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La thèse à partir de laquelle sont issus les résultats présentés ici s’intitule « L’étude du sentiment de pouvoir agir de jeunes du Québec face aux changements climatiques : dimensions et conditions favorables à son développement à l’école secondaire ». L’objectif global de cette recherche était de contribuer à la conceptualisation du sentiment de pouvoir agir de jeunes Québécoises et Québécois de la fin du secondaire au regard de la problématique des changements climatiques et de dégager des conditions favorables à son développement à l’école secondaire.

Tel qu’illustré par nombre de chercheurs et chercheuses, les changements climatiques contribuent à augmenter les injustices dans le monde (GIEC, 2014 ; Kwauk, 2020). Par exemple, des populations vulnérables voient leur accès à une alimentation de base limité en raison de conditions météorologiques extrêmes, d’autres ne peuvent plus se loger de manière sécuritaire en raison de l’inondation des berges sur lesquelles ils habitent. Considérant ces injustices que doivent et devront encore davantage affronter les jeunes dans l’avenir, l’école devient plus que jamais responsable de développer leur pouvoir agir. Or, le développement d’un tel pouvoir comporte de nombreux défis, en particulier lorsqu’il est question de la thématique des changements climatiques. La première section de cet article y est consacrée. Pour réfléchir aux conditions scolaires nécessaires pour aborder ces défis, il faut tout d’abord mieux comprendre le rôle joué actuellement par l’école au regard des changements climatiques, ce que nous présentons brièvement dans une deuxième section. Une troisième section présente quelques recherches qui permettent de mieux comprendre le pouvoir agir des jeunes dans la lutte aux changements climatiques et la manière dont l’école pourrait contribuer à le développer davantage. Dans la quatrième section, une théorie en particulier, celle des capabilités (Sen, 2010), permet d’établir des liens entre les différents concepts proches de ce que peut représenter le sentiment de pouvoir agir et qui sont régulièrement interpellés dans le domaine de l’éducation relative aux changements climatiques. Dans la cinquième section de cet article, nous présentons la méthodologie utilisée afin de conceptualiser le sentiment de pouvoir agir. La sixième section expose une partie des résultats de recherche obtenus, soit ceux qui traitent spécifiquement du contexte scolaire dans lequel évoluent les jeunes du Québec. Ce contexte constitue une dimension importante du sentiment de pouvoir agir des jeunes face aux changements climatiques. Dans le but d’élargir la réflexion entourant le traitement des questions environnementales à l’école, nous présentons une discussion centrée sur les besoins mentionnés explicitement par les jeunes pour développer leur pouvoir d’agir autour de cette problématique et plus largement encore.

Les défis de l’éducation relative aux changements climatiques

Les jeunes d’aujourd’hui sont amenés à jouer un rôle prépondérant dans la lutte aux changements climatiques, entre autres parce qu’ils forment la génération qui a le plus à gagner ou à perdre des décisions prises par les générations plus âgées (Corner et coll., 2015). Ils sont également plus vulnérables face aux décisions prises par les adultes étant donné qu’ils devront vivre plus longtemps qu’eux avec les conséquences de ces décisions et que leur voix n’est malheureusement que peu prise en considération (Hayward, 2012 ; Corner et coll., 2015). Dans cette perspective, l’éducation des jeunes devient une avenue à privilégier pour affronter les conséquences des changements climatiques. En dépit des éléments qui permettent de croire que les jeunes sont des acteurs clés pour répondre aux enjeux environnementaux contemporains, l’éducation relative aux changements climatiques doit relever d’importants défis (Schreiner et coll., 2005 ; Naoufal, 2014).

Le premier défi concerne la complexité des aspects scientifiques et sociétaux qui entourent les changements climatiques. Il s’agit en effet d’un phénomène difficile à appréhender, notamment en raison du large spectre d’échelles spatio-temporelles de la variabilité du climat, des interactions complexes entre les différentes composantes du système climatique, ainsi que l’étendue du corpus de connaissances nécessaires pour apprécier le phénomène dans son ensemble (GIEC, 2014). Aussi, les causes humaines de ce bouleversement planétaire sont directement ancrées dans nos styles de vie actuels qui semblent bien difficiles à changer (Naoufal, 2014) et à prendre en compte dans les modèles climatiques actuels (Beckage et coll., 2018). De plus, la globalité de la problématique des changements climatiques et l’inertie du système climatique nous empêchent d’observer les effets directs des actions individuelles posées. Par exemple, il est impossible d’établir un lien direct entre les modifications dans nos modes de vie et la diminution de la fréquence d’événements climatiques extrêmes. Ainsi, en tant que société, nous demandons actuellement aux jeunes, et à la population en général, de poser des gestes sans en attendre d’effets concrets et rapides.

Un deuxième défi soulevé par Schreiner et coll. (2005) réside dans le fait que les impacts des changements climatiques sont à la charge, de manière disproportionnée, des pays en développement et des générations futures (Ballet et coll., 2013 ; Brown, 2016). Il s’agit d’une problématique sociale et environnementale qui s’échelonne sur une longue échelle de temps et qui demande à la population actuelle de résoudre un problème qui ne la touche pas directement si elle ne fait pas partie d’un groupe plus vulnérable.

Le troisième défi concerne les caractéristiques de la société moderne, les images que se font les jeunes de leur avenir et leur sentiment de pouvoir agir à cet égard. Il faut avant tout considérer que les risques associés aux changements climatiques ne sont ni délimités dans le temps ou l’espace, ni par rapport à l’âge, au genre et au statut social des individus. Comme il s’agit d’une problématique pour laquelle peu d’individus pensent être des agents ou des causes directes, peu osent croire qu’ils puissent faire partie de la solution. Aussi, d’après l’analyse théorique faite par Schreiner et coll. (2005), « la génération de nos enfants pourrait être considérée comme la première depuis des centaines d’années à croire qu’elle n’aura pas une vie meilleure que celle de ses parents » (traduction libre de Schreiner et coll., 2005, p. 15). L’expérience des jeunes d’aujourd’hui (ceux de la société occidentale) résulterait du fait que les générations plus âgées, bien qu’ayant accès à un haut niveau de savoirs, ne font pas des choix qui leur assurent un futur agréable et sécuritaire. Il est à prévoir en effet que, même si les causes des changements climatiques leur semblent clairement reliées à l’activité humaine, les générations plus âgées ne changeront pas leurs pratiques de manière significative. Schreiner et coll. (2005) supposent ainsi que, si le futur « idéal » des jeunes ne correspond pas à un futur « possible », il y aura sans doute diminution de leur sentiment de pouvoir agir.

L’école québécoise face aux défis de l’éducation relative aux changements climatiques

Pour relever les défis de l’éducation relative aux changements climatiques, les systèmes éducatifs de divers pays mettent en place des programmes scolaires et valorisent certaines démarches éducatives. À titre illustratif, au Québec, une visée du Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) pour le deuxième cycle du secondaire s’organise sous le vocable « développement du pouvoir d’action » (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport [MELS], 2007a, p. 9). Cette visée, bien que fort pertinente, ne semble pas s’appuyer sur des travaux de recherche ayant documenté ce que signifie concrètement le développement du pouvoir agir.

En fait, il apparaît que les connaissances sont considérées comme l’une des bases fondamentales du développement du pouvoir agir dans le PFEQ. Celles qui concernent les changements climatiques au deuxième cycle du secondaire sont abordées dans le cadre d’une problématique générale qui est proposée aux enseignantes et enseignants de quatrième secondaire dans les programmes de Science et technologie (ST) (MELS, 2007b) et de Science et technologie de l’environnement (STE) (MELS, 2007c). Les connaissances à acquérir sont également présentes en cinquième secondaire dans le programme de Monde contemporain qui fait partie du domaine de l’Univers social (MELS, 2007d). Il est à noter que seules de très brèves mentions des changements climatiques se retrouvent dans les programmes de formation générale appliquée soit les programmes Applications technologiques et scientifiques (ATS) et Science et environnement (SE). Dans le cadre de la formation générale en sciences et technologies, les enseignants peuvent choisir d’aborder la question des changements climatiques mais, tel que précisé dans le programme de formation, cette problématique environnementale n’est pas prescrite. Par ailleurs, en contexte scolaire, il nous apparaît préférable de dépasser un enseignement basé exclusivement sur des connaissances en lien avec les changements climatiques et de développer une éducation transformatrice à visée sociocritique et orientée vers le développement du pouvoir agir (Jickling et Wals, 2013 ; Kwauk, 2020). Il en sera question dans la prochaine section de cet article.

Les recherches en éducation relative aux changements climatiques pour le développement du pouvoir agir

Lors de la réalisation de la thèse dont nous rapportons ici certains résultats, trois phases de recension des écrits ont été effectuées entre 2016 et 2018. Les concepts suivants ont guidé celles-ci : l’éducation au climat (climate education), le sentiment de pouvoir agir (sense of empowerment) et les jeunes (student, youth), mais aussi plus généralement, les changements climatiques (climate change), l’éducation à l’environnement (environmental education et autres domaines connexes), le développement du pouvoir agir (empowerment), l’agentivité (agency), le sentiment d’efficacité personnelle (self-efficacy belief et autres formulations), l’activisme (activism) et l’engagement (engagement et autres formulations). Différentes bases de données, telles que EBSCO (ERIC, Academic Search Complete, Psychology and Behavioral Sciences Collection), CAIRN, Érudit, Repère, Dissertations & Thesis (ProQuest), Web of Science, ont été consultées. Quelques centaines d’articles ont été répertoriés et environ 250 se sont avérés pertinents. Divers recueils de textes (handbooks), livres et articles de presse ont également été retenus.

Il faut d’emblée préciser que, de manière assez générale, il ressort des différentes phases de recension des écrits que la seule présentation d’une série de faits ou de connaissances scientifiques en lien avec les changements climatiques ne suscite pas directement, ou alors très peu, un engagement authentique des élèves à l’égard de l’environnement (Kenis et Mathijs, 2012 ; Corner et coll., 2015). D’autres études tendent également à illustrer que les jeunes entretiennent un sentiment de désespoir, ou encore une forme de fatalisme, face aux problématiques sociales et environnementales actuelles (Connell et coll., 1999 ; Kelsey et Armstrong, 2012). Cette idée de fatalisme relevé dans certains travaux doit toutefois être nuancée. En effet, les jeunes formeraient la génération la plus concernée et intéressée par les changements climatiques, du moins selon ce qui a été documenté il y a une dizaine d’années en Europe (European Commission, 2008) et ce que soulignent à nouveau Corner et coll. (2015). Face à cela, deux visées sociales distinctes de l’éducation au climat peuvent se dessiner. Selon le modèle heuristique de Jickling et Wals (2013), l’une est davantage axée sur un modèle autoritaire, à visée de changement de comportement, et l’autre sur un modèle participatif, à visée sociocritique. Précisons que, dans nos travaux de recherche, nous nous situons dans une visée sociocritique. Dans les écrits recensés qui semblent s’inscrire dans une visée de changement de comportement, les chercheuses et chercheurs tentent généralement d’établir des corrélations entre divers facteurs et la présence ou l’absence de comportements pro-environnementaux (Fielding et Head, 2012 ; Ojala, 2012 ; Hermans et Korhonen, 2017). Il convient toutefois de spécifier ici que les études recensées ne précisent généralement pas si elles s’inscrivent dans une visée de changement de comportement. La conclusion à l’effet que celles-ci s’inscrivent dans une telle visée est déduite à partir de l’analyse et de l’interprétation des écrits recensés. Bien que cette perspective ne soit pas celle adoptée dans le cadre de cette recherche, il convient toutefois de préciser que les études qui semblent y correspondre n’ont pas été systématiquement mises de côté. Cette visée de changement de comportement se trouve toutefois critiquée dans plusieurs des études recensées qui s’inscrivent plutôt dans une perspective sociocritique (Jickling et Wals, 2013 ; Ferreira, 2013 ; Zeyer et Kelsey, 2013). Parmi celles-ci, Kenis et Mathijs (2012) illustrent la critique des jeunes concernant les changements de comportements individuels comme étant porteurs de transformation sociale suffisante.

Kenis et Mathijs (2012) ont interrogé douze jeunes adultes âgés entre 25 et 35 ans de Belgique afin de mieux comprendre pourquoi certains jeunes choisissent de s’engager de manière individuelle face aux changements climatiques, par des changements de comportements, alors que d’autres s’engagent davantage de manière collective. Tous les jeunes questionnés qui se sont dits actifs au plan collectif l’étaient également au plan individuel. Cependant, les jeunes actifs au plan individuel ne l’étaient pas forcément au plan collectif. Toutefois, aucun des jeunes ne soulève l’idée que l’action individuelle face aux changements climatiques peut apporter une réelle contribution dans la résolution de la problématique. Les jeunes disent poser ces gestes individuels davantage par conformisme, pour se donner bonne conscience, mais également puisqu’ils arrivent à en percevoir les résultats (bien que limités). Cela rejoint d’ailleurs le constat d’une étude antérieure menée en contexte québécois (Bader et coll., 2017), où certains des jeunes interrogés se disent conscients que leurs gestes ne contribuent pas significativement à faire changer la situation d’urgence climatique, bien que leur cumul ait une influence.

Les jeunes rencontrés par Kenis et Mathijs (2012) se révèlent également très critiques des stratégies de changement de comportement mises en place principalement par les compagnies produisant des biens de consommation. Ils soulignent entre autres que celles-ci tentent généralement, en fabriquant des produits dits écologiques, à faire porter le fardeau de la responsabilité aux consommateurs. Ce type de stratégie fait en sorte que les gens qui optent pour des comportements écoresponsables (comme acheter le savon écologique plutôt que le savon standard produit par la même compagnie) en viennent à sentir qu’ils ont fait leur part. À leurs yeux, cela pourrait avoir pour effet que des problématiques sociales et environnementales complexes soient perçues comme des problématiques beaucoup moins sérieuses qu’elles ne le sont réellement et que l’adoption d’un comportement pro-environnemental, somme toute limité, puisse à lui seul contribuer à leur résolution. Ces jeunes ne veulent pas être considérés comme des « objets » qui peuvent être conditionnés, mais désirent plutôt être considérés comme des agents de changement. Ils semblent de plus posséder certaines connaissances afin de diminuer les impacts des grandes problématiques sociales et environnementales, mais ne croient pas que ce type de changement soit possible. Enfin, ils ne sentent pas qu’ils ont un pouvoir agir suffisant à cet effet.

Selon Hayward (2012), en matière de changements climatiques et autres problématiques environnementales, l’école devrait fournir aux jeunes des occasions réelles d’implication sociale où ils seraient invités à prendre position et, éventuellement, à agir librement en fonction d’une intention particulière, qui pourrait être partagée collectivement. Cette chercheuse a procédé à une analyse qualitative des propos de 160 élèves âgés de huit à douze ans rencontrés dans neuf écoles de la Nouvelle-Zélande afin de mieux comprendre ce qu’elle appelle leur citoyenneté environnementale. Hayward (2012) se demandait alors comment intégrer la justice sociale au cœur de l’éducation à l’environnement afin d’aider les jeunes à se percevoir comme des agents de changement. Contrairement aux jeunes plus âgés de l’étude de Kenis et Mathijs (2012), les jeunes rencontrés par Hayward se considèrent comme des agents de changement enthousiastes et se sentent personnellement et collectivement responsables de leur environnement. Hayward souligne qu’il est nécessaire de prendre au sérieux et de supporter les jeunes dans les apprentissages associés à leur désir de faire une différence dans la résolution des enjeux qui les concernent. Elle soutient également que la jeunesse possède un potentiel de révolte qui se doit d’être cultivé plutôt que réprimé. Pour développer leur pouvoir d’agir, les jeunes doivent en venir à considérer qu'ils ont un rôle important à jouer dans la communauté et cet apprentissage doit débuter à l’école.

Or, il apparaît que l’éducation formelle telle qu’elle se réalise actuellement en contexte scolaire laisse encore trop de jeunes anxieux, fatalistes et désespérés face aux problématiques sociales et environnementales (Zeyer et Kelsey, 2013 ; Kwauk, 2020). Il faut dès lors proposer des manières efficaces de développer chez les jeunes, à l’école, diverses capabilités dont une capacité d’agir. Cela pourrait débuter par la reconnaissance de leur liberté d’agir en fonction de ce qu’ils croient devoir être accompli. En ce sens, le développement d’un fort sentiment de pouvoir agir chez les jeunes semble porteur. Comme précisé plus tôt, l’objectif de notre recherche est de contribuer à une conceptualisation fine d’un tel sentiment de pouvoir agir chez de jeunes Québécoises et Québécois à l’égard des changements climatiques et de dégager les conditions favorables au développement de ce sentiment à l’école secondaire. C’est ce que nous illustrons sur les plans théorique et empiriques dans les prochaines sections.

La théorie des capabilités et l’émergence du concept de sentiment de pouvoir agir

Tel que développé et approfondi dans une autre contribution (Morin et coll., 2019), il est possible de justifier la pertinence de conceptualiser davantage le sentiment de pouvoir agir à l’aide de la théorie des capabilités de Sen (2010). La théorie des capabilités prend en considération que les individus sont inscrits dans plusieurs structures sociales. La politique, les institutions, les lois, les traditions, les normes sociales, le genre, les relations de pouvoir, le climat, les infrastructures géographiques et les ressources ne sont, au sein de cette théorie, que quelques-uns des facteurs ayant un impact sur les individus et les collectivités. La section qui suit présente brièvement les principaux éléments théoriques et conceptuels soulevés dans la thèse, qui s’avèrent contributoires à la conceptualisation du sentiment de pouvoir agir. Pour un portrait théorique plus détaillé, nous vous invitons à consulter l’article de Morin et coll. (2019).

Selon l’approche de Sen (2010), les capabilités des individus peuvent être considérées comme des « libertés ». Sen (2010) énumère plusieurs libertés que devraient posséder les individus, dont les libertés de bien-être et d’opportunités et les libertés de processus et de réalisation. Les premières sont liées à l’état d’un individu et aux possibilités qu’il a de réaliser, ou non, ce qu’il considère comme valable. Les autres sont liées à l’action ou à la réalisation de ce qu’il valorise. Ces deux types de libertés sont complémentaires et sont tout aussi importants l’un que l’autre. À titre d’exemple, un jeune qui désire se rendre à l’école à bicyclette doit pouvoir jouir des ressources et commodités nécessaires à cette sortie, telles qu’un habit convenable en fonction de la température ou une route qui lui permet de se rendre à l’école de manière sécuritaire. Le fait qu’il choisisse de ne plus prendre sa bicyclette, et donc de ne pas jouir de sa liberté de réalisation, ne devrait pas être une raison suffisante pour justifier un manque de ressources, ou de liberté d’opportunités, qui lui garantiraient une sortie sécuritaire. Ce genre d’exemple pourrait s’appliquer à diverses situations de la vie quotidienne et invite à réfléchir non plus simplement en fonction des actions que nous souhaitons poser, mais également en fonction des opportunités qui s’offrent à nous même si nous ne désirons pas poser ces actions dans l’immédiat.

L’agentivité, concept régulièrement interpellé dans le domaine de l’éducation relative aux changements climatiques (Blanchet-Cohen, 2008, Glithero, 2015), constitue quant à elle le point central de la liberté de processus et de réalisation. L’agentivité est une habileté qui permet à l’individu d’agir en fonction de ce qu’il considère comme valable (Sen, 2010). Elle peut également être définie comme une capacité à développer une pensée indépendante et une capabilité à agir librement en fonction de ses idées (Hayward, 2012). Elle dépend directement du sentiment d’efficacité personnelle ou collective pour pouvoir se réaliser (Bandura, 2003). Sans ce sentiment, l’agentivité serait moindre, voire nulle, puisqu’il constitue la croyance de l’individu en sa capacité d’agir. Un individu peut difficilement agir s’il ne se croit pas capable d’agir.

Le développement du pouvoir agir (ou empowerment), concept aussi très présent dans le domaine (Schreiner et coll., 2005 ; Kwauk, 2020), est quant à lui plus englobant. Il signifie à la fois, le processus d’accroissement de l’agentivité et de l’accès aux ressources et commodités, ainsi que le résultat de cet accroissement. Il serait un processus visant à augmenter les capabilités des individus, que celles-ci soient liées directement à une action ou alors qu’elles soient liées à un état. Le développement du pouvoir agir permettrait donc de développer à la fois les libertés de bien-être et d’opportunités et les libertés de processus et de réalisation. À titre d’exemple, pour développer le pouvoir agir des individus face aux problématiques environnementales, il ne suffirait pas de développer la capacité à agir des individus (leur agentivité), mais il faudrait également leur accorder des ressources ou des opportunités et s’assurer de leur bien-être.

Le sentiment de pouvoir agir serait quant à lui le sentiment de l’individu face aux différentes libertés qu’il possède, donc ses libertés de bien-être et d’opportunités et ses libertés de processus et de réalisation (Morin et coll., 2019). En tant que concept pivot, le sentiment de pouvoir agir semble particulièrement pertinent dans le contexte des changements climatiques, contexte vulnérabilisant (encore davantage pour les jeunes). Il permettrait de prendre en considération les jeunes Québécois et Québécoises qui sentent, ou non, qu’ils possèdent toutes les capabilités nécessaires pour faire face aux changements climatiques, même s’ils ne désirent pas ou ne peuvent pas agir présentement face à ceux-ci. Sur le plan conceptuel, le sentiment de pouvoir agir constitue un outil théorique riche et particulièrement fécond. Toutefois, d’après nos différents relevés de la littérature scientifique, on en connaît encore bien peu sur ce concept en émergence, ses dimensions ainsi que sur les conditions qui contribueraient à son développement, à l’école. Cet article, et plus largement le projet de thèse de la première auteure de cet article, s’y consacre.

Méthodologie

Depuis le New Ecological Paradigm (NEP) Scale (Dunlap et Van Liere, 1978), les approches méthodologiques de recherche en éducation au climat se sont considérablement diversifiées (Stevenson et coll., 2013). À l’heure actuelle, il est possible de relever des études qui adoptent une grande variété d’approches méthodologiques allant de la phénoménologie, à l’approche quasi-expérimentale, en passant par la théorisation enracinée et l’étude de cas. Tout comme les études recensées qui poursuivent un objectif de conceptualisation, nous avons opté pour une approche qualitative/interprétative avec des entretiens de recherche comme outil principal de collecte de données. Cette méthodologie nous permet de rapprocher la conceptualisation du sentiment de pouvoir agir de l’interprétation que se font les jeunes, en tant qu’acteurs sociaux, de leur propre réalité.

La population cible de cette recherche est constituée de jeunes Québécoises et Québécois de la fin du secondaire qui terminent leur scolarité obligatoire. Des entretiens de groupe auprès de 29 élèves, provenant de cinq écoles différentes, ont été réalisés (deux groupes de trois élèves par école). Le choix des écoles secondaires d’où sont issus les jeunes a été effectué à partir des critères suivants : 1) le statut public ou privé des écoles ; 2) le milieu, urbain, rural ou semi-rural ; 3) le milieu socioéconomique ; 4) le nombre d’élèves dans l’école et 5) la présence d’un programme particulier axé sur l’éducation à l’environnement dans l’école. L’objectif était alors d’obtenir la plus grande variabilité possible dans le choix des écoles. Les élèves, quant à eux, ont été choisis grâce à la collaboration d’enseignantes et d’enseignants du programme d’Éthique et culture religieuse. Les élèves à rencontrer devaient avoir des profils diversifiés et ne pas tous être intéressés ou engagés en matière de changements climatiques. Les entretiens de groupe, qui permettaient aux jeunes d’échanger entre eux et ainsi de développer davantage leurs idées, ont été d’une durée de 45 à 60 minutes et se sont déroulés sur l’heure du dîner dans les cinq écoles ciblées.

Dans cet article, nous nous intéressons davantage aux propos des jeunes en lien avec le contexte scolaire dans lequel ils évoluent. Quatre questions ont été posées en lien avec l’école et le sentiment de pouvoir agir des jeunes face aux changements climatiques dont : 1) Avez-vous déjà discuté des changements climatiques à l’école, à la maison ou avec des ami.e.s ? Qu’est-ce que vous en retenez ? De quoi avez-vous parlé ? 2) De manière générale, êtes-vous intéressés lorsqu’on vous parle des changements climatiques (que ce soit à l’école, à la maison ou avec des ami.e.s) ? 3) Parlez-vous, à l’école, d’actions posées par d’autres personnes sur les changements climatiques qui ont donné des résultats intéressants ? 4) Quelle devrait être la responsabilité de l’école face à la question des changements climatiques ? D’autres questions ont toutefois amené les élèves à discuter du contexte scolaire dans lequel ils évoluent, bien que celles-ci ne portaient pas directement sur l’école. Par exemple, la première partie du protocole d’entretien de groupe amenait les jeunes à se souvenir de moments dans leur vie où ils ont senti qu’ils avaient un pouvoir agir et d’autres moments où, au contraire, ils n’ont pas senti qu’ils avaient un tel pouvoir. Une discussion de groupe faisait alors ressortir des indications de ce que peut vouloir dire « sentir que l’on peut agir » pour les jeunes. Cette première partie de l’entretien a régulièrement amené les jeunes à parler de l’école et de son rôle dans la construction du sentiment de pouvoir agir face aux changements climatiques.

Une analyse thématique (Paillé et Mucchielli, 2016) des propos des jeunes, supportée par le logiciel NVivo 12, a été réalisée. À partir des résultats obtenus, il est possible de dégager différentes dimensions et sous-dimensions du sentiment de pouvoir agir. Dans la prochaine section, nous présentons une portion des résultats de cette analyse, soit les données qualitatives qui se rapportent à la place et au rôle de l’école dans le développement de ce sentiment de pouvoir agir.

Résultats : le contexte scolaire et son influence sur le sentiment de pouvoir agir des jeunes face aux changements climatiques

D’après l’analyse thématique des données recueillies, le sentiment de pouvoir agir des jeunes de la fin du secondaire face aux changements climatiques comporte plusieurs dimensions et sous-dimensions. Ces dimensions se regroupent sous deux grandes catégories qui correspondent chacune à des formes de libertés que peuvent posséder les jeunes. Comme mentionné dans le cadre théorique, les libertés de bien-être et d’opportunités sont liées à l’état d’un individu et aux possibilités qu’il a de réaliser, ou non, ce qu’il considère comme valable (Sen, 2010). Elles réfèrent davantage aux différents contextes ou conditions dans lesquels les jeunes évoluent. Les libertés de processus et de réalisation sont, quant à elles, liées à l’action ou à la réalisation de ce que l’individu considère comme valable. Elles sont davantage en lien avec ce qui est de l’ordre de l’individu, telles que ses capacités et ses choix. Précisons que ces deux grandes catégories de libertés sont complémentaires et sont tout aussi importantes l’une que l’autre.

Pour les fins de cet article, la dimension qui nous intéresse plus particulièrement est celle du contexte scolaire qui se trouve en lien avec les libertés d’opportunité et de bien-être. Nous présentons dans cette section les thèmes principaux ainsi que quelques extraits d’entretiens à l’appui. Rappelons que, lors des entretiens, les jeunes ont été amenés à discuter de leur sentiment de pouvoir agir face à ce qui leur semble appartenir à la problématique des changements climatiques. Diverses conceptions ou représentations des jeunes autour des changements climatiques transparaissent donc de l’analyse présentée. Ainsi, il peut arriver que les énoncés présentés abordent une problématique environnementale autre ou un aspect qui ne semble pas, de prime abord, lié aux changements climatiques. Il était toutefois important pour nous de demeurer fidèle aux idées et propos exprimés par ces jeunes.

Les sentiments des jeunes face à ce qui se fait à l’école sur les changements climatiques

La majorité des élèves interrogés disent parler des changements climatiques à l’école alors qu’une très faible minorité de ceux-ci mentionnent ne pas en parler du tout. Certains soulignent que la thématique des changements climatiques intéresse les jeunes de manière générale. Cela n’empêche pas plusieurs d’être critiques de la façon dont on parle des changements climatiques à l’école. Près de la moitié des jeunes rencontrés mentionnent qu’à l’école, ils entendent uniquement parler de connaissances lorsqu’il est question de changements climatiques. Ils précisent qu’ils doivent surtout écrire sur le sujet et déplorent le fait qu’ils ne sont pas invités plutôt à se mettre en action.

Selon quelques jeunes, la manière d’aborder les changements climatiques à l’école ne leur montre pas qu’ils peuvent faire quelque chose face à cette problématique. Une élève mentionne qu’à ses yeux, il s’agit d’un lavage de cerveau : « La façon dont ils nous présentent les changements climatiques à l'école ne nous donne vraiment pas l’impression qu’on a du pouvoir là-dessus. J’ai l’impression qu’ils nous font un lavage de cerveau » (R1-91-92-N). Cette élève et quelques autres parlent de l’école comme d’un « petit moule » où on les encourage à se conformer. Un collègue de cette élève précise que l’école « bloque un peu la liberté de chacun » (R1-66-U). Ces élèves se sentent soumis au pouvoir de l’école (ou du gouvernement), ce qu’explique une autre élève en ces mots :

La responsabilité de l'école est aussi de pouvoir nous convaincre parce qu’ils sont nos supérieurs. On est tous dans une échelle de pouvoir. Il y a les étudiants, les professeurs, les directeurs, les directeurs des directeurs, la commission scolaire, puis ça va finir par le gouvernement. Mais si le gouvernement ne fait rien, la commission scolaire ne sera pas capable de rien faire, les directeurs et les professeurs non plus, puis nous, les plus bas, en termes de pouvoir, on n’a rien. On n’est pas capable de vouloir faire un changement parce que tout le haut nous pousse vers le bas. (K1-680-688-B)

Ce sentiment n’est pas partagé par tous. Certains jeunes évoquent effectivement une expérience tout à fait différente. Ils soulignent des exemples d’initiatives environnementales de l’école qu’ils fréquentent ou d’autres écoles qui agissent comme des modèles pour eux. Ces élèves sentent pour la plupart qu’ils ont un pouvoir au sein de leur école et se sentent tout à fait aptes à collaborer avec la direction de l’école ou les enseignants afin de développer des initiatives environnementales. Ils sentent que l’école est prête à leur accorder des moyens, des ressources, du support et de la confiance, sous-dimensions très importantes du sentiment de pouvoir agir des jeunes face aux changements climatiques.

Par exemple, une élève souligne en entretien qu’elle doit parler à sa directrice d’un outil de tri des matières résiduelles qu’elle a pu découvrir dans une autre école. Elle mentionne du même souffle et de manière très enthousiaste et confiante tout ce que l’école mène actuellement comme projets à saveur environnementale. Notamment, l’école cultive des légumes pour la communauté et s’est récemment dotée de ruches. Les propos tenus par cette élève laissent présager que les idées des jeunes sont non seulement bien reçues par la direction d’établissement, mais qu’on leur accorde la confiance nécessaire à la réalisation de ces actions environnementales à visée collective. Dans d’autres cas, les initiatives semblent plus ardues à mettre en place.

La complexité de la mise en place d’actions environnementales revient très régulièrement dans les propos des jeunes. Que ce soit pour l’obtention de supports à vélo, l’enlèvement des machines distributrices de boissons individuelles, l’obtention d’abreuvoirs adaptés aux bouteilles réutilisables, l’utilisation de vaisselle lavable dans les cafétérias, la gestion efficace des matières résiduelles ou la participation à des manifestations, tous les jeunes qui abordent cette thématique soutiennent des initiatives qu’ils jugent tout à fait valables et pertinentes. Cependant, si certains les présentent à leur direction et reçoivent un bel appui, d’autres manifestent leur indignation face à la complexité des démarches à entreprendre, en raison entre autres de la présence d’entreprises ou de produits non-écologiquement responsables dans les écoles. En ce sens, plusieurs jeunes soulignent la quasi-absence de liberté dans les écoles pour mettre en œuvre des actions environnementales qu’ils aimeraient accomplir.

D’autres se disent conscients qu’un individu, un groupe, un gouvernement ou une organisation puisse être responsable d’une telle difficulté à réaliser des projets. Ces jeunes se sentent démunis dans de telles circonstances, comme l’illustre l’extrait suivant :

J’ai senti que j’avais un grand pouvoir d’agir quand la direction de l’école a levé l’interdiction de manifester parce qu’avant, tu te sens vraiment impuissant. Tu appartiens à la direction de l’école sur les heures de cours, donc tu ne peux pas décider de manquer tes classes, sinon tu as des répercussions. Tu te sens vraiment démis de ton pouvoir d’action parce que l’école te l’empêche, mais après ça, une fois que cette barrière-là a été levée, tu as un petit regain : j’ai la permission, j’ai le pouvoir d’agir, je peux y aller. (R2-D)

Ces jeunes n’ayant pas eu l’autorisation d’aller manifester pour le climat pendant les périodes de classe sont nombreux et se sont exprimés régulièrement à ce propos au cours des entretiens. Plusieurs mentionnent que cela a eu un impact direct sur leur sentiment de pouvoir agir. Cela n’est toutefois pas le cas de tous comme en témoigne cette jeune qui reconnait le rôle important joué par les intervenantes et intervenants de son école :

Quand on te dit de faire ce que tu veux parce qu'on a confiance en toi, il n’y a pas plus grand pouvoir d’action que ça ! Cela fait que tu es débrouillard, tu es autonome, tu es responsable de ce que tu fais. Puis tu es responsable des autres aussi, ça donne une certaine autonomie. C’est sûr que tu es fière de toi… Mais en même temps ça donne une certaine confiance en soi parce que tu te dis que si on t’accorde ce pouvoir-là, c’est que tu es capable de gérer ça. J’étais contente parce qu'il faut croire que je ne suis pas si mauvaise que ça. C’est comme s’ils voyaient quelque chose de spécial en moi. C’est comme s’ils me mettaient en valeur. (K2-55-78-W)

Il ressort de cette analyse que les jeunes interrogés qui se sentent libres et à qui on fait confiance entretiennent un fort sentiment de pouvoir agir.

Recommandations formulées par les jeunes et qui concernent l’école secondaire

De manière assez générale, lorsqu’on leur demande ce qu’ils désirent pour se sentir davantage capables d’agir face aux changements climatiques, plusieurs jeunes demandent un cours dédié à l’environnement à l’école : « Si je pouvais avoir ce que je veux pour me sentir davantage capable d’agir, je choisirais aussi de mettre en place un cours sur l’environnement » (K2-472-E).

Les jeunes rencontrés demandent également des opportunités d’actions environnementales, des projets significatifs, des ressources, du support à leurs initiatives et que les diverses instances scolaires posent des actions cohérentes et écoresponsables pour le bien-être de la communauté. Ils désirent que l’école les aide à faire des choix, à développer leur confiance en eux et à développer leur sens de la responsabilité. Ils aimeraient également que l’engagement des jeunes soit davantage reconnu. Cela contribuerait au développement de leur sentiment de pouvoir agir, comme l’illustre cet extrait :

Cela peut être en simplifiant la bureaucratie liée aux projets à mettre en place. À notre école, on ne promeut pas assez l’engagement chez les élèves. Puis, surtout, on ne félicite pas ceux qui s’engagent. Juste d’avoir une petite tape dans le dos : « t’as fait ça, félicitations ! » ou « Merci ! », ça nous encourage à continuer. (P1-560-563-G)

Cette reconnaissance devrait également être accordée aux écoles qui font des efforts et s’engagent de manière écoresponsable : « Les écoles veulent bien paraître aussi. Si elles ne sont pas reconnues lorsqu’elles changent des choses, par exemple en faisant du compost, il y a de fortes chances pour qu’elles ne le fassent pas » (K2-682-685-Q). Les milieux de l’éducation devraient pouvoir bénéficier d’un soutien adéquat des instances politiques pour renforcer ce volet de leurs interventions scolaires et parascolaires. Diverses recommandations à ce sujet ont d’ailleurs déjà été formulées par d’autres chercheuses et chercheurs en éducation à l’environnement (Sauvé et coll., 2018 ; Field et coll., 2019 ; Kwauk, 2020 ; Potvin et Bader, 2020).

Discussion et conclusion

Tel que précisé plus tôt, il est moralement indéfendable que l’éducation formelle telle qu’elle se réalise actuellement dans les classes laisse encore des jeunes anxieux, fatalistes ou désespérés face aux problématiques sociales et environnementales (Elshof, 2010). Afin de développer chez les jeunes à l’école un sentiment plus positif envers l’environnement et leur capacité à agir, il faut reconnaître aux jeunes la liberté d’agir, ou non, en fonction de ce qu’ils croient devoir être accompli.

Face aux changements climatiques, les jeunes rencontrés ont nommé explicitement ce dont ils ont besoin pour sentir qu’ils peuvent agir et ce qui les empêche de ressentir ce pouvoir d’action. Ces éléments peuvent inspirer ce que l’on pourrait faire à l’école afin de développer leur sentiment de pouvoir agir. À titre d’illustration, la figure 1 présente une brève synthèse de l’analyse de ces propos.

Figure 1

Ce dont les jeunes disent explicitement avoir besoin pour sentir qu’ils peuvent agir

Ce dont les jeunes disent explicitement avoir besoin pour sentir qu’ils peuvent agir

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Tel que déjà dit, les jeunes rencontrés ont répondu aux questions qui leur étaient posées sans doute à partir d’une vision ou représentation personnelle et singulière des changements climatiques, leur compréhension du phénomène pouvant bien sûr différer du savoir scientifique sur cette question. Il peut s’agir d’une limite de cette recherche en ce sens que les dimensions et sous-dimensions du sentiment de pouvoir agir face aux changements climatiques qui ont été décrites ici sont tributaires de conceptions diverses de ce que sont les changements climatiques. C’est également ce qui pourrait expliquer le nombre élevé de références à des gestes individuels simples, tels que le recyclage ou le compostage, dans les propos des jeunes (Kenis et Mathijs, 2012).

Il ressort toutefois des données analysées que, pour contribuer à développer le sentiment de pouvoir agir de l’élève, l’école devrait l’aider à se sentir bien, important, libre et égal aux autres. Elle devrait faire en sorte qu’il soit entendu et soutenu et devrait contribuer à le rendre fier. Les projets qu’il mène devraient l’aider à sentir qu’il est utile et qu’il change quelque chose pour sa communauté (Hayward, 2012). Ces projets qui lui tiennent à cœur devraient pouvoir être réalisés en groupe pour lui permettre de discuter, de faire des choix, d’anticiper les résultats et, ultimement, de vivre des réussites. Ils pourraient aussi permettre de prendre conscience d’autres opportunités d’action face aux changements climatiques.

Selon l’analyse présentée dans cet article, l’école devrait également faire confiance à l’élève, lui offrir des possibilités, des moyens, des ressources ainsi que du support. Elle devrait l’aider à développer des capacités, de la créativité, de la volonté et de l’espoir. Cela pourrait entre autres se faire dans un cours spécifique d’éducation à l’environnement ou, plus généralement, se manifester au quotidien, par une plus grande confiance et une plus grande liberté accordée aux jeunes en contexte scolaire. Cette liberté pourrait les aider à se mobiliser autour de buts, qu’ils soient à caractère individuel ou collectif (Kenis et Mathijs, 2012). Si cela se fait dans le contexte d’un cours ou d’un programme particulier, celui-ci ne devrait pas se centrer sur la peur ou l’urgence, mais plutôt sur des actions déjà menées ou à venir, sur leurs réussites et l’espoir qui en découle. De plus, cela pourrait se réaliser en cessant de faire sentir aux jeunes qu’ils sont soumis à une autorité et en faisant preuve d’empathie à l’égard de ceux qui, comme eux, sont plus vulnérables, notamment parce qu’ils devront vivre plus longtemps que nous, adultes, avec les conséquences de nos prises de décisions.

Certaines écoles où nous avons pu rencontrer des jeunes devraient être davantage reconnues pour leur contribution exemplaire au développement du sentiment de pouvoir agir des jeunes. D’autres devraient pouvoir bénéficier d’un support adéquat des instances politiques. Diverses recommandations en ce sens ont déjà été formulées (Field et coll., 2019 ; Kwauk, 2020 ; Sauvé et coll., 2018). Pour faire face aux changements climatiques, il apparaît plus que jamais que nous avons grand besoin de l’éducation, mais le monde de l’éducation (en particulier les enseignants et enseignantes), pour y arriver, a besoin à son tour de liberté, de ressources et de reconnaissance.