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Les troubles anxieux sont parmi les psychopathologies les plus prévalentes chez les enfants et les adolescents occidentaux (Dumas, 2013 ; Merinkangas et coll., 2010). Certaines statistiques suggèrent un taux de prévalence marginal chez ces derniers (de l’ordre des 2,9 %), alors que d’autres laissent entrevoir un taux important (33 %) (Piché et coll., 2017). Cette variabilité pourrait être expliquée par le fait que ces troubles passent souvent inaperçus, ou encore par la panoplie d’outils qui permettent d’évaluer ces symptômes, par le fait que ceux-ci reposent sur différentes définitions ou encore par la diversité des répondants dans les différentes études (Merinkangas et coll., 2010 ; Piché et coll., 2017). Une enquête québécoise réalisée en 2016-2017 auprès de jeunes du secondaire a révélé que 17,2 % de ces derniers s’étaient fait diagnostiquer un trouble anxieux, ce qui représentait une hausse considérable par rapport à un taux de 9 % mesuré en 2010-2011. Les troubles anxieux passent souvent inaperçus étant donné la nature intériorisée de leurs symptômes. Ceci est notamment le cas du trouble d’anxiété généralisée (TAG), un des seuls troubles anxieux dont les critères ne comportent pas de symptômes comportementaux plus facilement observables (Andrews et coll., 2010).

Les adolescents qui présentent un trouble anxieux éprouvent des difficultés pouvant affecter leur fonctionnement sur les plans personnel, familial, scolaire et social. À long terme, ces troubles peuvent être précurseurs d’un trouble dépressif, d’abus d’alcool ou de drogues ou d’une augmentation des risques suicidaires (Dumas, 2013).

Lorsque vient le temps d’étudier la prévalence des troubles anxieux chez les jeunes, celle-ci est souvent observée de manière générale, sans s’attarder spécifiquement à un trouble en particulier, et le TAG n’y échappe pas (p. ex. Merikangas et coll., 2009 ; Piché et coll., 2017). Les jeunes qui éprouvent des symptômes de TAG, en plus d’être plus difficilement diagnostiqués, sont rarement étudiés, bien qu’ils soient répandus à l’adolescence et qu’ils présentent un profil distinct qui mérite qu’on s’intéresse spécifiquement à leurs facteurs associés (Gosselin et coll., 2012).

Lorsque les symptômes anxieux évoluent vers un TAG à l’adolescence

Les adolescents qui développent un TAG se distinguent de ceux ayant d’autres troubles anxieux par la présence d’inquiétudes excessives et incontrôlables ainsi que d’anxiété concernant plusieurs situations du quotidien. Pour qu’un diagnostic soit établi, les inquiétudes et l’anxiété doivent être présentes la majorité du temps, s’échelonner sur une période d’au moins 6 mois et interférer avec le fonctionnement du jeune ou lui causer une détresse significative [Diagnostic and statistical manual of mental disorders (DSM) ; American Psychiatric Association (APA, 2013)]. Elles doivent enfin être associées à la présence de 3 symptômes somatiques chez le jeune parmi les suivants : agitation et sensation d’être survolté, grande fatigue, difficultés de concentration ou trous de mémoire, irritabilité, tensions musculaires ou perturbations du sommeil (APA, 2013).

Le TAG affecterait entre 1,1 % et 4 % des jeunes de 12 à 18 ans (Creswell et coll., 2020 ; Ginsburg et Affrunti, 2013). Bien qu’il n’y ait actuellement pas de consensus sur le trouble anxieux le plus présent à l’adolescence, le TAG est reconnu comme étant l’un des troubles les plus prévalents lors de cette période (Vizard et coll., 2018). Bon nombre d’adolescents présentent aussi des inquiétudes excessives sans qu’un TAG clinique soit présent, auxquelles il est essentiel de s’attarder afin d’éviter qu’elles évoluent en un TAG et suscitent des répercussions encore plus graves sur leur fonctionnement scolaire et social. Malgré une apparition graduelle des symptômes de TAG tout au long de l’adolescence et une augmentation au fil du temps, il serait peu fréquemment diagnostiqué avant la majorité (Ginsburg et Affrunti, 2013 ; Gosselin et coll., 2012). Ceci appuie de surcroît l’importance du dépistage précoce et de la mise en place d’initiatives en prévention et en intervention précoce.

Le TAG des adolescents : un portrait complexe et multifactoriel

Les principaux facteurs associés au TAG demeurent relativement flous sachant que les études s’y étant intéressées ont considéré des facteurs multiples et très variables (Piché et coll., 2017). Plusieurs auteurs soutiennent l’hypothèse selon laquelle le TAG, tout comme l’anxiété, se développerait sous l’influence d’une pluralité de facteurs individuels, familiaux, socioéconomiques et sociaux (p. ex. Fournier et Pauzé, 2017 ; Piché et coll., 2017).

Sur le plan individuel, les filles seraient plus à risque que les garçons de développer un TAG ou des symptômes associés, particulièrement lors de la puberté (Ginsburg et Affrunti, 2013 ; Knapp et coll., 2016 ; Vasiliadis et coll., 2010). Une faible estime de soi (Maldonado et coll., 2013 ; Van Oort et coll., 2011) et la détresse émotionnelle, qui peut se représenter par des affects négatifs tels que des symptômes dépressifs, la nervosité, la honte et la colère, sont aussi reconnues pour être liées à des indicateurs d’anxiété généralisée chez les adolescents (Knapp et coll., 2016). Sur le plan cognitif, l’intolérance à l’incertitude, se manifestant par une tendance démesurée à considérer inacceptable la possibilité qu’un évènement négatif se produise (Dugas et coll., 2001), et l’attitude négative face aux problèmes, traduisant une attitude pessimiste envers le fait de trouver une solution avec succès et envers ses propres habiletés de résolution (Gosselin et coll., 2002), sont également reconnues pour contribuer aux inquiétudes des jeunes et à leurs symptômes anxieux (Fialko et coll., 2012 ; Gosselin et coll., 2007).

Sur le plan familial, le soutien disponible, qu’il soit émotionnel ou pratique, est fort important, particulièrement lors de la transition du primaire au secondaire (Curson et coll., 2019). Toutefois, des relations parent-enfant conflictuelles (Shanahan et coll., 2008), de la surprotection, ainsi que des reproches et des critiques fréquentes (Ginsburg et Affrunti, 2013) ne sont que quelques exemples de facteurs de la relation familiale qui peuvent être associés au risque de TAG chez l’adolescent.

Au cours des dernières années, d’autres facteurs ont été identifiés comme des corrélats significatifs de l’anxiété à l’adolescence. Entre autres, il est reconnu que les préoccupations face aux erreurs, les efforts de perfection, les doutes concernant les actions et les standards personnels sont des dimensions du perfectionnisme qui augmentent les symptômes d’anxiété des adolescents (Damian et coll., 2017 ; Smith et coll., 2018). Les effets de ces derniers peuvent particulièrement se faire sentir sur les plans scolaire et social. Il a également été observé qu’une proportion d’adolescents québécois (11,3 %) qui ont une utilisation problématique d’Internet souffrent également d’un trouble anxieux concomitant (Dufour et coll., 2019). À notre connaissance, certains de ces facteurs n’ont pas été étudiés en lien avec un trouble anxieux en particulier, dont le TAG. Pour cette raison, la présente étude s’intéressera également à ces facteurs d’influence potentiels.

Mieux comprendre le développement du TAG des jeunes québécois afin d’améliorer la prévention, le dépistage et l’intervention

Il apparaît nécessaire de mieux comprendre le développement du trouble d’anxiété généralisée et les facteurs associés afin de prévenir l’apparition et l’aggravation des symptômes, considérant que ceux-ci sont souvent repérés tardivement. Ceux qui souffrent en silence pourraient également être mieux dépistés et soutenus. Il semble donc pertinent de s’attarder aux premiers facteurs qui peuvent être précocement repérables par des adultes significatifs (p. ex. peur du jugement des autres, perfectionnisme élevé, attitude négative face aux problèmes), tels les enseignants et les intervenants des milieux scolaires qui côtoient les adolescents dans leur quotidien, et de sensibiliser ces acteurs clés à cette réalité (Lambert-Samson, 2016).

Cherchant à répondre à de tels besoins, la présente étude vise à dresser un portrait des symptômes d’anxiété généralisée vécus par les adolescents du Québec tout au long du secondaire, et à cerner les principaux facteurs de risque associés. Cette étude poursuit les objectifs suivants : 1) documenter la prévalence de la caractéristique centrale du TAG, soit la tendance excessive à s’inquiéter, chez des élèves du secondaire, en identifiant le pourcentage d’entre eux qui rapportent des symptômes de niveaux faible, moyen et élevé ; 2) identifier les principales caractéristiques sociodémographiques associées à un niveau de symptômes élevé ; 3) identifier les principaux facteurs de risque individuels et familiaux associés à un niveau de symptômes élevé et estimer leur contribution relative.

Méthodologie

Cette étude s’inscrit dans le cadre d’une démarche d’envergure menée par le Centre RBC d’expertise universitaire en santé mentale visant à mieux comprendre l’anxiété chez les adolescents. Cette collecte de données visait d’abord à documenter les symptômes d’anxiété vécus par les élèves et les facteurs de risque et de protection les plus saillants, dans le but de développer le programme de prévention de l’anxiété HORS-PISTE (Centre RBC, 2020) arrimé aux besoins des adolescents du Québec.

Participants et procédures

L’échantillon de la présente étude en est un de convenance et est composé de 8 689 élèves de la 1re à la 5e secondaire fréquentant 14 écoles secondaires du Québec réparties dans 5 régions administratives (Centre-du-Québec, Estrie, Mauricie, Montérégie et Saguenay–Lac-Saint-Jean). Ces élèves étaient âgés en moyenne de 14,34 ans (é.-t. = 1,52). Parmi ceux-ci, 55,9 % étaient des filles, 43,0 % des garçons et 0,6 % s’identifiaient au sexe « autre ». Le sexe n’a pas été rapporté pour 0,5 % de l’échantillon. Au moment de colliger les données, 18,3 % des élèves étaient en 1re secondaire, 17,5 % en 2e secondaire, 21,2 % en 3e secondaire, 19,7 % en 4e secondaire et 17,9 % en 5e secondaire.

Des questionnaires à items autorapportés validés, choisis par un comité interfacultaire composé de professeurs-chercheurs de l’Université de Sherbrooke, experts en troubles anxieux, ont été distribués au cours de l’automne ou de l’hiver pour documenter des symptômes anxieux et les facteurs de risque et de protection de ces symptômes. La période pour remplir les questionnaires, d’une durée approximative de 60 minutes, a été supervisée par l’enseignant, auquel des consignes écrites ont été remises avant la passation. Cette étude a reçu l’approbation du comité d’éthique de la recherche Éducation et sciences sociales de l’Université de Sherbrooke.

Instruments de mesure

La version française du Screen for Child Anxiety Related Emotional Disorders – Revised (SCARED-R ; Muris et coll., 1999) a été utilisée pour documenter les symptômes anxieux des élèves. Dans le cadre de cette étude, seule l’échelle des symptômes du TAG, composée de 7 items, a été utilisée. Cette échelle permet de mesurer plus particulièrement la tendance excessive à s’inquiéter ou à trop s’en faire, qui est identifiée comme la caractéristique centrale du TAG. Les répondants devaient indiquer s’ils avaient éprouvé les différents symptômes à l’aide d’une échelle de type Likert à 3 points (0 = jamais ou presque jamais, 1 = quelques fois et 2 = souvent). Même si le DSM précise une durée minimale des symptômes de 6 mois pour le diagnostic du TAG, le SCARED-R évalue les symptômes sur la période des 3 derniers mois pour faciliter l’évaluation chez les plus jeunes. Des auteurs précisent qu’une évaluation rétrospective aux 6 derniers mois est trop difficile chez les jeunes (voir Andrews et coll., 2010). Par ailleurs, plusieurs travaux sur la durée des symptômes du TAG montrent que le fait de diminuer la période d’évaluation sur les 3 derniers mois, plutôt que 6, permet d’identifier des participants avec une sévérité de symptômes et des difficultés de fonctionnement similaires, et ce, avec une faible incidence sur les taux de prévalence (voir Andrews et coll., 2010). Cette version française du SCARED-R a démontré des propriétés psychométriques adéquates ou supérieures à celles de la version originale anglaise, dans une étude ayant examiné les validités factorielle, convergente et critériée et la fidélité de l’outil (Martin et Gosselin, 2012). L’alpha de Cronbach obtenu pour cette échelle dans le cadre de la présente étude (α = 0,85) démontre une bonne cohérence interne, selon les barèmes proposés par Hinton et coll. (2014).

Neuf variables indépendantes ont été mesurées dans le cadre de la présente étude (en plus du sexe de l’adolescent et de son niveau scolaire) : le soutien familial, la peur du jugement des autres, le perfectionnisme, l’estime de soi, les sentiments dépressifs, la cyberdépendance, l’intolérance à l’incertitude, l’attitude négative face aux problèmes et l’évitement cognitif. Une description détaillée de chacun des outils utilisés est rapportée au tableau 1.

Tableau 1

Outils utilisés pour mesurer les variables indépendantes

Outils utilisés pour mesurer les variables indépendantes

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Analyses statistiques

Dans un premier temps, les paramètres statistiques classiques (minimum, maximum, moyenne et écart-type) ainsi que les corrélations ont été calculés pour les variables d’intérêt. Dans un deuxième temps, une méthode de classification (nuées dynamiques) a été appliquée de manière à créer 3 catégories sur la base des symptômes d’anxiété généralisée présentés par les participants : une catégorie d’élèves présentant un faible niveau de symptômes, une catégorie d’élèves présentant un niveau moyen de symptômes et une catégorie d’élèves présentant un niveau élevé de symptômes. Enfin, des analyses de régressions logistiques multinomiales ont été réalisées afin d’identifier les variables permettant le mieux de prédire l’appartenance à ces différentes catégories. L’ensemble des analyses ont été menées à l’aide du logiciel SPSS 25.0 (IBM Corp., 2017).

Résultats

Les statistiques descriptives (minimum, maximum, moyenne et écart-type) des variables d’intérêt sont présentées dans le tableau 2, pour chacune des 3 catégories (faible, moyen et haut niveau de symptômes d’anxiété généralisée). À cet effet, 35,1 % des élèves ont été classés dans la catégorie 1 (faible niveau de symptômes), 40,2 % dans la catégorie 2 (niveau moyen de symptômes) et 24,7 % dans la catégorie 3 (niveau élevé de symptômes). L’examen de la matrice de corrélation a montré une forte corrélation entre les variables « estime de soi » et « sentiments dépressifs » (r = - 0,774). Les sentiments dépressifs étant plus fortement corrélés aux symptômes d’anxiété généralisée (r = 0,548 vs r = - 0,532), seule cette variable a été conservée pour les analyses de régressions logistiques multinomiales subséquentes afin d’éviter un possible problème de multicolinéarité. Le tableau 3 montre qu’un pourcentage plus élevé de filles (35,7 %) appartiennent à la catégorie 3 en comparaison avec les garçons (10,3 %). Ces derniers se retrouvent majoritairement (52,3 %) dans la catégorie 1 alors que seulement 21,8 % des filles se retrouvent dans cette catégorie.

Tableau 2

Statistiques descriptives

Statistiques descriptives

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Le tableau 3 montre également que le pourcentage d’élèves appartenant à la catégorie 3 augmente tout au long du secondaire (19,2 % à 30,2 %) alors que le pourcentage appartenant à la catégorie 1 diminue au fil du temps (39,2 % à 30,2 %). Le pourcentage d’élèves se trouvant dans la catégorie 2 demeure relativement stable de la 1re à la 5e secondaire (41,5 % à 39,6 %). Sur le plan des programmes d’études, le tableau 3 montre que peu de différences sont observées entre les programmes régulier et enrichi. Cependant, on remarque que les élèves évoluant dans un programme d’adaptation scolaire rapportent en majorité des « symptômes d’anxiété généralisée faibles ». Enfin, en ce qui concerne le type de famille, relativement peu de différences sont observées. On remarque néanmoins qu’un pourcentage d’élèves plus faible rapporte des « symptômes d’anxiété généralisée élevés » chez les familles intactes en comparaison avec les élèves évoluant dans des familles monoparentales ou recomposées.

Tableau 3

Intensité de symptômes d’anxiété généralisée et caractéristiques sociodémographiques

Intensité de symptômes d’anxiété généralisée et caractéristiques sociodémographiques

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Les résultats rapportés au tableau 4 montrent que plusieurs des facteurs de risque intégrés au modèle sont davantage prédicteurs de niveaux moyen et élevé de symptômes d’anxiété généralisée que d’un niveau faible. Considérant qu’il y a généralement consensus selon lequel le sexe et l’âge de l’adolescent sont significativement associés aux symptômes d’anxiété généralisée, ils ont été intégrés aux modèles de régression testés (sexe et niveau scolaire).

Tableau 4

Régression logistique multinomiale multivariée

Régression logistique multinomiale multivariée

Note : Catégorie de référence = 1 (faible) *p < ,05 ; **p < ,01 ; ***p < ,001

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D’abord, on remarque que le sexe de l’adolescent, plus particulièrement le fait d’être une fille, est le facteur qui augmente le plus les risques de se retrouver dans la catégorie 3 par rapport à la catégorie 1. Les filles ont effectivement 8,07 (p < 0,001) fois plus de risques que les garçons de se trouver dans la catégorie « niveau élevé de symptômes d’anxiété généralisée » (par rapport à la catégorie « niveau faible de symptômes d’anxiété généralisée »). Les sentiments dépressifs, la peur du jugement des autres ainsi que l’attitude négative face aux problèmes ressortent également comme des facteurs importants, augmentant respectivement les risques de 8,68, 7,25 et 6,13 (ps < 0,001) fois d’appartenir à la catégorie 3 (par rapport à la catégorie 1) pour chaque unité de plus sur ces variables. Un haut niveau de soutien familial perçu, le perfectionnisme élevé, l’intolérance à l’incertitude, l’évitement cognitif et le niveau scolaire avancé permettent également d’expliquer l’appartenance à la catégorie 3 par rapport à la catégorie 1 (Exp[B] variant entre 1,26 et 3,03 ; ps ≤ 0,001).

Les résultats montrent que les mêmes facteurs permettent de prédire l’appartenance à la catégorie 2 par rapport à la catégorie 1, à l’exception du niveau scolaire qui n’est pas identifié comme une variable significative lorsque les catégories 1 et 2 sont comparées.

Les résultats du tableau 5, comparant les catégories 2 et 3, montrent pour leur part que ce sont les sentiments dépressifs et l’attitude négative face aux problèmes qui permettent le mieux de prédire l’appartenance à la catégorie 3 en comparaison avec la catégorie 2 (Exp[B] = 3,03, p < 0,001 ; Exp[B] = 3,02, p < 0,001). Le niveau scolaire plus avancé, le fait d’être une fille, la peur du jugement des autres, le perfectionnisme, une plus faible utilisation d’internet et l’évitement cognitif sont également identifiés comme des facteurs augmentant les risques d’appartenir à la catégorie 3 en comparaison avec la catégorie 2.

Tableau 5

Régression logistique multinomiale multivariée

Régression logistique multinomiale multivariée

Note : Catégorie de référence = 2 (moyen) *p < ,05 ; **p < ,01 ; ***p < ,001

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Discussion

La présente étude visait à dresser un portrait des symptômes d’inquiétude liés au TAG vécus par les adolescents du Québec tout au long du secondaire et à cerner les principaux facteurs de risque associés. Cette étude présente plusieurs forces qu’il est important de souligner. D’abord, l’intégration simultanée de nombreux facteurs de risque potentiels, issus de la recension des écrits, permet d’apprécier la contribution relative de chacun des facteurs de risque examinés et de déterminer les facteurs le plus influents, ce qui constitue une contribution importante de la présente étude. Cela a été possible grâce à la grande taille de l’échantillon, qui a permis d’intégrer de multiples variables au modèle sans entraîner de problèmes de puissance statistique. Une autre force et particularité de la présente étude est que l’échantillon populationnel utilisé permet de faire des inférences qui pourraient être généralisées à la population adolescente du Québec, population jusqu’ici relativement peu étudiée. Cette étude permet aussi de distinguer 3 niveaux de symptômes d’anxiété généralisée et des facteurs qui semblent prédire ces différents niveaux de symptômes ce qui soutient la réflexion quant aux interventions différenciées qui doivent être mises de l’avant pour bien soutenir les jeunes aux prises avec de telles difficultés.

Des facteurs sociodémographiques transposables aux adolescents québécois

La présente étude a permis de confirmer que certains des facteurs associés à la présence de symptômes du TAG connus chez les adolescents correspondent également à la réalité des jeunes québécois. Plus particulièrement, sur le plan des caractéristiques sociodémographiques, les résultats montrent que le fait d’être une fille représente un facteur de risque important. Ce résultat est en cohérence avec de nombreuses études antérieures (Donner et Lowry, 2013 ; Ginsburg et Affrunti, 2013 ; Knapp et coll., 2016 ; Vasiliadis et coll., 2010). Ces différences peuvent notamment être expliquées par des différences biologiques et génétiques (Donner et Lowry, 2013), mais également par le processus de socialisation différencié des filles et des garçons. En effet, les filles rapporteraient davantage d’exposition et de sensibilité aux stresseurs associés à leurs relations interpersonnelles (Ohannessian et coll., 2017) et auraient une plus grande habileté à reconnaître les symptômes d’anxiété (Fernández-Berrocal et coll., 2012), en comparaison avec les garçons.

Cette étude met également en lumière le fait que les symptômes d’anxiété généralisée, plus particulièrement la tendance excessive à s’inquiéter, augmentent tout au long du secondaire et qu’ils méritent donc d’être investigués rapidement. Le fait que les exigences soient de plus en plus élevées à l’égard des jeunes qui évoluent dans leur parcours scolaire pourrait en partie expliquer cette augmentation. La préparation à la transition vers les études postsecondaires (Cournoyer et coll., 2016) et le fait d’occuper un premier emploi rémunéré (Traoré et coll., 2018), seraient particulièrement propices à l’émergence d’anxiété.

Les différences observées entre les adolescents de familles intactes comparativement à celles monoparentales ou recomposées ressortent comme étant relativement modestes. On note néanmoins que les adolescents de familles intactes présentent moins de symptômes élevés d’anxiété généralisée, ce qui pourrait en partie être expliqué par un plus haut niveau de cohésion familiale et une meilleure qualité de la relation parent-adolescent (Herke et coll., 2020). Par ailleurs, il est possible que les adolescents qui vivent en garde partagée, dans une famille recomposée ou monoparentale vivent un plus haut niveau de stress en raison de leur nouvelle situation socioéconomique, des conflits qui persistent entre les parents, et dont ils peuvent avoir l’impression d’être la source (Noller et coll., 2008) ou du fait de devoir s’adapter à 2 milieux où les pratiques éducatives ne sont pas nécessairement cohérentes.

La contribution du programme d’études… des résultats surprenants

Étonnamment, très peu de différences sont observées entre les élèves évoluant dans des programmes académiques réguliers en comparaison avec ceux évoluant dans des programmes enrichis, bien que ces derniers puissent être perçus comme étant plus anxiogènes pour les élèves que les programmes réguliers (Suldo et Shaunessy-Dedrick, 2013). Il est possible que la prévalence des symptômes anxieux chez les élèves des programmes enrichis augmente lorsque les exigences deviennent de plus en plus grandes et que la pression liée à la réussite pouvant ouvrir la porte à une admission à des programmes postsecondaires contingentés s’intensifie (Conseil supérieur de l’éducation, 2016). Deuxièmement, les résultats montrent également que les élèves des programmes d’adaptation scolaire sont moins nombreux à rapporter des symptômes d’anxiété généralisée élevés. Ces résultats pourraient s’expliquer par le fait que ces programmes sont souvent mieux arrimés aux besoins de sécurité de ces élèves (plus petits groupes, nombre limité d’enseignants, pédagogie plus adaptée aux besoins).

La contribution du cumul de facteurs au développement des symptômes du TAG

L’intégration simultanée de nombreux facteurs de risque individuels et familiaux potentiels a permis de mettre en évidence leur contribution relative respective à la présence des symptômes d’inquiétude excessive associée au développement d’un TAG chez les adolescents. Sur le plan individuel, au-delà du sexe, la présence de sentiments dépressifs est identifiée comme un des facteurs les plus fortement associés au niveau de symptômes d’anxiété généralisée chez l’adolescent. Il n’est donc pas étonnant de constater que la présence de symptômes dépressifs plus élevés contribue à augmenter les risques d’avoir des symptômes d’anxiété généralisée élevés comparativement à faible ou modéré ; le TAG et la dépression étant identifiés comme les 2 troubles de santé mentale les plus souvent comorbides (Cummings et coll., 2014).

Sur les plans individuel et social, cette étude montre aussi l’importance de la peur du jugement des autres, soit d’être embarrassé ou rejeté (Knapp et coll., 2016), dans la compréhension des symptômes d’anxiété généralisée de l’adolescent. Cette peur pourrait être plus saillante compte tenu de l’importance de la vie sociale chez les adolescents (Cloutier et Drapeau, 2008). Dans le même esprit, les adolescents avec un haut niveau de perfectionnisme rapportent également vivre davantage de symptômes d’anxiété généralisée. De fait, le perfectionnisme est associé à un haut niveau d’inquiétudes incontrôlables orientées vers le futur, notamment par rapport à la peur d’échouer ou l’anticipation d’erreurs possibles (Flett et coll., 2011). Cette étude montre également que les cognitions de l’adolescent, à savoir l’intolérance à l’incertitude, l’attitude négative face aux problèmes et l’évitement cognitif, contribuent significativement à expliquer le niveau de symptômes anxieux présentés par ce dernier. La présence de telles cognitions tendrait à alimenter les symptômes d’anxiété généralisée (Gosselin et coll., 2007). Il est possible de croire que l’ensemble de ces facteurs individuels associés à la tendance excessive à s’inquiéter puissent avoir des conséquences importantes sur les plans social et académique pour l’adolescent.

Les résultats suggèrent que l’utilisation problématique d’Internet ne contribue pas significativement à expliquer l’appartenance aux groupes présentant un niveau moyen ou élevé de symptômes d’anxiété généralisée en comparaison avec le groupe présentant de faibles symptômes. Il est possible que la cyberdépendance soit plus fortement associée à d’autres problèmes de santé mentale, comme la dépression (Dufour et coll., 2019) ou encore à d’autres types d’anxiété, par exemple la phobie sociale. Le fait que les analyses statistiques utilisées dans le cadre de la présente étude aient considéré la présence de symptômes dépressifs chez l’adolescent pourrait expliquer que nous n’observons pas d’effet de l’utilisation problématique d’Internet sur les symptômes d’anxiété généralisée.

Il pourrait être intéressant d’explorer le vécu des adolescents en lien avec l’utilisation des médias sociaux, en s’intéressant plus particulièrement aux émotions et pensées des jeunes au moment de l’utilisation. Ces émotions et pensées pourraient effectivement contribuer à la peur du jugement des autres et au perfectionnisme, qui ont été identifiés comme étant associés à davantage de symptômes d’anxiété généralisée. Il pourrait également être intéressant d’examiner l’association entre d’autres formes de dépendance, par exemple la consommation de drogues et d’alcool et les symptômes anxieux.

Se sentir soutenu sans être surprotégé : un défi pour les familles québécoises

Notons finalement qu’un haut niveau de soutien familial est associé à un plus haut niveau de symptômes d’anxiété généralisée. Bien qu’étonnant, ce résultat pourrait être expliqué par la tendance naturelle des parents d’enfants anxieux à adopter des comportements d’accommodation ou de surprotection afin de prévenir la détresse de l’enfant associée à l’anxiété (Ginsburg et Affrunti, 2013 ; Thompson-Hollands et coll., 2014). Les adolescents pourraient percevoir ces pratiques comme des comportements de soutien. Cependant, à long terme, ces comportements tendent à exacerber les symptômes anxieux.

Globalement, les résultats de cette étude suggèrent que les élèves rapportant des symptômes anxieux plus élevés fonctionnent relativement bien au sein de leur noyau familial ou, du moins, se sentent soutenus par leur environnement familial. Ces résultats nous invitent à nous questionner sur l’intensité et la forme de ce soutien. À ce sujet, cette période développementale devrait mener l’adolescent à graduellement se détacher de ce noyau pour développer son autonomie et résoudre les tâches développementales associées à cette étape (p.ex. développer une indépendance affective par rapport aux parents). Or, les adolescents rapportant des symptômes d’anxiété élevés pourraient avoir du mal à développer cette indépendance affective en raison de certaines de leurs caractéristiques (p. ex. peur du jugement des autres, perfectionnisme, intolérance à l’incertitude, etc.). Il semble donc y avoir une tendance selon laquelle ce sont essentiellement les contextes en dehors du noyau familial, qui impliquent des tiers ou une certaine imprévisibilité, qui sont plus problématiques chez les élèves anxieux.

Mieux comprendre le développement des symptômes du TAG pour mieux dépister et prévenir leurs symptômes anxieux

Force est d’admettre que les élèves présentant des symptômes d’intensité modérée sont souvent laissés pour compte puisqu’ils sont peu dérangeants. Or, dans certains cas, leurs symptômes peuvent évoluer vers un TAG qui nécessite à ce moment-là des services de plus grande intensité. Il est possible de croire qu’une meilleure compréhension des facteurs associés aux différents profils d’élèves pourrait permettre de mieux les dépister et ainsi leur offrir des services en prévention qui répondent à leurs besoins, dans le but d’éviter une détérioration de leur état. Notre étude permet donc d’apporter davantage de nuances et contribue à développer une connaissance plus fine des principaux facteurs impliqués en fonction des 3 niveaux d’intensité de symptômes. Ultimement, elle permet de mieux identifier les cibles à prioriser en matière de prévention des troubles d’anxiété généralisée. La présente étude se déroulant dans le contexte plus large du développement du programme HORS-PISTE (Centre RBC, 2020), elle a permis de l’adapter aux profils des adolescents. Plus précisément, la connaissance des 3 profils d’adolescents par les milieux scolaires permet de proposer des ateliers de prévention universelle aux jeunes des profils 1 et 2 et des ateliers d’intervention précoce ou spécifique aux jeunes du profil 3. Ce continuum d’intervention allant de la prévention universelle à l’intervention précoce en fonction du profil clinique des adolescents, au sein d’un même programme, représente une innovation importante. En effet, le programme HORS-PISTE est, à notre connaissance, un des rares programmes scolaires à offrir ce continuum d’intervention (Houle, 2017). Il permet ainsi d’enrichir l’offre de services en prévention de l’anxiété directement dans le milieu de vie de l’adolescent, son milieu scolaire. Par ailleurs, la majorité des programmes offerts étant des programmes de prévention universelle plutôt que ciblée (Werner-Seidler et coll., 2017), ce continuum permet d’éviter une rupture de services où des jeunes présentant de plus grands besoins ne seraient pas accompagnés et soutenus systématiquement vers des services plus intensifs. Cela permet donc de pallier une lacune importante observée actuellement en milieu scolaire. Il est aussi possible de croire que la mise en place de ce continuum de services en milieu scolaire puisse favoriser l’accès aux services pour les jeunes des différents profils, le programme étant implanté directement dans leur milieu de vie. Les multiples facteurs étudiés dans la présente étude permettent également de mieux cibler des pistes d’intervention pertinentes et de pallier certaines limites des programmes existants. Par exemple, offrir un programme multimodal qui implique les parents en abordant la relation parent-enfant et le soutien de ces derniers pour les élèves à risque des profils 2 et 3, favoriser la tolérance à l’incertitude et la prise de risque, la pression des pairs ainsi que le développement des habiletés sociales et des relations sociales soutenantes sont des facteurs qui ne sont pas intégrés dans la plupart des programmes d’intervention québécois (Houle, 2017), mais qui font partie du programme HORS-PISTE. Ces facteurs représentent également des notions clés à exploiter davantage sur le plan clinique, par les intervenants scolaires et psychosociaux, en contexte d’intervention individuelle notamment.

Limites et pistes de recherches futures

Notons d’abord le fait que toutes les variables ont été documentées par l’entremise de questionnaires présentés directement aux participants. Une approche multirépondants et multiméthodes assurerait une plus grande indépendance des observations ainsi qu’une plus grande validité. Aussi, bien que le questionnaire utilisé pour mesurer l’anxiété généralisée permette d’évaluer la caractéristique centrale du TAG, à savoir la tendance excessive à s’inquiéter, il ne permet pas de mesurer les autres symptômes du TAG, par exemple la présence de symptômes somatiques. Il est donc possible que les facteurs de risque identifiés dans le cadre de la présente étude soient particulièrement liés à cette caractéristique précise et non à l’ensemble des caractéristiques du TAG. Par ailleurs, les variables liées à l’environnement scolaire n’ont été que très peu considérées alors qu’il s’agit d’un contexte où les adolescents passent beaucoup de temps. Notons également que l’échantillon utilisé dans le cadre de la présente étude est issu de divers milieux scolaires québécois. Bien qu’il soit représentatif des adolescents fréquentant un milieu scolaire, il ne tient pas compte des adolescents et des adolescents non scolarisés, ce qui limite la possibilité de généraliser les résultats obtenus dans la présente étude à cette population particulière. Par ailleurs, l’échantillon est composé d’adolescents en provenance de 4 grandes régions du Québec et non pas de l’ensemble des régions, ce qui peut limiter la généralisation à des régions qui auraient des réalités particulières. Enfin, la nature transversale du devis ne permet pas d’établir des liens de cause à effet entre les facteurs associés et les symptômes d’anxiété généralisée.

À ce jour, les études ayant porté sur les facteurs environnementaux et sociaux associés à l’anxiété des jeunes ont reçu très peu d’attention, en comparaison aux facteurs individuels et familiaux (Creswell et coll., 2020). Bien que cette étude permette de faire un pas dans la bonne directement en ce sens, en s’intéressant à certains facteurs familiaux, il apparaît nécessaire de s’intéresser aux associations possibles entre l’expérience scolaire de l’adolescent et les symptômes d’anxiété généralisée qu’il présente. On peut penser, par exemple, à l’importance de la relation enseignant-élève, au sentiment d’appartenance à l’école, à l’expérience de victimisation de l’élève, à la pression du milieu scolaire sur la réussite, à la nécessité de formuler un premier choix d’orientation, etc. Il est effectivement possible de penser que ces facteurs pourraient contribuer de manière significative à expliquer la présence de symptômes d’anxiété généralisée à l’adolescence.