Act (55 Geo. 3 c. 26) cette année-là, c’est-à-dire la Loi sur les céréales (Corn Laws), avait d’ailleurs exacerbé l’antagonisme entre la bourgeoisie et l’aristocratie foncière. Comme Marx l’a déjà expliqué aux lecteurs du Capital, les dispositions protectionnistes de la Loi sur les céréales ont longtemps garanti aux propriétaires anglais du sol irlandais le monopole de l’importation de céréales en Angleterre à l’Irlande, où elle a favorisé la culture du blé[33]. C’est autour de cette loi, donc, que s’affrontaient les économistes anglais entre 1820 et 1830, bien que la crise économique de 1825 ait amené certains d’entre eux — John Stuart Mill, par exemple — à s’intéresser aux politiques bancaires. Cette période exubérante de l’histoire de l’économie politique fut de courte durée, conclut Marx, à l’image de l’été de la Saint-Martin, cette période de temps ensoleillé et radouci, après les premières gelées de l’automne et juste avant l’hiver ; elle ne fut cependant pas aussi féconde que la période qui suivit la mort de l’économiste François Quesnay, cette figure tutélaire de l’école physiocratique, qui avait vu dans la libre circulation du blé le moyen d’assurer la prospérité de la France au milieu du xviiie siècle. Selon Marx, l’économie politique aurait au contraire perdu son caractère scientifique au terme de la lutte qui opposait jusqu’alors l’aristocratie foncière et la bourgeoisie montante. En un mot, la « crise décisive[34] » qui a éclaté en 1830 a mis fin à l’économie politique en tant que discipline scientifique.

[§ 9] Marx n’a pas expressément évoqué cette crise dans le Capital, mais ses lecteurs allemands savaient que la bourgeoisie avait ravi le pouvoir à l’aristocratie foncière plus tôt au cours du siècle. En France, l’instauration de la monarchie de Juillet (1830-1848) avait confirmé son triomphe — le roi Louis-Philippe Ier se targuait lui-même d’appartenir à la bourgeoisie, lui qui avait un beau parapluie, mais pas de sceptre —, alors qu’en Angleterre, l’agitation populaire (par exemple Peterloo Massacre) avait finalement contraint le Parlement à adopter le Representation of the People Act (2 & 3 Wm. IV, c. 45) en 1832, après plusieurs mois de négociations. Comme le comprit immédiatement Hegel, cette loi était appelée à bouleverser la démocratie anglaise en supprimant de la carte électorale les bourgs pourris (rotten boroughs) qui permettaient à l’aristocratie foncière de se maintenir au pouvoir, instaurant par là une plus grande justice et une plus grande équité dans la participation des différentes classes et fraction du peuple (Klassen und Fraktion des Volks) de la société à l’élection des membres du Parlement[35]. À compter de cette date, écrit ainsi Marx, la lutte des classes, qui n’opposait plus désormais que la bourgeoisie et la classe ouvrière, revêtit des « formes de plus en plus accusées, de plus en plus menaçantes[36] » dans la pratique, comme dans la théorie. Les lecteurs du Capital savaient, là encore, que c’étaient Guizot, Thierry, Mignet et Thiers qui avaient d’abord compris au cours de la Restauration (1814-1830) que la lutte des classes animait in fine l’histoire de l’Europe, puisqu’on avait justement étayé leurs idées à l’époque où les insurrections se multipliaient sur le continent (1830-1848). La bourgeoisie ne pouvait toutefois plus admettre l’existence de la lutte des classes maintenant qu’elle s’était emparée du pouvoir. Son ascension sonna ainsi le glas de l’économie politique scientifique. Comme le résume Marx, la « question n’était plus de savoir si tel ou tel théorème était vrai, mais s’il était utile ou nuisible au capital, s’il lui causait de l’agrément ou du désagrément, s’il était contraire ou non aux règlements de police[37] ». On ne pouvait plus affirmer, comme Ricardo — par exemple —, que le taux de profit ne pouvait jamais croître, si ce n’est sous l’effet d’une baisse des salaires, et que l’on ne pouvait avoir de baisse durable des salaires, si ce n’était à la suite d’une baisse des prix des biens nécessaires dans lesquels les salaires sont dépensés[38]. Publiés à compter de 1838, sous les auspices des manufacturiers Richard Cobden et John Bright, les fameux pamphlets de la Ligue pour l’abolition de la loi sur les céréales (Anti-Corn Law League) présentaient ainsi, selon Marx, un intérêt historique, puisqu’on pouvait y voir comment la bourgeoisie s’attaquait autrefois à l’aristocratie foncière en invoquant l’autorité de Ricardo, qui avait montré que ses intérêts étaient nécessairement contraires à ceux des autres classes de la société[39]. Mais la déliquescence scientifique de l’économie politique était presque achevée en 1838 et on ne faisait plus vraiment mention de la lutte des classes. L’abrogation de la Loi sur les céréales par le gouvernement Peel, en 1846, a d’ailleurs arraché à l’économie politique sa « dernière griffe[40] ». En un mot, Peel a mis fin au monopole dont jouissaient jusqu’alors les propriétaires anglais du sol irlandais[41].

[§ 10] Satisfaite de sa victoire sur l’aristocratie foncière, la bourgeoisie proclama la fin de la lutte des classes en 1830 et elle congédia David Ricardo, qui avait jusque-là été son héraut. La Révolution continentale de 1848-1849 réagit néanmoins sur l’Angleterre : d’une part, les révolutionnaires de la Jeune Irlande (Young Ireland) tentèrent de tirer profit de la naissance en France de la Deuxième République pour obtenir l’abrogation des Acts of Union of 1800, qui avaient donné naissance au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande ; d’autre part, les Chartistes anglais lancèrent une ultime campagne pour la signature de la pétition qui réclamait la promulgation de la Charte du peuple (People’s Charter) de 1838, qui prévoyait l’abolition de la Loi sur les céréales, l’instauration du suffrage universel, du vote secret et de l’indemnité parlementaire. Les économistes qui avaient encore des prétentions scientifiques — John Stuart Mill, notamment — s’efforcèrent alors confusément de concilier l’économie politique du capital avec les réclamations du prolétariat qui entraient désormais en ligne de compte[42]. On devine que Marx fait allusion ici aux étonnants changements que Mill a apportés aux différentes éditions de ses Principles of Political Economy. Parue tout juste avant la Révolution continentale de 1848-1849, la première édition de cet ouvrage proposait, en effet, une défense acharnée de la propriété privée, mais Mill a remanié, tant bien que mal, les éditions subséquentes de son livre tandis qu’il revoyait (favorablement) l’idée qu’il s’était longtemps faite du socialisme. Son éclectisme illustrait, selon Marx, la faillite scientifique de l’économie politique. C’est d’ailleurs là une chose qu’aurait également remarquée — toujours selon Marx — l’économiste russe Николай Чернышевский (Nikolaï Tchernychevski)[43]. Nous ne saurions surestimer l’importance de cette première allusion à la Russie.

[§ 11] Le mode de production capitaliste avait donc manifesté son caractère antagonique (antagonistischer Charakter) en Angleterre (et en France) avant de parvenir à maturité en Allemagne v. 1848. La classe ouvrière allemande avait ainsi acquis une « conscience de classe théorique bien plus résolue que celle de la bourgeoisie allemande ; de plus, le prolétariat allemand était déjà plus ou moins imprégné de socialisme[44] ». Le développement tardif du mode capitaliste de production en Allemagne a longtemps freiné le développement scientifique de l’économie politique ; mais maintenant qu’il s’y était développé, il y interdisait, comme ailleurs, le développement scientifique de l’économie politique (§ 6).

[§ 12] Marx reprend maintenant son attaque contre l’économie politique allemande. Après avoir condamné les économistes qui s’opposaient au libre-échange, il s’en prend maintenant à deux groupes d’économistes, dont les membres seraient plus ou moins serviles, selon le cas, mais qui défendaient tous, comme lui, le libre-échange. Les membres du premier groupe, explique Marx, tirent leur inspiration de Frédéric Bastiat, le « représentant le plus plat, partant le plus réussi, de l’économie apologétique[45] ». Bastiat, rappelons-le, était un ami intime du fabricant anglais Richard Cobden, à qui il avait d’ailleurs consacré un ouvrage hagiographique[46]. Mais alors que Ricardo faisait de l’antagonisme des intérêts de classes le tremplin de ses recherches, Bastiat, lui, affirmait au contraire que « tous les intérêts légitimes [étaient] harmoniques[47] ». C’est précisément pourquoi Marx se gausse dans le Capital de sa « sagesse harmonique[48] ». Ce n’est toutefois pas Bastiat qu’il vise ici, mais bien plutôt John Prince Smith, cet homme politique allemand d’origine anglaise qui avait introduit en Prusse les idées de Bastiat et qui en faisait la promotion. Smith fut, en effet, l’un des principaux défenseurs du libre-échange en Allemagne. Il s’était ainsi empressé de faire parvenir ses félicitations au premier ministre anglais Robert Peel, au lendemain de l’abolition de la Loi sur les céréales[49]. Smith dirigeait la Volkswirtschaftliche Gesellschaft, une importante association d’économistes allemands et il avait participé à la création du Parti progressiste allemand (Fortschrittspartei), dont les membres militaient énergiquement en faveur du libre-échange. Il avait par ailleurs fondé le journal Vierteljahrschrift für Volkswirtschaft, Politik, und Kulturgeschichte, en 1863, afin de promouvoir ses idées libérales[50]. Un des collaborateurs de Smith, Julius Faucher, était appelé à publier dans ce journal un compte rendu du Capital, dans lequel Marx apparaît comme… un disciple de Bastiat (§ 14, note). Les membres du second groupe d’économistes allemands identifié par Marx tirent, quant à eux, leur inspiration de J.S. Mill. Pénétrés de dignité professorale, ces universitaires auraient suivi Mill dans sa tentative de concilier l’inconciliable, à savoir la théorie du profit de Ricardo, fondée sur la fertilité décroissante des terres agricoles, et celle de William Nassau Senior, fondée sur l’abstinence ou l’ascétisme de la bourgeoisie, dont les membres accepteraient héroïquement de se priver, pour un temps, d’une part de leurs revenus contre un peu d’intérêt[51]. Marx vise ici les économistes Albert Schäffle[52] et Karl Gustav Kries[53]. Ce qui amène ces hommes à expliquer l’origine de la survaleur par les raisons plus ou moins plausibles par lesquelles les bourgeois eux-mêmes justifient leur appropriation de la survaleur, c’est, selon Marx, leur « crainte d’arriver malgré eux à un résultat qui ne satisferait pas la police[54] ». Pour le reste, les lecteurs du Capital savaient alors déjà ce que Marx pensait de Mill[55] et de son incapacité à distinguer les contradictions hégéliennes des contradictions les plus plates de l’entendement[56].

[§ 13] L’histoire allemande excluait, selon Marx, tout progrès original en économie politique (§ 11). Elle n’excluait toutefois pas la critique de l’économie politique. En tant qu’une telle critique représente une classe, déclare Marx, elle ne peut représenter que celle dont la mission historique est de révolutionner le mode de production capitaliste, et finalement d’abolir les classes — le prolétariat. Dit autrement, seuls les ouvriers pouvaient apprécier le Capital. Juste ou non juste, ou moins juste qu’une autre, cette idée vient compléter ce que Marx a déjà dit au sujet des savants allemands (§ 4) et elle annonce la réplique que Marx s’apprête maintenant à donner à ses critiques, qui auraient, selon lui, mal compris le Capital (§ 14-23).

[§ 14] Comme l’écrit Thomas Nipperdey, Marx apparaît aujourd’hui comme une figure marquante de l’histoire allemande, au même titre que Bismarck[57]. Sa réputation était pourtant loin d’être établie dans les milieux académiques allemands v. 1867-1870 et seules quelques personnes en Prusse se souvenaient encore à cette date de l’ancien rédacteur de la Rheinische Zeitung (1842) ou de la Neue Rheinische Zeitung (1848-1849)[58]. Contrairement à ce que prétend Marx, on n’a pas orchestré de conspiration du silence autour de son livre précédent, qui s’était plutôt bien vendu[59]. On n’en a pas non plus orchestré contre le Capital. En réalité, personne n’attendait ce livre, qui est d’ailleurs paru chez un petit éditeur généraliste — Meißner —, dont le catalogue était alors principalement composé de belles-lettres et non pas chez un éditeur scientifique de renom (Oldenbourg, par exemple, Heymanns ou encore Nicolai Verlag). Les critiques mirent du temps à paraître, mais Schäffle, par exemple, a sobrement critiqué le Capital sans chercher à discréditer ou à calomnier Marx, bien qu’il ne partageât pas ses idées[60]. Ignorant ostensiblement ce que Schäffle a dit de son livre, Marx se rabat ici sur ce qu’en a dit, quelques mois auparavant, Joseph Dietzgen le propriétaire d’une tannerie située à Saint-Pétersbourg, dans un compte rendu paru dans la Demokratisches Wochenblatt, l’organe du Deutsche Volkspartei, un jeune parti politique, fondé au lendemain du conflit constitutionnel prussien (1859-1866)[61]. Marx avait lu avec intérêt le traité philosophique que Dietzgen lui avait fait parvenir et dans lequel il s’était proposé, à son tour, de prolonger les idées de Feuerbach et de les mener à leurs conclusions[62]. Il considérait Dietzgen comme un esprit philosophique distingué (philosophisch begabten Kopf), mais sans plus[63]. Il lui reconnaissait, selon Engels, le mérite d’avoir découvert en toute indépendance la méthode dialectique qu’il avait lui-même découverte quelques années plus tôt[64]. En soi, son compte rendu du Capital n’a cependant rien d’exceptionnel. En fait, Marx l’a vraisemblablement cité parce qu’il croyait, à tort, que Dietzgen était l’un de ces ouvriers capables d’apprécier le Capital (§ 13), alors qu’il était, en réalité, un petit-bourgeois qui avait hérité de l’entreprise familiale. De fait, Marx aurait tout aussi bien pu citer le compte rendu que Johann Baptist von Schweitzer avait fait paraître dans le journal Social-Demokrat, au mois de mai 1868[65]. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Peut-être parce que ce journal était l’organe du Allgemeiner Deutscher Arbeiter-Verein, le parti politique fondé par Lassalle, un homme avec qui Marx s’était brouillé quelques années plus tôt, mais dont Schweitzer, lui, était resté proche. Il ne s’agit toutefois ici que d’une hypothèse. Les lettres que s’échangent Marx et Engels donnent par ailleurs à croire que Marx, le patriarche d’une famille victorienne, craignait d’être publiquement associé à un Schweitzer, qui avait été condamné à la prison, en 1862, en raison de son homosexualité[66].

[§ 14, note] Marx s’en prend à ceux qui auraient vilipendé son style. À son habitude, il ne nomme personne, mais il vise presque certainement Julius Faucher (§ 12)[67] et Hermann Roesler[68], qui s’étaient tous deux moqués du ton emphatique, voire pontifiant, qu’il avait supposément employé dans le Capital. Il vise aussi le critique sans nom de la Literarisches Centralblatt, un hebdomadaire littéraire publié à Leipzig, qui lui a reproché ses nombreux emprunts à la langue anglaise[69]. Un critique anglais du magazine conservateur Saturday Review of Politics, Literature, Science, and Art a pourtant su reconnaître, lui, les qualités littéraires du Capital, rétorque orgueilleusement Marx, qui cite là l’unique compte rendu de son livre publié dans le monde anglo-saxon[70]. Il renchérit en rapportant un extrait d’un autre compte rendu anonyme, paru, celui-là, dans la presse russe. Son auteur présumé, le statisticien Васи́лий Покро́вский (Vasily Pokrovsky), affirme que le Capital s’adresse aux spécialistes, et non pas au grand public (эта книга предназначается не для большинства публики). Le style clair et accessible (Изложение его труда отличается ясностью, общедоступностью) de Marx, poursuit-il, est néanmoins plus agréable que celui des autres économistes allemands, dont les livres sont si difficiles à comprendre que les non-initiés en ont la tête qui casse (пишут свои сочинения таким тёмным и сухим языком, от которого у обыкновенных смертных трещит голова)[71]. Médiocres et bavards, les économistes allemands ne cassent pas uniquement la tête de leurs lecteurs, complète Marx avec humour[72].

[§ 15] Le jeune Marx avait en horreur le « despotisme tsariste, protecteur et tuteur de l’absolutisme prussien[73] ». Ses articles flétrissant la servilité des Hohenzollern à l’égard de la Russie lui valurent d’ailleurs d’être expulsé de France (1845) à la demande du gouvernement prussien, qui l’interdira ensuite de séjour en Allemagne pour les mêmes raisons (1849). On jugera donc de la surprise du vieux Marx lorsqu’il apprit, dès 1868, que l’économiste Никола́й Дание́льсон (Nikolai Danielson) espérait traduire son livre en langue russe[74]. Mais Marx ne savait pas tout — l’économiste Евгений Валентинович Де Роберти, connu en Europe de l’Ouest sous le nom Eugène De Robertis, avait introduit ses idées en Russie avant même que Дание́льсон ne débute son travail, et on y discutait alors déjà de sa théorie de la survaleur et de la condition des ouvriers en Europe de l’Ouest[75]. Les économistes russes débattaient à chaud de ces questions, tandis que la Russie entamait son passage du féodalisme au capitalisme : on venait alors tout juste d’y abolir le servage et d’y privatiser le sol, au terme d’une vaste réforme agraire (1861)[76]. Ces débats étaient en partie familiers à Marx, qui s’était mis à l’étude de la langue russe en 1869, afin d’étudier un ouvrage que l’économiste Васи́лий Бе́рви-Флеро́вский (Vasily Bervi-Flerovski) avait fait paraître cette année-là[77]. Grâce à sa maîtrise de la langue russe, Marx a donc pu suivre le travail de Даниельсон, qui devait s’avérer un bien meilleur traducteur que Roy. Publié au mois de mars 1872 par la même maison d’édition qui avait publié l’ouvrage de Бе́рви-Флеро́вский, le Capital est un succès de librairie en Russie. Le premier tirage de 3 000 copies s’écoule en quelques mois à peine, et plus d’une centaine de comptes rendus de l’ouvrage sont publiés à travers l’empire[78]. À titre comparatif, l’édition originale allemande, tirée à 1 000 exemplaires, avait mis cinq ans à se vendre et la moitié des vingt comptes rendus publiés au cours de cette période avaient été rédigés par Engels ou sur l’initiative de Marx lui-même[79]. En Allemagne, disons-le, Arnold Ruge[80] et August Geib[81] furent les seuls à deviner que le Capital allait faire époque. Quoi qu’il en soit, Marx apprend ici à ses lecteurs qu’un jeune économiste de Kiev, Никола́й Зи́бер (Nikolai Ziber), avait consacré une excellente étude à son livre dès 1871. Зи́бер, se félicite Marx, avait su comprendre que sa théorie de la valeur, de la monnaie et du capital était le développement nécessaire des théories de Smith et de Ricardo[82]. Contrairement aux économistes de l’Europe de l’Ouest, précise-t-il, Зи́бер a su adopter un point de vue théorique (theoretischen Standpunkts) probe et cohérent[83]. En somme, l’économie politique avait conservé son caractère scientifique en Russie, où la lutte des classes entre la bourgeoisie et le prolétariat ne s’était pas encore véritablement déclarée (§ 6,11).

[§ 16-17] Marx était persuadé, à tort ou à raison, qu’on avait mal compris sa méthode en Europe de l’Ouest, où le prolétariat et la bourgeoisie s’affrontaient depuis 1830. Il s’en prend durement à ses critiques, en leur prêtant parfois des intentions qu’ils n’ont vraisemblablement jamais eues ou des propos qu’ils n’ont jamais tenus. Ironiquement, il s’en prend ainsi, sans le savoir, à celui qui avait d’abord recommandé aux censeurs d’autoriser la vente de son livre en Russie — Eugène De Robertis (§ 15)[84]. Selon Marx, De Robertis, qui vivait alors en France, lui aurait reproché de procéder à une dissection critique du donné, sans toutefois formuler de prédictions ni de prévisions, comme le préconisait pourtant Comte[85]. Or, ce n’est pas ce qu’a dit De Robertis. Ce dernier était certes un positiviste et son compte rendu du Capital, rédigé en langue française, est paru en 1868 dans une revue dirigée par Grégoire Wyrouboff et Émile Littré, deux ardents partisans du comtisme ; mais De Robertis reprochait simplement à Marx de ne pas proposer de solutions aux problèmes qu’il avait identifiés dans son livre (par exemple, la durée de la journée de travail). À l’instar de Зи́бер, De Robertis a compris que Marx avait déployé dans son livre « l’attirail sévère de la science, depuis le raisonnement serré de Ricardo, jusqu’aux formules mathématiques de quelques novateurs récents, pour prouver que le capital n’est production que de spoliation[86] ». Il aurait toutefois préféré que Marx fît un « peu moins de dialectique […] et un usage plus grand encore, s’il est possible, de la méthode inductive[87] » dans ses prochains livres. Contrairement à ce que prétend Marx, De Robertis ne lui a cependant pas reproché « d’avoir fait de l’économie politique métaphysique[88] » dans la revue Philosophie positive. Marx songeait peut-être ici au livre que De Robertis a fait paraître l’année suivante, et dans lequel il avait bel et bien mis en doute la scientificité de son travail. C’est dans ce livre, rédigé en langue russe, que De Robertis a accusé Marx d’avoir élaboré une théorie a priori, qu’il aurait ensuite illustrée à l’aide de données empiriques grappillées arbitrairement dans les enquêtes parlementaires anglaises (Blue Books). Selon De Robertis, ces données auraient logiquement dû servir de point de départ à la théorie de Marx, qui renverse dans son livre les règles élémentaires de la méthode positive[89]. Cela étant, Marx invoque l’autorité scientifique de Зи́бер, afin de se défendre contre l’accusation que De Robertis aurait supposément portée contre lui dans son compte rendu du Capital. Mieux que quiconque, Зи́бер aurait su comprendre qu’il — Marx — avait, en réalité, employé la méthode déductive (дедуктивный метод) de l’école anglaise (английской школы) d’économie politique[90]. Il s’agit bien sûr là d’un point décisif. Mais que voulait dire par là Зи́бер ? Formalisée par J.S. Mill, la méthode déductive de l’école anglaise, à savoir la méthode déductive inverse ou historique (The inverse deductive, or historical method) consistait alors à identifier les lois (laws) d’après lesquelles un état de société (state of society) produit celui qui y succède historiquement et qui le remplace, soulevant de ce fait la question du progrès ou de l’évolution historique de l’humanité (une question qui serait elle-même impliquée, dit Mill, dans toute conception juste des phénomènes sociaux comme objets d’une science)[91]. C’est donc dire que Marx a retenu les lois économiques énoncées par Ricardo, afin d’expliquer le passage d’un état de société à un autre[92]. C’est à ces lois qu’il s’intéresse, et non pas aux contingences de l’histoire[93]. Selon Зи́бер, Marx serait parvenu à définir la valeur en soi et à en tirer des conclusions sur l’histoire, ce que Ricardo n’avait jamais proprement su faire (§ 7). Comme le déplore toutefois Зи́бер, Marx a employé un langage exagérément difficile et un mode d’expression ramassé (Своеобразный языкъ и довольно сжатый способъ выраженія) dans le Capital, et c’est cela qui a amené ses critiques à croire qu’il faisait dans la métaphysique (нѣкоторыхъ случаяхъ ведутъ къ обвиненію автора въ томъ, что онъ употребляетъ по отношенію къ цѣнности метафизическіе)[94]. Après s’être défait d’Eugène De Robertis, Marx s’en prend donc à l’économiste franco-prussien Maurice Block, qui avait publié un compte rendu de son livre dans le Journal des économistes, une revue autour de laquelle se rassemblaient en France les partisans du libre-échange. Marx tourne Block en ridicule, puisque ce dernier lui aurait erronément prêté une méthode analytique (= kantienne)[95]. Historiquement, les deux hommes s’étaient rencontrés à Paris, en 1844. Il est impossible de savoir si le vieux Marx se souvenait de Block v. 1867-1870, mais Block, lui, avait conservé un souvenir agréable du jeune Marx, qu’il décrit comme un « homme aussi instruit qu’agréable[96] » dans son compte rendu du Capital. Ce compliment ne sert cependant qu’à accentuer son indignation. Block souligne en effet le génie de Marx en disant de lui qu’il se « classe parmi les esprits analytiques les plus éminents[97] » d’Europe, tout en lui reprochant d’avoir rejoint l’Association internationale des travailleurs. Block n’a toutefois pas dit ce que Marx tente de lui faire dire au sujet de sa méthode ; en vérité, il complimentait simplement Marx pour son esprit d’analyse, ce qui est d’ailleurs évident pour un francophone, mais peut-être pas pour un germanophone. En Allemagne, se plaint d’ailleurs Marx au détour de la phrase suivante, la critique a crié à la sophistique hégélienne (Hegel’sche Sophistik)[98]. Curieusement, Marx ne répond pas d’emblée à cette accusation ; non, il répond plutôt à l’économiste russe Илларио́н Кaуфман (Illarion Kaufman), qui avait mis en garde le public russe contre les difficultés que la prose teutonique de Marx était susceptible de lui causer (Русскому читателю, непривыкшему къ нѣмецкимъ кунстштюкамъ по части развитія идей, придется его сначала перевесть себѣ на болѣе понятный языкъ, чтобы вполнѣ его усвоить)[99]. Car Marx, regrette Кaуфман, s’exprime à la manière d’un vieux philosophe idéaliste (Съ виду, ески сыдить по виѣшнеи формѣ излжения, Марксъ болъшои идеалистъ-философъ и притомъ въ « немецком », т. е. дурном, значении зтого слоба)[100]. Par bonheur, poursuit Кaуфман, il est, en fait, un réaliste, à la différence des économistes qui l’ont précédé (На самомъ же дѣлѣ онъ безконечно болѣе реалистъ, чѣмъ всѣ его предшественники въ дѣлѣ экономической критики)[101]. « Je ne saurais mieux répondre à l’écrivain russe que par des extraits de sa propre critique, rétorque Marx, qui peuvent d’ailleurs intéresser le lecteur [non russophone][102] ».

[§ 18-19] Comme le résume Marx, Кáуфман a commenté la préface de son ouvrage précédent, où il avait d’abord présenté à ses lecteurs le fondement matérialiste (materialistische Grundlage) de sa méthode[103]. C’est un extrait de ce commentaire qu’il rapporte ici, en prenant toutefois soin d’éviter de dire à ses lecteurs que Кáуфман l’a comparé à Wilhelm Roscher, entre autres, et pas toujours de manière élogieuse[104].

[§ 20] Кáуфман n’appréciait pas le style de Marx. Il a néanmoins su comprendre la méthode que Marx a employée dans le Capital : « […] en définissant ce qu’il appelle ma méthode d’investigation avec tant de justesse, et en ce qui concerne l’application que j’en ai faite, avec tant de bienveillance, demande ainsi Marx, qu’est-ce donc que l’auteur a défini, si ce n’est la méthode dialectique[105] ? » Cette question rhétorique n’appelle pas de réponse. Marx entérine la description que Кaуфман donne de sa méthode, dans laquelle l’élément conscient (соэнательный элементъ), si cher aux philosophes allemands, tient un rôle secondaire[106]. Comme Зи́бер, donc, Кáуфман a su distinguer la prose et la méthode de Marx[107]. Marx insiste justement ici sur cette distinction, lui qui avait consacré les trente dernières années de sa vie à l’étude de l’économie politique : « […] à l’investigation de faire la matière sienne dans tous ses détails, d’en analyser les diverses formes de développement, et de découvrir leur lien intime. Une fois cette tâche accomplie, mais seulement alors, le mouvement réel peut être exposé dans son ensemble. Si l’on y réussit, de sorte que la vie de la matière se réfléchisse dans sa reproduction idéale, ce mirage peut faire croire à une construction a priori[108] ». Ce qu’oublie la tradition commentatoriale, c’est que Marx venait alors tout juste de décrire à ses lecteurs, quelques pages plus tôt, la tendance historique de l’accumulation capitaliste[109]. C’est à cette occasion qu’il a appris aux lecteurs du Capital qu’on avait historiquement nié la propriété privée du travailleur individuel au profit de la grande industrie, mais que cette négation était elle-même historiquement appelée à être niée et que les expropriateurs seraient alors expropriés à leur tour. Cette négation de la négation, leur avait ensuite annoncé Marx, qui choisit à cette occasion de s’exprimer en termes hégéliens, ne rétablirait pas la propriété privée du travailleur, fondée sur des traditions féodales ou ancestrales vieillottes, mais bien plutôt sa propriété individuelle, fondée sur les acquêts du mode capitaliste de production, sur la coopération et la possession commune de tous les moyens de production, y compris le sol[110]. C’est cette prédiction-là qui avait soulevé l’indignation de Dühring, qui y voyait une faribole hégélienne[111]. Aussi, Marx jugea-t-il nécessaire de préciser son rapport à Hegel au moment de la réédition de son livre[112].

[§ 22] Marx s’adresse donc à ceux qui auraient crié à la sophistique hégélienne afin de le discréditer, à commencer par Eugen Dühring (§ 18). Dühring, rappelons-le, avait comparé Marx au vieil hégélien Lorenz von Stein[113]. Cette comparaison amusa tout d’abord Marx[114]. Il savait que Dühring feignait de confondre la méthode qu’il avait employée dans le Capital avec la méthode qu’employait Hegel dans ses propres ouvrages[115]. À son avis, Dühring cherchait, en réalité, à attirer l’attention du public sur un livre dans lequel Roscher se faisait ridiculiser et c’était là la seule raison pour laquelle il en aurait publié un compte rendu[116]. Il est difficile de savoir si Marx avait raison ou non à cet égard. Une chose est toutefois certaine : Dühring savait que Marx avait simplement reformulé la théorie ricardienne en termes hégéliens — il s’était d’ailleurs réjoui lorsqu’il apprit que Marx avait supprimé ce jargon inutile et encombrant de la seconde édition de son livre[117]. Dühring était exaspéré par l’attachement pathétique que Marx éprouvait, selon lui, pour Hegel, un philosophe passé de mode[118]. Il n’était d’ailleurs pas seul. Friedrich-Albert Lange, par exemple, s’étonnait lui aussi de l’attachement que Marx éprouvait pour Hegel, alors que plus personne ne s’intéressait à lui en Allemagne, hormis quelques théologiens, et que la science avait démenti à peu près tout ce qu’il avait écrit[119]. Quoi qu’il en soit, Dühring avait publiquement menacé la crédibilité de Marx en le comparant à un vieil hégélien[120]. Une note marginale laissée dans le manuscrit du deuxième livre du Capital donne à penser que Marx avait l’intention de lui répondre directement, mais il a visiblement jugé plus prudent de ne pas le faire ici[121]. L’accusation que Dühring a portée contre Marx a vite été relayée par Heinrich von Sybel, un proche collaborateur de Friedrich Carl von Savigny, le fondateur de l’école historique du droit, et de Leopold von Ranke, qui comptaient eux-mêmes parmi ceux qui avaient contribué à discréditer Hegel entre 1830 et 1840, avec le concours de Friedrich Schleiermacher et de Johann Gustav Droysen. Sybel n’appréciait pas plus qu’eux Hegel, et il prit un plaisir évident à railler Marx, à une époque où Hegel n’incarnait plus que la dérive métaphysique de la pensée allemande. Mais c’est d’abord la théorie de la valeur-travail que condamnait Sybel, et non pas tellement l’attachement que Marx éprouvait, semble-t-il, pour Hegel. La bourgeoisie allemande ne voulait pas entendre parler de la lutte des classes v. 1867-1870, surtout pas Sybel, qui rêvait alors d’une nation allemande unifiée.

[§ 23] À titre d’auteur, Marx emprunte différents styles dans ses écrits[122]. Le style qu’il a emprunté dans le Capital toutefois déplut à la majorité de ses premiers lecteurs. Marx s’est par ailleurs exposé aux railleries de ses critiques en se livrant à un pastiche de Hegel. Assailli par ses adversaires, qui lui ont reproché d’avoir fabriqué une théorie a priori, il fut contraint de s’expliquer sur ses véritables rapports à Hegel[123]. Les propos de Marx rappellent ici ceux de Feuerbach, qui avait lui-même reproché à Hegel d’avoir fait de l’Idée le moteur de l’histoire, selon un procédé qui s’apparentait, selon lui — Feuerbach —, à la projection religieuse. Hegel a inversé le prédicat et le sujet, disait-il, mais il suffit de les remettre à l’endroit pour parvenir à la vérité[124]. Feuerbach a d’ailleurs lui-même salué, en privé, le travail grandiose de Marx (grandiose Kritik der politischen Ökonomie von K. Marx)[125]. Il y a sans doute reconnu sa propre conception de l’histoire de la pensée, lui qui fut, en quelque sorte, à l’origine du renversement matérialiste de la dialectique hégélienne[126]. Dans un cas comme dans l’autre, Engels a fourni, rappelons-le, une interprétation fort utile de ce qui dit Marx dans ce fameux passage[127].

[§ 23] Dühring avait dépeint Hegel comme le chantre de la Restauration, dans un ouvrage paru quelques années plus tôt[128]. Aussi Marx rappelle-t-il à ses propres lecteurs qu’il avait lui-même critiqué la philosophie hégélienne du droit trente ans plus tôt, alors qu’elle était encore à la mode en Prusse. Mais il était agacé de voir que n’importe qui pouvait désormais se croire autorisé à traiter Hegel comme un chien crevé (toten Hund), comme Mendelssohn aurait, semble-t-il, traité Spinoza[129]. Cette allusion à la querelle du panthéisme, qui a éclaté en Allemagne v. 1780, après que Lessing eut anéanti, par inadvertance, le compromis que l’Aufklärung avait établi entre la philosophie et la religion est elle-même tirée, mot pour mot, d’un ouvrage de Hegel[130]. Engels avait comparé les vieux hégéliens — Lorenz von Stein, notamment — aux Diadoques (διάδοχος), quelques années plus tôt, c’est-à-dire aux généraux d’Alexandre le Grand qui s’étaient disputé le contrôle de son immense empire après sa mort ; comme le raconte Engels, le règne de ces vieux hégéliens (Regime der Hegelschen Diadochen) avait pris fin vers 1848, avec l’essor concomitant des sciences de la nature et de la résurgence de la métaphysique du matérialisme prékantien[131]. Il faisait là allusion à ce que nous appelons aujourd’hui la querelle allemande du matérialisme (Materialismusstreit)[132]. Filant, semble-t-il, la métaphore de son ami, Marx parle, quant à lui, des héritiers des Diadoques, de ceux qui avaient durablement installé leurs dynasties — les Épigones (ἐπίγονος). Il vise au premier chef Dühring, qui, sans le savoir, aurait répété dans sa Natürliche Dialektik (1865) les erreurs que Hegel avait lui-même commises dans sa philosophie de la nature[133]. Dühring n’est toutefois pas la seule cible de Marx, qui vise aussi ici Gustav Fechner[134], Ludwig Büchner[135] et Friedrich-Albert Lange[136], qui avaient tous fait de Hegel leur repoussoir au cours de la querelle du matérialisme, bien qu’ils fussent eux-mêmes des métaphysiciens. Mais ce qui était plus beaucoup grave aux yeux de Marx, c’est que ces savants diffusaient tous en Allemagne la théorie populationnelle de Malthus[137]. C’est dans ce contexte, donc, qu’il s’est soudainement affiché comme un disciple de Hegel[138]. Filant une autre métaphore d’Engels, il précise cependant que la dialectique de Hegel se tenait sur sa tête et qu’il fallait la retourner et la dépouiller de sa forme mystique (mystificirten Form) afin d’en dégager le noyau rationnel[139].

[§ 24] Sous l’aspect mystique que Hegel lui a d’abord donné, concède Marx, la dialectique semblait bel et bien glorifier l’ordre existant, puisque le développement historique de l’État en monarchie constitutionnelle (ou représentative) était, selon Hegel, l’oeuvre du monde moderne, dans lequel l’Idée de l’État avait atteint sa forme infinie[140]. À l’instar de Gerhard von Scharnhorst, de Heinrich Friedrich Karl vom und zum Stein et de Karl August von Hardenberg, qui espéraient restaurer la monarchie prussienne sur des bases plus ou moins libérales v. 1807-1819, Hegel rejetait, en effet, l’absolutisme[141]. En un mot, il réclamait en termes spéculatifs la mise en oeuvre des réformes constitutionnelles que le roi Friedrich Wilhelm III avait initialement promise à ses sujets, à l’époque de la campagne d’Allemagne (Befreiungskriege), sans toutefois tenir parole. Voilà ce qui expliquerait, selon Jacques D’Hondt, la popularité de sa philosophie, qui éternisait une étape du développement historique de l’État dont il appelait la venue de ses voeux[142]. Sous son aspect rationnel, se félicite Marx, la dialectique est un véritable « scandale et une abomination pour les classes dirigeantes, et leurs idéologues doctrinaires, parce que dans la conception positive des choses existantes, elle inclut du même coup l’intelligence de leur négation fatale, de leur destruction nécessaire ; parce que saisissant le mouvement même, dont toute forme faite n’est qu’une configuration transitoire, rien ne saurait lui imposer ; qu’elle est essentiellement critique et révolutionnaire[143] ». L’histoire n’était pas finie.

[§ 25] C’est vers l’avenir que se tourne justement Marx, lui qui venait alors tout juste de présenter à ses lecteurs la « vie accidentée que traverse l’industrie moderne, avec son cycle décennal à peu près régulier — à part des autres secousses irrégulières — de périodes d’activité ordinaire, de production à haute pression, de crise et de stagnation[144] ». Historiquement, ces crises se succédaient les unes aux autres tous les dix ans depuis 1825 et on était alors incapable de les expliquer[145]. La seule chose sur laquelle on s’entendait, c’est que l’Angleterre était à l’épicentre de la majorité des crises, qui avaient ensuite frappé la France ou les États-Unis d’Amérique. L’Allemagne avait elle-même été largement épargnée, puisque le mode capitaliste de production y avait connu un développement médiocre avant le milieu du siècle[146]. À cette époque, ce sont d’abord les disettes et les famines qu’on y craignait, et non pas tellement les crises économiques ou les coups de bourses — la théorie populationnelle de Malthus semblait même s’y vérifier, alors que la croissance démographique excédait celle de la production céréalière[147]. Les lecteurs allemands du Capital n’avaient encore jamais connu de crises comme celles qui avaient ponctuellement secoué l’Angleterre et la France au cours du siècle. Mais l’épicentre de l’économie européenne se déplaçait peu à peu vers l’Allemagne, où les indemnités de guerre françaises négociées entre Bismarck et Thiers au lendemain de la guerre franco-prussienne dopaient le développement de l’industrie depuis 1871. Marx avait prévenu les lecteurs de la première édition du Capital, tout juste après la crise économique de 1866 : « […] jusqu’ici la durée périodique de ces cycles est de dix ou onze ans, mais il n’y a aucune raison pour considérer ce chiffre comme constant. Au contraire, on doit inférer des lois de la production capitaliste, tel que nous venons de les développer, qu’il est variable et que la période des cycles se raccourcira graduellement[148] ». Les crises économiques étaient en effet appelées, selon Marx, à devenir de plus en plus fréquentes et de plus en plus graves. Jusqu’ici, apprend-il maintenant aux lecteurs de la seconde édition de son livre, les crises économiques ont touché une branche particulière de l’industrie, ou encore quelques branches entremêlées de la production, mais, selon lui, une crise générale (allgemeine Krise) se profile à l’horizon[149]. Cette fois, prédit-il, l’Allemagne ne sera pas épargnée. Cette crise générale fera entrer la « dialectique dans la tête même aux tripoteurs qui ont poussé comme champignons dans le nouveau Saint-Empire prusso-allemand[150] ». De fait, l’Allemagne devint quelques mois plus tard l’épicentre de la toute première crise économique mondiale de l’histoire[151].

Conclusion

La parution de la brochure The Civil War in France en 1871 fit de Marx un homme célèbre, ce qui amena enfin la critique à s’intéresser au Capital, dont la première édition était parue quelques années plus tôt. Déçu, jusque-là, des ventes du livre, Otto Meißner saisit l’occasion et fit tirer à 3 000 exemplaires une seconde édition du livre de Marx. Il avait vu juste. Le public de Marx s’élargit soudainement — Johann Most[152], Karl Knies[153], Eugen Jäger[154], Rudolf Mayer[155] et Adolph Wagner[156], entre autres, prirent enfin acte du Capital. Wilhelm Roscher, aussi. Marx, reconnut-il, fait montre d’une prodigieuse maîtrise de l’économie politique anglaise (Die unzweifelhafte Stärke von K. Marx liegt in der eingehenden Kenntniß englischer Literatur, Gesetzgebung und Praxis)[157]. Issu des rangs de l’école historiographique rankéenne et gagné aux idées de Malthus, Roscher ne pouvait pas pour autant accepter la théorie marxienne de la valeur, de la monnaie et du capital. Il était d’ailleurs exaspéré par la prose ronflante et imprécise (schwerfällig abstracte und doch unpräcise Ausdrucksweise) de Marx, qui lui semblait indigne d’un véritable scientifique[158]. Roscher était-il un petit larbin prétentieux à la solde de la bourgeoisie allemande, comme le croyait en retour Marx[159] ? Peut-être ; peut-être pas. Chose certaine, Roscher s’indignait de voir Marx ériger en véritable système la théorie économique ricardienne[160].

Par son emplacement et son type de discours, une postface ne peut espérer exercer qu’une fonction curative, ou corrective[161]. Or, on place la postface du Capital au début du livre de Marx depuis la fin du xixe siècle. Cette pratique a joué, croyons-nous, sur les interprétations que l’on a subséquemment proposées du livre de Marx au cours du xxe siècle, puisqu’elle donne à penser, par exemple, que Marx évoque de lui-même le nom de Hegel alors qu’il donne en réalité la réplique à un critique — Dühring — qui l’avait malicieusement comparé au vieil hégélien Lorenz von Stein. Nous ne saurions donc assez recommander aux lecteurs du Capital de prendre au sérieux les déclarations de Marx reconnaissant la justesse de l’interprétation ricardienne que Зи́бер a donnée de son livre. Et pour cause — Зи́бер est le seul critique qui a reçu l’approbation de Marx lui-même[162]. Marx tenait en haute estime ce spécialiste de la théorie économique ricardienne, qu’il a d’ailleurs chaleureusement accueilli à son domicile londonien en 1880-1881, au moment même où il rassemblait des notes sur le livre de l’économiste Adolph Wagner. Marx, qui écrivait alors pour lui-même, affirme dans ses notes que la seule différence qui existe réellement entre Ricardo et lui, c’était que Ricardo n’avait pas su faire le lien entre la théorie de la valeur-travail et la monnaie. C’est là une chose, souligne Marx, que ses critiques, à commencer par Wagner, auraient pu découvrir en lisant attentivement le Capital ou le livre de Зи́бер[163].