Corps de l’article

1. Introduction

Au cours du XXème siècle, les approches pédagogiques pensées pour l’enseignement des langues secondes et additionnelles–incluses sous le terme « L2 » dans le cadre de cet article–ne mettent pas nécessairement en relation les langages corporel, émotionnel et verbal. Ces dernières sont écartées, considérées comme marginales face aux attentes du cognitivisme et des institutions inscrivant leurs besoins dans une évaluation plus quantitative des compétences langagières à acquérir (Aden, 2015). Néanmoins, bien qu’initialement pensées tel un phénomène biologique distinct des processus cognitifs (Damasio, 2005), les émotions semblent, au contraire, intimement liées à cesdits processus, encore plus en contexte scolaire (Pekrun, 2006, 2021). À titre d’illustration, les émotions positives suscitent un comportement d’engagement et d’exploration des apprenants et apprenantes vers la tâche proposée (cf. Fredrickson, 2001, 2013). En revanche, les émotions négatives comme l’anxiété langagière ressentie, définie comme « l’inquiétude et la réaction émotionnelle négative suscitées par l’apprentissage ou l’utilisation d’une L2 » (MacIntyre, 1999, p. 27), perturbent le fonctionnement cognitif et la performance linguistique des apprenants de L2 (Zuniga et Simard, 2022). De ce constat, différentes tâches pédagogiques ont été pensées afin de davantage considérer les émotions vécues dans le processus d’apprentissage. C’est le cas, par exemple, du jeu dramatique qui soutient les objectifs communicatifs visés en L2 tout en considérant la dimension affective des apprenants et apprenantes (cf. Zuniga, dans ce numéro, pour plus de précisions sur le rôle des émotions en contexte d’apprentissage).

2. Le jeu dramatique comme soutien à l’apprentissage et aux émotions

Pour définir le jeu dramatique dans les classes de L2, nous nous appuyons sur le modèle de Motos (2018) qui catégorise les pratiques issues de l’art dramatique en contexte d’éducation selon trois continuums : (1) (non-)participation des apprenants et apprenantes (p. ex., la lecture d’une pièce de théâtre en classe implique une faible participation), (2) focus sur le processus vs produit final (p. ex., les échauffements vocaux et corporels et exercices de simulation font partie du processus alors qu’un travail engagé sur l’écriture de scènes met l’accent sur le produit final), (3) focus sur le jeu vs performance (p. ex., des simulations et improvisations font partie du jeu en classe alors qu’une représentation devant un auditoire se rapproche de la recherche de performance). En ce sens, considérant cette modélisation, nous définissons le jeu dramatique en contexte d’apprentissage d’une L2 ainsi :

Le jeu dramatique est une tâche communicative verbale et non-verbale, faisant partie des pratiques variées découlant de l’art dramatique. Celui-ci s’insère au sein d’un processus, sous la forme d’échauffements et/ou d’improvisations, incluant une participation active des apprenants et apprenantes de L2, sans pour autant les engager dans une performance théâtrale.

Aujourd’hui, le jeu dramatique peut être considéré comme une tâche pédagogique facilitatrice des apprentissages (Page, 2000), comme c’est le cas en contexte d’apprentissage d’une L2 où des progrès à l’oral ont été constatés, notamment en ce qui concerne le développement de l’aisance (Galante et Thomson, 2017), de la prononciation et du placement de la voix (Gill, 2013a), ainsi que des capacités d’écoute en L2 (Araki et Raphael, 2018). Ces constats sont liés au travail engagé par sa pratique. Par exemple, demander de réaliser des actions contraires à ce qu’annonce le meneur de jeu, ou coconstruire des sculptures, des successions de tableaux en mouvement, sont des jeux dramatiques engageant un travail centré sur les élèves en collaboration avec leurs pairs plutôt que sur les enseignants et enseignantes. Cela crée des interactions réelles–focalisées sur le sens plutôt que sur la forme–au sein de situations authentiques, soit les principes mêmes de l’enseignement des langues basé sur les tâches et des approches communicatives pensées pour les classes de L2.

Cela dit, les contributions du jeu dramatique semblent dépasser les frontières linguistiques et soutenir, par ailleurs, l’expérience subjective émotionnelle des participants et participantes. En effet, plusieurs études témoignent d’une diminution de l’anxiété langagière ressentie, d’une peur initiale dépassée et d’une augmentation de la confiance en soi lorsqu’il s’agit de communiquer à l’oral en L2 (Clerc, 2013; Galante, 2018; Sağlamel et Kayaoğlu, 2013). Afin de comprendre en quoi cette tâche constitue un recours dans la gestion des émotions, nous avons cherché à identifier des aspects caractérisant le jeu dramatique et dont les résultats observés témoignent d’un véritable soutien pour faire face aux fluctuations émotionnelles vécues en classes de L2. Pour ce faire, notre analyse s’est basée sur des études en lien avec l’apprentissage d’une L2, qui n’ont toutefois pas toujours adopté le même angle d’étude ou la même approche méthodologique. Certaines ont cherché à identifier les perceptions individuelles et collectives vécues durant un atelier, d’autres se penchent davantage sur l’observation du développement de compétences langagières. Bien que non exhaustifs, notre analyse nous permet de dresser six aspects caractérisant la pratique du jeu dramatique en classe de L2 comme soutien aux émotions vécues. Trois constituent des aspects intrinsèques (2.1), soit des aspects inhérents au jeu dramatique, et trois d’entre eux sont des aspects extrinsèques (2.2), soit les effets suscités par le jeu dramatique sur l’environnement d’apprentissage et sur l’apprenant, l’apprenante.

2.1 Aspects intrinsèques du jeu dramatique

De cette recension, nous avons donc identifié trois aspects intrinsèques au jeu dramatique comme tâche pédagogique. Il s’agit des éléments suivants qui seront détaillés dans la présente partie : (1) Création d’un espace potentiel; (2) Affect, comme matériau de travail; (3) Place du collectif.

Création d’un espace potentiel. Le premier aspect intrinsèque du jeu dramatique recensé est intitulé Création d’un espace potentiel et fait référence à l’espace de jeu créé lors des ateliers de jeu dramatique. Cet espace de réflexion et de tâtonnements peut prendre la forme commune d’un espace scénique surélevé par rapport à un éventuel auditoire, mais peut tout autant être pensé et créé sur le moment de l’atelier, selon un cadre défini par les participants et participantes (p. ex., en cercle, sans aucune table, à l’extérieur). Comme transition de la vie réelle à l’espace de création collective, cet espace potentiel sera incarné au moyen de l’instauration d’un espace affectif où chaque individu a la possibilité de manier la langue cible dans un cadre protégé, sécuritaire et sans menace. Le travail de création s’effectue à l’intérieur même de cet espace potentiel où chaque apprenant, apprenante a la possibilité de s’exercer, de jouer avec la L2 et d’incarner différents rôles. La pertinence de cet espace potentiel prend son sens lorsqu’il constitue un espace de partage de réflexion individuelle et collective sur des situations vécues et défis à relever (Boal, 1992). À titre d’illustration, dans cet espace, les élèves peuvent être invités à raconter et mettre en scène leur vécu et leur imagination (p. ex., une femme ou un homme se fait insulter dans le métro par un individu qui l’accompagne) tout en laissant intervenir les autres apprenants pour possiblement en changer la fin ou une partie (p. ex., l’élève propose d’intervenir auprès de la femme insultée ou de l’homme insulté et lui propose de l’aider). Cet espace réflexif engage un apprentissage expérientiel où les apprenants peuvent proposer des situations et solutions. Cela s’effectue au moyen d’un affect considéré, d’une prise de risques encouragée, d’erreurs permises et perçues comme constructives (Araki et Raphael, 2018; Clerc, 2013; Laurens, 2013; Piazzoli, 2011).

Affect, comme matériau de travail. Le second aspect intrinsèque répertorié aborde l’Affect, comme matériau de travail, soit le travail induit par la pratique du jeu dramatique sur les émotions des participants et participantes (Gill, 2013a; Miccoli, 2003; O’Toole et Dunn, 2020), notamment en raison des modalités pédagogiques des tâches de jeu dramatique et de l’incarnation de différents personnages dans des situations variées. En effet, ces deux plans peuvent susciter de fortes réactions émotionnelles au départ, plutôt négatives : la peur de s’exposer face à autrui, la frustration d’être dans l’incapacité de réinvestir les contenus linguistiques, l’anxiété face à une situation inconnue lorsqu’il s’agit d’improviser (Clerc, 2013). Néanmoins, des études témoignent d’une peur initiale dépassée et d’une augmentation de la confiance en soi lorsqu’il s’agit de produire à l’oral en L2, grâce à des jeux dramatiques (Galante, 2018; Gill, 2013a; Piazzoli, 2011), comme celui qui consiste à improviser en exprimant une émotion à travers un geste du quotidien : après avoir mimé une scène du quotidien (p. ex., mettre son manteau, se brosser les dents, chercher ses clés dans son sac), on propose d’ajouter une émotion au mime (p. ex., se brosser les dents en étant très fatigué, enthousiaste, triste). Ces mises en situation instaurent un espace où l’exploration, le tâtonnement, les essais et le sentiment du « droit à l’erreur » sont encouragés et les émotions vécues acceptées (Marceau et Chaîné, 2020; Plouffe, 2020). L’affect devient un matériau de travail à l’intérieur même de l’espace instauré durant l’atelier, ce qui engage la création d’un espace sécuritaire dans lequel chacun, chacune à l’occasion d’affronter progressivement certaines appréhensions et/ou peurs. À ce titre, notons que la prise de risques vécue en situation d’apprentissage dans cet espace sécurisé est un des aspects du jeu dramatique qui, selon certaines études (Galante et Thomson, 2017; Gill, 2013a), soutient le développement des compétences orales comme l’aisance, et des compétences sociolinguistiques et pragmatiques, du fait d’un accroissement progressif du sentiment de confort ressenti à l’intérieur de cet espace de partage.

Place du collectif. Le troisième aspect intrinsèque du jeu dramatique recensé est intitulé Place du collectif. Défini comme une forme « d’art social » (Araki et Raphael, 2018, p. 54), le jeu dramatique est une tâche collaborative où la coconstruction du sens, le dialogue et l’interaction constituent le coeur du processus. Cet aspect est partagé par de nombreux travaux (p. ex., Araki et Raphael, 2018; O’Toole et Dunn, 2020; Piazzoli, 2011) en décrivant ces tâches comme créatrices de cohésion, d’entraide et de solidarité. L’espace créé par les apprenants et apprenantes, la communauté enseignante et le médiateur ou la médiatrice d’art dramatique devient ainsi un espace démocratique où chacun et chacune peut développer l’attention et l’écoute à l’égard d’autrui, et venir nuancer, compléter, contredire la parole de ses pairs (Clerc, 2013). En d’autres termes, les histoires et expériences propres à chacun, chacune, s’entremêlent, et contribuent, de ce fait, à la coconstruction d’une histoire commune. Par exemple, certains jeux dramatiques proposent de partager une anecdote sur une situation vécue ou imaginée et de penser à des solutions ensemble par l’improvisation (cf. le théâtre de l’Opprimé de Boal, 1992). Ces tâches engagent le développement de stratégies sociales, comme le fait de considérer le processus de groupe, les réponses physiques et émotionnelles des autres participants, leur appartenance au groupe, la pertinence de leurs réponses.

2.2 Aspects extrinsèques du jeu dramatique

Ensuite, nous avons identifié trois aspects extrinsèques à travers la littérature, c’est-à-dire qu’ils abordent les effets suscités par le jeu dramatique sur la situation d’apprentissage et/ou sur l’apprenant, l’apprenante : (4) Décentration de soi; (5) Plaisir et développement de la motivation; (6) Emphase portée sur le corps dans l’apprentissage.

Décentration de soi. Liée à l’identité de l’apprenant, l’apprenante, le premier aspect extrinsèque du jeu dramatique répertorié concerne la Décentration de soi, un constat associé à la décentration progressive de sa propre réalité (Araki et Raphael, 2018; Meirieu, 2004; Piazzoli, 2011; Galante, 2018). En effet, à travers le travail effectué autour de l’incarnation de rôles variés dans des situations qui sortent du quotidien, les élèves ont l’occasion de prendre de la distance sur les situations personnelles et collectives vécues. Progressivement, chacun, chacune a la possibilité de s’impliquer dans l'histoire qui se joue, de s’identifier au personnage, d’entrer en empathie tout en se désidentifiant et en se distanciant (Meirieu, 2004). En d’autres termes, se distancier de sa propre réalité, c’est aussi expérimenter la vie d’un autre point de vue (O’Toole et Dunn, 2020). Cet élément est à souligner, car cette décentration émergerait au moyen de l’association mentale effectuée par l’apprenant lui-même, l’apprenante elle-même, au moment où une situation induite par le jeu dramatique, et qui est différente de sa propre réalité, lui est proposée. Les effets sont nombreux sur la dimension affective. Par exemple, Galante (2018, p. 282) souligne qu’une apprenante a déclaré se sentir « plus à l'aise... pour parler anglais parce que ce n'est pas [elle]... c'est Linda ». En d’autres mots, la décentration de soi peut susciter un accroissement du niveau de confort lorsqu’il s’agit de produire à l’oral en L2.

Plaisir et développement de la motivation. Le second aspect extrinsèque du jeu dramatique recensé est intitulé Plaisir et développement de la motivation et souligne le plaisir comme base pour toutes tâches basées sur l’art dramatique (Araki et Raphael, 2018) et ce, selon différentes perspectives. Par exemple, Piazzoli (2011) souligne un plaisir ressenti au moyen d’une plus grande motivation intrinsèque et extrinsèque des participants en raison de trois éléments inhérents au jeu dramatique, soit la variété des rôles créés et à incarner, les contextes authentiques occasionnant des communications plus spontanées et stimulantes entre apprenantes et apprenants, et la tension dramatique instaurée. Aussi, la collaboration entre apprenants et apprenantes constitue une source de plaisir et de développement de la motivation (Araki et Raphael, 2018). L’interaction suscitée par les tâches collaboratives, imposant une organisation et une résolution collectives, se traduit par un besoin des apprenants et apprenantes de partager leurs idées. Cette richesse collaborative se retrouve renforcée par le caractère imaginatif induit par le jeu dramatique. En effet, l’imagination des apprenants et apprenantes devient un facteur potentiel de motivation intrinsèque, car il suscite un désir fort de partager les idées issues de leur imagination (Araki et Raphael, 2018). En d’autres termes, la combinaison des caractères collaboratif et imaginatif des tâches de jeu dramatique constitue une force motrice à la fois de motivation et de communication orale.

Emphase portée sur le corps dans l’apprentissage. Le dernier aspect extrinsèque du jeu dramatique recensé est intitulé Emphase portée sur le corps dans l’apprentissage et souligne le caractère énactif du jeu dramatique (cf. Varela, Thomson et Rosch, 1993). Celui-ci engage les participants à produire en L2 en combinant les actes de parole à des gestes et une communication non-verbale. En ce sens, le langage est perçu de manière holistique, tel un outil d’organisation de l’interaction sociale où tous les canaux de communication sont exploités et mis en oeuvre. On y retrouve ainsi les langages sensoriel, émotionnel, verbal et non-verbal qui se combinent et se complètent dans un langage commun. Le geste permet aux apprenants de L2 d’étirer leur imagination au-delà des frontières linguistiques, de soutenir l’apprentissage de la L2 lorsque le langage fait défaut (Alix, 2013) et constitue « une appréhension sensible et relationnelle de la parole » (Pierra, 2013, p. 49). Le corps tout entier devient un médium d’affirmation, de négociation et d’interaction tout aussi puissant et significatif que les mots, et sert de recours pour interagir à tous les niveaux d’apprentissage de la L2. Cela s’effectue à travers des actions physiques dans l’espace, dès les premiers ateliers, où l’on cherche à découvrir l’ouverture, la verticalité du corps et la respiration dans l’acte de communication. De cette façon, l’usage du corps dans l’apprentissage est perçu tel un véritable moyen de médiation, de négociation de sens et de coconstruction de connaissances.

Pour conclure, ces six aspects constituent des caractéristiques qui nous semblent toutes interreliées les unes aux autres. Qu’ils soient propres aux jeux dramatiques, donc intrinsèques à la pratique, ou qu’ils concernent leurs effets sur la situation d’apprentissage, nous observons que chaque aspect défend l’idée que le jeu dramatique constitue une tâche pédagogique soutenant les apprenants et apprenantes de L2 dans l’expérience subjective émotionnelle vécue en contexte d’apprentissage.

3. Implémenter des ateliers de jeu dramatique en classe de L2

Il nous semble maintenant judicieux de présenter des implications pédagogiques afin de prendre en considération les éléments introduits ci-dessus. Pour mettre en place des ateliers de jeu dramatique en classe de L2 tout en prenant en compte ces différents aspects soutenant la dimension affective, nous suggérons une structure préétablie, inspirée des travaux d’O’Toole et Dunn (2020), qui préconisent une structure pour chaque atelier de jeu dramatique. Cette dernière s’articule en trois phases : (1) Phase d’initiation, (2) Phase expérientielle, (3) Phase réflexive. Pour illustrer chacune d’entre elles, nous proposons des tâches de jeu dramatique pour un niveau intermédiaire en contexte de francisation aux adultes. Différents objectifs communicatifs sont visés et présentés dans le tableau 1 ci-dessous.

Tableau 1

Contexte de l’atelier

Contexte de l’atelier

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Le tableau 2 aborde la phase d’initiation d’un atelier, en présentant des exemples de tâches et de jeux pensés pour atteindre certains objectifs inhérents à cette première étape. Il s’agit d’une phase de transition entre la vie réelle et l’espace instauré pour la pratique du jeu dramatique. Cette phase crée une ambiance détendue afin de casser la glace et de rentrer progressivement dans cet espace de jeu. Les jeux et exercices introductifs établissent les règles collectives et individuelles nécessaires au bon déroulement des ateliers. À titre d’exemple, il s’agira d’expliquer que lorsque l’on rentre dans ce contexte de pratique, nous rentrons collectivement dans cet espace potentiel, ce qui permet de comprendre que le groupe est nécessaire pour entretenir l’imaginaire des participants et participantes, et transformer l’espace de la classe en d’autres lieux et époques, soit en fonction du contexte dramatique imaginé. Cette première phase d’initiation crée donc une transition progressive entre la vie quotidienne et l’atelier, et mène les apprenants et apprenantes vers une décentration de soi, de sa propre réalité–tel qu’explicité ci-dessus–ainsi qu’une prise de conscience de leurs rôles fictifs au sein du groupe, nécessaires au bon fonctionnement de l’atelier global.

Tableau 2

Plan de la phase d’initiation

Plan de la phase d’initiation

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Le tableau 3 présente le plan de la phase expérientielle de notre atelier, qui se tient à partir du moment où les apprenants et apprenantes ont acquis davantage de confiance au sein du groupe. Il s’agit de la partie centrale d’un atelier de jeu dramatique, dans le sens où c’est ici que l’apprentissage implicite se produit en proposant des tâches plus axées sur le sens que sur la forme, c’est-à-dire que les élèves sont amenés à se concentrer sur la coconstruction du « sens dans le contexte dramatique, un sens qui est aussi bien sensoriel et émotionnel que cognitif » (O’Toole et Dunn, 2020, p. 33). Pour que cette phase soit la plus expérientielle possible pour chaque individu, l’existence d’une tension dramatique semble particulièrement importante. Cette dernière est définie comme « l’électricité qui existe dans l'écart entre ce que les participants savent déjà et ce qu'ils veulent découvrir par le biais de la pratique du jeu dramatique, donc plus l'écart est grand, plus la pratique du jeu dramatique est électrique et excitante » (O’Toole et Dunn, 2020, p. 33). Cette tension dramatique est primordiale, car elle mène à un engagement fort et une motivation intrinsèque des participants et participantes en les gardant intéressés à la situation en jeu et aux personnages (O’Toole et Dunn, 2020). Il s’agit donc, à l’instar de l’enseignement des langues basé sur les tâches et des objectifs visés par la mise en place des tâches d’écarts d’informations, de fournir des contraintes, des défis qui stimuleront les apprenants et apprenantes en les amenant à devoir coconstruire ensemble afin d’atteindre les objectifs visés par la tâche proposée. Des éléments tels que la tâche à effectuer, un conflit, une énigme sont des aspects nourrissant cette tension dramatique et donc l’engagement des individus au sein de cette phase expérientielle. Soulignons que cette phase et la tension dramatique nécessaire mettent l’accent sur le potentiel des activités collaboratives. Son application suppose que les nouvelles connaissances soient construites conjointement par le biais d'une activité collaborative. Les nouveaux savoir-faire sont ensuite intériorisés par les apprenants et apprenantes, considérés comme des agents actifs de leur développement. Cette tension dramatique constitue donc un biais les engageant émotionnellement dans l’histoire et la situation d’apprentissage instaurée durant l’atelier.

Tableau 3

Plan de la phase expérientielle

Plan de la phase expérientielle

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Néanmoins, c’est lors de la dernière phase, soit la phase réflexive, que cesdits apprentissages implicites vont pouvoir être mis en lumière. Cette dernière phase est présentée dans le tableau 4 en proposant notamment les questionnements nécessaires afin de revenir sur l’expérience vécue durant l’atelier. En effet, cette étape de réflexion est essentielle aux ateliers de jeu dramatique, au même titre que la post-tâche préconisée dans l’enseignement des langues basé sur les tâches. Il est dorénavant important de prendre un temps avec les participants et participantes afin de rendre explicites les enseignements et apprentissages ainsi que les défis rencontrés. C’est notamment le moment où il est temps de mettre en lumière à la fois les nouvelles structures linguistiques qui ont émergé durant la phase expérientielle via des rétroactions et négociations de sens, mais aussi de s’assurer que les stratégies affectives déployées ont été comprises. De ce fait, ces réflexions métacognitives et métalinguistiques, soit discuter, réfléchir et partager ce qui vient d’être vécu collectivement et sur ses propres pratiques et stratégies est essentiel afin de conclure ces ateliers.

Tableau 4

Plan de la phase réflexive

Plan de la phase réflexive

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De cette explicitation, nous observons que chacun des six aspects est abordé dans l’atelier présenté :

(1) La création de l’espace potentiel, induit dès la phase initiative;

(2) L’affect comme matériau de travail, présent dans la phase initiative pour gagner en confiance et briser la glace, mais aussi dans la phase réflexive ou chaque individu est invité à réfléchir sur les stratégies affectives mises en place;

(3) La place du collectif, présent dans toutes tâches collaboratives et interactives comme c’est le cas dans la phase expérientielle;

(4) La décentration de soi, engagée lors de la phase expérientielle en interprétant un recruteur ou un candidat pour trois professions différentes;

(5) Le plaisir et la motivation, suscités à travers l’imagination et le caractère collaboratif nécessaires à l’accomplissement de la tâche de jeu dramatique proposée;

(6) L’emphase sur le corps, où chaque improvisation invite l’apprenant, l’apprenante à s’investir de manière holistique (verbalement et gestuellement) pour pouvoir incarner un nouveau personnage.

4. Conclusion

Cet article visait à présenter le rôle du jeu dramatique comme tâche pédagogique dans les classes de L2 comme soutien aux interactions et aux émotions vécues, intrinsèquement liées aux processus cognitifs. De cette explicitation, nous soulignons l’importance de mettre en place des tâches pédagogiques qui contribuent davantage à la conjugaison des différents langages verbaux, émotionnels et corporels afin de considérer l’apprenant, l’apprenante de manière holistique. Comme le souligne Alix (2013, p. 134) : « Le corps est un allié à la parole, il soutient la présence, l'immédiateté, la conscience, la foi en la possibilité de s'exprimer autrement. Il faut donc se débarrasser des chaises et des tables dans les classes de langue. Il faut mettre le corps en action, au centre de l'apprentissage des langues ». En ce sens, et pour plus de matériel pédagogique, nous suggérons l’ouvrage de Cahnmann-Taylor et McGovern (2021) qui présente une gamme conséquente de jeux dramatiques en L2, adaptés à tous les niveaux.