Corps de l’article

Pour stimuler l’action environnementale chez les jeunes, de plus en plus de praticiens délaissent les traditionnels programmes éducatifs – visant à transmettre des connaissances, souvent dans un contexte formel – pour adopter une approche plus holistique et participative, de nature à développer un ensemble de compétences, la pensée critique et l’implication citoyenne (Bonnett, 2002 ; Arnold et coll., 2009). Or, selon plusieurs chercheurs, démontrer l’efficacité de ces activités non formelles est une tâche complexe. Contrairement aux programmes d’éducation en milieu formel, l’évaluation des activités de mobilisation jeunesse en environnement n’a pas fait l’objet de nombreuses études, comme le soulignent Riemer et coll. (2014). Dans ce contexte, proposer un modèle d’évaluation s’appuyant sur un socle théorique multidisciplinaire semble une avenue prometteuse, à la fois du point de vue de la recherche académique que de la pratique sur le terrain.

Problématique

Selon les données du plus récent Baromètre de l’action climatique au Québec, près de 96 % de la population québécoise croit que le changement climatique concerne leur génération et les trois quarts estiment qu’il est urgent d’agir contre ce phénomène (Champagne St-Arnaud et Daignault, 2020). Cette prise de conscience intergénérationnelle constitue une étape importante vers l’adoption de mesures individuelles et collectives pour atténuer la crise environnementale la plus importante du 21e siècle (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [GIEC], 2018). La technologie étant insuffisante à elle seule pour résoudre cette problématique, la mobilisation de toutes les personnes est essentielle (Stocknes, 2015).

Toutefois, plusieurs chercheurs.euses soulignent la pertinence de diriger les efforts de mobilisation environnementale auprès des adolescent.e.s, et ce, pour trois raisons. D’une part, bien que les conséquences du changement climatique se manifestent à un rythme de plus en plus rapide (GIEC, 2018), la jeune génération sera la plus susceptible d’en subir les effets au cours des prochaines décennies (Ojala, 2012). D’autre part, c’est généralement à l’adolescence qu’un individu forge son identité. Si un.e jeune est amené.e à se percevoir dès maintenant comme une personne préoccupée par les questions environnementales, cela favorisera l’enracinement et le maintien de cette perception dans le futur (Arnett, 2006 ; Blythe et Harré, 2012). Finalement, l’histoire montre que les jeunes ont souvent été aux premières loges – et continuent de l’être – de mouvements visant des changements de paradigmes à l’échelle sociétale (Ballantyne et coll., 1998 ; Ginwright et James, 2002). Greta Thunberg – qui a mobilisé des milliers d’étudiant.e.s à travers le monde dans des « grèves pour le climat » – en constitue un exemple récent. Selon Riemer et coll. (2014), cela confère à la jeune génération « [une place déterminante] dans toute tentative visant à solutionner des problématiques environnementales par le biais du changement social » (p. 555, traduction libre).

Les activités d’éducation relative à l’environnement et au changement climatique auprès des jeunes

En cohérence avec les constats précédents, de nombreuses activités éducatives autour de la question du changement climatique ont été déployées auprès des jeunes, la plupart en milieu formel. Toutefois, plusieurs chercheurs.euses soulignent l’importance de développer parallèlement des interventions éducatives en milieu non formel, par exemple, dans des camps de jour et des musées. (Bonnett, 2002 ; Davis, 2010 ; Riemer et coll., 2014 ; Champagne-Poirier et coll., 2017). À leur avis, le milieu non formel constitue un terreau favorable à une approche holistique permettant non seulement l’acquisition de connaissances environnementales (Simard et Samson, 2018 ; Simard et Samson, soumis), mais également le développement de compétences essentielles à l’engagement social, comme la pensée critique, le leadership, l’empathie (Jensen et Schnack, 1997 ; Jensen, 2002 ; Schusler et coll., 2009). Selon Sauvé (2013), ces compétences éthiques, critiques, politiques, associées aux compétences scientifiques, contribuent au développement d’une écocitoyenneté, soit « une citoyenneté consciente des liens étroits entre société et nature, une citoyenneté critique, compétente, créative et engagée, capable et désireuse de participer aux débats publics, à la recherche de solutions et à l’innovation écosociale » (p. 2-3).

Ainsi, l’écocitoyenneté dépasse la simple adoption d’écogestes à l’échelle individuelle (comme recycler ou prendre l’autobus) et s’incarne également dans l’action environnementale à l’échelle sociale, que Alisat et Riemer (2015) décrivent comme « un comportement civique adopté consciemment et intentionnellement dans l’objectif de créer un effet positif (souvent indirect) sur l’environnement par le biais du changement collectif et, à divers degrés, politique » (p. 14, traduction libre). L’adoption d’écogestes est néanmoins souvent au cœur des activités d’éducation relative à l’environnement et au changement climatique (ERCC), dans une perspective gradualiste conduisant progressivement à un engagement social plus marqué.

L’évaluation de l’efficacité des activités d’éducation relative à l’environnement et au changement climatique en milieu non formel

Dans la documentation scientifique consultée, un consensus émerge quant à l’importance d’évaluer l’efficacité des activités d’ERCC à partir d’un cadre théorique bien défini (Riemer et coll., 2014). Or, évaluer l’efficacité de telles activités est complexe pour deux raisons. D’une part, alors qu’il existe une importante littérature portant sur l’évaluation de l’ERCC en milieu formel, celle qui concerne le milieu non formel est beaucoup moins abondante, particulièrement à l’égard des activités destinées aux jeunes (Guevara et coll., 2009 ; Riemer et coll., 2014). D’autre part, il s’agit principalement d’études empiriques exposant différents effets de la participation de jeunes à des activités d’ERCC, mais qui ne s’appuient pas nécessairement sur un cadre théorique global.

Certain.e.s chercheurs.euses ont utilisé des instruments permettant de mesurer l’adoption effective de comportements écoresponsables au niveau civique, notamment l’échelle de l’action environnementale (Alisat et Riemer, 2015 ; Riemer et coll., 2016). Ce type de mesure présente toutefois une lacune importante, car elle évalue le résultat et non le processus. Or il importe de rendre compte du fait que, même si les jeunes n’ont pas posé de gestes concrets à l’issue de leur participation à une activité d’ERCC, ils ont toutefois cheminé personnellement en développant de nouvelles connaissances ou de nouvelles attitudes favorables à l’adoption éventuelle de comportements écocitoyens.

D’autres études, comme celles de Trott et coll. (2020), Dittmer et coll. (2018) ou de Kerry et coll. (2014), ont mesuré l’impact d’activités d’ERCC sur des variables bien précises du processus de changement (par exemple, le sentiment d’auto-efficacité ou l’espoir), mais sans les examiner dans un cadre plus global.

En somme, à notre connaissance, aucune étude portant sur l’évaluation de l’efficacité d’une activité d’ERCC en milieu non formel ne s’est explicitement inspirée d’un modèle théorique pour évaluer l’ensemble du processus d’adoption d’un comportement écoresponsable individuel ou social chez de jeunes participant.e.s.

Dans ce contexte, cet article a une double visée : (1) proposer un cadre d’évaluation d’une activité d’ERCC destinée aux jeunes, à partir du modèle théorique de Klöckner (2015) et (2) l’appliquer à une étude de cas en milieu non formel, soit l’édition 2019 de la campagne Sors de ta bulle mise en œuvre par la Fondation Monique-Fitz-Back et dont l’objectif était de mobiliser les jeunes de 12 à 17 ans dans la lutte climatique.

Cadre théorique

La littérature des champs de l’éducation relative à l’environnement, de la psychologie environnementale et du marketing social permet de constater que de nombreux chercheurs.euses se sont intéressé.e.s aux facteurs expliquant l’adoption (ou non) de comportements écoresponsables. Par exemple, la méta-analyse de Bamberg et Möser (2007) a identifié sept déterminants psychosociaux de l’intention d’adopter un tel comportement : les attitudes, le contrôle comportemental perçu, les normes morales personnelles, la prise de conscience du problème, les normes sociales, le sentiment de culpabilité et le processus d’attribution. D’autres facteurs externes ou internes (par exemple, le contexte ou les habitudes) peuvent également favoriser ou freiner le comportement écoresponsable (Steg et Vlek, 2009). Plusieurs modèles théoriques ont été élaborés pour exposer le rôle de ces facteurs dans le processus de changement comportemental, dont l’approche de l’action raisonnée (Fishbein et Ajzen, 2010), le modèle valeurs-croyances-normes (Stern, 2000), le modèle du changement de comportement autorégulé (Bamberg, 2013) et le modèle global de la détermination de l’action (Klöckner, 2015).

Parmi ces modèles théoriques exposant les variables impliquées dans le processus d’adoption d’un comportement écoresponsable, le modèle global de la détermination de l’action (Klöckner, 2015) (figure 1) apparaît particulièrement pertinent pour évaluer l’efficacité d’une activité d’ERCC, et ce, pour deux raisons. D’une part, il constitue l’un des modèles les plus exhaustifs puisqu’il combine les variables de modèles précédents (l’approche de l’action raisonnée et le modèle valeurs-croyances-normes), en plus d’y ajouter des variables importantes comme les contraintes objectives et les habitudes, le tout dans une structure logique qui traduit l’enchainement des étapes de changement. D’autre part, ce modèle a été validé empiriquement par de nombreuses études (Sopha et Klöckner, 2011 ; Klöckner et Oppedal, 2011 ; van den Broek et coll., 2019 ; Joanes et coll., 2020).

Figure 1

Modèle global de la détermination de l’action (traduction libre et adaptation de Klöckner, 2015, p. 92)

Modèle global de la détermination de l’action (traduction libre et adaptation de Klöckner, 2015, p. 92)

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Méthodologie

Puisque le premier objectif de la recherche que nous avons menée est de proposer un cadre d’évaluation d’une activité d’ERCC destinée aux jeunes, il convient d’expliciter en premier lieu, la façon dont le modèle de Klöckner (2015) a été traduit en indicateurs d’efficacité. Nous exposons ensuite la façon dont ces indicateurs ont été utilisés dans le contexte de l’étude de cas de la campagne Sors de ta bulle, correspondant au second objectif de cet article. La posture épistémologique ainsi que le devis ayant guidé cette étude de cas y sont brièvement exposés et justifiés.

Élaboration du cadre d’évaluation

À partir du modèle global de la détermination de l’action (Klöckner, 2015), il a été possible d’élaborer une liste de douze indicateurs de l’efficacité d’une activité d’ERCC, regroupés autour de trois dimensions du comportement écoresponsable : la motivation, le sentiment d’efficacité et le passage à l’action (tableau 1).

Des exemples d’énoncés démontrent de quelle façon les indicateurs peuvent être intégrés concrètement à un outil de mesure. Une attention particulière a été apportée à formuler des énoncés et des choix de réponses permettant de mesurer la plus grande diversité de positions possible. Cela apparait important dans la mesure où le plus récent Baromètre de l’action climatique (Champagne St-Arnaud et coll., 2020) a révélé que la population québécoise se divise en six groupes distincts au regard de leurs attitudes et comportements relatifs à l’action climatique. Certains groupes se démarquent notamment par leur indifférence à la crise climatique et leur perception qu’il n’est pas nécessaire de s’investir dans cette lutte. D’autres études similaires – par exemple, celles menées annuellement par le Yale Program on Climate Change Communication – confirment la présence de segments réfractaires à la lutte climatique au sein d’autres populations ailleurs dans le monde (Goldberg et coll., 2020).

Tableau 1

Indicateurs d’efficacité d’une activité d’ERECC spécifique à l’enjeu du changement climatique

Indicateurs d’efficacité d’une activité d’ERECC spécifique à l’enjeu du changement climatique

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Étude de cas – Sors de ta bulle

L’étude de cas est une approche méthodologique empirique consistant à enquêter sur un objet spécifique afin d’en tirer une description précise qui permet de mieux comprendre un système plus large (Roy, 2010). Dans le cas présent, quatre critères justifient le recours à l’étude de cas (Gagnon, 2012). D’abord, le cadre d’évaluation de l’efficacité d’une activité d’ERCC doit être mis à l’épreuve empiriquement afin d’en examiner les forces et faiblesses potentielles. Deuxièmement, l’évaluation doit être réalisée de manière concomitante à une activité d’ERCC, dans la mesure où elle exige des mesures avant et après la tenue de l’activité. Troisièmement, le contrôle ou la manipulation des sujets d’étude – dont les participant.e.s de l’activité d’ERCC – n’est pas nécessaire (ni même souhaitable) pour évaluer l’efficacité de l’activité. Finalement, les bases théoriques de l’évaluation de l’efficacité des activités d’ERCC comportent encore des éléments inexpliqués – on ne sait pas, par exemple, quel modèle théorique convient le mieux – et l’étude de cas est donc utile pour explorer une nouvelle proposition de cadre d’évaluation.

La Fondation Monique-Fitz-Back, une organisation à but non lucratif investie dans la promotion de l’ERCC au Québec, a mis en œuvre la campagne Sors de ta bulle, visant à mobiliser les jeunes de 12 à 17 ans dans la lutte contre le changement climatique. Déclinée en plusieurs volets, la campagne comprend notamment l’organisation d’un Sommet jeunesse annuel sur le changement climatique (SJCC), une activité de deux jours réunissant quelques centaines de jeunes intéressé.e.s à en apprendre davantage sur le changement climatique et sur les différentes formes de mobilisation contre ce phénomène. Les participant.e.s sont principalement sélectionné.e.s sur la base de leur intérêt envers la problématique et de leur provenance, la Fondation Monique-Fitz-Back s’assurant d’accueillir des jeunes de toutes les régions du Québec.

L’étude de cas que nous avons menée s’inscrit dans la posture des multiples paradigmes (Teddlie et Tashakkori, 2003), soit « un modèle qui peut privilégier des données quantitatives ou qualitatives séparément, de manière séquentielle ou ensemble, de façon simultanée » à partir des méthodes qu’un.e chercheur.euse estime les plus appropriées pour atteindre l’objectif de recherche (Anadon, 2019, p. 113). Plus précisément, l’étude de cas s’est ancrée dans un devis mixte séquentiel explicatif, dans lequel une première phase de collecte de données quantitatives (questionnaires en ligne) a été suivie d’une seconde phase de collecte de données qualitatives (entretien de groupe), dans le but d’explorer et d’expliquer plus en détail les résultats quantitatifs initiaux (Creswell et Plano-Clark, 2018 ; Onwuegbuzie et Leech, 2005).

Les indicateurs d’efficacité élaborés précédemment (tableau 1) ont été utilisés pour évaluer les effets de la participation des jeunes à un SJCC sur l’adoption de comportements écoresponsables individuels et collectifs.

La collecte de données a été effectuée avant, pendant et après le SJCC de 2019, tenu les 17 et 18 mai 2019 à Lévis, dans la région de Québec[1]. D’abord, deux questionnaires en ligne ont été envoyés aux 350 participant.e.s, le premier quelques jours avant l’événement et le second quelques jours après. Il était précisé qu’aucune donnée ne permettrait d’identifier les participant.e.s et que la complétion des questionnaires était facultative. Identiques et comportant des questions fermées, les questionnaires avant et après le SJCC couvraient les différents indicateurs du tableau 1 : par exemple, « De façon spécifique, m’impliquer dans la lutte climatique est pour moi : (1) très important (2) assez important (3) peu important (4) pas important ». L’objectif était de comparer les résultats pour vérifier si la participation au Sommet avait eu un effet sur les différentes variables du processus d’adoption d’un comportement écoresponsable. Plus précisément, lors de l’analyse, les pourcentages des questions similaires ont été comparés entre les deux questionnaires pour mesurer cet effet.

Les questionnaires avant et après le SJCC ont respectivement obtenu 41 et 76 réponses (soit un taux de réponse variant entre 12 % et 22 %). Il s’agit d’un échantillon de convenance, adéquat pour notre étude dans la mesure où l’objectif n’est pas de représenter avec exactitude l’ensemble des sous-catégories de participants pour en tirer des statistiques généralisables (Fortin et Gagnon, 2016). Les implications méthodologiques de ce type d’échantillonnage sont abordées dans la discussion.

De plus, lors de la deuxième journée du SJCC le 18 mai 2019, un entretien de groupe semi-dirigé de 60 minutes a été réalisé, auprès de douze participant.e.s. Provenant d’écoles et de régions variées du Québec, ces jeunes ont été sélectionné.e.s sur une base volontaire lors d’un appel à tous et à toutes en début de journée. Permettant de recueillir des données riches et complexes, l’entretien semi-dirigé était pertinent pour mieux comprendre la perspective personnelle des jeunes sur les effets de leur participation au SJCC (comme le suggèrent Creswell et Plano-Clark, 2018).

Le canevas d’entretien a été élaboré à partir de l’analyse des résultats du questionnaire « avant SJCC » et comprenait des questions ouvertes autour des trois dimensions du comportement écoresponsable (la motivation, le sentiment d’efficacité et le passage à l’action). Par exemple, à partir du constat selon lequel seulement un tiers des jeunes se considéraient déjà très renseigné.e.s sur la façon de réduire personnellement leur impact climatique, il a été pertinent d’explorer les racines de cette perception et l’effet potentiel de leur participation au SJCC. En ce sens, certaines questions ont été posées : « Vous considérez-vous plutôt démuni ou outillé pour réduire votre impact sur le climat ? Pour quelles raisons ? De quelle façon votre participation au SJCC a-t-elle influencé cette perception ? Qu’avez-vous appris selon vous à cet égard ? »

Résultats

Cette section présente d’abord un bref portrait des participant.e.s au SJCC. Elle fait ensuite état des résultats des questionnaires et de l’entretien de groupe. De façon générale, trois constats émergent en lien avec la participation des jeunes au SJCC : une augmentation de la motivation chez les jeunes, un renforcement de leur sentiment d’efficacité personnelle et une intensification de leur engagement dans la lutte climatique.

Pour la majorité des jeunes, il s’agissait d’une première participation à cet événement. Principalement engagé.e.s au 2e cycle du secondaire, les participant.e.s provenaient de 81 écoles issues de 13 régions du Québec[2]. La forte majorité s’estimait déjà bien renseignée sur la crise climatique et plutôt convaincue de l’importance de s’impliquer dans la lutte, mais tout en entretenant un certain pessimisme quant à l’avenir. De plus, la majorité considérait ne pas être complètement outillée pour réduire sa propre empreinte climatique ou inciter son entourage à le faire. Néanmoins, dans son quotidien, la forte majorité se disait déjà engagée d’une manière ou d’une autre dans la lutte climatique.

Augmentation de la motivation

À la lumière de l’analyse des données, le premier constat est que la participation au SJCC a eu un effet positif sur plusieurs indicateurs de la dimension motivationnelle du processus d’adoption d’un comportement écoresponsable, et ce, à quatre égards.

D’abord, la proportion de participant.e.s estimant connaitre « très bien » les causes et les conséquences du changement climatique a augmenté (+ 37 %). Lors de l’entretien de groupe, les jeunes ont expliqué que, bien que la majorité d’entre eux étaient déjà sensibilisé.e.s aux enjeux climatiques, ils et elles considéraient leurs sources actuelles d’information (l’école, les médias) plutôt limitées. Ils et elles estiment avoir trouvé au SJCC des sources fiables et crédibles pour mieux comprendre ce phénomène.

De plus, après le SJCC, les jeunes trouvant « très important » de jouer un rôle actif dans la société sont plus nombreux (+20 %). Plus spécifiquement, on observe une augmentation (+ 21 %) de la proportion des jeunes qui estiment « très important » de s’impliquer dans lutte climatique. Lors de l’entretien, plusieurs participant.e.s ont en effet affirmé ressentir un grand stress lié aux enjeux climatiques. Par exemple, une jeune a déclaré :

Dans les médias, on voit des politiciens qui ne font rien pour lutter contre le changement climatique, comme Trump, par exemple. C’est décourageant. En plus, toutes les statistiques qu’on lit montrent que la situation empire. Moi, ça me fait vraiment peur.

Pour cette raison, les jeunes étaient déjà nombreux à vouloir s’impliquer dans la lutte contre le changement climatique avant même leur participation au SJCC. Cependant, ils se sentaient parfois démunis. Dans ce contexte, les jeunes se posaient certaines questions avant d’assister au SJCC : Que faut-il faire exactement ? Cela est-il suffisant pour inverser la tendance actuelle ? À cet égard, les jeunes ont affirmé y avoir trouvé une forme de soulagement qui a contribué à nourrir leur motivation : « Ce qui est apaisant, c’est que ce sont des experts du milieu qui viennent nous rassurer, […] [nous dire] que c’est encore possible de changer les choses si on se mobilise », a expliqué un participant.

Finalement, les résultats montrent un renforcement de la perception concernant l’implication des jeunes dans la lutte climatique (taux d’accord passant de 7,3 / 10 à 8,6 / 10). Lors de l’entretien, les participant.e.s ont rapporté que le grand nombre de jeunes présents à l’évènement avait chassé leur sentiment d’isolement : « Je n’avais pas réalisé à quel point il y a des jeunes qui s’activent au Québec ; ça me motive, parce que j’avais parfois l’impression d’être seul dans mon coin », a déclaré l’un des participant.s.

Toutefois, la participation au SJCC n’a pas eu d’impact important (+ 3 %) sur la perception de l’utilité des actions individuelles pour lutter contre le changement climatique. Pour les participant.e.s à l’entretien de groupe, cela semblait être un fait acquis.

Dans le même ordre d’idées, le SJCC n’a pas eu d’effet significatif sur la perception des jeunes selon laquelle leur implication dans la lutte climatique est généralement perçue de manière positive par leur entourage (taux d’accord passant de 8,1 à 8,4/10). Autrement dit, les jeunes bénéficiaient déjà d’une forme d’approbation sociale de la part de leurs pairs (famille, amis, etc.). Toutefois, plusieurs participant.e.s ont affirmé ressentir une forme de pression sociale les incitant à maintenir un engagement environnemental parfait en tout temps. Un jeune a déclaré :

On est tellement rendus dans une société de performance, à l’école, dans les sports, partout, que c’est rendu la même chose dans ton implication. Il faut que tu sois un végétarien parfait ou que tu élimines complètement le plastique de ta vie, sinon tu te le fais reprocher.

En effet, plusieurs jeunes ont affirmé se sentir scruté.e.s par leurs pairs, au point où certain.e.s ont choisi de vivre leur mode de vie écoresponsable dans l’ombre. Certains jeunes ont déclaré qu’en participant au SJCC, ils et elles ont réalisé qu’un mode de vie parfait n’est pas nécessaire pour réduire leur empreinte climatique, ce qui a contribué à abaisser la pression sociale ressentie.

Notons, par ailleurs, que la participation au SJCC semble avoir eu un effet positif auprès des jeunes dont l’engagement environnemental n’était pas nécessairement approuvé par leurs pairs, comme c’est le cas pour ce jeune :

Dans mon entourage, ma sexualité, qui est non conforme parce que je suis homosexuel, a été mieux acceptée que mon végétarisme. Quand j’ai dit à mon père que j’aimais les garçons, ça s’est super bien passé. Mais quand j’ai dit que je voulais changer ma diète pour devenir végétarien [pour des raisons environnementales], ç’a été comme un cataclysme dans la vie de toute la famille. Et c’est encore le cas deux ans plus tard. Ce n’est pas accepté, ils rient de moi et essaient de me faire changer d’idée.

Dans ce contexte, la participation au SJCC a été perçue comme un moment de ressourcement pour lui : « On se sent tous liés quand on vient ici ; on se sent plus libres ; il n’y a plus de préjugés, plus de barrières ; on peut enfin “sortir de notre bulle”, justement ».

Renforcement du sentiment d’efficacité personnelle

Le second constat est lié à la consolidation du sentiment d’efficacité personnelle des participant.e.s à l’égard de l’adoption de comportements écoresponsables.

D’une part, les jeunes sont plus nombreux (+ 25 %) à très bien savoir quoi faire pour diminuer personnellement leur impact climatique. Les participant.e.s à l’entretien de groupe ont rapporté avoir été exposé.e.s à une diversité de solutions par le biais des conférences et des ateliers lors du SJCC, mais ils et elles ont également pu partager des idées, des stratégies et des projets avec les autres jeunes de leur âge. Les participant.e.s ont ainsi obtenu des conseils concrets à mettre en œuvre dans leur quotidien.

D’autre part, on constate une augmentation (+ 14 %) des participant.e.s. qui estiment être très habiles pour inciter leur entourage à faire leur part dans la lutte climatique. Une participante a rapporté ceci : « [J’ai appris] à mieux communiquer sur le changement climatique ; je suis moins radicale dans ma façon de m’adresser aux autres, ça passe mieux. »

Cependant, la participation au SJCC a eu peu d’effet sur la conviction selon laquelle l’implication collective des jeunes peut faire une différence dans la lutte climatique (taux d’accord passant de 9,0 à 9,3/10). Lors de l’entretien, les participant.e.s ont rapporté qu’ils et elles étaient déjà convaincu.e.s que l’addition de petites initiatives à l’échelle du Québec est utile dans la lutte, avant même de participer au SJCC.

Intensification de l’engagement dans la lutte climatique

Le troisième constat porte sur l’intensification du passage à l’action des jeunes contre le changement climatique après le SJCC. En effet, bien que la participation au SJCC n’ait pas influencé la proportion de jeunes affirmant s’impliquer dans un projet de lutte climatique (71 % avant et après le SJCC), ils et elles sont désormais plus nombreux et nombreuses (+ 18 %) à se décrire comme « très actifs » et « très actives » dans cette lutte. Selon les participant.e.s à l’entretien, l’acquisition de compétences communicationnelles, la création d’un réseau de pairs et la découverte de nouvelles idées de projets sont des outils supplémentaires permettant aux jeunes d’accroitre leur engagement : « Le fait que ce soit à l’échelle provinciale a vraiment un impact, parce qu’on s’ajoute sur les réseaux sociaux ; si j’implante un nouveau projet, je sais que je peux écrire à tout le monde pour avoir des conseils ; le Sommet crée des liens », a indiqué une participante.

De plus, certains jeunes ont expliqué leur perception de l’intensification de leur engagement par la prise de conscience de l’étendue de leur champ d’action, auparavant restreint à leur milieu scolaire. En participant au SJCC, les jeunes ont constaté que la mobilisation climatique pouvait se faire à plusieurs échelles : politique, communautaire, familiale, individuelle, etc. Par exemple, une participante a rapporté avoir appris qu’« on peut écrire aux ministres, écrire aux députés, etc. ; ce sont des choses simples, mais qui peuvent vraiment faire une différence. »

Au bilan

Le tableau 2 expose les réponses comparées au questionnaire avant et après le SJCC au regard de la motivation chez les jeunes, du renforcement de leur sentiment d’efficacité personnelle et du passage à l’action, se traduisant par une intensification de leur engagement dans la lutte climatique.

Tableau 2

Résultats comparés des indicateurs quantitatifs avant et après le SJCC 2019

Résultats comparés des indicateurs quantitatifs avant et après le SJCC 2019

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Discussion

Pour les praticien.ne.s de l’ERCC en milieu non formel, l’évaluation de l’efficacité de leurs activités constitue un défi, notamment en raison de l’absence de méthode permettant d’observer l’ensemble du processus d’adoption d’un comportement écoresponsable à l’échelle individuelle ou collective (Guevara et coll., 2009 ; Riemer et coll., 2014).

En proposant une liste d’indicateurs s’appuyant sur un modèle théorique existant (Klöckner, 2015), notre recherche répond à cette préoccupation. Son principal intérêt est de mettre en lumière les effets d’une activité d’ERCC sur les différentes variables du processus d’adoption comportementale.

De plus, ce cadre offre une souplesse méthodologique aux praticien.ne.s puisqu’il sied autant aux méthodes quantitatives que qualitatives, au sein d’un devis mixte. Il peut donc s’intégrer aux activités d’évaluation les mieux adaptées au contexte des praticien.ne.s, selon les ressources (financières, temporelles, logistiques, etc.) dont ils et elles disposent.

Une limite importante concerne toutefois le fait que les résultats reposent sur des déclarations autorapportées par les jeunes. Conséquemment, il existe le risque d’un biais de désirabilité sociale, où une personne pourrait être tentée d’offrir la réponse qu’elle estime être en accord avec la norme sociale. Par exemple, un.e jeune pourrait croire qu’il est très mal vu de ne pas vouloir jouer un rôle actif dans la société ou de ne pas être préoccupé par la crise climatique. Il importe cependant de rappeler que les normes sociales varient d’un segment de population à l’autre et, pour cette raison, les énoncés proposés dans le cadre d’évaluation pourraient tout autant commander des réponses positives que négatives, selon la norme sociale dominante du jeune interrogé. Sans pouvoir éliminer cette limite, une façon de mieux l’appréhender consiste à bien identifier les normes sociales du groupe étudié, notamment par le biais d’une méthode qualitative, puis à valider si les répondant.e.s ressentent, de façon générale, une forte pression à se conformer aux normes du groupe. C’est notamment ce qui a été fait dans le cadre de l’étude de cas du Sommet jeunesse sur le changement climatique.

Ultimement, l’application au cas du Sommet jeunesse sur le changement climatique, déployé au sein de la campagne Sors de ta bulle de la Fondation Monique-Fitz-Back, suggère que l’utilisation d’un devis mixte peut permettre non seulement de rendre compte de l’efficacité de l’activité à stimuler l’adoption de comportements écoresponsables auprès des participant.e.s, mais également d’apporter des éléments d’explication à cette influence. En croisant deux méthodes de collecte de données (questionnaires et entretien de groupe), le devis mixte visait à réduire les faiblesses d’une méthode par les forces d’une autre (Karsenti et Demers, 2018). Ici, la méthode quantitative utilisée seule n’aurait pas permis de comprendre pourquoi, précisément, la participation au SJCC a provoqué les effets observés. De manière complémentaire, la méthode qualitative a compensé cette faiblesse en fournissant ces explications.

Par exemple, la comparaison des réponses au questionnaire avant et après le SJCC a montré que les jeunes ont développé une motivation accrue à s’impliquer dans la lutte climatique. Or, l’entretien de groupe a mis en exergue que ce gain de motivation était notamment dû à un apaisement de l’écoanxiété vécue par de nombreux.ses participant.e.s, ce que le questionnaire seul n’aurait pas permis d’identifier. En effet, l’écoanxiété se définit comme une forme de détresse causée par les changements environnementaux en général, provoquant une diversité d’émotions comme la peur, la colère, le sentiment d’impuissance et la fatigue (Albrecht, 2011). Plusieurs participant.e.s ont déclaré vivre de telles émotions. La présence d’expert.e.s au SJCC affirmant qu’il n’est pas trop tard pour limiter les conséquences du changement climatique a contribué à calmer l’angoisse des participant.e.s. Comprendre cette réalité par le biais de l’entretien de groupe a ainsi permis d’expliquer une partie de l’efficacité de l’activité du Sommet dans le cadre de la campagne Sors de ta bulle.

De manière complémentaire, l’entretien de groupe a permis de mieux comprendre en quoi le fait de rencontrer des centaines de jeunes impliqué.e.s dans la lutte climatique a contribué à stimuler leur motivation, et ce, pour trois raisons. D’une part, bien que la majorité des participant.e.s étaient déjà engagé.e.s dans la lutte climatique, plusieurs ont rapporté se sentir isolé.e.s dans leurs communautés respectives. Par exemple, les comités environnementaux locaux ne comptent parfois que quelques membres, ce qui peut alimenter des sentiments d’isolement et d’impuissance, soit d’importants freins à l’action. En effet, Cojuharenco et coll. (2016) rapportent que ces émotions expliquent souvent la baisse d’intérêt envers l’implication sociale ou environnementale. Ainsi, faire partie d’un grand rassemblement de jeunes motivés a contribué à diminuer ces sentiments négatifs. D’autre part, cela a nourri l’espoir chez les participant.e.s, une émotion positive stimulant l’engagement des jeunes dans la lutte climatique (Ojala, 2012). Finalement, en émergeant de leur cercle social immédiat, les participant.e.s ont pu tisser des liens avec d’autres jeunes partageant leurs convictions environnementales. Cela constitue un nouveau groupe social de référence auquel les jeunes peuvent désormais s’identifier et dont les normes pourront exercer une forte influence, parfois même plus forte que celle de leur entourage (Hogg, 2003 ; Keizer et Schultz, 2013). En bref, ces exemples montrent la complémentarité et la richesse des données obtenues par le biais de l’intégration du cadre d’évaluation dans un devis méthodologique mixte.

Dans le cas de l’évaluation de la campagne Sors de ta bulle, plus spécifiquement de l’activité du SJCC, deux limites méthodologiques principales méritent d’être rappelées. D’abord, les taux de réponse inégaux entre les questionnaires « avant » et « après SJCC » ne permettent pas d’établir des comparaisons statistiques robustes. Par exemple, on ne peut pas garantir que ce sont exactement les mêmes participant.e.s qui ont répondu aux questionnaires. Par ailleurs, l’entretien de groupe a été tenu à la fin de l’événement, témoignant ainsi d’effets à très court terme. Il aurait été intéressant de réaliser d’autres activités d’évaluation quelques semaines – voire quelque mois – après le SJCC pour vérifier si les effets observés ont perduré.

Conclusion

Le rôle joué par l’ERCC dans la lutte contre le changement climatique, tant dans les milieux d’enseignement formels que non formels, est de plus en plus reconnu au Québec, comme en témoigne la proposition de Stratégie québécoise d’éducation en matière d’environnement et d’écocitoyenneté (Centr’ERE, 2019). Dans ce contexte il importe de développer des outils permettant d’évaluer l’efficacité de ces activités sur le terrain. Or, nous avons vu que la documentation scientifique consultée indique que ces outils d’évaluation sont, pour l’instant, peu nombreux et souffrent souvent de l’absence d’assises théoriques solides.

Cet article constitue ainsi une contribution à la réflexion autour de cet enjeu pratique, en proposant un cadre d’évaluation s’enracinant dans un modèle théorique de l’adoption d’un comportement écoresponsable. Il est souhaité que d’autres praticiens.nes du milieu non formel utilisent ce cadre d’évaluation dans différents contextes, afin d’en relever les forces et, potentiellement, quelques limites qui pourraient être corrigées dans une version revisitée.

Appliqué au cas de la campagne Sors de ta bulle de la Fondation Monique-Fitz-Back, ce cadre a permis de démontrer qu’une activité d’ERCC comme le Sommet jeunesse annuel sur le changement climatique peut avoir des effets mesurables, à court terme du moins, sur la motivation des jeunes, leur sentiment d’efficacité et leur engagement dans la lutte climatique. Une étude longitudinale et des ressources financières importantes permettraient de vérifier la persistance de ces effets à long terme.