Corps de l’article

Liste des sigles

ACF

Assemblée communautaire fransaskoise

ACFA

Association canadienne-française de l’Alberta

AFO

Assemblée de la francophonie de l’Ontario

AGA

Assemblée générale annuelle

CA

Conseil d’administration

CFSM

Communautés francophones en situation minoritaire

CLOSM

Communautés de langue officielle en situation minoritaire

CRHS

Conseil de recherches en sciences humaines du Canada

ECC

Ententes Canada-communautés

FANE

Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse

FCFA

Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada

FFCB

Fédération des francophones de la Colombie-Britannique

FFTNL

Fédération des francophones de Terre-Neuve et du Labrador

ICRML

Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques

LLO

Loi sur les langues officielles du Canada

OBNL

Organisme à but non lucratif

OPP

Organisme porte-parole

PDC

Plan de développement communautaire

SAF’Île

Société acadienne et francophone de l’Île-du-Prince-Édouard

SANB

Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick

SFM

Société franco-manitobaine

Introduction

Publié dans le cadre d’un numéro de Minorités linguistiques et société/Linguistic Minorities and Society qui vise à souligner le 10e anniversaire de la revue et le 20e anniversaire de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques (ICRML), le présent texte est l’occasion de revenir sur mon parcours de chercheur sur la gouvernance des communautés francophones en situation minoritaire (CFSM). Lors de mon embauche à l’ICRML en 2003, j’avais soumis une demande de subvention au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) afin de réaliser un projet portant sur ce qu’on appelait alors les ententes Canada-communautés (ECC), un programme du ministère fédéral de Patrimoine canadien qui visait à appuyer le développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM).

J’avais pris connaissance de l’étude de Linda Cardinal et Marie-Ève Hudon (2001), La gouvernance des minorités de langue officielle au Canada : une étude préliminaire, qui montrait que la gouvernance dans le domaine des langues officielles tendait à favoriser une approche horizontale. Concernant plus particulièrement les ententes Canada-communautés, les autrices ont constaté que certains défis se posaient notamment en ce qui a trait à l’efficacité de ces mécanismes, à la reddition de comptes et aux relations entre les acteurs (bureaucratisation accrue, tensions, voire conflits). En conclusion de leur analyse, Cardinal et Hudon proposaient de mener davantage d’études sur ce thème : « Des études plus poussées de la question de la gouvernance des minorités de langue officielle seront utiles afin de bien en explorer toutes les dimensions et tous les enjeux » (p. 7). J’y voyais un chantier de recherche prometteur et pertinent. Le projet que j’avais soumis au CRSH, et qui fut financé en 2004, visait à poursuivre dans la voie tracée par ces deux autrices, en abordant la gouvernance des communautés francophones en situation minoritaire. L’étude des ECC m’apparaissait pertinente, car ces ententes marquaient un changement d’approche du gouvernement canadien et encourageaient les groupes francophones à définir un plan de développement communautaire (PDC). Elles répondaient à une aspiration des CFSM, qui souhaitaient prendre en charge leur développement ou, comme le dira plus tard Rémi Léger (2014), leur désir d’habilitation.

S’inspirant notamment de l’approche théorique de Jürgen Habermas (1987), mon étude de cas, menée dans trois provinces (Colombie-Britannique, Manitoba et Nouveau-Brunswick), avait montré que les ECC avaient favorisé une rationalisation de type instrumental et de type communicationnel des activités communautaires (Forgues, 2007). Instrumental, car l’élaboration d’un plan de développement pour la communauté francophone d’une province donnée exigeait de définir des objectifs en fonction d’une vision collective du développement, ainsi que des moyens d’atteindre ces objectifs. Puisque cette planification concernait la communauté et qu’elle reposait sur la mobilisation et l’action collective de plusieurs groupes francophones, elle requerrait une rationalisation de type communicationnel, car elle devait se faire en mettant en place des mécanismes de décision collective afin que les choix effectués reflètent les aspirations des CFSM et acquièrent une certaine légitimité. Cela supposait de mener des consultations au sein de la communauté (ce qui était une exigence du programme gouvernemental) et que les représentants des organismes communautaires délibèrent par la suite pour élaborer le PDC. L’étude avait relevé par ailleurs certaines limites de la gouvernance communautaire qui s’est instaurée dans le cadre des ECC. Elle montrait un empiètement de la logique bureaucratique de l’État canadien sur le travail des organismes qui devaient rendre compte de leurs actions et de leur utilisation des montants reçus. Si les ECC semblaient répondre à un désir des groupes communautaires de prendre davantage en charge le développement de leur communauté, elles ont favorisé, de manière paradoxale, une dépendance administrative et une dépendance financière accrues envers le gouvernement canadien. Enfin, dans la même veine que Wilfrid Denis (1994), j’utilisais le concept de néocorporatisme pour décrire un mode de gouvernance qui reposait moins sur la délibération citoyenne que sur la négociation entre des groupes d’intérêts.

Je crois opportun et pertinent de revenir sur ce terrain d’enquête une quinzaine d’années après cette étude. Le programme ECC a changé de nom et s’appelle aujourd’hui Ententes de collaboration. Pour l’essentiel, ce programme n’a pas subi de changements majeurs avec les années. Il relève du volet Collaboration avec le secteur communautaire du Programme d’appui aux langues officielles de Patrimoine canadien. On peut lire sur le site Web du gouvernement canadien :

les ententes visent à s’assurer de la mise en place de mécanismes nécessaires afin de :

  • Déterminer les enjeux de développement de la communauté;

  • Établir les priorités d’action et les résultats visés;

  • Cibler des interventions intra ministérielles, interministérielles et intergouvernementales;

  • Bénéficier des connaissances communautaires dans l’orientation des décisions de financement et l’élaboration des politiques publiques et des programmes. (Gouvernement du Canada, 2022)

Par rapport à mon étude réalisée dans les années 2000, je souhaite cette fois-ci prendre du recul pour brosser un portrait de l’ensemble des mécanismes de gouvernance dans l’ensemble des communautés francophones dans les provinces en analysant certaines dimensions précises de la prise de décisions collectives[1]. Une telle analyse descriptive n’a pas été faite à ce jour, et elle m’apparaît essentielle afin d’enrichir notre compréhension des modèles de gouvernance dans les CFSM. Mais tout d’abord, nous verrons dans la section qui suit quelques éléments contextuels qui favorisent la mise en place des mécanismes de gouvernance communautaire.

1. Origine de la gouvernance communautaire francophone

La décennie 1960 a été un moment décisif pour le Canada français, tant dans sa composante institutionnelle que sur le plan symbolique. On a assisté au déclin de l’Église-nation, qui offrait un cadre institutionnel au Canada français (Laniel, 2015). Elle a aussi été témoin des États généraux du Canada français, où est apparue au grand jour la divergence entre le projet nationaliste québécois et celui de la francophonie canadienne (Laniel et Thériault, 2016). Cette dernière a redéfini ses références symboliques et son action dans un nouveau cadre institutionnel qui se développera grâce notamment à l’appui du gouvernement canadien à la suite de l’adoption de la Loi sur les langues officielles en 1969 (Martel, 1997). Des organismes porte-paroles ont été créés dans les provinces où il n’y en avait pas. Ceux-ci se sont fédérés au sein d’un organisme porte-parole (OPP) national créé en 1975, la Fédération des francophones hors Québec, appelé aujourd’hui la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA).

La deuxième Loi sur les langues officielles (LLO), adoptée en 1988, engage formellement le gouvernement à « favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement » (paragr. 41[1]). Cette disposition de la LLO sera renforcée en 2005 par l’ajout du paragraphe 41(2), qui dit : « Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises des mesures positives pour mettre en oeuvre cet engagement. »

Le gouvernement canadien a désormais l’obligation d’appuyer le développement des communautés. Il le fait en s’associant avec un nombre croissant d’organismes qu’il finance, dans le cadre de plusieurs ententes de partenariat entre lui et les acteurs de la société civile. Au fil des années, on voit se multiplier les organismes francophones et acadiens qui agissent dans des secteurs d’activité ou pour des groupes particuliers de la population (Allain, 2004). En collaboration avec les acteurs francophones, le gouvernement canadien met en place de nombreuses structures de gouvernance partagée entre les représentants du gouvernement et ceux de la communauté (Cardinal et al., 2008).

Parmi les nombreuses pratiques de gouvernance, celles découlant des ECC ont retenu mon attention en raison de leur rôle dans l’élaboration du PDC. Les ECC sont issues d’un projet pilote réalisé en Saskatchewan à partir de 1988 (Denis, 1994). En 1993, la FCFA demande au gouvernement canadien d’étendre ce nouveau modèle de collaboration aux autres provinces (FCFA, 1993). Le gouvernement mène ensuite des consultations auprès des groupes communautaires afin d’explorer la mise en place d’un mode de collaboration horizontal (Patrimoine canadien, 1994). Les premières ententes sont signées en 1994 et les ECC s’étendront à l’ensemble des provinces et territoires. Les ECC requièrent que, dans chaque province et territoire, les communautés francophones élaborent des mécanismes de gouvernance communautaire qui réunissent les principaux organismes francophones afin que ceux-ci puissent partager des informations, se concerter et faire des choix collectifs en ce qui concerne leur développement. C’est donc dans ce contexte que le gouvernement canadien et les groupes communautaires francophones tentent de définir un cadre de collaboration et que se met en place la gouvernance des CFSM (Forgues, 2022; Fournis, 2017).

2. Objet d’étude

L’objet du présent texte consiste à contribuer à une meilleure compréhension des instances qui sont au coeur de la gouvernance communautaire en contexte francophone et des modalités prévues pour la prise de décisions collectives et l’élaboration des plans de développement des CFSM. Le mode de prise de décisions collectives est au centre de l’organisation communautaire en contexte francophone minoritaire. Étant donné que l’OPP occupe une position centrale dans la communauté et au sein de la gouvernance communautaire, l’examen de sa gouvernance est également pertinent pour comprendre plus largement la gouvernance communautaire. Il importe cependant de distinguer la gouvernance organisationnelle de la gouvernance communautaire. La gouvernance organisationnelle concerne les principes encadrant l’exercice du pouvoir et de la prise de décisions au sein d’une organisation afin de lui permettre de poursuivre sa mission. Ces principes sont définis dans les statuts et règlements de l’organisme (Johnson, 2014). La gouvernance communautaire désigne le mode de prise de décisions collectives à l’égard des orientations et du développement de la communauté[2]. La gouvernance communautaire est donc collective au sens où les décisions prises concernent l’avenir de la communauté et au sens où ces décisions sont prises collectivement. Les mécanismes de gouvernance communautaires constituent le lieu du politique des CFSM, c’est-à-dire que c’est grâce à eux que les CFSM peuvent aspirer à une certaine autonomie et à une prise en charge de leur développement (Forgues, 2014; LeBlanc, 2005).

Aux fins du présent article, je me suis concentré sur les règles présidant à la prise de décisions au sein de l’OPP de la communauté francophone ainsi que dans la communauté lors de l’élaboration d’un PDC, appelé généralement plan de développement global[3]. Plus précisément, j’ai examiné les catégories de membres, de groupes ou d’individus qui sont autorisés à participer à la prise de décisions au sein des instances de gouvernance, en relevant qui a le droit de vote lors des assemblées générales et qui peut siéger au conseil d’administration de l’OPP. Par ailleurs, j’ai analysé les procédures prévues pour déterminer les axes et les priorités de développement des communautés. J’ai examiné qui est responsable de diriger la planification communautaire et quelles sont les grandes étapes pour mener cette planification. Enfin, je me suis demandé si la question de la légitimité des modalités de la prise de décisions est abordée dans les documents et, le cas échéant, la manière dont elle l’était. À cet effet, j’ai analysé les statuts et règlements de l’OPP et le PDC de chaque province (voir la section des compléments bibliographiques en fin d’article).

3. La gouvernance des organismes porte-paroles

3.1. Les catégories de membres

Pour comprendre la gouvernance communautaire en contexte francophone, je me suis intéressé aux structures décisionnelles qui sont en place, en commençant par l’OPP. Sans analyser en détail la gouvernance organisationnelle interne de chaque OPP, il est pertinent de cerner les catégories de membres de l’organisme, et celles auxquelles le droit de vote est accordé lors des assemblées générales annuelles (AGA).

Le tableau suivant montre que plusieurs types de membres sont admissibles dans les OPP. Dans le cas de la SANB, la SFM, l’ACF et l’ACFA, seuls les citoyens peuvent en être membres, tandis que seuls les organismes peuvent être membres de la FFTNL, la FANE et la FFCB. Quant à la SAF’Ile, tant les citoyens que les organismes peuvent en être membres. Habituellement, les membres des organismes peuvent voter. Cependant, à l’AFO, si les citoyens et les organismes peuvent être membres de l’organisme, seuls les organismes peuvent voter.

Tableau 1

Les catégories de membres des organismes porte-paroles[4]

Les catégories de membres des organismes porte-paroles4

*sans droit de vote

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Plusieurs critères sont mentionnés afin de déterminer l’admissibilité au statut de membre. Du côté des membres individuels, ces critères comprennent l’obligation d’habiter le territoire (ACFA, SAF’Île, SANB, ACF), le désir de participer aux activités de l’organisme (SAF’Île), l’adhésion à la mission de l’OPP (ACFA, SFM, ACF), la connaissance du français (SFM, ACF), la promotion du français (ACF) et un âge minimal de 16 ans (SAF’Île, SFM, ACF) ou de 19 ans (SANB).

De leur côté, pour être admissibles au statut de membre, les organismes doivent être des OBNL (FFCB, SFM, AFO), adhérer à la mission de l’OPP et/ou promouvoir la francophonie (FFCB, SAF’Île, AFO), avoir une structure élective (FFCB, SAF’Île), être désignés francophones ou fonctionner en français (FFTNL, FFCB, FANE, SFM[5]), offrir des services en français (SFM), s’insérer dans un des secteurs d’activité définis ou représenter un groupe précis (SFM), avoir un mandat provincial (FFTNL et FANE) ou être des OPP régionaux (FFTNL et FANE).

En plus des membres actifs, plusieurs organismes reconnaissent des catégories de membres honoraires, appelés parfois de soutien. Ce sont les membres actifs qui ont généralement le droit d’élire des administrateurs et de voter lors des assemblées générales.

À l’ACFA, il existe trois catégories de membres ayant droit de vote : les membres actifs, les membres à vie et les membres émérites. Les membres émérites sont nommés par le conseil d’administration (CA). À la FFCB, en plus des membres actifs, il y a des membres de soutien sans droit de vote. À la SAF’Île, en plus des membres actifs, il existe une catégorie de membres bienfaiteurs, qui ont fait un don de 500 $ (ou plus), et une catégorie de membres honoraires, qui sont choisis par le CA. Ces deux catégories de membres n’ont pas droit de vote. À la FFTNL, en plus des membres votants, il existe une catégorie de membres associés ayant le droit de parole, mais non le droit de vote pour des organismes qui se dévouent à la « cause canadienne-française » et qui oeuvrent pour l’épanouissement de la francophonie dans la province. Au Manitoba, en plus des membres votants, un statut de membre associé est accordé à des individus âgés de 16 ans ou plus qui comprennent le français et qui ne résident pas au Manitoba.

En résumé, plusieurs modèles de gouvernance organisationnelle existent parmi les OPP des CFSM. Les membres votants peuvent être exclusivement des citoyens ou des organismes, voire les deux catégories.

3.2. Le conseil d’administration

Une autre dimension importante de la gouvernance communautaire est la composition du conseil d’administration de l’OPP et les règles précisant qui peut y siéger. Le tableau suivant présente la composition des CA des divers OPP et les restrictions prévues dans certains cas. Le nombre d’administrateurs varie de huit à 22. La composition varie également d’une province à l’autre.

Dans toutes les provinces, l’exécutif, c’est-à-dire la présidence, la vice-présidence (et parfois le secrétariat), est composé de personnes élues parmi les membres individuels qui ne représentent pas d’organisme. Dans certaines provinces (T.-N.-L., N.-É., C.-B.), les autres sièges sont occupés par des représentants d’associations régionales. En Saskatchewan, il s’agit seulement d’individus élus dans différentes régions. Dans les autres provinces, il s’agit d’une composition mixte où se retrouvent des représentants d’associations régionales, sectorielles ou vouées à la défense des intérêts de groupes particuliers de la population.

Tableau 2

Composition des conseils d’administration

Composition des conseils d’administration

Tableau 2 (suite)

Composition des conseils d’administration

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4. L’espace de concertation des organismes

Les ententes de collaboration signées entre les communautés francophones et Patrimoine canadien prévoient que les organismes francophones mettent en place des mesures pour déterminer collectivement les axes ou les priorités de développement de la communauté. Par exemple, l’entente de collaboration avec l’Alberta mentionne :

La concertation permettra l’articulation des besoins et des priorités de développement de la communauté. Elle pourrait conduire à l’élaboration d’un Plan de développement global qui définit l’ensemble des enjeux de développement et qui fait l’arrimage entre les contributions des différents acteurs de changement de la société. Cette concertation permettra d’établir les priorités de financement et de cibler les activités de concertation interministérielle et de collaboration intergouvernementale.

Patrimoine canadien et Association canadienne-française de l’Alberta, 2011, p. 5

On peut lire une disposition similaire dans l’entente de collaboration avec l’Ontario :

Gestionnaire de la présente Entente de collaboration, l’AFO engage les organismes, les institutions ainsi que la collectivité francophone dans l’exercice visant l’élaboration, la mise en oeuvre et l’évaluation continue d’un plan stratégique communautaire. Principale responsable de la concertation, elle mise sur la multiplication des échanges et des collaborations, en plus d’engager les acteurs dans une mesure collective du progrès réalisé par rapport à la vision collective du développement et de l’épanouissement de la francophonie ontarienne.

Patrimoine canadien et Assemblée de la francophonie de l’Ontario, 2010, p.4

Dans toutes les provinces, les organismes francophones ont développé des moyens de se concerter. Ceux-ci permettent de réunir les organismes qui ont un mandat provincial et qui travaillent à assurer l’épanouissement de la communauté francophone dans certains secteurs d’activité et pour des segments particuliers de la population (jeunes, femmes, aînés, etc.). Comme le montre le tableau suivant, l’OPP assume un rôle au sein de cet espace de concertation, qui varie selon les provinces.

Tableau 3

Structures de gouvernance communautaire[6]

Structures de gouvernance communautaire6

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4.1. L’élaboration des plans de développement communautaire

Dans la présente section, l’analyse porte sur les PDC en vigueur dans les provinces. Voici les plans qui ont fait l’objet de l’analyse.

Tableau 4

Les plans de développement communautaire étudiées[7]

Les plans de développement communautaire étudiées7

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L’élaboration des PDC est une exigence du volet Collaboration avec le secteur communautaire du Programme d’appui aux langues officielles de Patrimoine canadien, qui finance les organismes et leurs projets[8]. Ces plans servent de référence pour déterminer les projets financés et les montants accordés aux organismes. Dans le plan de la communauté franco-colombienne, on rappelle qu’il s’agit d’une exigence du programme de financement de Patrimoine canadien :

Établir une stratégie commune pour l’ensemble de la communauté franco-colombienne et élaborer les grandes orientations qui guideront ses actions d’ici 2024, voici les tâches confiées à la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique (la Fédération) par le Ministère du Patrimoine canadien.

FFCB, s.d.b, p. 3

Dans le PDC de la communauté francophone de Terre-Neuve-et-Labrador, on souligne que le programme incite la communauté à se responsabiliser à l’égard de son développement : « La gestion de l’Accord de collaboration incite la communauté francophone et acadienne à se responsabiliser davantage surtout lorsqu’elle définit ses orientations et pose les actions nécessaires à l’égard de son développement » (FFTNL, 2015, p. 3).

L’élaboration d’un PDC suppose de définir une vision du développement de la communauté, des valeurs, une mission, des objectifs et des moyens de les atteindre. La démarche suivie pour élaborer les plans repose dans certains cas sur une analyse environnementale des forces, faiblesses, opportunités (occasions) et menaces. C’est le cas notamment à Terre-Neuve-et-Labrador et en Nouvelle-Écosse.

Par ailleurs, la démarche pour élaborer ces plans fait appel à des compétences particulières dans la planification collective. Les organismes qui mènent la planification communautaire sont dans la plupart des cas accompagnés par une firme de consultation qui possède un savoir-faire dans ce type d’exercice et qui aide les organismes à mener leurs consultations, à recueillir les données et à élaborer le PDC. Si une telle firme appuie la démarche, les OPP de la communauté en demeurent responsables. Le tableau suivant présente l’instance qui dirige la démarche d’élaboration des plans dans chaque province. Dans cinq provinces, c’est l’OPP qui dirige la démarche de planification communautaire, alors que dans trois autres provinces, celle-ci est plutôt menée par plusieurs organismes. Il est à noter que le Manitoba a confié cette démarche à un comité de citoyens.

Tableau 5

Direction de la démarche d’élaboration du plan de développement

Direction de la démarche d’élaboration du plan de développement

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4.2. Les étapes menant à l’adoption du PDC

L’analyse montre que les organismes suivent plusieurs types de démarches pour élaborer, valider et adopter le PDC. La firme engagée pour accompagner l’exercice de planification communautaire mène généralement les consultations pour, à partir des informations obtenues, élaborer une version préliminaire du plan, qui sera ensuite discutée et validée par les organismes. L’étape finale, avant celle de la mise en oeuvre, consiste à adopter officiellement le PDC.

Dans certaines provinces, l’élaboration du PDC repose uniquement sur des discussions entre les représentants d’organismes. En Nouvelle-Écosse, c’est le conseil provincial des membres de l’OPP qui a élaboré et validé le plan. Ce conseil est composé d’organismes qui exercent leur action dans des secteurs précis ou qui défendent des segments particuliers de la population, ainsi que des organismes régionaux. En Saskatchewan, la consultation s’est faite auprès de la table des élus, de l’assemblée des députés, du comité exécutif et du forum associatif (qui regroupe les organismes). En Colombie-Britannique, le PDC résulte du travail de concertation entre les membres de l’OPP qui, rappelons-le, sont des organismes régionaux et sectoriels. Deux firmes de consultation ont appuyé le travail de planification en organisant des tables rondes, des sondages et des ateliers. Le PDC a été validé lors d’une réunion des membres organisée par l’OPP.

Dans d’autres provinces, les discussions entre les représentants d’organismes s’accompagnent d’activités de consultation de la population. Ces dernières peuvent se faire par sondage, comme à Terre-Neuve-et-Labrador, à l’Île-du-Prince-Édouard, en Ontario, au Manitoba, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique. En plus de sondages, certaines provinces vont aussi mener des forums de discussion (Parle-Ouères au Nouveau-Brunswick) ou des cafés citoyens pour consulter directement la population. C’est le cas à Terre-Neuve-et-Labrador, au Nouveau-Brunswick et au Manitoba.

4.2.1. La démarche au Nouveau-Brunswick

Rendu public à l’été 2022, le Plan stratégique communautaire de la communauté acadienne du Nouveau-Brunswick (SANB, 2022) résulte d’une démarche de planification collective amorcée en juin 2021. Lors de la première étape, un sondage a été de mené à l’été 2021, auquel ont participé plus de 400 répondants, ce qui comprend des individus et des représentants d’organismes. À la fin de l’été 2021, des consultations ont également été menées auprès de fonctionnaires fédéraux et provinciaux, ainsi que des regroupements acadiens de l’extérieur de la province. À l’automne 2021, cinq Parle-Ouères, c’est-à-dire des forums citoyens, ont ensuite été organisés en ligne sur les thèmes suivants : 1) l’accès aux services en français, 2) la démographie et la vitalité économique, 3) la gouvernance locale et la pleine municipalisation, 4) la vitalité culturelle, l’identité et le sentiment d’appartenance, et 5) la concertation communautaire et la participation citoyenne. Toujours à l’automne 2021, deux ateliers virtuels ont été menés avec les organismes communautaires. Au printemps 2022, des consultations auprès des organismes ont permis de préciser les axes qui ressortent pour le plan stratégique.

4.2.2. La démarche en Alberta

Dans le cas de l’Alberta, même si elles ne visent pas expressément l’élaboration du PDC, de nombreuses consultations citoyennes et communautaires qui ont lieu dans divers secteurs, dans diverses régions et auprès de divers groupes de la population alimentent la réflexion des membres du forum communautaire lors de sa rédaction. Le PDC comprend une section qui s’intitule « Cadre stratégique ». Celui-ci a été élaboré par le forum des organismes francophones de la province. C’est ce cadre qui est utilisé pour choisir les organismes et les projets qui devraient bénéficier d’un financement dans le cadre du programme Développement des communautés de langue officielle de Patrimoine canadien : « Le cadre stratégique servira comme boussole tant au ministère pour l’analyse des demandes, qu’aux participants pour la préparation de demandes de financement » (ACFA, 2019, p. 10). Ce cadre est au coeur du PDC de la communauté. Par ailleurs, une section du PDC présente l’« architecture communautaire de la francophonie albertaine », c’est-à-dire l’OPP et ses membres, ainsi que les chefs de file des secteurs et des groupes particuliers de la population francophone. À cet égard, des ententes ont été conclues entre l’OPP et les chefs de file afin de préciser l’engagement de l’OPP à appuyer les chefs de file dans leur travail, ainsi que l’engagement de ces derniers à élaborer un cadre de concertation provinciale et à mettre en oeuvre le PDC dans leur secteur ou auprès de leur clientèle.

4.2.3. Le cas de la communauté francophone du Manitoba

La démarche suivie par la communauté francophone du Manitoba pour produire son plan stratégique communautaire se distingue de celles des autres provinces. Elle se distingue d’abord par la période visée par le plan, soit 20 ans, mais aussi par le fait qu’elle se voulait résolument citoyenne. L’élaboration du plan stratégique communautaire fut précédée par des états généraux menés entre décembre 2014 et septembre 2015 grâce à la tenue de cafés citoyens et de sondages (de Moissac et al., 2016). Les États généraux de la francophonie manitobaine 2015 ont été organisés par un comité directeur formé de citoyens et de citoyennes accompagnés d’une équipe de chercheurs dirigée par Danielle de Moissac, de l’Université de Saint-Boniface. Les cafés citoyens ont été conçus pour répondre à différents publics et ont consisté en « des consultations privées, institutionnelles et publiques [et] ont eu lieu entre autres autour de tables de cuisine, dans des milieux de travail et dans des salles de rencontres communautaires » (de Moissac et al., 2016, p. 1). Cet exercice a permis de produire un rapport (de Moissac et al., 2016) à partir duquel fut élaboré le Plan stratégique de la francophonie du Manitoba 2017-2035 (SFM, 2016). À cette fin, une firme de consultation a été retenue pour animer un grand rassemblement de la francophonie manitobaine dans le but de dégager des thèmes et des résultats à atteindre, puis d’élaborer le plan stratégique. La firme a par la suite produit une ébauche qui a été rendue publique afin d’entamer l’exercice de validation qui a pris appui sur cinq rencontres communautaires auprès de citoyens et de citoyennes, ainsi que des représentants d’organismes et d’institutions.

À la suite d’un tel processus de consultation, l’organisme affirmer qu’en raison « de la démarche citoyenne mise en place et du niveau de participation à chacune des étapes [...], le plan stratégique communautaire proposé dans ce document est bien celui de l’ensemble de la francophonie manitobaine » (SFM, 2016, p. 7). La version finale du plan a ensuite été soumise au vote à l’assemblée générale extraordinaire de la Société franco-manitobaine.

En résumé, l’élaboration du PDC suit des démarches qui se distinguent notamment selon le degré de participation des organismes et des citoyens dans ce processus. À un extrême, le modèle de gouvernance est concentré entre les mains des organismes qui bénéficient généralement du financement auquel donne lieu le PDC. À l’autre extrême, la gouvernance est assurée par un comité de citoyens et s’appuie largement sur la participation citoyenne. Entre ces deux extrêmes, on observe des modèles hybrides qui s’appuient sur des consultations auprès des citoyens et des organismes.

4.3. L’élaboration du plan : un exercice qui se veut légitime

À la lecture des PDC, on peut constater que plusieurs organismes se soucient de la légitimité de ces plans. Le plus souvent, la légitimité du PDC lui est conférée par son processus d’élaboration, qui repose sur des consultations publiques, et par son adoption dans le cadre de l’AGA de l’OPP. Par exemple, dans le PDC de Terre-Neuve-et-Labrador, on peut lire ceci :

Ce PDG tient sa légitimité dans la façon dont il est remis à jour tous les 5 ans, par l’intermédiaire de consultations ouvertes au public et tenues dans toutes les principales régions francophones de la province, pour être au final adopté par les membres de l’Assemblée générale annuelle de la Fédération des francophones de Terre-Neuve et du Labrador (FFTNL), l’organisme porte-parole officiel de la communauté francophone et acadienne de la province. [...] Il s’agit du PDG de toute la communauté!

FFTNL, s.d.

Ainsi, on prend soin de préciser que le public pouvait participer aux consultations et que ce sont les membres de l’OPP officiel de la communauté qui ont approuvé le PDC, ce qui permettait à l’OPP d’affirmer qu’il s’agit du plan de la communauté.

Nous retrouvons le même genre de formulation dans le PDC de l’Ontario, qui s’échelonne jusqu’en 2025 : « Ce plan est celui de la communauté francophone. Il est en effet le fruit d’un processus de consultation sans précédent. Cette modalité de consultation reflète (traduit) la “volonté” de la communauté francophone en Ontario » (AFO, s.d.a, p.4)[9].

Au Manitoba, les membres de la communauté francophone souhaitaient « avoir une démarche qui valorise la participation citoyenne et encourage les dialogues » (SFM, 2016, p. 6). On souligne que le PDC « est le fruit de la rétroaction de plus de 2300 interventions citoyennes partout au Manitoba, dont 1533 participations lors des cafés-citoyens, 720 lors du rassemblement et près de 90 lors des séances de validation » (p. 10). Cette démarche citoyenne et le niveau de participation obtenu permettent à la SFM d’affirmer que « le plan stratégique communautaire proposé dans ce document est bien celui de l’ensemble de la francophonie manitobaine » (p. 7).

La consultation communautaire est donc au coeur de la prétention à la légitimité des PDC. Mais nous avons vu qu’elle prend des formes différentes selon les communautés. La consultation peut s’appuyer sur un sondage auprès des citoyens ou des représentants d’organismes, et sur des forums qui réunissent des citoyens et/ou des représentants d’organismes. Les citoyens peuvent être représentés par des organismes ou être invités à participer directement aux consultations. Pour ce faire, ils doivent en principe manifester un certain niveau d’engagement, ce qui est d’ailleurs un objectif visé dans plusieurs PDC, notamment celui de la SAF’Île : « L’axe “Construction identitaire” vise à favoriser chez l’individu et la collectivité [...], le développement d’une citoyenneté engagée et d’un vivre-ensemble solidaire [...] » (s.d.a, p. 23).

La participation des citoyens aux activités communautaires est un objectif en Ontario pour assurer la pérennité de la communauté francophone : « Maximiser la force des actions de la communauté en favorisant le renforcement des capacités de nos institutions, l’alignement de nos efforts avec les objectifs du PSC [Plan stratégique communautaire] et l’engagement soutenu des citoyennes et citoyens » (AFO, s.d.b, p. 4).

Le PDC de la Colombie-Britannique exprime sensiblement la même idée : « Collectivement, la communauté francophone de la C.-B. a été bien servie et désire continuer de l’être par les principes directeurs suivants : [...] La mobilisation citoyenne et l’engagement individuel » (FFCB, s.d.b, p. 4). La participation citoyenne apparaît également comme une condition pour assurer l’atteinte des objectifs du PDC : « La participation citoyenne sera aussi un facteur essentiel pour assurer la réussite de ce plan » (ACF, s.d., p. 4).

Cependant, la participation citoyenne peut poser des difficultés. Au Manitoba, les États généraux ont permis de faire le constat suivant : « L’inertie et le désengagement communautaire ainsi que le manque de visibilité de la francophonie se font sentir à tous les niveaux sociétaux » (de Moissac et al., 2016, p. vi). En fait, l’inertie et le désengagement de ses membres comptent parmi les plus grandes difficultés de la communauté. Cela se traduit par un désengagement envers le fait francophone et une remise en question du rôle de certains organismes et de l’OPP. Dans le Plan stratégique communautaire qui a été élaboré dans la foulée des États généraux, on explique l’inertie et le désengagement comme suit :

Selon les commentaires recueillis lors des cafés-citoyens, il est probable que l’inertie et le désengagement communautaires sont symptomatiques d’un certain éloignement entre de nombreux membres de la communauté et le leadership de ses institutions. Certaines structures communautaires et institutionnelles semblent, en effet, souffrir d’une perte de crédibilité auprès de la population qui n’a pas l’impression d’être adéquatement écoutée, considérée et représentée.

SFM, 2016, p. 15

Dans le rapport découlant des États généraux, plusieurs répondants proposaient de réfléchir au rôle de l’OPP dans la communauté et invitaient celle-ci à revoir le leadership que l’OPP exerce dans la communauté.

Dans la même veine, l’une des consultations collectives qui ont mené à l’élaboration du PDC au Nouveau-Brunswick a porté sur le thème de la concertation communautaire et de la participation citoyenne. Parmi les « rêves » (les idéaux) à prioriser, les représentants d’organismes ont dit souhaiter avoir des « organismes communautaires reconnus, soutenus et connectés aux besoins des citoyens et des citoyennes » (SANB, 2021, p. 15). Un autre « rêve » mentionné par les organismes et les citoyens est d’avoir une stratégie permanente et inclusive de participation citoyenne, qui s’appuie notamment sur la tenue de Parle-Ouères afin d’offrir une « place pour chaque citoyen et chaque citoyenne qui veut exprimer ses besoins et ses opinions » (SANB, 2021, p. 15). Lors de la consultation, plusieurs pistes d’action ont été proposées pour accroître la participation citoyenne. Dans le PDC, ces pistes se sont traduites par une volonté de mettre en place des mécanismes permanents et continus de participation publique.

En résumé, nous constatons que la participation citoyenne est valorisée, notamment parce qu’il s’agit d’une ressource pour la vie associative, parce que la vitalité des communautés en dépend ou parce qu’elle est essentielle à la réalisation du PDC. Or, Or, il est parfois difficile de susciter la participation citoyenne. C’est pourquoi on souhaite fournir des efforts et mettre en place des moyens pour accroître la participation citoyenne.

4.4. La table d’évaluation et de proposition

La table d’évaluation et de proposition constitue une autre composante de la gouvernance communautaire francophone. Cette table est prévue dans le cadre des ententes de collaboration conclues entre les communautés francophones et Patrimoine canadien. Le mandat de la table, qui est composée de membres de la communauté, consiste à proposer des activités et des projets qui doivent faire l’objet de financement par Patrimoine canadien. Les membres de la table évaluent les demandes de financement prévu pour le fonctionnement des organismes (ce qu’on appelle le financement de la programmation) ainsi que celles visant des projets spécifiques des organismes. Les choix se font en fonction du PDC en vigueur dans la province.

La table est consultative et non décisionnelle. Pour cette raison, en Colombie-Britannique, on en a modifié le nom pour l’appeler « table de recommandation sur les financements » afin de mieux refléter son rôle. Étant donné qu’elle concerne le financement des organismes et de leurs projets, cette instance joue un rôle crucial dans la gouvernance communautaire. L’OPP de la communauté francophone de l’Alberta a produit un document qui présente le mode de fonctionnement de cette table. On y précise que l’OPP est responsable de son bon fonctionnement, des politiques et de la nomination de ses membres. De plus, on affirme que « [l]a Table est indépendante, dans ses analyses et ses décisions, des intérêts spécifiques à chacun des organismes communautaires et des intérêts personnels des membres de la Table » (ACFA, 2021, p. 1). Certaines mesures sont d’ailleurs prévues pour protéger l’indépendance des membres de la Table. Par exemple, toute communication provenant de l’extérieur de la Table doit lui être acheminée par courriel. Elle sera communiquée aux membres de la Table si elle respecte certaines conditions. Par conséquent, toute forme de communication orale est exclue. Les délibérations des membres de la Table demeurent confidentielles. Dans la section précisant les responsabilités des membres de la Table, plusieurs mesures visent à éviter toute perception de conflit d’intérêts entre les membres et les organismes soumettant des projets. On prend donc des mesures pour assurer l’indépendance de la Table et la légitimité de ses décisions.

5. Discussion

Comme nous pouvons le constater, différents paramètres, qui varient selon les provinces, balisent l’exercice de la gouvernance organisationnelle de l’OPP de même que celui de la gouvernance communautaire en contexte francophone.

Concernant la gouvernance organisationnelle de l’OPP, celle-ci peut reposer sur des membres votants individuels uniquement, sur des membres organisationnels seulement ou sur ces deux catégories de membres à la fois. Les conseils d’administration sont formés d’un conseil exécutif composé d’individus (ne représentant pas d’autres organismes) élus lors de l’AGA. Le reste du conseil peut se composer uniquement de membres individuels élus, uniquement de membres qui représentent des organismes régionaux, ou de membres représentant des organismes régionaux, des organismes sectoriels et des organismes représentant des groupes particuliers de la population. Les modalités encadrant la gouvernance de l’OPP, telles que le type de membres votants, le déroulement des élections et la composition du conseil d’administration, sont formellement définies dans un document qui présente ses statuts et ses règlements.

Concernant la gouvernance communautaire, il s’agit d’un espace moins formalisé. Si les ententes de collaboration avec Patrimoine canadien prévoient que les organismes se concertent pour élaborer un PDC, elles ne précisent pas la manière de le faire. Les modalités et les règles encadrant la prise de décisions collectives dans la communauté ne sont pas aussi explicites ni aussi formelles. Dans chaque province, il existe un espace qui rassemble les organismes et où ceux-ci peuvent discuter des enjeux et des priorités de la communauté francophone, mais l’aménagement de cet espace varie selon les communautés. Dans certains cas, cet espace de concertation est fortement intégré à l’OPP qui dirige les activités de concertation alors que, dans d’autres cas, l’OPP y joue davantage un rôle de facilitateur.

L’élaboration du PDC est l’activité qui justifie la mise en place de telles pratiques de concertation et, dans certains cas, de consultations plus larges auprès de la population. Nous avons vu qu’en ce qui a trait à l’élaboration du PDC, ce qu’on nomme concertation renvoie à des pratiques diverses d’une communauté à l’autre. Si dans certains cas ce sont les dirigeants et représentants des organismes qui définissent le PDC, dans d’autres, l’élaboration du PDC s’accompagne d’activités de consultation (sous forme de sondage, par exemple) et de délibération (des cafés citoyens, des Parle-Ouères ou des forums) qui rejoignent un public plus large. L’élaboration du PDC peut aussi combiner diverses modalités (consultations auprès de la population, délibérations dans le cadre de forums, concertations entre organismes).

La population en général n’a pas toujours la possibilité de participer à l’élaboration du PDC. Les citoyens et les citoyennes sont plus souvent invités à participer à un sondage. Contrairement à une assemblée communautaire, le sondage demeure un moyen limité de participer à une réflexion collective. La démarche menée au Manitoba est celle qui a le plus engagé les membres de la communauté en les invitant à participer à des cafés citoyens. Ces cafés offrent aux citoyens l’occasion de faire part de leurs idées en ce qui concerne le développement de la communauté, tout en prenant connaissance d’autres points de vue sur des enjeux de la communauté, et de participer ainsi, plus directement, à la réflexion collective devant conduire à l’élaboration du PDC. Même si ses modalités varient, l’élaboration du PDC constitue une démarche de réflexion collective structurée qui suit certaines grandes étapes allant de l’élaboration à la validation finale du PDC. De plus, cette démarche se veut légitime et, comme il apparaît dans plusieurs documents, le PDC qui en résulte est présenté comme étant celui de la communauté. On cherche ainsi à montrer que la démarche suivie a permis d’élaborer un PDC qui tente de répondre aux besoins et aux aspirations de la communauté et qui reflète ses intérêts. La légitimité demeure un enjeu de la gouvernance communautaire, mais elle se conçoit et se définit différemment selon les communautés.

Conclusion

L’analyse dont j’ai présenté les résultats veut poser un jalon dans la compréhension des diverses formes que peuvent prendre la gouvernance organisationnelle de l’OPP et la gouvernance communautaire en contexte francophone minoritaire. En limitant mon analyse à des dimensions précises de la gouvernance, j’ai pu couvrir plusieurs provinces et relever des différences entre les mécanismes de gouvernance au sein des CFSM. Cette démarche m’a permis de dresser un portrait global et contrasté de la gouvernance communautaire en contexte francophone minoritaire.

Il s’agit d’une analyse descriptive qui devrait être suivie de plus amples études. Si mon étude y gagne en nombre de cas étudiés, elle y perd en profondeur d’analyse. Ce que mon analyse gagne en nombre de cas étudiés, elle le perd en profondeur d’analyse. Il serait pertinent, notamment, de revenir sur la question de l’engagement des citoyens qui, nous l’avons vu, est valorisé par les organismes francophones, à tel point que l’engagement et la participation des citoyens à la vie associative et à la gouvernance communautaire apparaissent comme un objectif dans plusieurs PDC. Ainsi, nous pouvons nous demander quels mécanismes de gouvernance organisationnelle et communautaire favorisent le mieux l’engagement des citoyens et leur participation à la vie démocratique de leur communauté.

De plus, il serait important d’approfondir notre compréhension des conditions qui définissent la légitimité de la gouvernance communautaire et des décisions collectives qui en résultent, en commençant par examiner les discussions et les réflexions qui entourent l’enjeu de la légitimité des processus de décisions collectives au sein des CFSM. Cet approfondissement profiterait des travaux récents sur la démocratie délibérative, un concept qui semble susciter un intérêt accru dans plusieurs pays et à plusieurs échelles de gouvernement et de gouvernance (OCDE, 2020).

Par ailleurs, l’analyse de la gouvernance à partir des documents officiels peut se justifier au sens où elle permet d’analyser la dimension formelle et officielle de la gouvernance. Cependant, cette approche comporte certaines limites. D’une part, il nous faut la compléter par une analyse sur le terrain des pratiques concrètes de la gouvernance. D’autre part, mon analyse présente peut-être une image figée de la gouvernance, alors que la gouvernance subit des transformations dont l’analyse nous éclairerait sur les dynamiques qui les sous-tendent. L’analyse des pratiques concrètes de la gouvernance et de ses transformations peut nous amener à saisir les dynamiques qui président à la « publicisation » (Henry, 2020) de la question de la gouvernance. Les modalités de prise de décisions collectives font régulièrement l’objet de discussions collectives auxquelles participent organismes et citoyens francophones. En ce sens, la gouvernance est souvent un sujet de débats publics. Les discussions collectives à son sujet peuvent parfois se dérouler sous fond de crise et devenir une source de tensions entre les acteurs communautaires (Forgues et Landry, 2018; Landry et McNichol, 2018; Thériault, 2007). Ainsi, il peut être pertinent d’examiner plus largement les circonstances et les facteurs contextuels qui font de la gouvernance un objet de discussions, voire de débats publics, et qui amènent la communauté (les organismes et les citoyens francophones) à aborder ou à ignorer cette question dans leurs réflexions et discussions collectives. Un tel examen contribuera non seulement à faire avancer les connaissances dans le domaine des études sur les communautés francophones en contexte minoritaire, mais aussi à outiller les acteurs et les citoyens qui participent à la vie démocratique de leur communauté, et qui doivent souvent réfléchir aux règles qui encadrent leur engagement et aux conditions que le favorisent.