Corps de l’article

Introduction

En mars 2020, l’état d’urgence sanitaire est déclaré au Québec. Une série de mesures gouvernementales pour limiter la propagation de la COVID-19 est annoncée. Les différents points de presse quotidiens ont permis d’informer sur la pandémie et d’inciter la population à adopter de nouvelles habitudes de vie (Bellahnid, 2021). Différentes rhétoriques de persuasion sont alors utilisées afin de convaincre les citoyen·nes d’adopter des changements de comportement et d’attitude, en invoquant leur sensibilité et leur sens des responsabilités, notamment envers les aîné·es (Bellahnid, 2021). Si le discours politique (appuyé sur la science) reposait à ce moment sur la responsabilisation individuelle, il est apparu dès le début du mois d’avril 2020 que la situation dans les centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) devenait de plus en plus catastrophique (Bellahnid, 2021), attirant du même coup l’attention sur les failles dans l’organisation du réseau de la santé et des services sociaux (Bourgault-Côté, 2020) provoquées par les réformes qui se sont succédé depuis les années 1980 (Côté, Dubé et Frozzini, 2020). Cette crise, attribuable en partie à « des effets de restructurations néolibérales déjà connus » (Benach et al., 2019; Boltanski et Chiapello, 2007; Côté, Dubé et Frozzini, 2020), a mobilisé les ressources de première ligne afin de libérer de l’espace dans le réseau de la santé pour y accueillir les personnes dans un état critique lié à la COVID-19 (Breton et Hudon, 2020 : 2131). Si l’accès à une clinique de soins primaires était déjà un défi avant le début de la crise sanitaire, celui-ci s’est exacerbé avec l’arrivée des mesures sanitaires et du délestage (Breton et Hudon, 2020).

Au même moment, les universités ont dû déployer différentes stratégies pour conclure ou poursuivre le semestre universitaire, et protéger leurs communautés d’une contagion à la COVID-19. Les études menées sur cette période montrent l’ampleur des conséquences de la pandémie sur la santé psychologique des étudiant·es (Union étudiante du Québec [UEQ], 2021). On déplore une forte baisse de motivation et une baisse de la performance académique, de même qu’une diminution du soutien donné par l’établissement et le corps enseignant, malgré tout le soutien pédagogique offert (UEQ, 2021). Une étude quantitative longitudinale québécoise sur la santé des populations universitaires montre que le tiers des étudiant·es vivraient alors avec des symptômes post-traumatiques et que 56,9 % des étudiant·es présenteraient des taux de détresse modérés à élevés (Bergeron-Leclerc et al., 2020). On sait cependant que, depuis 2007, la santé mentale des étudiant·es décline de manière générale, et que le nombre d’étudiant·es ayant un handicap dit émergeant (ex. : trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, trouble anxieux, etc.) augmente de manière considérable. Or, l’impact des mesures sanitaires sur les conditions de vie des étudiant·es, qui sont pourtant d’importants déterminants sociaux de la santé (Gouvernement du Canada, 2020), demeure dans l’angle mort de ces études. Si Arnault (2021) avance que les causes sous-jacentes du mal-être des étudiant·es sont liées à l’isolement créé par la mise sur pause complète de la vie sociale et par la précarité économique, peu d’études s’y sont intéressées.

Le discours public et politique, de même que l’intérêt de la recherche pour la santé mentale de « nos jeunes », reléguant au second plan les dimensions plus systémiques déjà productrices d’inégalités dans leur parcours aux études supérieures, ont soulevé différents questionnements chez les chercheurs et les chercheuses réuni·es pour ce projet : quels sont les effets différenciés des mesures sanitaires chez les étudiant·es à la croisée de diverses oppressions? Comment ces mesures révèlent-elles ou exacerbent-elles des inégalités sociales entre les différents groupes sociaux d’étudiant·es? Les mesures de soutien offertes négligent-elles des étudiant·es? Est-ce que certains groupes subissent plus les effets que d’autres? Comment l’arrivée des mesures complexifie-t-elle les défis déjà bien documentés auxquels font face les étudiant·es de l’international (Kanouté et al., 2020), celleux en situation de handicap (Vaillancourt, 2017), les étudiant·es autochtones (Dufour et Bousquet, 2016) et les étudiant·es parents (Corbeil et Marchand, 2010)?

Cet article présente une partie des résultats d’une étude[1] réalisée auprès des communautés étudiantes de six établissements du réseau de l’Université du Québec durant la crise sanitaire de la COVID-19 de mars à mai 2020. Il fait la démonstration que certains sous-groupes déjà fragilisés avant la pandémie, soit les étudiant·es de l’international, les étudiant·es parents et celleux en situation de handicap, ont vu leurs conditions de vie et leur santé particulièrement affectées par l’arrivée des mesures sanitaires. Après un survol des principaux repères théoriques et méthodologiques, les résultats de l’étude seront exposés. Ceux-ci sont structurés selon le modèle CHAMPSS Functionnal Capabilities Framework (O’Sullivan et al., 2013) de manière à montrer comment les mesures sanitaires ont pu altérer différentes dimensions du fonctionnement social des étudiant·es issu·es des groupes susmentionnés. La discussion repositionne le vécu de ces étudiant·es dans les structures sociales et interroge le rôle des institutions publiques dans les réponses à la pandémie.

Méthodologie

Collecte des données

La collecte de données s’est déroulée entre le 27 avril et le 8 mai 2020 dans six établissements du réseau de l’Université du Québec (UQAC, UQAR, UQO, UQAM, UQTR et INRS). Un questionnaire Web hébergé par la plate-forme Lime Survey a été distribué aux communautés étudiantes par l’entremise des associations étudiantes (liste de courriels et réseaux sociaux). En plus des questions sociodémographiques d’usage, les étudiant·es étaient invité·es à répondre à des questions portant sur : 1) les changements et les nouveaux défis observés dans leur vie quotidienne et leurs relations avec leurs proches; 2) les changements et les nouveaux défis concernant leurs conditions de vie; 3) les changements et les nouveaux défis liés à leur état de santé et leur bien-être. Chacune des sections comportait à la fois des questions à choix multiples et des questions à développement qui permettaient aux étudiant·es d’expliquer leurs réponses et de décrire les défis auxquels iels faisaient face. Cette méthode a été retenue afin d’inviter les étudiant·es à partager leur expérience subjective et de permettre ainsi aux chercheurs et aux chercheuses de mieux comprendre ce qui était exprimé par les réponses aux questions quantitatives. Nous estimions alors que ce matériel permettrait de saisir des éléments qui demeurent invisibles dans les enquêtes quantitatives.

Par exemple, la section 3 sur la santé et le bien-être proposait entre autres deux échelles (dépression et anxiété) permettant de documenter l’état de santé mentale des participant·es, en plus de poser des questions fermées quant à l’accès aux ressources et à leur état de santé physique. Ces questions quantitatives étaient accompagnées de questions à développement permettant aux étudiant·es d’expliquer les changements dans leur état de santé, et de nommer les stratégies qu’iels expérimentent pour améliorer leur bien-être. Les réponses au questionnaire étaient consignées dans un seul et même fichier pour chaque participant·e, lequel a été par la suite scindé en deux de manière à permettre les analyses quantitatives et qualitatives. Les réponses aux questions demeuraient toutefois reliées puisqu’elles restaient associées à un numéro de participant·es. Le questionnaire prenait entre 30 et 60 minutes à compléter, ce qui est relativement long. Ainsi, les étudiant·es avaient la possibilité de sauvegarder leurs réponses et d’y revenir plus tard.

Composition de l’échantillon

Au total, 608 étudiant·es (le ¾ des femmes) ont répondu à une ou à plusieurs sections du questionnaire; cependant, plusieurs ont sauvegardé leurs réponses sans revenir le compléter, ou ont laissé certaines sections vides avant de le valider. Ainsi, l’échantillon final retenu pour l’analyse présentée dans cet article est basé sur des analyses statistiques menées sur 413 questionnaires. De ce nombre, 394 étudiant·es ont répondu à l’ensemble des questions à développement, ce qui a permis de mieux comprendre leur perception quant aux changements observés et aux nouveaux défis auxquels iels font face depuis l’apparition des mesures sanitaires. Il importe de préciser qu’une forte majorité de femmes (n = 304,77 %) a choisi de répondre aux questions à développement, ce qui nous amène à croire qu’elles se sont senties particulièrement interpellées et ont tenu à s’exprimer sur les inégalités révélées ou exacerbées dans le contexte de la pandémie. Parmi les étudiant·es ayant complété le volet qualitatif, on compte 42 étudiant·es responsables d’au moins un enfant (11 %), 75 étudiant·es en situation de handicap (19 %), 46 étudiant·es noir·es, autochtones ou racisé·es (11 %) et 65 étudiant·es de l’international avec permis d’études (16,5 %). Mentionnons finalement que ces catégorisations ne sont pas mutuellement exclusives, une même personne pouvant s’identifier à plusieurs de ces groupes.

Analyse des données

La question des inégalités sociales étant au coeur de cette proposition de recherche, et la grande majorité des travaux des membres de l’équipe s’inscrivant dans les théories féministes, critiques et antiracistes, l’analyse différenciée selon les sexes dans une perspective intersectionnelle (ADS+) nous est d’abord apparue comme le cadre théorique le plus pertinent. L’ADS est une approche transversale et structurelle permettant de mieux comprendre comment les institutions, les politiques et le contexte socio-économique peuvent favoriser ou désavantager certains groupes (Institut de recherches et d’études féministes [IREF] et Relais-femmes, 2007). Elle s’avère particulièrement utile dans l’élaboration de projets, de programmes ou de politiques afin de mieux prévoir leurs impacts spécifiques sur les femmes et les hommes (Tanguy et Relais-femmes, 2018). L’ADS+, pour sa part, ajoute à l’ADS une sensibilité à l’égard des diverses oppressions (ex. : classisme, racisme, capacitisme, âgisme, etc.) vécues par les groupes présentant certaines conditions ou vivant dans des contextes spécifiques (Tanguy et Relais-femmes, 2018). C’est ainsi qu’une première phase d’analyse quantitative et qualitative s’est déroulée.

Dans un premier temps, afin de réaliser une ADS+, des tests du χ² de Pearson ont été effectués sur les données non paramétriques pour comparer les différents groupes (étudiant·es parents, étudiant·es de l’international, étudiant·es autochtones, étudiant·es noir·es ou racisé·es, étudiant·es en situation de handicap) sur le plan de la santé physique, de la santé mentale et des défis quant aux conditions de vie. Bien que quelques tendances étaient observables, pour l’ensemble des items mesurés dans le questionnaire quantitatif, aucune différence significative entre les groupes n’a été observée. Ainsi, sachant que de nombreuses études quantitatives se penchaient alors sur la santé des communautés étudiantes, notre équipe a choisi de se concentrer surtout sur le matériel qualitatif, de manière à éclairer des réalités laissées dans l’angle mort de ces autres études.

Les données qualitatives produites par les 394 répondant·es ont pour leur part été importées dans le logiciel NVivo20 et ont fait l’objet d’une analyse thématique (Paillé et Muchielli, 2008) avec une grille de codification élaborée en co-construction avec les différents membres de l’équipe de recherche à partir du contenu émergent des réponses offertes par les participant·es. La codification a été réalisée par quatre chercheuses-étudiantes associées à diverses disciplines des sciences humaines et sociales, et aux positionnements sociaux variés. Un processus d’accord interjuges a été mis en place de manière à atteindre un degré d’accord suffisant (Kappa = 0,78) avant de procéder à la codification de l’ensemble des questionnaires pour les questions à développement. La grille de codification comprenait différentes catégories et sous-catégories d’analyse permettant d’identifier les principaux défis rencontrés par les participant·es dans les diverses sphères de leur vie, et de voir comment celleux-ci s’expliquent les multiples changements qui se sont opérés dans leur quotidien et sur le plan de leur santé.

Au terme de la codification, suivant les réponses à certaines questions, il est apparu que nos préoccupations de départ, à savoir si des groupes d’étudiant·es avaient été plus affectés que d’autres par l’arrivée des mesures sanitaires ou se trouvaient dans l’angle mort des différentes mesures de soutien mises en place, s’avéraient. Les participant·es devaient répondre à la question suivante, puis justifier leur réponse : « Estimez-vous que vous rencontrez plus de défis concernant vos conditions de vie lorsque vous vous comparez à vos pairs étudiant·es? » Les réponses qualitatives ont montré que les étudiant·es parents et les étudiant·es en situation de handicap estimaient que leur quotidien était plus largement affecté par les mesures de distanciation physique que celui de leurs collègues. Les réponses à cette question ont aussi montré que les étudiant·es de l’international se sont identifié·es comme étant particulièrement affecté·es, mais aussi peu considéré·es par les actions des universités.

Les étudiant·es issu·es de ces mêmes trois groupes revenaient souvent parmi celleux qui témoignaient d’une grande précarité et d’un certain sentiment de détresse dans les réponses aux questions leur permettant de décrire les nouveaux défis qui se présentaient à eux en lien avec leurs conditions de vie, et d’expliquer la détérioration de leur état de santé. Ces résultats nous ont conduit·es à retourner à nos données quantitatives afin d’effectuer d’autres tests du χ² de Pearson pour regrouper les étudiant·es vivant l’une ou plusieurs de ces « positionnalités », les similitudes entre celleux-ci ayant pu brouiller les cartes des premières analyses comparatives réalisées précédemment. Ainsi, les étudiant·es de l’international avec permis, les étudiant·es en situation de handicap et les étudiant·es parents ont été regroupé·es en un seul et même groupe (n = 176)[2], et comparé·es aux autres étudiant·es qui ne s’identifiaient pas comme tels (n = 237). Ces tests nous ont amené·es à constater des différences significatives sur plusieurs items du questionnaire quantitatif. Ainsi, les résultats présentés plus bas s’attardent à la situation de ces étudiant·es et sont mis en dialogue avec les récits collectés dans le cadre du volet qualitatif.

Pour la présentation des résultats, nous nous inspirons de quelques composantes du CHAMPSS Functionnal Capabilities Framework (O’Sullivan et al., 2013), modèle permettant d’assurer une meilleure préparation et une meilleure gestion des sinistres. Celui-ci propose en effet de prendre en considération les différentes dimensions des capacités fonctionnelles des communautés pour faire face aux sinistres, et d’adopter des actions et des mesures qui leur sont spécifiques pour assurer le bon fonctionnement des communautés affectées. S’il n’était pas prévu d’avoir recours à cette grille d’analyse, les catégories émergeant de l’analyse de contenu thématique s’apparentent effectivement à certaines composantes de ce modèle. La composante « communication » est abordée dans deux sous-catégories liées aux défis propres à la vie étudiante : « communications confuses » et « communication avec l’école » sous la catégorie « parentalité ». Notre analyse a également été guidée par les vastes catégories que constituent le « logement » et les « biens et la mobilité », lesquelles permettent de mobiliser les composantes « housing » et « mobility and transportation »; l’« awareness » est quant à elle documentée par l’entremise du noeud « perception du confinement ». La grande catégorie « santé et bien-être » (qui inclut 2976 extraits), laquelle comprend « les difficultés liées aux services », permet d’informer la dimension « psychosocial ». Enfin, quelques catégories d’analyse comme « distribution des tâches quotidiennes » ou « défis ou insatisfactions liés à la vie quotidienne » documentent la composante « selfcare and daily life » du modèle.

Résultats

Les personnes interrogées étaient invitées à dire si elles estimaient faire face à plus de défis sur le plan de leurs conditions de vie que leurs pairs. Parmi les étudiant·es ayant répondu « oui » à cette question, on remarque une surreprésentation des étudiant·es des groupes concernés. En effet, 68 % des répondant·es estimant faire face à plus de défis que leurs collègues s’identifiaient à au moins l’un de ces trois groupes, alors qu’iels ne représentent que 43 % de l’échantillon (x2 = 15,53; p = 0,000). Le volet qualitatif a permis d’observer que celleux-ci étaient fragilisé·es et présentaient une expérience particulière, susceptible d’affecter leur fonctionnement social dans les différentes sphères du modèle CHAMPSS (O’Sullivan et al., 2013). Ainsi, en ce qui concerne les questionnements initiaux des membres de l’équipe de recherche, les étudiant·es en provenance de ces trois groupes semblent avoir été plus particulièrement mis·es à l’épreuve lors de la première vague de la pandémie.

Des communications imprécises qui provoquent un sentiment de détresse

Le manque de clarté des communications en provenance des institutions d’enseignement et l’incertitude entourant la fin du trimestre d’hiver 2020 ont été rapportés comme étant difficiles à vivre (48 extraits, toutes catégories confondues). Si cette situation est déplorée par plusieurs, les réponses aux questions à développement ont montré que les communications confuses ou imprécises de la part des universités semblent avoir affecté plus spécifiquement les étudiant·es issu·es des groupes concernés. Par exemple, 15 étudiant·es en situation de handicap ont indiqué dans les questions à développement que l’incertitude autour de la poursuite des activités pédagogiques et le passage au numérique pouvaient expliquer l’augmentation de leur anxiété. Certain·es précisent que la gestion de l’inconnu était excessivement anxiogène pour des personnes déjà sensibles à ces difficultés. De plus, 9 étudiant·es ont révélé avoir vécu de la frustration quant au manque de fluidité et de clarté des informations reçues. Trois parents ont également dit se sentir « désespéré[s] » par les communications de leur établissement, ou « laissé[s] pour compte » :

Le mutisme du décanat face à la situation des parents étudiants aussi me montre que je suis juste une chialeuse qui leur écrit pratiquement chaque semaine et ne vaut même pas une réponse. Mon impossibilité à performer comme je le désire à mes examens mine mon moral. Le refus d’un prof de m’accommoder malgré une lettre d’accommodement de l’aide aux études me donne l’impression que je [ne] suis qu’une moins que rien.

UQAC88

D’ailleurs, pour les étudiant·es parents, la confusion des communications en provenance de leur université s’ajoutait au manque de clarté des directives émises par les écoles primaires et secondaires. Quelques répondant·es déplorent les consignes peu précises du gouvernement concernant la scolarisation à la maison, un défi quotidien exacerbé lorsque l’enfant est aussi en situation de handicap. Cette mère nomme également tout le travail émotionnel nécessaire afin de bien faire comprendre à ses enfants la situation pandémique. On mentionne que les informations sont parfois difficilement intelligibles pour les enfants, et ceux-ci peinent à comprendre concrètement les conséquences de la situation actuelle sur leur quotidien (et sur la réserve d’énergie de leurs parents) :

D’expliquer la situation aux enfants, de leur expliquer qu’ils ne peuvent pas avoir de fête, pas voir les grands-parents, pas inviter d’amis, pas aller chercher les amis, pas d’école, mais du travail à la maison. Expliquer pourquoi maman n’a jamais le temps et pourquoi elle doit se coucher quand papa arrive pour être fonctionnelle durant les stages de nuit.

UQAC88

Éviction, précarité de logement et enjeux de cohabitation

Au moment de la collecte des données, 63 participant·es (15 %) avaient dû changer de lieu de résidence depuis la mise en place des mesures de distanciation physique. De ce nombre, 26, dont la quasi-totalité ne s’identifie pas aux groupes concernés, ont pu compter sur leurs parents (n = 17), sur des proches (n = 2) ou sur un·e conjoint·e (n = 7) pour les héberger. Parmi les 63 qui semblent avoir été durement affecté·es par ce changement brutal de lieu de résidence, 11 s’étaient identifié·es comme des étudiant·es de l’international avec permis d’études, et 13 ont dit vivre en situation de handicap. Pour certain·es étudiant·es s’identifiant à ces deux groupes déjà fragilisés à l’arrivée des mesures sanitaires s’est ajouté le stress d’avoir vécu l’éviction de leur logement ou la fermeture des résidences étudiantes :

Je me suis fait kick[ed] out des résidences étudiantes dans l[es]quelle[s] je vivais, avec seulement 2 jours pour partir. 

UQTR12

Deux étudiant·es en situation de handicap ont aussi nommé leur préoccupation quant à la difficulté de négocier avec leur propriétaire certains allègements ou assouplissements. Une étudiante témoigne ainsi :

J’hésite à demander au propriétaire d’insonoriser le mur, car j’ai peur d’être victime de rénovictions ou encore d’une hausse de loyer abusive.

UQAM69

La catégorie « défis liés à la cohabitation » révèle aussi des enjeux spécifiques aux personnes ayant déjà des difficultés de concentration (ex. : les étudiant·es ayant rapporté vivre avec un TDAH), la cohabitation à plusieurs et la proximité du voisinage accentuant le manque de concentration et le sentiment d’être constamment dérangé. Plusieurs étudiant·es (n = 30) ont mentionné avoir vécu des difficultés de concentration pendant cette période. Notamment, la présence de distractions à la maison pendant le confinement a rendu difficile la réalisation de certaines tâches, comme le soulève cette étudiante en situation de handicap :

Mon trouble déficitaire de l’attention est principalement présent lorsqu’il y a beaucoup de distractions autour de moi. Je réussissais à bien me concentrer dans mon local de recherche, seule, à l’UQAC. Maintenant que je dois tout faire à la maison, c’est très difficile pour moi de me concentrer.

UQAC83

Du côté des étudiant·es de l’international, le manque d’espace et d’intimité ainsi que l’accessibilité à un lieu calme avec une connexion Internet de qualité posent problème, alors que chez les étudiant·es responsables d’un enfant, le manque d’espace extérieur a pu représenter un défi au quotidien :

Nous n’avons pas de cour pour jouer avec les enfants. Ils font parfois beaucoup de bruit et ça peut m’inquiéter. J’ai peur de déranger les voisins. 

UQAM113

Les étudiant·es des trois groupes ont souffert du manque de ressources technologiques, ou encore du fait de ne pas pouvoir accéder aux ressources de la bibliothèque, ce qu’ils ont cité comme des freins à la poursuite des activités pédagogiques. Plusieurs ont également noté la difficulté de s’adapter à de nouvelles méthodes d’apprentissage. Enfin, on remarque aussi que la fermeture des lieux publics a contribué à exacerber l’anxiété de certain·es étudiant·es qui faisaient déjà face avant la pandémie à des défis sur les plans de l’attention et de la concentration. Si les étudiant·es des groupes concernés ont vu leurs conditions de vie se transformer au même titre que tous les autres étudiant·es, les impacts de ces changements semblent les avoir exposé·es à davantage de détresse et d’anxiété. Aussi, leurs réponses aux questions qualitatives se démarquent par leur inquiétude de voir leurs conditions de vie décroître ou se précariser davantage s’iels abordaient certains enjeux avec leurs colocataires ou leur propriétaire ou s’iels prenaient plus de liberté dans leur logement.

Une gestion du risque porteuse d’insécurité

À travers les réponses aux questions à développement, il est apparu évident que la gestion du risque face à l’exposition au virus ou les conséquences d’une contamination étaient liées aux conditions de vie et aux positionnements sociaux des participant·es. Les propos des étudiant·es parents et des étudiant·es de l’international révèlent des conséquences plus importantes advenant une contamination au virus. Pour les étudiant·es de l’international, c’est la possibilité de rentrer dans leur pays d’origine et de voir leur famille qui est compromise. Une étudiante internationale témoigne ainsi de son

[…] anxiété face à l’incertitude du futur et à l’éloignement de [s]a famille (relativement à [s]on statut d’étudiante étrangère), et [de] l’anxiété générée par les mesures sanitaires (entrer dans un magasin, se promener en évitant les autres passant·es) 

UQAM64

Pour quelques répondant·es, la colocation a été une expérience positive grâce à laquelle iels se sont senti·es soutenu·es durant le premier confinement. Par contre, pour les étudiant·es touché·es par certains enjeux spécifiques liés à un éventuel retour dans le pays d’origine, ou celleux ayant besoin de leur famille pour du soutien, la colocation a pu générer du stress et de l’insécurité, les contacts sociaux des différents colocataires augmentant la probabilité d’une contamination à la COVID-19 :

Le défi est que certaines de mes colocataires ne respectent pas vraiment les mesures, reçoivent beaucoup de visites et [ont] même une fois organisé une fête durant cette pandémie. Cela crée donc [de] la tension entre nous, car on ne se sent pas en sécurité.

UQAR11

L’usage du transport en commun, une autre source de stress

Les analyses quantitatives révèlent que les étudiant·es des groupes concernés utilisent davantage les transports en commun que les étudiant·es ne s’identifiant à aucun de ces groupes (x2 = 9,70; p = 0,021). Ainsi, iels sont plus susceptibles d’avoir été exposé·es au stress lié à ce moyen de transport, en plus d’être aux prises avec une plus grande complexité dans la planification de leurs courses pour se procurer les biens de première nécessité. Cette étudiante internationale témoigne ainsi de son expérience :

Nous n’avons pas de voiture (et ne connaissons personne dans notre entourage qui aurait accès à une voiture, nous n’avons pas non plus de permis québécois pour avoir accès à un véhicule « libre-service »), pour faire attention aux finances nous avons l’habitude d’aller dans des plus grandes surfaces un peu plus éloignées de notre logement pour acheter en quantité et être capable de stocker pour 2 à 3 semaines. Il faut donc prendre un autobus […]. [L]e principal défi dans mon cas a été l’organisation, parce que pour éviter le monde dans l’autobus et le magasin, il faut y aller tôt le matin et entre le travail et les études, pas évident. 

UQAM53

Cet autre étudiant en situation de handicap déplore l’insécurité dans laquelle le plonge le fait de devoir faire livrer son épicerie :

Je souffre d’anxiété sociale et les épiceries me stressent beaucoup en ce moment. Je dois alors commander en ligne et les livraisons et produits sont difficilement disponibles. 

UQAM20

Des états de santé physique et mentale qui se détériorent, des services qui se dégradent

Si les étudiant·es des groupes concernés avaient une santé mentale significativement moins bonne que celle des étudiant·es ne s’identifiant à aucun de ces groupes avant l’arrivée des mesures sanitaires (x2 = 14,31; p = 0,026), l’écart se réduit et n’est plus significatif lorsqu’on les questionne sur leur état de santé mentale général depuis l’arrivée des mesures de distanciation physique. Par contre, pour certains items, des écarts persistent. Les données qualitatives contiennent aussi plusieurs témoignages d’étudiant·es appartenant à l’un ou à plusieurs de ces groupes qui révèlent leur inquiétude, leur sentiment d’être submergé·es par la lourdeur du quotidien et leurs préoccupations quant à leurs conditions de vie, en plus du constat que leur état de santé mentale s’est dégradé. Cette étudiante en situation de handicap relate ainsi :

Je vis avec un trouble d’anxiété généralisée depuis 4 ans. Je prends une médication adaptée. Du jour au lendemain, je me suis retrouvée sans repères, plongée dans une situation d’incertitude qui me rendait malade psychologiquement. Encore aujourd’hui, je me nourris à peine et mon état de santé se dégrade. 

UQAC68

Des tests du χ² de Pearson ont d’ailleurs été effectués sur chacun des items des deux échelles de dépression et d’anxiété utilisées. Ceux-ci montrent que les étudiant·es des groupes concernés ont été plus affecté·es par l’incapacité d’arrêter de s’inquiéter ou de contrôler leurs inquiétudes que les étudiant·es n’appartenant pas à l’un de ces groupes (x2 = 12,20; p = 0,016). Iels ont aussi été plus sujet·tes à des problèmes de sommeil (x2 = 15,10; p = 0,005). Cet étudiant en situation de handicap raconte :

Je me réveille après une nuit de sommeil chaotique. Cauchemars et rêves mouvementés sont devenus habituels. Je me réveille à 5 h 30 tous les matins sans exception, je ne peux pas faire autrement depuis le début de la crise.

UQAM13

Ces informations permettent aussi de mieux comprendre certains témoignages collectés dans le volet qualitatif du projet, où 16 étudiant·es appartenant à l’un ou à l’autre des trois groupes mentionnent leur besoin de soutien psychosocial, celui-ci ayant été interrompu ou étant rendu impossible. Les nouvelles modalités de consultation en ligne ont parfois soulevé des défis. Si quelques-un·es conviennent que les téléconsultations ont nécessité certains ajustements de leur part, d’autres signalent que leurs conditions de vie les ont rendues impossibles. Pour elleux, le manque d’espace et d’intimité, de même qu’un appartement mal insonorisé, a conduit à un arrêt de leur suivi en raison des enjeux liés à la confidentialité, comme en témoigne cette étudiante en situation de handicap :

Notre logement est petit, donc nous ne pouvons plus voir (appeler) nos psychologues avec confidentialité. Nous avons donc perdu tous les deux nos psychologues.

UQAC83

Des étudiant·es vivant avec un handicap physique indiquent pour leur part que leur santé physique s’est détériorée depuis l’arrivée des mesures de distanciation. Le confinement et le manque d’accès aux soins ou aux activités physiques ont entraîné des problèmes chez ces étudiant·es ayant déjà des difficultés sur le plan physique. Pour certain·es, ces dernières ont grandement contribué à l’apparition ou à l’aggravation d’autres problèmes de santé, ainsi qu’en témoignent ces deux étudiant·es en situation de handicap :

J’ai découvert que j’avais une névralgie d’Arnold. J’ai reçu des infiltrations de cortisone à deux reprises, sans succès. J’avais trouvé une alternative qui soulageait de plus en plus mes maux de tête chroniques. Ma solution était en consultant un chiropraticien. Avec le confinement, je ne peux plus le consulter pour traiter mon nerf à l’origine de mes maux de tête.

UQAC68

J’ai des problèmes de dos chroniques et je n’ai plus accès à mes soins habituels. Donc, dégradation de ma santé physique et de mon bien-être général.

UQO17

Des étudiant·es de l’international ont aussi craint pour leur santé, dans un contexte où iels ont évité de consulter, non certain·es de leur couverture par la RAMQ. Une étudiante internationale explique :

J’ai très mal au dos, mais je ne peux pas avoir accès à un physiothérapeute.

UQAC99

En ce qui concerne l’accessibilité et le maintien des services en santé mentale, quelques personnes déjà fragilisées décrivent l’aggravation de leur état et les conséquences de l’interruption de leur suivi ou de la modification de ses modalités, comme en témoigne cette étudiante en situation de handicap :

Je participais à des groupes pour endeuillés par suicide une fois par mois, et c’est difficile de m’en passer.

UQO04

D’autres réponses soulignent une « autonomie forcée » sur le plan médical, faute d’avoir accès à du personnel de santé compétent, ainsi que le relève cette étudiante en situation de handicap :

J’ai dû changer de médicament pour ma maladie et je n’ai pas pu avoir les enseignements pour réussir à me l’administrer seule et correctement. 

UQAR33

Cette « autonomie » s’est d’ailleurs avérée difficile pour plusieurs répondant·es, qui ont témoigné de l’impact de la transformation des services sur certains de leurs proches. Ainsi, il a semblé ardu, voire impossible dans ce contexte, de poursuivre son quotidien comme si de rien n’était, surtout pour les étudiant·es en situation de handicap et pour celleux responsables d’un enfant. Aux difficultés d’accès aux services s’ajoute la complexification du maintien des liens avec leur réseau informel de soutien. Les étudiant·es des groupes concernés ont été plus affecté·es par les changements dans leurs relations avec leurs ami·es (x2 = 9,08; p = 0,011). Les données qualitatives sont nuancées en ce qui concerne les étudiant·es de l’international, lesquel·les expliquaient qu’iels étaient habitué·es aux amitiés virtuelles; c’est surtout l’incertitude liée à la possibilité de rentrer voir leur famille, un·e conjoint·e ou leurs ami·es qui semble exacerber leur sentiment de solitude :

Ma famille et mon conjoint étant en France, je devais passer deux semaines de vacances en juillet là-bas. Du fait que la situation est incertaine, je ne sais pas si je pourrai y aller. Donc cela ajoute un sentiment de tristesse et de solitude.

INRS11

Pour certain·es étudiant·es en situation de handicap, l’impossibilité de voir leur famille ou de maintenir leurs activités sociales signifiait la détérioration de leur état de santé physique ou mentale. Cette étudiante résume ainsi :

Anxiété liée à l’isolation (les mesures me donnent une excuse pour avoir une vie sociale encore moins active qu’à l’habitude, ce qui ne m’aide pas à travailler sur mon anxiété sociale – je m’isole encore plus qu’à l’habitude).

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Les témoignages présentés dans cette section nous permettent de comprendre un peu mieux, au-delà des données statistiques sur l’état de la santé mentale des étudiant·es des communautés universitaires du Québec, comment les mesures sanitaires sont venues complexifier leur quotidien et ont entraîné ou exacerbé leurs problèmes de santé.

Des tâches quotidiennes qui s’accumulent

Les étudiant·es s’identifiant aux groupes concernés ont plus souvent dû composer avec un changement dans la distribution des tâches quotidiennes au sein de leur ménage (x2 = 13,02; p = 0,001). Cet effet s’observe particulièrement chez les parents (le plus souvent des mères) d’un ou de plusieurs enfants (x2 = 47,10; p = 0,000) :

Je fais maintenant toutes les tâches ménagères, la cuisine, les achats. Avant, c’est mon conjoint qui effectuait la cuisine et les achats. Les tâches ménagères (balayeuse, vaisselle, nettoyage, etc.) étaient divisées à parts égales.

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Les données qualitatives recueillies témoignent d’une certaine lourdeur dans l’organisation du quotidien et dans l’ampleur des tâches à réaliser, exacerbée par l’absence du réseau de soutien auquel ces étudiant·es ont généralement accès. Certain·es estiment « crouler sous les charges », avoir le sentiment d’« abandonner » ou de « négliger » leurs enfants et d’être « en mode survie ».

Même si leur état de santé mentale semble avoir moins décru que les autres, les étudiant·es s’identifiant à au moins l’un des trois groupes rapportent avoir été plus affecté·es dans leurs activités quotidiennes et sociales que les autres étudiant·es (x2 = 14,12; p = 0,007). Leur état de santé mentale a rendu difficiles leur travail, leurs tâches à la maison ou leur capacité à bien s’entendre avec les autres.

Discussion et limites de la recherche

Cette étude a été élaborée et réalisée lors de la première vague de la COVID-19, en avril et en mai 2020. Les chercheurs et chercheuses rassemblé·es pour cette étude (dont la majorité sont des femmes, des mères pour la plupart) étaient alors iels-mêmes submergé·es par les nouvelles injonctions de leur quotidien, en plus d’être très sensibles aux nombreux messages de détresse et aux questionnements de leurs étudiant·es. Leurs travaux s’inscrivant dans le sillage des théories féministes, critiques et antiracistes, dès les premières semaines suivant l’arrivée des mesures sanitaires, iels ont été taraudé·es par différentes interrogations les poussant à documenter la crise que nous traversions afin de voir si elle était révélatrice de certaines inégalités qui persistent entre les différents sous-groupes d’étudiant·es. Le souci de l’équipe de réaliser une ADS+ en faisant des comparaisons de moyennes inter-groupes, et de souligner les contrastes entre les différents groupes sociaux dans le contexte de l’analyse de contenu thématique, a permis d’observer que les étudiant·es des groupes concernés s’estimaient plus affecté·es que les autres, en plus d’avoir exprimé une frustration certaine face à leur établissement qui semblait les avoir « laissé·es pour compte ». Une deuxième phase d’analyse nous a conduit·es à constater que les étudiant·es s’identifiant à au moins l’un de ces trois groupes ont été significativement plus affecté·es que les autres sur certains aspects. Ainsi, il apparaît maintenant évident que certains groupes sont restés dans l’angle mort des décideurs et ne bénéficiaient pas des mêmes conditions que les autres pour poursuivre leur trimestre et surmonter les défis inhérents au contexte pandémique.

Les résultats présentés ici amènent un éclairage différent sur le portrait de la santé des communautés étudiantes qui se dégage depuis les débuts de la pandémie puisqu’ils font le lien entre la santé des étudiant·es et leurs conditions de vie. Il apparaît maintenant évident que toustes ne disposaient pas des mêmes conditions pour pouvoir compléter le trimestre d’hiver 2020, et que les conditions de santé sont interconnectées avec les conditions de vie. Les résultats permettent d’avancer que les étudiant·es des groupes concernés se sont retrouvé·es dans une spirale où précarité des conditions de vie, complexification du quotidien et étiolement des liens sociaux se sont renforcés mutuellement et ont conduit à une détérioration de leur état de santé (mentale surtout). Puis, les situations de détresse ou la dégradation de l’état de santé physique ont à leur tour créé des situations où les étudiant·es ont peiné à accomplir leurs tâches quotidiennes, ou ont précarisé davantage leurs conditions de vie. Par exemple, les résultats montrent que les étudiant·es issu·es de ces trois groupes ont été précarisé·es sur le plan du logement, ce qui a généré du stress et de l’anxiété. Celleux-ci se retrouvaient alors dans des situations où il était quasi impossible de discuter de leur senti avec des professionnels, et où aborder la situation avec leurs colocataires ou leur propriétaire aurait pu entraîner des conflits, voire une éviction. Aussi, le stress généré par la nécessité d’avoir recours au transport en commun pour se procurer les biens de première nécessité touchait plus spécifiquement les étudiant·es de ces trois groupes, celleux-ci craignant par ailleurs des délais dans le traitement de leur épicerie, ou une augmentation du budget consacré à celle-ci. Cette situation générait à son tour une grande détresse susceptible d’affecter la capacité des étudiant·es à compléter leur semestre.

Dans le contexte où la pandémie s’étire et où le discours public sur la santé mentale et la responsabilité individuelle semble se cristalliser, il importe de poser un regard plus systémique et structurel sur la détresse des étudiant·es vivant à la croisée de certaines oppressions. Le matériel de recherche analysé dans le cadre de cette étude permet difficilement de « remonter vers » les systèmes qui sous-tendent et produisent les inégalités entre les étudiant·es. Aussi, malgré la volonté des chercheurs et des chercheuses de documenter la réalité des étudiant·es autochtones, noir·es ou racisé·es, et bien qu’une certaine proportion des étudiant·es de l’international avec permis d’études se sont également identifié·es comme appartenant à un groupe racisé, il n’a pas été possible de documenter avec précision leur vécu, ni d’établir de distinction nette avec les autres groupes.

Conclusion

Malgré différentes limites, cette étude montre toute la pertinence de lier les conditions de vie des étudiant·es, surtout celles des groupes dont les défis aux études supérieures étaient déjà bien documentés, à l’analyse des effets de la pandémie sur leur santé physique et mentale. Elle signale aussi que le discours politique axé sur la responsabilité individuelle a pu mener certaines personnes à mettre de côté leurs propres besoins, afin de maintenir à flot un système de santé déjà fragilisé par les réformes néolibérales qui se sont succédé au cours des dernières décennies (Benach et al., 2019; Boltanski et Chiapello, 2007; Côté, Dubé et Frozzini, 2020). Elle révèle également comment l’interruption des services de première ligne dans le Réseau de la santé et des services sociaux lors de la première vague de la COVID-19 a privé certaines personnes de services qui leur sont essentiels, fragilisant du même coup tant leur santé physique que psychologique, et complexifiant aussi leurs conditions de vie. De plus, les analyses présentées permettent de constater que les étudiant·es des trois groupes concernés ont été déçu·es et frustré·es par les réponses des établissements universitaires, qui les ont tantôt évincé·es des résidences, ont ignoré leurs besoins ou n’ont pas répondu de manière diligente à leurs questions. Le modèle CHAMPSS offre de précieux repères pour préparer les communautés à affronter des sinistres avec résilience. Il importe que les universités revoient leurs responsabilités par rapport à la communauté étudiante et « soignent » les liens qui se sont étiolés dans le contexte de la pandémie. Les propos des participant·es analysés pour cet article permettent par ailleurs de constater plus largement que celleux-ci n’ont pas été considéré·es comme constituant le coeur d’une université, mais comme des clients. À l’avenir, alors que les universités se dotent peu à peu d’un plan d’action en matière d’équité, de diversité et d’inclusion (UQAC, 2020), il faudra que les décisions prises replacent les étudiant·es, et plus particulièrement celleux laissé·es dans les marges, au centre de leurs préoccupations, pour reprendre l’expression de bell hooks (1984).

Enfin, bien que ces aspects ne ressortent pas dans le cadre de cet article, les étudiant·es des différents groupes ont mobilisé diverses stratégies pour tenter de naviguer à travers une nouvelle réalité qui les a submergé·es. Les recherches futures s’intéressant aux effets de la pandémie de la COVID-19 sur la santé physique et mentale des communautés étudiantes devront documenter davantage les stratégies de débrouillardise et la mobilisation des réseaux informels d’entraide afin de voir comment les solidarités se sont manifestées dans le contexte de cette crise.