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1. Introduction

La classe de langue seconde est caractérisée par un paysage riche en émotions. D'un côté, les élèves éprouvent des émotions positives telles que le plaisir et la curiosité en découvrant une nouvelle langue et culture. De l’autre côté, les émotions négatives peuvent surgir lorsque les élèves éprouvent des difficultés à s'exprimer avec un système linguistique en développement ou à naviguer dans les ambiguïtés de la nouvelle langue et sa culture. Pour les personnes enseignantes comme pour les élèves, se retrouver dans ce paysage émotionnel dynamique, qui joue un rôle si important dans l'apprentissage des langues, peut être désorientant. L'objectif de cet article est donc d'offrir aux lectrices, lecteurs intéressés, une initiation à ce terrain émotionnel. Nous commençons par une définition de l’émotion et une description de son rôle dans l’apprentissage, avant de nous tourner vers la recherche sur les émotions et l’apprentissage des langues (anxiété langagière, plaisir langagier et expérience optimale) et les applications pratiques qui en découlent.

2. Que sont les émotions ?

Les émotions sont omniprésentes dans la vie quotidienne en y donnant sa teneur, sa texture et sa couleur. Elles déterminent ce à quoi nous prêtons attention et comment nous interagissons avec le monde. Ainsi, les émotions peuvent être définies comme des réponses physiologiques préconscientes et automatiques (coeur qui s'emballe, expression faciale) à des stimuli dans l'environnement interne (esprit, corps) ou externe (social, physique) qui créent des états affectifs (sentiments) une fois perçues et évaluées pour leur signification (cognition) (cf. Barrett, 2017; Damasio, 2012; Roth, 2018). Le rôle des émotions dans le fonctionnement humain consiste à attirer l'attention sur des objets pertinents dans l'environnement et à activer les processus physiologiques, cognitifs et comportementaux nécessaires pour y faire face (Roth, 2018).

La théorie contrôle-valeur des émotions d'accomplissement (control-value theory of achievement emotions) est très utile pour comprendre les causes des émotions en classe de langue, un environnement caractérisé par de fréquentes autoévaluations selon des normes sociales (comparaison de sa performance avec celles d’autres apprenants), individuelles (comparaison de sa performance actuelle avec celles du passé) et objectives (comparaison de sa performance avec des critères d'évaluation) (Pekrun, 2006). Dans un tel contexte, les élèves utilisent ces normes pour évaluer le degré de difficulté qu’elles, ils ressentent en faisant une tâche (contrôle bas/élevé) et la valeur de leur performance (positive/négative) (Pekrun, 2006). Pour illustrer cette situation, imaginez le coeur d'une élève qui s'emballe lorsqu’interpellée par l’enseignante qui lui pose une question à laquelle elle n'a pas de réponse. Elle évalue la réponse physiologique (coeur qui s'emballe) comme représentant un faible contrôle sur une performance potentiellement embarrassante devant ses pairs et qualifie l'expérience en utilisant les mots d’émotion peur et embarras anticipé. Imaginez maintenant une autre élève qui expérimente la même situation avec un sentiment de confiance et de contrôle et qui évalue la même réaction émotionnelle (coeur qui s'emballe) comme représentant une opportunité de montrer des prouesses linguistiques devant ses pairs. Elle pourrait qualifier l'expérience avec des mots d'émotion comme fierté et joie anticipée.

Les émotions d’accomplissement sont également influencées par la dimension temporelle des performances (Pekrun, 2006). Avant une tâche, les élèves qui anticipent un contrôle élevé et une performance positive peuvent ressentir une joie anticipée, tandis que celles et ceux qui anticipent des difficultés, de l'anxiété ou du désespoir. Pendant une tâche, les élèves qui ressentent un contrôle élevé et évaluent de manière positive leur performance peuvent éprouver du plaisir, tandis que celles et ceux qui éprouvent un contrôle faible et une performance négative vivent plutôt de la frustration. Après la tâche, les élèves qui attribuent une performance positive à leur propre effort (contrôle interne) peuvent ressentir de la fierté, tandis que celles et ceux qui attribuent le succès à l'aide des autres (contrôle externe), de la gratitude. De même, les élèves qui évaluent une performance comme négative peuvent ressentir de la honte si elles ou ils attribuent le résultat à leur propre manque de contrôle ou de la colère pour un contrôle externe (p. ex., un examen injuste).

Par ailleurs, selon Pekrun (2006), les élèves évaluent aussi la stabilité du contrôle qu’ils ressentent à l’égard d’une tâche. Par exemple, un échec attribué à un manque de compétence serait qualifié comme stable, tandis qu’un échec attribué à la fatigue, instable, la fatigue étant plus fluctuante que la compétence. Cette stabilité du contrôle influence ensuite les émotions en amont des expériences futures avec des tâches semblables. Les élèves qui attribuent une mauvaise performance à un manque de compétence (stable) plutôt qu'à un manque de préparation (instable) seraient vraisemblablement moins optimistes face à une tâche similaire à l'avenir. Cette connaissance des causes des émotions peut aider les enseignants à anticiper les émotions des élèves et à comprendre comment elles peuvent varier avant, pendant et après la réalisation de tâches. Face à des performances décevantes, les personnes enseignantes peuvent aider les élèves à retrouver un état d'esprit positif en recadrant des performances négatives comme résultant d'un contrôle instable plutôt que stable.

3. Le rôle des émotions dans l’apprentissage en général

Jusqu'à la vague neuroscientifique des années 1990, les émotions étaient reléguées aux marges de la recherche dans de nombreuses disciplines au profit d'une focalisation sur la cognition. Cependant, les nouvelles technologies de neuro-imagerie permettant l’observation de la structure du cerveau à l'oeuvre ont révélé que les régions émotionnelles, cognitives et linguistiques du cerveau forment un système hautement intégré qui régule l'action et l'apprentissage (Roth, 2018). Les émotions constituent donc une partie intégrante de l'apprentissage qui ne peut tout simplement pas être ignorée. Pour illustrer ce point, considérons comment la langue et la cognition façonnent les émotions, et comment les émotions façonnent à leur tour la cognition et l’apprentissage. 

La cognition et la langue façonnent les émotions. Revenons aux élèves hypothétiques présentées dans la section précédente. Si l'on considère uniquement les composantes physiologiques de leurs expériences émotionnelles, les deux ont eu des réponses très similaires (c.-à-d., le coeur qui s'emballe), mais leurs réponses cognitives, émotionnelles et comportementales étaient très différentes. Une élève a qualifié l'évènement avec les mots peur et embarras, tandis que l'autre, avec fierté. C'est cette utilisation de la langue (mots d'émotion) pour évaluer et qualifier l’évènement (cognition) qui complète l'expérience émotionnelle. Sans la langue, les émotions positives et négatives ne seraient que des expériences physiologiques amorphes et inquiétantes (cf., Barrett, 2017).

Les émotions façonnent la cognition et l’apprentissage. Les émotions à leur tour façonnent la cognition en dirigeant l'attention aux objets pertinents dans l'environnement et en déclenchent des schémas de pensée et d'action pour y faire face. Quant aux émotions négatives, elles servent de système de réponse rapide aux dangers potentiels dans l’environnement (LeDoux, 2012). Elles ont pour effet de focaliser l'attention sur la source potentielle du danger, et de déclencher un comportement protecteur (appréhension, combat), ce qui interfère avec l'apprentissage et la performance (Eysenck et Calvo, 1992). Quant aux émotions positives, elles jouent un rôle crucial dans l’épanouissement et le développement humain. Selon la théorie de l’élargissement constructif (the broaden-and-build theory), les émotions positives ont un effet d’expansion sur la cognition et incitent à l'exploration et à l'engagement avec l'environnement. C'est pendant les moments colorés par des affects positifs que se développent des compétences et des ressources essentielles à la survie et à l’épanouissement. Ces postulats sont soutenus par des études démontrant comment les émotions positives peuvent élargir la portée de l'attention dans des tâches de mémoire (Wadlinger et Isaacowitz, 2006) et les associations dans des tâches de recherche sémantique (Rowe et coll., 2007). La recherche ne laisse guère de doute sur le fait que les émotions jouent un rôle crucial dans l'apprentissage. Qu’en est-il maintenant du traitement des émotions en classe de langue seconde ?

4. Les émotions dans l’apprentissage des langues secondes

L'intérêt pour les émotions dans l’apprentissage des langues n'est certainement pas nouveau. En effet, de nombreuses recherches sur l'anxiété remontent aux années 1970 (p. ex., Scovel, 1978). Aujourd'hui, alors que la recherche sur l'anxiété langagière reste un domaine de recherche vigoureux et en expansion (cf. Gkonou, Daubney et Dewaele, 2017), les chercheuses, chercheurs commencent à s'intéresser aux émotions positives dans l'apprentissage des langues, examinant des construits tels que le plaisir langagier (p. ex., Dewaele et MacIntyre, 2014) et l'expérience optimale (p. ex., Zuniga, 2022). Dans ce qui suit, nous abordons chacun de ces trois domaines de recherche.

4.1. Anxiété langagière

Selon la théorie contrôle-valeur, l'anxiété est une émotion orientée vers l'avenir, déclenchée par la perception d'un faible contrôle et de résultats négatifs anticipés pour une performance à venir. Lorsque les élèves sont, par exemple, sur le point de se lancer dans une conversation en langue seconde, une multitude d'évaluations cognitives et affectives de la situation actuelle et des expériences passées dans des situations similaires tourbillonnent dans l’esprit et déclenchent des réactions émotionnelles qui déterminent l'action : « La dernière fois que je me suis lancée dans une telle conversation, j’avais l’air ridicule, tellement j’ai fait d’erreurs ! Si je me lance, je risque d'avoir l'air ridicule à nouveau; mais si je ne me lance pas, je me sentirai déçue et frustrée de ne pas avoir eu le courage de relever le défi. » La décision de ne pas participer à la conversation peut susciter la déception (évènement passé, contrôle interne, valence négative), et la décision de le faire, l'anxiété (évènement futur, contrôle faible, valence négative). Cette anxiété langagière est définie comme « l'inquiétude et la réaction émotionnelle négative suscitées par l'apprentissage ou l'utilisation d'une langue seconde[1] » (MacIntyre, 1999, p. 27). Elle peut nuire à l'apprentissage en réduisant l’engagement et détournant l'attention de la tâche vers le stimulus à l'origine de l'anxiété (p. ex., manque de compétences communicatives, peur d'être ridiculisé) (MacIntyre, 2017), ce qui porte entrave à toutes les étapes de l'apprentissage, depuis la détection, l'analyse et l'intégration de l'input linguistique jusqu'à la mobilisation de cet input dans les productions ultérieures (Gardner et MacIntyre, 1993). En effet, l’anxiété langagière nuit à la performance dans des tâches de production orale (Zuniga et Simard, 2022) et écrite (Couyavah et Zuniga, 2022).

Les sources d’anxiété langagière sont multiples. La recherche portant sur les différences individuelles montre que l’anxiété langagière est plus prononcée chez les élèves ayant moins de tolérance pour les erreurs et ayant tendance à se fixer des objectifs excessivement élevés (Gregersen et Horwitz, 2002), et moins prononcée chez les élèves extraverties (Dewaele, 2013) et émotionnellement stables (Dewaele et Al-Saraj Taghreed, 2015). Ces derniers s'adaptent plus facilement au paysage affectif et rebondissent plus rapidement après une émotion négative. Une autre cause de l’anxiété « émane de l'inconfort qu'éprouvent certains élèves lorsqu'ils doivent interagir dans la langue, mais qu'ils se sentent incapables de se présenter de manière authentique lorsqu'ils le font[2] » (Horwitz, 2017, p. 42). En effet, ces élèves peuvent percevoir la langue seconde comme une menace pour leur image d’eux-mêmes, l'identité étant intimement liée à la langue (Cohen et Norst, 1989). Une dernière grande source d’anxiété langagière est la perception chez les élèves d’un manque de compétence face à une tâche de langue (MacIntyre et Charos, 1996), et si ces défis entraînent des problèmes de performance devant les pairs, l’anxiété peut s'accompagner d'émotions sociales telles que l'embarras (Price, 1991). Qui plus est, cette anxiété langagière liée à la performance peut être exacerbée par une rétroaction corrective excessive (Simard et Zuniga, 2020) ou une compétitivité malsaine (Baily, 1983).

4.2. Le plaisir langagier

Le plaisir langagier[3] (foreign language enjoyment) est « une émotion complexe, capturant l’interaction dynamique entre défi et compétence perçus qui reflètent la volonté humaine de réussir face à des tâches difficiles[4] » (Dewaele et MacIntyre, 2016, p. 217). Par conséquent, ce sont les tâches qui impliquent un défi, un investissement personnel et un risque–et qui ont donc un potentiel d'anxiété–qui présentent les meilleures opportunités d’éprouver du plaisir langagier (Dewaele et MacIntyre, 2016). Ce plaisir peut être de nature sociale, se produisant lorsque les élèves se perçoivent comme performants devant leurs pairs, ou de nature privée, représentant « un sentiment interne de plaisir face aux défis » qui se caractérise par des sentiments de réussite et de fierté intérieure (p. 231). En d'autres termes, le plaisir langagier se produit lorsque les apprenants se perçoivent comme des utilisateurs compétents de la langue.

Cette émotion, que l’on peut qualifier « d’épistémologique », favorise à son tour l’apprentissage en suscitant l’engagement, l’exploration, et une cognition plus souple (p. ex., élargissement de l’éventail de schémas de pensée-action) (cf., Fredrickson, 2001). Pendant ces moments caractérisés par le plaisir langagier, les élèves construisent non seulement des compétences linguistiques à l’oral (Bielak, 2022) et à l’écrit (Couyavah et Zuniga, 2022), mais aussi un sentiment de familiarité et de confort avec la langue (Dewaele et MacIntyre, 2016).

Les sources de plaisir langagier en classe de langue relèvent des caractéristiques des élèves, de la tâche et des personnes enseignantes. Quant aux élèves, celles et ceux qui ont plus d’expérience en apprentissage des langues et qui évaluent leur propre niveau de compétences comme plus élevé que celui de leurs pairs ont tendance à éprouver plus de plaisir langagier (Dewaele et MacIntyre, 2014). En ce qui concerne les tâches, le plaisir survient aux moments où les élèves se sentent compétents en tant qu'utilisateurs de la langue en effectuant des tâches authentiques et porteuses de sens comportant un défi approprié. À leur tour, les personnes enseignantes peuvent renforcer le plaisir langagier en le reflétant elles-mêmes (Dewaele et coll., 2018) et en offrant aux élèves des encouragements et un espace sûr pour explorer et apprendre (Dewaele et MacIntyre, 2016).

4.3. L’expérience optimale dans la classe de langue

L’expérience optimale (flow) se définit comme un état de plein engagement associé à une attention focalisée, un sentiment de contrôle total sur les actions, des émotions positives et une performance accrue (cf., Csikszentmihalyi, 1990). Pendant ces moments-là, les élèves sont tellement focalisés sur la tâche qu'ils ne voient plus le temps passer. Plus spécifiquement, il s’agit d’un état psychologique caractérisé par une interaction harmonieuse entre les processus émotionnels et cognitifs. Cette expérience optimale se produit lorsque les gens sont en train d’effectuer des tâches significatives et porteuses de sens, qui suscitent l’intérêt et la curiosité (Tse et coll., 2021) et qui posent des défis qui poussent les gens à la limite de leurs compétences, sans être excessivement difficiles pour provoquer de l'anxiété (Csikszentmihalyi et Lefevre, 1989). Pendant une expérience optimale, les gens affirment avoir un sentiment d'autonomie et de contrôle parfait de leurs actions.

L'expérience optimale en classe de langue représente des conditions d'apprentissage optimales, car elle implique une expérience linguistique immersive (p. ex., attention fusionnée avec la tâche) dans la zone proximale de développement des apprenants. De plus, la nature agréable de l’expérience incite les élèves à passer plus de temps à s’entrainer avec la tâche. Puis au fur et à mesure que les compétences se développent par la pratique, les élèves doivent complexifier progressivement la tâche en ajoutant de nouveaux éléments, ce qui contribue à une « spirale vertueuse de développement » (Delle Fave et coll., 2011, p. 50). Les quelques études qui se sont penchées sur l'impact de l’expérience optimale sur l'apprentissage des langues semblent confirmer ces affirmations de la théorie (p. ex., Amini et coll., 2016; Engeser et coll., 2005).

L'apprentissage des langues est lui-même une activité d’expérience optimale par excellence, car le processus implique le développement de compétences complexes impliquant la manipulation de symboles selon un ensemble de règles pour produire du sens. Lorsque les tâches linguistiques sont significatives, adaptées au niveau de compétence, avec des objectifs clairs et une rétroaction constructive, les conditions sont réunies pour que l'attention se mêle à l'action, permettant aux élèves de vivre des expériences optimales. La recherche en classe de langue démontre que l’expérience optimale se produit plus souvent pendant des tâches communicatives impliquant une utilisation authentique de la langue (Aubrey 2017; Egbert, 2003; Zuniga, 2022), comportant un élément de nouveauté (Egbert, 2003, Zuniga, 2022) et une forme de concurrence saine (jeu, minutage) (Zuniga, 2022). Les activités authentiques qui favorisent l’expérience optimale sont souvent de nature ouverte et complexe, impliquant l’autonomie des élèves. Cette complexité peut entrainer une surcharge cognitive, provoquant des émotions négatives qui peuvent briser l’expérience optimale. Pour contrer cet effet de complexité, les personnes enseignantes peuvent amener les élèves à répéter les mêmes tâches afin de peaufiner les compétences nécessaires pour la tâche et de retrouver l’équilibre compétence-défi soutenant l’expérience optimale (Payant et Zuniga, 2022; Zuniga et Payant, 2021). En somme, les tâches authentiques et collaboratives qui donnent aux élèves un sentiment d’autonomie et de compétence semblent favoriser l’expérience optimale en classe.

5. Vers des conditions affectives optimales en classe de langue

Ce qui ressort de notre discussion, c’est que les émotions, la cognition et la langue font partie intégrante de tout apprentissage. En effet, les émotions signalent aux élèves à quoi prêter attention (à la tâche, aux inquiétudes, à la rêvasserie) et comment s'engager avec l’objet de cette attention (avec engagement, appréhension, ambivalence). Le message semble clair : favoriser l’apprentissage en atténuant les émotions négatives et en stimulant les émotions positives. Il faut pourtant préciser que l'objectif ne doit pas être d'éradiquer toutes les émotions négatives de la classe. Fredrickson (2013) compare une trop grande positivité à un bateau sans gouvernail qui est ballotté par les vagues. Ce gouvernail maintient le bateau sur sa trajectoire, de la même manière qu’une utilisation parcimonieuse de la rétroaction corrective sert à naviguer la trajectoire du développement linguistique chez les élèves. Comme personnes enseignantes, notre travail consiste donc à créer des conditions affectives, cognitives et linguistiques favorables à l'apprentissage dans un paysage émotionnel riche et parfois périlleux. Pour ce faire, la recherche nous indique quelques pistes : (1) aider les élèves à trouver du sens dans la classe de langue, (2) aider les élèves à se sentir compétents en classe de langue, (3) favoriser la collaboration, (4) attirer et structurer l’attention des élèves.

Aider les élèves à trouver du sens dans la classe de langue. L'importance du sens est un thème qui revient dans la recherche sur les émotions. Lorsque le cerveau parvient à dégager un sens à un nouvel objet dans son environnement (c.-à-d., apprentissage), les centres de récompense du cerveau sont inondés de neurotransmetteurs (c.-à-d., dopamine) qui rehaussent l’attention et la concentration et déclenchent la motivation, la curiosité, et un sentiment de bien-être (Roth, 2018). De même, les objets ambigus, confus ou incompris réduisent ces récompenses et déclenchent des émotions négatives et des réponses neurologiques semblables à la douleur physique (Roth, 2018). En tant qu'enseignantes et enseignants, nous pouvons favoriser des émotions positives en veillant à ce que les élèves dégagent un sens de leur apprentissage, à la fois au microniveau (que signifie ce mot, cet énoncé ou ce texte ?), au mésoniveau (pourquoi est-ce que je fais cette tâche ?) et au macroniveau (pourquoi est-ce que j'apprends cette langue ?).

Aider les élèves à se sentir compétents en classe de langue. Selon la théorie contrôle-valeur, les émotions positives émergent en classe lorsque les élèves associent un haut degré de contrôle et une performance positive à une tâche. En phase prétâche, des consignes claires et la modélisation sont essentielles pour établir un sentiment de contrôle. Il faut ensuite moduler l’importance relative de la tâche communiquée aux élèves. En effet, souligner l'importance d'une tâche augmente les enjeux et peut accroître l'anticipation et le plaisir chez les apprenants à haut niveau de contrôle, mais aussi l'anxiété chez les apprenants à faible niveau de contrôle. Pendant la tâche, il faut gérer le plaisir et la frustration en maintenant un environnement stimulant et amical, en offrant du soutien et de l'encouragement (p. ex., rétroaction positive) et en limitant la rétroaction corrective à des bris de compréhension, aux erreurs persistantes ou aux erreurs liées aux objectifs d’apprentissage. On peut aussi prévoir une certaine souplesse dans la mise en oeuvre des tâches afin de tenir compte des différences individuelles (p. ex., utilisation parcimonieuse d'autres langues dans son répertoire linguistique, adaptation de la complexité de la tâche selon ses intérêts et ses compétences). Après la tâche, on peut aider les élèves à bien cadrer leur perception de contrôle par rapport aux résultats obtenus–par exemple, attribuer un résultat décevant à un contrôle interne instable (manque de préparation) susciterait plus d’espoir chez l’élève face à une tâche semblable à l’avenir.

Favoriser la collaboration. La recherche suggère que les enseignants peuvent améliorer l'ambiance affective en classe en favorisant les tâches collaboratives qui impliquent un besoin d'échanger des informations (Zuniga, 2022). On peut, par exemple, transformer une tâche d'écriture individuelle en une tâche collaborative et répartir les informations nécessaires à sa réalisation entre les apprenants. Cette collaboration impliquera une utilisation authentique de la langue et offre aux élèves des occasions de tisser des liens sociaux et de bénéficier de l'étayage qui se produit lorsque les apprenants négocient le sens de la tâche, soit des conditions favorisant les facteurs fondamentaux soutenant les émotions positives et la motivation intrinsèque (cf. Csikszentmihalyi, 1990; Ryan et Deci, 2000).

Structurer l’attention des apprenants. Les travaux de Csikszentmihalyi ont montré que les gens sont plus heureux pendant les moments où leur attention est structurée par la réalisation de tâches significatives. Pour accrocher l’attention, les tâches doivent être authentiques et avoir un but significatif qui correspond aux intérêts, aux objectifs et aux compétences des élèves. La structuration de l’attention peut être ensuite rehaussée avec un certain degré de stress eudémonique (stress positif et facilitant); par exemple, en introduisant un élément de jeu à une tâche authentique (système de pointage, minutage, compétition saine). De plus, le cerveau étant un vrai détecteur de nouveauté, on peut canaliser l'attention et augmenter l'expérience optimale en intégrant de la nouveauté dans les pratiques (surprises, nouvelles techniques, nouvelles informations et complexités, nouveaux partenaires, etc.). Ces techniques sont parmi les prédicteurs les plus forts de l’expérience optimale en classe de langue (Zuniga, 2022 ; Zuniga et Rueb, 2018).

6. Conclusion

Nous espérons que ces quelques lignes fourniront aux lecteurs un cadre simple pour réfléchir aux émotions en classe de langue. Bien qu'il n'existe pas de recette unique pour gérer les émotions en classe, une bonne connaissance de leur fonctionnement peut aider les enseignantes et enseignants à naviguer avec succès dans le paysage émotionnel dynamique et imprévisible de la classe de langue.