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Introduction

Quand tout le Québec s’est retrouvé confiné pendant plusieurs mois au printemps 2020, cela a engendré de nombreuses difficultés, tant d’un point de vue organisationnel (les milieux de travail, les écoles et les garderies ont été fermés), que d’un point de vue personnel (peur de la pandémie, réorganisation des journées avec les enfants à la maison, isolement social). Ce qui m’a le plus surprise, et qui m’est apparu à force de réfléchir à cet épisode et de tenter de comprendre le lot de difficultés que j’ai vécues à ce moment-là, c’est que ce n’était pas la première fois que je vivais de telles émotions fortes ; et ce n’était pas la première fois que je tentais de revendiquer et de placer ces émotions dans le contexte universitaire. En effet, cette pandémie m’a replongée dans une autre situation professionnelle que j’avais vécue comme doctorante et qui interpellait également la place accordée aux émotions dans un tel contexte professionnel. Ce texte va donc porter sur cette place qui a été accordée (ou pas) aux émotions lors de la pandémie de COVID-19 et sur l’impact que cela a eu pour moi, mais aussi pour d’autres collègues, tout autant dans la vie personnelle que professionnelle.

Premier épisode

Je reviens en arrière d’une douzaine d’années, au moment de mon enquête doctorale (2008-2009). J’étais une sociologue-en-devenir qui s’intéressait aux pratiques d’intervention destinées aux personnes en situation d’itinérance. Dans le cadre de ma thèse, ce qui m’intéressait surtout c’étaient les pratiques qui avaient cours dans les refuges et les formes d’institutionnalisation qui s’y manifestaient (Grimard, 2011a). La posture à partir de laquelle j’interrogeais mon objet était donc une posture de chercheuse en sociologie et non pas celle d’une intervenante sociale ; j’étais une sociologue qui s’intéressait à ce qui se passe dans une institution (Grimard, 2011b ; 2014). En revanche, étudier tout ce qui se passait dans une institution, et plus particulièrement analyser les dynamiques entre institution-instituant-institué, n’était pas simple. Puisque ce que je regardais était une population laissée-pour-compte, je remarquais qu’elle vivait de grandes violences institutionnelles. À ce moment-là, comme jeune sociologue, je ne bénéficiais pas des outils dont sont dotés les intervenants psychosociaux et les thérapeutes dans leur formation et qui les aident à « gérer » leurs émotions.

Comment réagir face à des corps qui sont dégradés, face à des états de conscience qui sont parfois très altérés, face à des personnes dont le mode de vie nous heurte du point de vue des valeurs, parce qu’on a des préjugés, parce qu’on ne comprend pas ce qu’on voit, et surtout comment faire face à tant d’injustice sociale ?

Otero (2012) parle de figures du « fou social » et du « fou mental », pour parler de ces personnes associées au « social problématique » ou au « mental pathologique ». Ce sont des personnes qui mènent une vie non conforme à certaines valeurs véhiculées par la société contemporaine (avoir un travail salarié et un domicile). La personne en situation d’itinérance, dans son rapport contre-normatif (n’a généralement pas de travail salarié ni de domicile) et dont les écarts à la norme sont dérangeants dans l’espace public, est vite renvoyée à ces figures du fou mental et du fou social. Notre regard externe est rapidement teinté par cette analyse, parfois même sans que l’on s’en rende compte. Je pense qu’il y a également beaucoup de schémas inconscients qui se manifestent et se mettent en place lorsque l’on voit des personnes en situation d’itinérance, et qui font qu’on les tient à l’écart, loin de nous, pour éviter toute souffrance que cette figure pourrait entrainer. C’est parfois à ce moment que ces personnes font l’objet d’un changement de registre linguistique. Elles deviennent : « ces gens-là », des autres qui dérangent tellement qu’on veut les tenir à distance le plus possible (Soulet, 2011). Ne pas voir leurs corps déformés, ne pas sentir leur odeur parfois nauséabonde, ne pas être gêné par leurs propos incohérents et leurs gestes erratiques. Pour ma part, dans cette enquête doctorale, je n’arrivais pas à tenir « ces gens-là » à distance car je voyais des hommes qui ressemblaient à mon père. Ce dernier avait vécu une situation difficile à un moment de sa vie et cette expérience familiale intime et douloureuse était réactivée au moment de faire mon enquête de terrain. Pendant longtemps j’ai demandé aux chercheurs autour de moi comment ils avaient vécu leurs enquêtes de terrain. Les professeurs me répondaient toujours : « J’ai tenu un journal de bord, c’est là que je pouvais exprimer mes émotions. » Et je renchérissais à chaque fois : « Oui mais comment expliquais-tu ça dans les parties méthodologiques de ton rapport de recherche, comment utilisais-tu ton journal de bord dans ton analyse de données ? », et jamais ce n’était articulé, c’était toujours omis.

Pour ma thèse, j’ai pu puiser en anthropologie où j’ai trouvé des outils par rapport à l’observation participante ; j’y ai aussi trouvé des récits méthodologiques de chercheurs qui ont vécu des émotions très fortes dans leurs terrains de recherche (Amiraux et Céfaï, 2002 ; Boumaza, 2001 ; Boumaza et Campana, 2007 ; Favret-Saada, 1990). J’ai donc pu faire un bricolage méthodologique et théorique pour ressaisir mon véritable objet de recherche et délaisser un peu l’histoire de mon père, afin de me retrouver et me protéger. Aujourd’hui, je peux dire que j’ai trouvé ma niche dans une École de travail social. Là où je suis professeure depuis peu, où on enseigne la place des émotions dans l’intervention, où nos étudiants y sont déjà confrontés dans le cadre de leurs divers stages, où des collègues développent des ateliers de pratique de la pleine conscience pour tous les étudiants, ainsi que des ateliers de sociologie clinique pour les doctorants, donc professionnellement, je vis un changement de cap, à 360 degrés.

Deuxième épisode

Au tout début de la pandémie de COVID-19, en mars 2020, le Québec a été vite plongé dans un confinement qui a duré des mois. L’insécurité derrière tout ça c’était que ce confinement était prolongé de deux semaines en deux semaines. Nous n’avions donc aucun repère, aucune prise sur le futur. Je me suis retrouvée parachutée dans un maelstrom d’émotions extrêmes qui ne pouvaient être accueillies ni par mon institution, ni par ma famille, parce que tout le monde était démuni, tout le monde faisait face à la même insécurité. Alors que cela faisait une douzaine d’années que je travaillais à la prise en compte des émotions dans la théorie et la pratique en sciences sociales et qu’il commençait à y avoir une place pour cela dans les écrits scientifiques québécois et dans les salles de classe, je me suis de nouveau retrouvée à ne pas pouvoir être entendue quand je criais au secours, en voyant les frontières entre ma vie professionnelle et personnelle disparaitre. Parce que c’est l’effet que la pandémie a eu au Québec au printemps 2020, un confinement strict qui nous a amenés à faire du télétravail en présence de l’ensemble des membres de notre famille.

J’ai télétravaillé pendant des mois avec mon fils de 15-16-17-18 mois sur les genoux, je l’ai allaité en vidéoconférence car je devais être présente lors de certaines rencontres et que mon fils me réclamait sans pouvoir distinguer les moments où sa mère travaillait et les moments où elle s’occupait de lui. Parfois on semblait simplement ne pas s’apercevoir de sa présence, car il était dérangeant et que c’était probablement mieux de l’ignorer. D’autres fois je me suis retrouvée à devoir justifier pourquoi je l’allaitais encore alors qu’il devenait trop vieux pour ça, selon l’opinion de certaines personnes de mon entourage professionnel. Cette porosité des frontières me dérangeait énormément, mais je ne pouvais rien faire d’autre. J’étais confrontée au fait de devoir exposer ma vie personnelle, que je devais justifier professionnellement parce que j’étais projetée sur un écran. Dans d’autres circonstances, personne n’aurait su que mon enfant de 18 mois regardait la télévision alors que ce n’est pas vraiment recommandé pour les moins de deux ans[1].

Mon mari m’ignorait. Une sorte de compétition malsaine s’est installée entre lui et moi pour justifier qui allait pouvoir travailler. Il fallait que l’un s’occupe de notre fils pour que l’autre travaille. Et chaque jour c’était la même chose. C’était lui qui avait plus de pression que moi pour « faire ses heures », il avait moins de flexibilité que moi en raison du fait qu’il travaillait dans le secteur privé et moi dans le public. Pour finir, il exerçait son travail salarié et moi j’exerçais surtout un travail non salarié pour la famille, en étant la principale personne qui s’occupait de notre fils. J’étais reléguée dans un rôle de femme au foyer qui me rendait complètement folle. En parallèle, les cinq premières années d’embauche comme professeure d’université sont cruciales au Canada puisqu’elle mène à l’agrégation, donc à la permanence en emploi. C’est lors de cette période que l’on doit prouver que l’on peut enseigner, publier, faire de la recherche, faire rayonner l’université et s’impliquer dans la communauté. C’est le bilan des accomplissements de ces cinq premières années qui nous donne notre permanence universitaire, en gros c’est la période du publish or perish (Larochelle et al., 2020). Je n’ai à peu près rien pu faire de tout ça cette année-là. Aucune publication, aucun fonds de recherche obtenu, aucun rayonnement universitaire, rien. J’ai tout simplement enseigné mes cours et j’ai refusé d’enseigner les dernières semaines avec mon fils sur les genoux.

Mon institution aussi m’ignorait. La directrice de notre département a fait tout ce qu’elle a pu pour nous soutenir. Elle a permis aux parents de s’absenter des réunions administratives, elle nous a permis de changer nos modalités d’enseignement. Mais l’université, elle, n’a pas fait beaucoup. Elle n’a pas changé nos tâches d’enseignement, elle ne nous a pas donné les moyens de changer nos environnements de travail à la maison, elle n’a pas autorisé davantage de congés pour le personnel enseignant, alors que le personnel non enseignant a bénéficié de 3 jours de congé payé de plus durant la période des fêtes 2020-2021. Et le comble, c’est que l’université n’a pas reconnu le surplus de travail que le téléenseignement a entrainé, c’est-à-dire toute l’adaptation de nos cours afin qu’ils soient donnés en virtuel. Car environ 80 % des cours de mon université ont été donnés totalement à distance entre mars 2020 et août 2021. L’université nous a demandé de faire « comme à l’habitude ». Mais elle nous a encouragés à suivre des cours de didactique et de pédagogie pour l’enseignement en ligne. Elle nous a demandé de maitriser Zoom et Teams. Elle nous a demandé de préenregistrer des cours, d’enseigner le moins longtemps possible en ligne et de transformer nos cours pour que cela soit plus digeste pour nos étudiants. Elle nous a demandé d’avoir une préoccupation pour l’acquisition de connaissances par les étudiants puisque les processus d’apprentissage sont différents en virtuel. Elle nous a demandé d’être attentifs aux situations de détresse de nos étudiants, de les aiguiller vers les services appropriés lorsqu’ils allaient mal. Mais tout cela, ça devait être fait « comme à l’habitude » alors que nous n’étions manifestement pas dans une situation « comme à l’habitude ». Et surtout, cette demande de porter une attention particulière à la détresse des étudiants, maintes fois rapportée par les médias et le gouvernement, laissait un arrière-goût particulier puisqu’elle excluait totalement la propre responsabilité des organisations envers la détresse de leurs employés. Ce qui était bon pour les uns (s’occuper de la détresse des étudiants) n’existait tout simplement pas pour les autres (s’occuper de la détresse des professeurs).

Ma situation concordait toutefois avec celle de nombreuses autres mères professeures d’université. La discrimination vécue par ce groupe (et par de nombreux autres groupes dans les universités) est de plus en plus mise en avant et cela ne date pas de la pandémie de COVID-19 (Boucher, 1997 ; Jones, 2006 ; Ornstein, Stewart et Drakich, 2007). En effet, les postes de professeur d’université ont encore tendance à être réservés aux hommes blancs (Antecol, Bedard et Stearns, 2018 ; Baril, 2017 ; Bhopal, 2014). Si le fait que les femmes ont tendance à obtenir moins de postes de professeur d’université ne date pas d’hier, la pandémie semble quant à elle avoir exacerbé les difficultés des femmes dans l’obtention de leur promotion, puisque promotion rime avec adhésion à la culture de la production scientifique, c’est-à-dire publication d’articles scientifiques et obtention de subventions de recherche (Amano-Patiño et al., 2020 ; Andersen et al., 2020 ; Champoux-Paillé et Croteau, 2020 ; Larochelle et al., 2020 ; Minello, 2020). C’est justement ce que la pandémie a rendu impossible : la productivité des professeures mères a été à son plus bas, car elles avaient maintenant avec elles en quasi permanence des enfants dont elles devaient s’occuper pendant leurs heures de travail salarié (Langin, 2021 ; Letarte, 2020 ; Pettit, 2021).

J’ai télétravaillé environ 80 jours depuis mars 2020, avec mon fils, sans compter le travail que j’ai aussi dû faire les weekends. Malgré cela, je suis une des parents les plus épargnés de mon entourage. Quatre-vingts jours de travail, en présence de mon fils et de mon mari, à devoir m’obstiner avec mon mari pour savoir qui de nous deux allait travailler, donc 80 jours à faire « comme à l’habitude », sans toutefois que j’aie de repères à propos de la durée de cette expérimentation professionnelle. J’ai trouvé ça d’une violence inouïe, mais cette fois-ci j’ai eu une petite place pour exprimer toute ma colère. L’université n’a pas reconnu qu’elle devait jouer un rôle plus actif auprès des professeurs, mais il y avait tout de même un caractère collectif à cette colère et à cette souffrance : les collègues ont vécu la même chose que moi, le syndicat était là pour nous soutenir, notre directrice de département nous soutenait aussi. En fait, toute la société québécoise a vécu la même chose, en même temps.

Si j’ai eu le sentiment que mes émotions étaient entendues dans certaines sphères professionnelles, il y a en revanche un travail émotionnel que je n’ai pas pu faire cette fois-ci. Durant ma thèse, je devais me protéger de moi-même, par rapport à ces fantômes de mon père que je voyais partout et qui se transformaient en émotions envahissantes et déroutantes. J’ai dû user de stratégies pour cadrer mes émotions afin d’éviter un empiétement trop important de celles-ci quand j’étais sur le terrain et j’ai dû user de nouvelles stratégies pour rendre mes émotions scientifiques dans le cadre de ma thèse, parce que je voulais que l’on voie à quel point ces émotions avaient contribué au développement de connaissances théoriques. Douze ans plus tard, je n’ai pas tout à fait le sentiment que je dois me protéger de moi-même, j’ai le sentiment que je peux revendiquer une place pour mes émotions, mais je n’ai pas plus de sentiment de satisfaction. Ce manque de satisfaction provient peut-être d’un sentiment d’exploitation de ce travail émotionnel (il fallait être attentif à la détresse de nos étudiants tandis que nous, les professeurs, sommes dans une position de privilège, nous ne vivons pas de détresse). Les émotions que je devais mettre en avant dans toutes les sphères de ma vie étaient en dissonance avec ce qui était vécu au travail et à la maison. Les attentes à l’égard de mes performances à la maison et au travail étaient donc irréalistes. Je ne pouvais pas être une mère à temps plein tout en étant une professeure d’université à plein temps, qui s’occupe de la détresse de tout le monde, sans pouvoir s’occuper de sa propre détresse. L’hypothèse que je vais développer dans les prochaines sections, c’est que cette dissonance est survenue en raison d’une tension entre un travail émotionnel qui m’a été imposé et les conditions nécessaires pour faire un travail émotionnel qui m’ont été refusées.

Le travail des émotions

Comme je l’ai mentionné, ma première expérience de mise au travail de mes émotions s’est faite durant ma thèse et c’était un travail sur ma posture de chercheuse. À partir de quelle position je regarde, j’analyse, je parle du travail institutionnel, des dynamiques institutionnelles déployées par les refuges envers les hommes en situation d’itinérance ? Et cette position-là, c’était celle d’une jeune sociologue-en-devenir, qui était aussi la fille d’un père alcoolique qui aurait pu devenir itinérant. Le travail sur ma posture m’a permis de me recentrer sur mon objet (ce qui se passe dans les refuges) et d’éviter les glissements théoriques en raison des affects vécus (chercher à comprendre comment on devient itinérant ou pas). Ces émotions, par rapport à mon père, que je voyais en les hommes en situation d’itinérance, m’ont permis de découvrir la piste théorique des violences institutionnelles (Grimard, 2011b). À travers mon intérêt personnel pour le basculement dans une situation d’itinérance, j’ai découvert à quel point les premiers usages des refuges sont très violents et entrainent souvent, paradoxalement, une forme de fidélisation à l’institution. Il est tellement difficile d’y entrer, d’apprendre à naviguer dans ces lieux, qu’il se développe une forme de socialisation par la négative[2] et cela devient plus simple d’y rester que de tenter d’en sortir. C’était pour moi fantastique de voir à quel point les émotions pouvaient être les vecteurs de connaissances nouvelles.

Douze ans plus tard j’en suis toujours aussi convaincue, mais j’ai vécu une désillusion professionnelle en découvrant le concept de travail émotionnel de Arlie Hochschild (1983). Pour elle, les émotions sont des faits sociaux, ils sont situés dans une culture, dans une histoire, une époque, et jusque-là il n’y a rien de nouveau, mais à cela elle ajoute que les émotions sont mises au travail, afin que ce soit le « bon » sentiment, le sentiment adéquat qui soit ressenti, dans les interactions avec les autres, surtout lors d’interactions professionnelles. Pour elle, le travail émotionnel consiste en l’inhibition de certaines émotions et en la production d’autres émotions de sorte que celles-ci soient « appropriées » au contexte professionnel. C’est au travers du travail émotionnel (p. ex. la gentillesse ou l’empathie) que nous renseignons les autres sur la qualité des services professionnels qui seront offerts et par le fait même que le professionnel contribue à l’image de l’organisation/entreprise. Il y a une mise au travail spécifique des émotions et cette gestion émotionnelle est renseignée par les règles de sentiments en vigueur, c’est-à-dire ce qui est communément admis comme une émotion nécessaire, requise, adéquate, face à un certain public.

Je tiens à préciser que je ne réfute pas l’existence du travail émotionnel, il a toute son importance. Le travail émotionnel est même obligatoire, incontournable dans certains métiers, dont celui d’enseignant. Mon agacement tient au fait qu’il puisse y avoir des émotions qui ne conviennent pas, que l’on doive contenir pour éviter le chaos qu’elles entrainent ; qu’on présume qu’il y a un mélange entre rigueur, neutralité, professionnalisme, non-scientificité, non-professionnalisme, subjectivité, non-réflexivité dès lors que certaines émotions sont exprimées. Ce que la théorie de Hochschild nous permet par ailleurs d’explorer, c’est 1) cette exploitation des émotions qui est faite surtout dans un monde capitaliste pour rentabiliser des services, pour générer des profits, pour s’assurer que les clients sont toujours satisfaits (ce que nous voyons de plus en plus dans le domaine universitaire par ailleurs) ; 2) le fait qu’il puisse y avoir des dissonances entre les émotions que l’on devrait exprimer en raison des règles de sentiments et celles que l’on vit réellement, qui ne collent pas à certaines règles de sentiments (Bolton et Boyd, 2003 ; Hochschild, 2004). Ce qui m’agace donc le plus c’est le fait que l’expression des émotions doit convenir au contexte professionnel, poussant même à camoufler des émotions fortes, qui pourraient par ailleurs permettre de remettre en question l’ordre des choses, puisqu’il y a tout de même des expériences qu’il vaut la peine de ne pas reproduire. Encore faut-il pouvoir trouver les règles (ou dans ce cas-ci les émotions) qui cadrent, constituent, transforment les expériences et les systèmes de savoir (Foucault, 1966) ou percevoir ces règles qui sont souvent tout aussi implicites qu’explicites (Hochschild, 2003). En résumé, ce qui m’agace c’est cette réingénierie des émotions qui appartenaient autrefois au domaine du privé et que l’on exploite maintenant impunément dans le domaine du travail.

Dans ce sens, Hochschild (2003) note qu’il est possible de se rebeller contre une position idéologique à l’égard d’un sentiment par le biais d’un affect inapproprié. La rébellion est aussi possible en refusant de se plier aux exigences de la gestion des émotions – qu’il serait nécessaire d’effectuer afin de ressentir d’une façon appropriée et conforme aux attentes les émotions qui surviennent (Hochschild, 2003). Ainsi, le travail sur les émotions peut être à la fois une forme d’obéissance à une position idéologique précise, un indice de relâchement ou encore un refus face à une idéologie (Hochschild, 2003). Toujours selon Hochschild (2003), les agitations et les changements sociaux rapides ont des conséquences sur la psyché des individus. Ces effets sont causés par la modification de la règle de sentiments et par l’absence de clarté quant à son contenu ; causes redevables aux contradictions et aux conflits dans l’ensemble des règles. C’est par ailleurs probablement cela qui a été vécu lors de la pandémie, lorsqu’il nous a été demandé de faire « comme à l’habitude ». Ces règles proviennent d’instances qui luttent afin de rendre légitimes leurs prescriptions, selon leurs propres règles de sentiments (Hochschild, 2003). Ainsi, cette lutte viserait à pouvoir établir les fondements de l’attribution d’une valeur particulière à un éventail de gestes déterminés (le travail émotionnel inclus) (Hochschild, 2003). Dans le cadre de mes fonctions de professeure, la règle de sentiments de devoir soutenir la détresse des étudiants au détriment de ma propre détresse avait été décidée par le gouvernement et par les hautes directions universitaires, sans qu’ils n’aient jamais consulté les principaux intéressés. Cette règle a donc créé d’importantes dissonances dans le corps professoral (qui se voient encore aujourd’hui par ailleurs). Les dissonances nous renseignent sur une surexploitation de la gestion des émotions, sur une incohérence ou incompatibilité de plusieurs règles des sentiments et, surtout, sur la légitimité des décideurs. En effet, nous pouvons nous demander au bénéfice de qui les décideurs érigent ces règles des sentiments ?

Cette dissonance s’est vécue de deux façons chez moi : 1) lorsqu’on m’a imposé de faire un travail émotionnel que je n’étais pas prête à faire, que je n’avais pas le temps de faire ou que je n’avais pas l’énergie d’effectuer ; 2) lorsqu’on a refusé de me donner l’espace et les conditions pour faire ce travail émotionnel.

Entre imposition et absence d’espace – quand effectuer le travail émotionnel ?

Dans ce sens, la deuxième expérience de mise au travail des émotions que j’ai vécue, c’est donc la pandémie COVID-19 couplée au début de ma carrière de professeure d’université. Je suis arrivée avec ces agacements et ces expériences de vie dans un poste de professeur que je convoitais depuis de nombreuses années. Ce récit a par ailleurs rappelé maintes fois ma posture : pour moi les émotions sont des outils de compréhension de soi, mais aussi des outils de compréhension du monde qui nous entoure (Damasio, 2017 ; Hochschild, 1983). Mais ces émotions ne peuvent pas pleinement être des outils de compréhension du monde si on ne leur fait pas de place légitime, ou du moins si la place qui leur est accordée n’est pas exclusivement dictée par les règles de sentiments. Car les règles de sentiments, comme l’explique Hochschild, tiennent à plusieurs paramètres. A) Elles sont d’abord des « lignes directrices qui régissent l’évaluation de l’adéquation ou de la non-adéquation entre sentiment et situation » (Hochschild, 2003, p. 39). Puis, elles se posent dans un cadre idéologique donné, ce qui peut donc entrainer des changements, tout comme il peut y avoir des transgressions à ces règles de sentiments. Et ensuite, B) le principal impact de ces règles de sentiments, c’est que lorsqu’il y a une dissonance émotionnelle entre ce qui est attendu sur le plan de l’expression émotionnelle et ce qui est réellement vécu, les gens vont réduire à court terme le malaise et obtenir un soulagement temporaire en se conformant à ladite règle des sentiments (comme cela a été le cas avec l’adoption du slogan « Ça va bien aller » durant la pandémie). Le prix à payer, c’est la suppression des « vraies » émotions. Or lorsque nous nous éloignons de nos émotions, notre vrai visage ne peut pas apparaitre. Nous détruisons notre boussole d’interprétation de ce qui se passe en nous, ainsi que dans le monde autour de nous. Cette mort interne se transforme aussi en une forme de mort sociale (ou en mort « externe ») puisqu’elle ne permet plus aux émotions vécues de se transformer en revendications pour des changements sociaux (Tonkens, 2012). C’est là, selon moi, le véritable danger. Si les crises sociales (comme celle vécue lors de la pandémie) génèrent des émotions qui ne sont vécues qu’individuellement, et que ces émotions sont supprimées en raison des règles de sentiments (« Ça va bien aller »), le caractère social de ces émotions ne peut se manifester. Les individus demeurent avec le sentiment qu’il n’y a qu’eux qui vivent des sentiments en contradiction avec la règle qui a cours, sans oublier le risque d’une poursuite grandissante (et d’un contrôle) de la gestion des émotions (de la réingénierie émotionnelle).

Au travers de mon expérience de « trop-de-dissonances » s’est tissé un autre élément de la théorie de Hochschild, soit la question de l’exploitation du travail émotionnel que j’ai également brièvement mentionnée plus haut. En effet, avec la disparition de la frontière entre le domaine professionnel et le domaine privé, avec ce débordement du travail dans la vie familiale et de la vie familiale dans les heures de travail, les conflits dans l’un des domaines se déversaient dans l’autre domaine et j’avais le sentiment de vivre une forme d’exploitation qui traversait la frontière des deux domaines.

Imposition du travail émotionnel. Dans cette vie parachutée en télétravail où je me suis retrouvée à être une mère à la maison et une professeure d’université à la maison, j’ai eu le sentiment qu’on m’avait imposé de faire un certain travail émotionnel, selon des règles de sentiments qui ne me convenaient pas. D’abord, je me suis retrouvée à devoir supprimer mes émotions pour sauver mon mariage. Au nom de ma flexibilité d’emploi, il n’y avait que moi qui pouvais m’occuper de notre fils. Et ça m’a pris des mois avant de mettre le doigt sur cette frustration liée à la flexibilité de mon emploi et à ouvrir le sujet avec mon mari, en lui demandant : « Et si tu devais exercer une forme de flexibilité dans ton emploi ? » J’ai pu identifier cette émotion et la nommer peut-être une dizaine de mois après le début de la pandémie (post-confinement), après que nous avons eu à prendre à nouveau des journées de congé pour nous occuper de notre fils, le temps de savoir si ses symptômes grippaux étaient liés à la COVID-19 ou pas. J’enseignais, j’avais des réunions importantes et du coup, il y a eu des moments où je ne pouvais pas être flexible, c’était non négociable, donc mon mari a été forcé de se flexibiliser. Par la suite, quand nous avons fait face à deux semaines de confinement parce que le groupe de notre fils à la garderie était complètement fermé en raison d’une éclosion de cas de COVID-19, cela s’est bien passé. Mon mari n’a pas eu de peine à revendiquer un mi-temps au travail parce que c’était devenu évident pour lui qu’il allait devoir aussi s’occuper de notre fils pour que je puisse travailler, ne pouvant m’absenter deux semaines entières en plein milieu d’une session universitaire. Cela nous a pris une année pour en arriver là, et je pense que c’est aussi parce qu’il y a eu une forme d’institutionnalisation du mi-temps temporaire des pères en raison de la pandémie. Le patron de mon mari avait aussi vécu une situation de confinement de deux semaines avec sa fille. Comprenant la situation que vivait mon mari, il lui a libéré du temps dans son horaire. Cette normalisation forcée pour réduire les heures de travail des pères au Québec, afin qu’ils s’occupent de leurs enfants, a eu un effet positif sur mon couple. Mais cela m’a ramenée au fait que l’amour et le soin sont donc également des sources de travail émotionnel et que ce sont généralement des sources de travail émotionnel féminin (DeVault, 1991 ; Hochschild et Machung, 2012 ; Steinberg et Figart, 1999). C’est par ailleurs ce que Hochschild nomme, probablement très ironiquement, « le nouvel or du monde », soit ce travail émotionnel hautement couteux, fait par les mères pour leurs enfants ou pour les enfants des autres familles dont la reconnaissance tarde encore à venir (Hochschild, 2004).

L’imposition de travail émotionnel s’est également manifestée à l’égard de mon rôle de mère. Je me suis retrouvée face à la révélation des détails de ma vie familiale au petit écran puisque chaque fois que j’étais en interaction professionnelle, j’avais souvent les deux pieds dans ma vie familiale. Les deux devenaient indissociables et je trouvais cela désagréable. J’expliquais au début de cet article que je me suis retrouvée dans une position où je devais justifier pourquoi j’allaitais encore ou pourquoi mon fils regardait la télé. Je me suis retrouvée face à une réflexion sur mon rôle de mère ; réflexion culpabilisante, dans laquelle je n’avais pas envie de me retrouver. J’étais tellement déjà coincée dans un tourbillon d’émotions que je devais supprimer ou que je n’arrivais pas à identifier, que je n’avais pas de surcroit envie de me questionner sur mon rôle parental. Et là aussi, ça m’a pris du temps avant de comprendre ce qui se passait. Je me suis rendu compte que je n’avais jamais envie de m’asseoir par terre pour jouer aux Legos. Je me suis retrouvée en panne d’idées de bricolage, avec le sentiment de n’avoir aucune capacité à divertir mon fils sept jours sur sept. Je ne voulais pas être une mère au foyer, j’étais forcée d’être une mère au foyer et j’étais forcée de me contrôler pour pouvoir exercer le rôle de « bonne » mère au foyer. Mais j’avais envie de crier en permanence. Dans une réunion avec des collègues, je me souviens d’avoir dit un peu à la blague, mais avec un immense fond de vérité, que tout ce que j’avais été capable de faire ce matin-là c’était de nourrir mon fils, de l’habiller et de le divertir en le plaçant devant la télévision. Une collègue m’a répondu : « C’est parfait, j’aime ça les mères qui sont suffisamment bonnes. C’est juste ça que nous avons besoin d’être, “suffisamment bonnes”. » Elle faisait référence à ce concept de Donald Winnicott de good enough parent (1973). Et c’est devenu mon mantra de la pandémie. Dans mon maelstrom d’émotions, redécouvrir ce concept m’a profondément apaisée et a réduit la charge liée au travail émotionnel que j’avais l’impression qu’on m’imposait de faire. Sur une autre note, cette remise en question de mon affichage de moi-même, cette image de mère non performante que je commençais à transformer ou à m’approprier, a probablement fait en sorte que je n’ai ni divorcé, ni abandonné mon rôle parental. Les dissonances cognitives que je vivais m’ont gardée en vie, car elles m’ont permis de m’accrocher à d’autres règles proposées (à la maison : être une mère suffisamment bonne, règle proposée par une collègue ; au travail : faire une tâche par jour, règle proposée par ma directrice).

Absence d’espace et de conditions pour faire le travail émotionnel. La dernière chose dont j’aimerais discuter dans cet article, c’est le manque d’espace pour faire le travail émotionnel. Je crois qu’avec le télétravail, nous n’arrivons plus à effectuer le travail émotionnel que l’on devrait pouvoir faire, lorsqu’on voudrait le faire, car les conditions ne sont pas au rendez-vous pour le faire. En téléenseignement, face à des caméras virtuelles fermées, comment faire ce travail émotionnel d’ajustement par rapport à la matière enseignée, mais aussi d’ajustement face aux étudiants ? Peut-être que le terme « ajustement » n’est pas le bon, mais je parle de ce travail de lecture et d’analyse de ce qu’on lit sur les visages et qui nous permet de saisir les émotions de nos interlocuteurs et d’ajuster notre propos. Mon milieu de travail est riche de lieux où le travail émotionnel peut se développer. Je pense à mon bureau de professeure, mais aussi aux salles de classe, aux bureaux des autres collègues, aux salles de réunions, au bureau du secrétariat, aux corridors et à tous ces lieux formels et informels qui permettent certes de discuter, de tester des idées, mais surtout d’éprouver différentes émotions et de les mettre à l’épreuve. Ce lien émotionnel est par ailleurs certainement à la base de la relation d’enseignement, surtout en travail social, mais j’ai remarqué qu’il ne s’est pas du tout manifesté de la même façon durant l’année pandémique (2020-2021). Ayant été entièrement en télétravail et en téléenseignement cette année-là, le travail émotionnel m’a été rendu quasi impossible à faire dans le cadre de l’enseignement d’un séminaire lié au stage de la dernière année du baccalauréat. Ce séminaire donné une fois par mois à un groupe restreint d’étudiants est le lieu où déposer tout ce qui se passe en stage. Ce séminaire n’est pas structuré comme le sont les cours magistraux théoriques, il prend plutôt la structure que les étudiants veulent lui donner. À neuf étudiants, la petitesse du groupe faisait qu’ils ouvraient tous leur caméra dès le début du cours, donc je voyais les visages, mais rapidement, dès que les étudiants vivaient une émotion, ils s’excusaient et fermaient leur caméra. Je n’avais plus accès à eux le temps qu’ils reprennent le contrôle sur leurs émotions. Les règles de sentiments se manifestaient en toute puissance, car eux aussi avaient intégré la nouvelle règle « ça va bien aller », tout comme ils continuaient d’adhérer à une règle plus ancienne, « on ne pleure pas en classe, et certainement pas à l’université ». La virtualité faisait également que je n’avais pas accès à eux après le cours, donc pas moyen de les prendre à part et de voir avec eux ce qui se passait. Pas moyen non plus de leur offrir un espace pour qu’ils expriment pleinement les émotions vécues sur le coup.

En parallèle à ce premier élément, je crois qu’il y a une autre tension autour de cette incapacité de faire le travail émotionnel nécessaire. Je pense que cela tient au fait que notre institution a refusé de reconnaitre le surplus de travail salarié et non salarié que la pandémie a entrainé. Si l’institution refuse de reconnaitre que le personnel de l’université a dû s’adapter comme il ne l’a jamais fait face à une situation de crise dans les dernières décennies, que ce personnel a fait énormément de travail salarié et non salarié en plus de ce qui est demandé à l’habitude, cela coupe le caractère collectif de cette situation. Si les professeurs n’ont pas fait de manière générale de travail d’adaptation ou d’heures supplémentaires, ce n’est alors peut-être que moi qui en ai fait ? D’autant plus que comme citoyens, nous étions également en situation de vulnérabilité en raison des incertitudes amenées par la pandémie. Ces rôles de citoyenne et de mère se transposaient sur mon rôle de professeure, responsable de gérer les étudiants en classe, mais aussi de leur offrir un soutien hors classe lorsque leur situation personnelle débordait sur leur situation estudiantine. Donc cela me laissait croire que ce que je vivais et ce que je ressentais était entièrement de ma faute, puisque le problème n’existait pas à l’échelle de l’université. Lorsque l’on ne reconnait pas les situations collectives de surtravail, et dans ce cas-ci des situations collectives de surtravail dans un contexte insécurisant de pandémie, on ne permet à personne de faire le travail émotionnel qui devrait être fait pour évaluer ce qui se passe entre « sentiment et situation » (Hochschild, 2003, p. 39).

Sur une autre note, ces réunions qui se succédaient, puisque nous n’avions plus besoin de temps pour nous déplacer entre les rencontres, cela a fait que nous n’avons jamais autant travaillé. Sans une minute pour reprendre notre souffle, nous n’avions plus aucun temps libre pour comprendre et assimiler les informations qui venaient d’être entendues ou discutées. Cette grande quantité d’informations cumulées chaque jour, sans qu’on ait le temps de les assimiler, a également empêché que le travail émotionnel se fasse ou sinon, le soir entre la routine du souper et du bain, au moment où la vaisselle était faite, lors du premier moment de silence vécu dans la journée. Cela dénote selon moi que nous avons vécu une exploitation jusque dans le domaine privé. Le domaine privé n’existant presque plus, il était investi par le temps de travail salarié sans que ce dernier puisse être fait dans de bonnes conditions, et tout en faisant face presque aux mêmes exigences de la part de notre employeur. Comme je l’ai dit plus haut, pour moi, cela a amené des conflits dans mon milieu de vie privée, en raison d’une lutte entre les domaines (qui peut travailler, lui ou moi ?). Je n’arrivais ni à produire le travail émotionnel pour mon travail salarié, car je n’avais pas le temps de m’ajuster, et je n’avais pas non plus l’espace pour faire le travail émotionnel lié à ma famille, car mon emploi empiétait sur ma vie familiale. Je vivais en quasi permanence des dissonances émotionnelles qui m’épuisaient et qui, paradoxalement, diminuaient ma capacité de faire le travail émotionnel que j’aurais eu besoin de faire. Le jeu en surface (faire semblant) prenait toute la place, aux dépens du jeu en profondeur (rappel des souvenirs, faire un effort pour comprendre ce qui s’est passé, les raisons pour lesquelles certaines émotions ont été générées, le renvoi des émotions réellement attendues, etc.). Le travail émotionnel, particulièrement celui effectué en profondeur, peut devenir un bouclier à force d’expérience, encore faut-il pouvoir l’expérimenter.

Je n’ai pas encore compris toute cette dynamique, mais selon moi, il y a quelque chose de l’ordre de la violence institutionnelle à creuser. Dans tous les cas, entre l’imposition d’un travail émotionnel et l’incapacité de le produire en raison de toutes les circonstances mentionnées, car cela prend de l’énergie pour soutenir l’effort que demande la gestion de l’émotion de soi et de l’autre, les règles de sentiments sont selon moi à critiquer et à transformer.

Conclusion

En conclusion, je propose cette citation provenant d’un numéro spécial de Philosophie magazine sur les émotions à l’automne 2019 : « Trois voies s’ouvrent à nous, suivant la signification principale que nous donnons aux émotions : si nous considérons qu’elles sont des informations sur l’état du monde, il convient de les écouter ; si nous pensons qu’elles sont des expériences, qu’elles donnent toute sa saveur à l’existence, il est préférable de les cultiver et de les entretenir en nous ; enfin, si nous nous intéressons à la communication des émotions, au fait qu’elles puissent devenir collectives et que c’est même leur vocation que de souder et animer les divers groupes humains, nous chercherons à les partager » (Lacroix, 2019, p. 51). Et vous aurez compris que c’est la troisième voie que j’adopte quotidiennement, dans ma famille, dans mes cours, dans les recherches que je mène et qui mériterait selon moi d’être adoptée plus largement par le monde qui m’entoure.