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Introduction

La gestion de la diversité ethnoculturelle, c’est-à-dire d’employés ayant un héritage socioculturel différent de la majorité (langue, tradition, religion, etc.), semble être un défi qui ne cesse d’augmenter au fil des ans pour les employeurs (Ely et Thomas, 2001; Mor Barak, 2017). Dans bien des pays, on retrouve un nombre important de travailleurs immigrants, soit des personnes travaillant sur une base temporaire ou permanente dans un pays qui n’est pas celui de leur naissance (McAuliffe et Ruhs, 2017). On estime que 3,5 % de la population mondiale a un statut d’immigrant et vit à l’extérieur de leur pays de naissance pour une longue période (International Organization Migration, 2020).

À ce jour, les incidences de la diversité ethnoculturelle au sein des organisations sont partagées. D’une part, des écrits montrent qu’un personnel diversifié peut s’avérer une source d’atouts, notamment en ce qui concerne l’innovation et la performance des organisations et des sociétés (Ofori-Dankwa et Julian, 2014; van Veelen et Ufkes, 2019). Outre les défis de gestion liés aux conceptions nationales différentes dans le rapport au travail (Hofstede, 2010), un personnel diversifié peut aussi alimenter des préjugés qui entraînent des problèmes de communication, des tensions et des conflits nuisibles au développement d’une identité commune, ainsi qu’à l’altruisme, à la coopération, à la cohésion (Bove et Elia, 2017; Hogg, 2016; Pelled, 1996) et à la performance organisationnelle (Brodbeck et coll., 2011).

Considérant les avantages et les désavantages de la diversité, de même que les différentes approches possibles (voir notamment Haas et Shimada, 2014; Chanlat et coll., 2013), il apparaît crucial de mieux comprendre comment faire de la diversité une source de valeur ajoutée et d’en minimiser les risques à tous les niveaux hiérarchiques (Arcand, 2013; Leslie, 2019; Smulowitz et coll., 2019; van Veelen et Ufkes, 2019)the authors propose the categorization-elaboration model (CEM. En outre, des chercheurs prônent l’importance de mieux comprendre les schémas mentaux à l’égard de la diversité (diversity mindset) (MacKenzie et Forde, 2009; North, 2006), lesquels correspondent aux représentations que les personnes se font de la diversité dans leur milieu de travail (van Knippenberg et coll., 2004 et 2013). Ces schémas mentaux sont jugés particulièrement importants pour les dirigeants qui adoptent les politiques et les pratiques de gestion (Malik et Singh, 2017) et pour les cadres qui supervisent un personnel diversifié au quotidien (Homan, 2019; Mayo et coll., 2017). Comme on reconnaît que le changement des pratiques de gestion ne garantit pas une ouverture à la diversité (Bartunek, 1984; Luscher et Lewis, 2008), des experts recommandent plutôt de mieux comprendre les incidences des schémas mentaux à l’égard de la diversité sur l’évolution des pratiques de gestion (Bartels et coll., 2013; Leslie, 2019). Notre étude s’inscrit dans cette dernière perspective en explorant comment les schémas mentaux à l’égard de la diversité ethnoculturelle adoptés par des gestionnaires et des dirigeants d’entreprises situées en région influencent leurs pratiques de gestion. Alors que les organisations en dehors des grands centres urbains doivent de plus en plus miser sur l’immigration pour assurer leur croissance et leur survie (Boudarbat et Grenier, 2014; Racine et Plasse-Ferland, 2016; Vatz-Laaroussi et coll., 2010), relativement peu d’études ont été faites en région et encore moins sur les schémas mentaux adoptés par les employeurs qui y sont établis.

Les résultats de cette recherche devraient avoir des contributions variées. Alors que la plupart des chercheurs ont interrogé des employés immigrants, notre étude répond aux besoins d’explorer les schémas mentaux des gestionnaires et des dirigeants à l’égard de la diversité (Janssens et Steyaert, 2019 et 2020; Kulik, 2014; Li et coll., 2018; O’Leary et Sandberg, 2017). Depuis des années, des auteurs constatent que la grande majorité des études sur la diversité a été menée au sein des grandes villes et que très peu d’études évaluent la situation en région rurale et hors des grands centres urbains (p. ex., Froy, 2009; Woods, 2016). Au Québec, des chercheurs ont amorcé des travaux sur la gestion des immigrants dans les régions en prenant une perspective sociétale (p. ex., Arcand, 2009; Béji et Pellerin, 2020; Bernier et Vatz-Laaroussi, 2013) et en ciblant particulièrement une région, une activité de gestion (la rétention, l’attraction), une catégorie d’immigrant (p. ex., qualifié en TI), des immigrants à titre de répondants, etc. (p. ex., Beaudry et coll., 2018 et 2019; Deschênes et coll., 2018; Dioh et Racine, 2017). Notre étude s’ajoute à ces récents travaux menés au Québec en se distinguant sur les plans théorique (schémas mentaux) et méthodologique (entrevues auprès des employeurs de plusieurs régions). Finalement, les résultats de notre étude devraient aider les employeurs ainsi que les différents acteurs locaux ou gouvernementaux de tous les pays à mieux attirer et retenir des immigrants dans les régions, ces derniers ayant encore tendance à vivre dans les zones métropolitaines et leurs banlieues (Newbold, 2021).

Revue de la documentation

Un schéma mental consiste en un ensemble d’attitudes que possède une personne (Dictionnaire Oxford, 2020). Tout le monde possède des schémas mentaux, et ces schémas varient d’une personne à l’autre. Un modèle ou un schéma mental n’est pas inné, mais plutôt basé sur des faits incomplets, des expériences passées et même des perceptions intuitives représentant comment une personne comprend le monde et influençant ses actions et ses comportements (Lidwell et coll., 2011). Au fil du temps et des expériences, les personnes développent des schémas de pensées qui les aident à comprendre leur environnement et à prendre des décisions plus rapidement. Ces schémas influencent ce à quoi les gens prêtent attention dans des situations compliquées et définissent la façon dont les gens abordent et résolvent les problèmes. Toutefois, ces grilles de lecture du monde font aussi en sorte que les personnes peuvent négliger de prendre en compte des renseignements qui remettent en question leurs schémas mentaux, ce qui peut nuire à leurs décisions et à leurs actions.

Selon la théorie de la représentation sociale (Holland et Quinn, 1987), toutes les personnes adoptent, sans en être conscientes, un cadre de référence culturel qui s’est construit à travers leurs relations et leurs communications interpersonnelles. Ainsi, les attitudes des personnes à l’égard de la diversité ethnoculturelle évolueraient selon les apprentissages qu’ils font dans leurs relations interpersonnelles (Andreouli et Chryssochoou, 2015). S’appuyant sur le concept de « modèles mentaux » (Ely et Thomas, 2001), van Knippenberg et coll. (2004, 2013) ont développé le concept de schéma mental à l’égard de la diversité (diversity mind-sets). Ils le définissent comme la manière dont les personnes comprennent l’effet de la diversité sur leur groupe de travail ou leur organisation, la manière qu’elles jugent approprié de traiter la diversité et comment elles font l’évaluation de la diversité (van Knippenberg et Schnippers, 2007 p. 531).

Des schémas mentaux positifs envers la diversité et consciemment partagés par les membres d’un groupe sont considérés comme un préalable pour en diminuer les risques et optimiser les atouts (Guillaume et coll., 2017; Homan, 2019). À ce jour, il a été démontré que de tels schémas mentaux positifs et partagés permettent de renforcer le processus dynamique de la diversité au sein des équipes et de minimiser les effets négatifs ( Li et coll., 2018). Un large consensus existe surtout sur l’importance du soutien des dirigeants d’entreprises dans le développement d’une culture inclusive favorable à l’attraction, à l’intégration et à la rétention des immigrants en emploi (Ng et Sears, 2018 et 2020). Il est reconnu que les dirigeants doivent d’abord euxmêmes percevoir la valeur ajoutée de la diversité afin de la traduire dans leurs convictions, leurs paroles et leurs gestes. Ainsi, les dirigeants d’entreprises doivent interpréter et donner un sens à l’inclusion afin de soutenir l’adoption de pratiques visant à la développer (Ng et Sears, 2018), pratiques sur lesquelles les professionnels des ressources humaines (RH) ont une certaine latitude (Ng et Sears, 2020; Wangrow et coll., 2015).

Par ailleurs, si une étude a montré que les schémas mentaux envers la diversité étant adoptés par des personnes se développent avec le temps au sein d’une équipe (Earley et Mosakowski, 2000), une autre étude a conclu qu’ils restent inchangés (Van Knippenberg et Schippers, 2007). O’Leary et Sandberg (2017) ont mené une première étude précise sur le sujet en explorant « la compréhension de la diversité des gestionnaires qui la pratiquent ». Sur la base de leurs entrevues auprès de gestionnaires travaillant dans des firmes de services professionnels, ils ont identifié quatre niveaux de compréhension en matière de diversité, ces niveaux étant liés à des pratiques de gestion particulières : 1) l’ignorance de l’identité, où l’on retrouve des pratiques standardisées qui ignorent les différences des groupes; 2) l’assimilation, où l’on observe des pratiques particulières visant l’assimilation des différents groupes; 3) la différenciation, où l’on observe des pratiques visant l’inclusion et le traitement équitable de tous les groupes; et 4) la transformationéquitable, où l’implantation de pratiques transformées permet d’obtenir des résultats équitables pour tout le personnel.

À ce jour, quelques travaux ont montré que les attitudes et les perceptions des dirigeants et des gestionnaires diffèrent d’une région à l’autre et entre les zones rurales et urbaines (Beaubry et coll., 2018 et 2019; Markaki et Longhi, 2013), tout comme la manière de mettre en place et de sélectionner les pratiques de gestion de la diversité diffère selon la culture et les pays (Klarsfeld et Klarsfeld, 2010). En région, les environnements de travail sont présumés être plus résistants à la diversité, les employés locaux percevant les immigrants comme une menace sur le plan des acquis (emploi, carrière, etc.) et des différences en matière de langue, de culture ou de religion (p. ex., Syed et coll., 2017). Devant cette menace, ils forment un groupe moins ouvert aux autres (Craig et coll., 2017; Starr-Glass, 2017). Toutefois, des études ont montré que les attitudes négatives des employés locaux à l’égard des travailleurs immigrants avaient tendance à diminuer avec l’augmentation du nombre d’immigrants et de leur taux d’emploi dans une région (Markaki et Longhi, 2013; Scheepers et coll., 2002). La présente étude innove en explorant, par l’entremise d’entretiens semi-structurés, les schémas mentaux envers la diversité adoptés par 70 dirigeants et gestionnaires oeuvrant au sein de 60 entreprises situées dans six régions du Québec.

Méthodologie

Cette étude vise à comprendre comment les schémas mentaux des gestionnaires et des dirigeants en région peuvent influencer leurs pratiques de gestion. Pour mener cette étude exploratoire, nous avons retenu les entretiens semi-dirigés comme approche méthodologique. Une telle approche qualitative nous permettait d’obtenir des informations descriptives plus riches sur le phénomène étudié et de pouvoir nous ajuster en fonction des participants. De plus, l’entretien suscite plus de participation de la part des gestionnaires et des dirigeants en région qu’un questionnaire, lequel n’était pas vraiment pertinent dans le cadre de notre étude puisque nous ne visons pas à tester un modèle ni à généraliser des résultats, mais plutôt à explorer un phénomène pour mieux le décrire.

Pour réaliser cette étude, des entrevues ont été menées auprès de gestionnaires et de dirigeants travaillant dans 60 entreprises situées dans six régions de la province de Québec, au Canada. Les régions sélectionnées, jugées d’intérêt puisqu’elles sont situées à proximité de Montréal (une option plus attrayante pour les immigrants) ou aux prises avec une problématique de pénurie de main-d’oeuvre, sont la Mauricie, la CapitaleNationale, Chaudière-Appalaches, le Centre-du-Québec, l’Estrie et la Montérégie. Pour sélectionner les organisations dans chacune de ces régions, nous avons d’abord consulté le Répertoire d’entreprises du Québec (ICRIQ), un échantillonnage théorique. Ensuite, une stratégie « à la chaîne » a permis d’élargir l’échantillon (Hennink et coll., 2010; Patton, 2002). Les 60 entreprises pour lesquelles travaillent les participants sont présentées dans le Tableau 1.

Tableau 1

Présentation des 60 organisations pour laquelle travaillent les participants

Présentation des 60 organisations pour laquelle travaillent les participants

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L’échantillonnage ciblé consistait à sélectionner des personnes expérimentées ayant vécu notre phénomène d’intérêt (la gestion de la diversité ethnoculturelle), c’est-à-dire les principales parties prenantes (Cresswell et Plano Clark, 2011). Cette méthode nous permettait de nous entretenir avec des personnes qui étaient prêtes à participer et à communiquer leur expérience ainsi que leur point de vue sur le sujet. Elle nous a aussi permis d’affiner la recherche de participants en invitant chaque interviewé à nous donner le nom d’au moins un autre participant ou employeur potentiel, le dernier fournissant le nom d’un autre répondant potentiel, et ainsi de suite (Kircheer et Charles, 2018). En somme, cette approche par stratégie « à la chaîne » permet notamment de mieux pénétrer des contextes où les personnes et les organisations entretiennent d’étroites relations, comme c’est le cas avec notre échantillon d’organisations situées dans des régions précises et où l’écosystème entrepreneurial est structuré autour d’acteurs locaux forts (p. ex. : chambre de commerce et OBNL en développement socio-économique). De même, les difficultés inhérentes aux déplacements dans ces régions, jumelées à une certaine méfiance à l’égard de chercheurs voulant étudier les pratiques en matière de diversité, peuvent constituer des obstacles importants à la collecte de données. Par conséquent, une telle stratégie d’échantillonnage à la chaîne favorise le contact et permet d’instaurer un premier niveau de confiance (Biernacki et Waldorf, 1981). Au sein des 60 organisations, nous avons mené des entretiens semi-structurés avec une ou deux personnes ayant suffisamment de connaissances, de compétences et d’expérience au sein de l’organisation pour être en mesure de répondre à des questions portant sur la gestion des travailleurs immigrants. Dans certaines entreprises, nous avons rencontré deux personnes en même temps ou séparément. Dans la plupart de ces cas, l’un des participants souhaitait la présence de l’autre compte tenu du sujet de l’entretien, leur point étant qu’à deux, ils seraient plus en mesure de répondre aux questions considérant l’ancienneté, l’expertise et le poste occupé par les répondants. Faute de disponibilité au même moment, deux participants ont aussi pu être rencontrés séparément. Cependant, la majorité des entrevues ont été menées auprès d’un seul répondant par entreprise. Au total, nous avons ainsi rencontré 70 personnes occupant des postes variés : 76 % sont des professionnels en RH (PRH), 16 % sont gestionnaires opérationnels (GEST) qui supervisent des immigrants (p. ex : responsable de département, directeur de la production) et 8 % sont des membres de l’équipe de direction (DIR) (p. ex. président, propriétaire, directeur général). Un peu plus de la moitié des participants sont des femmes (56 %), ce qui est cohérent avec la féminisation des emplois de professionnels en RH.

Les entretiens, d’une durée variant de 30 à 90 minutes (la moyenne étant de 40 minutes), ont été menés en 2017-2018 sur la base d’une grille semi-directive commune qui s’est bonifiée selon un procédé itératif suite aux premiers entretiens (Hennink et coll., 2020). Les entretiens commençaient par une définition du terme immigrant, soit une personne née à l’étranger (Saunders, et coll., 2000), puis les questions exploraient les défis des ressources humaines, les comportements face aux travailleurs immigrants et les pratiques de gestion de diversité. Pour bâtir notre grille et pour coder les propos des répondants, nous avons tenu compte des écrits synthétisant les pratiques de gestion de la diversité en général (notamment, en matière d’attraction, d’intégration et de rétention, p. ex., Mor Barak, 2017; Cornet et Warland, 2010; St-Onge et coll., 2021) ainsi que des écrits traitant des entreprises en régions en particulier (p. ex., Arcand et coll., 2020; Deschênes et coll., 2018).

Les entretiens ont tous été enregistrés et retranscrits, ce qui totalisait environ 1 000 pages de texte qui ont fait l’objet d’une analyse de contenu (Thomas, 2006)(2. Nous avons utilisé le logiciel d’analyse qualitative Provalis QDA Miner (version 5.0.6) pour analyser les entretiens transcrits ainsi que pour identifier et coder les thèmes dominants à travers un processus inductif. Ce logiciel permet d’identifier les thèmes et les variables (Manning et Callum-Swan, 1994). Nous avons affiné l’analyse à l’aide d’une méthode déductive basée sur la revue de la littérature (Blais et Martineau, 2006; Thomas, 2006). L’analyse du contenu était la méthode utilisée pour analyser les entrevues. Tout d’abord, nous avons lu les transcriptions des entrevues plusieurs fois pour nous familiariser avec le contenu des discussions. Ensuite, nous avons effectué un codage initial inductif, permettant à des thèmes communs d’émerger du discours en utilisant un codage descriptif (Miles et Huberman, 1994). Des codes ont été attribués à chaque extrait significatif des entretiens à l’aide du logiciel Provalis QDA Miner (version 5.0.6) qui permet d’identifier les thèmes et les variables (Manning et Callum-Swan, 1994). Chaque code représentait un thème ou une idée liée au discours du participant. Ensuite, nous avons progressivement affiné le codage en combinant des sujets similaires ou redondants en catégories plus larges (Saldana, 2009). Enfin, nous avons affiné de manière déductive notre codage en fonction des schémas mentaux des participants et des pratiques qu’ils perçoivent en place dans leur organisation. Chaque participant a été classé dans une catégorie selon les codes sur les pratiques (attraction, intégration, rétention) et sur les schémas mentaux (motif d’embauche, réticences, compréhension de la diversité). Des exemples étaient utilisés pour inscrire chaque participant dans une catégorie et les contradictions étaient remises en contexte, discutées, puis reclassées. Les auteurs ont sélectionné des extraits des entrevues les plus pertinentes dans chaque catégorie. Nous présentons ces extraits dans la section Résultats.

Résultats

Nos analyses montrent que les schémas mentaux des 70 participants peuvent être classés en trois types, soit l’appréhension (n = 29,41 %), la responsabilisation (n = 23,33 %) et la mobilisation (n = 18,26 %), qui distinguent leurs discours tant sur l’embauche et l’accueil que sur l’intégration et la rétention des travailleurs immigrants. La présente section vise à étoffer ces trois types successivement.

Le schéma mental d’appréhension

Plusieurs participants adoptent un schéma mental d’appréhension en exprimant une vision de la diversité empreinte de doutes sur sa valeur ajoutée et de craintes sur ses incidences. De plus, s’ils doivent embaucher des immigrants, la responsabilité de les intégrer dans l’entreprise et dans la région leur revient en grande partie.

Embauche et accueil : Même si certains de ces participants peuvent exprimer de l’ouverture pour embaucher des candidats immigrants, ils ne font pas d’efforts particuliers pour les attirer. Ils interviennent souvent au cas par cas et se résignent à embaucher des immigrants lorsqu’ils ne réussissent pas à pourvoir des postes vacants avec des candidats québécois.

« La couleur de peau et le pays ne nous importent pas du tout. Au contraire, je pense que cela donne une richesse. Par contre, ce n’est pas ce que nous cherchons. »

PRH, Estrie, Services, 19

Pour justifier leurs réserves, ils expriment des doutes sur le fait que des étrangers puissent désirer s’installer dans leur région de manière permanente.

« Si la personne manifestait un intérêt pour la région, c’est sûr que je l’encouragerais et je pourrais l’aider à trouver un appartement. Mais généralement, quelqu’un ne veut pas venir s’établir en région pour prendre un poste contractuel pendant un an. » .

PRH, CentreduQuébec, Manufacturier, 40

Selon eux, un candidat embauché doit correspondre parfaitement à leurs attentes immédiates, avec peu de flexibilité pour revoir leurs critères, changer leurs façons de faire ou s’adapter aux particularités des immigrants.

« Moi, je crois davantage dans un candidat qui est déjà dans notre région […] Je ne ferai pas des efforts supplémentaires pour avoir des immigrants. Je peux ne rien faire de plus que d’afficher des postes et d’espérer des candidats. Que ce soit un immigrant ou non, ça ne me dérange pas. Pourvu qu’il parle en anglais et en français. »

GEST, Centre-du-Québec, Services, 45

En général, ces participants craignent les perceptions d’iniquité des employés locaux face à l’embauche des immigrants et font des efforts pour les prévenir.

« On s’est adjoint un expert d’une firme spécialisée comme nous ne savions pas comment les employés allaient accueillir les immigrants. » (PRH, Centre-du-Québec, Manufacturier, 41).

Leurs réserves sont parfois estompées si d’autres entreprises de leur région le font avec succès.

« Des entreprises de la région l’ont fait et cela a bien fonctionné. Je me suis aussi renseigné auprès d’une firme de recrutement qui m’a dit que sur 150 personnes qu’elle a fait venir, il y en avait 146 pour qui cela avait bien été. » .

PRH, Mauricie, Manufacturier, 38

Ainsi, on remarque que ces participants ne prennent pas la responsabilité d’attirer des personnes immigrantes et le perçoivent plutôt comme un défi de taille.

Intégration et rétention : Des pratiques reconnues pour faciliter l’intégration et la rétention des immigrants ne sont pas envisagées ni jugées souhaitables par les participants ayant un schéma mental d’appréhension.

« Est-ce que nous formons notre personnel québécois en matière de diversité? Non. Peutêtre que cela pourrait être fait. Je n’embauche pas beaucoup d’immigrants, environ 5 %. » .

PRH, Capitale nationale, Services, 52

Ces participants jugent excessives les ressources à investir en temps, en argent et en expertises pour aider les immigrants dans leurs démarches administratives et dans leur intégration au sein de leur poste, de l’entreprise ou de la communauté.

« Hier, il (immigrant) était dans le bureau des ressources humaines comme tous les jours. Ce n’est pas facile pour eux comme ils sont un peu laissés à eux-mêmes pour toutes les questions administratives. Notre professionnelle en ressources humaines n’est pas une spécialiste sur ces sujets. […] Les immigrants demandent beaucoup plus de temps que les employés locaux. […] Si on prend deux personnes, un immigrant et une personne du Québec, qui sont capables de faire le même travail, je vais certainement prendre le Québécois. Parce que l’immigrant, j’ai souvent de la difficulté à le comprendre. Leur langue les défavorise. Je ne suis pas capable de communiquer à 100 % avec eux. »

DIR, Estrie, Manufacturier, 7

« Il faut un permis d’études et obtenir un permis de travail. Ça prend beaucoup de temps si c’est bloqué à l’immigration ou si des papiers n’ont pas été signés. »

PRH, Estrie, Services, 19

Le fait que les immigrants n’ont souvent pas d’automobile ou de permis de conduire (alors qu’il y a peu de transport en commun en région) incite ces participants à craindre de moins bons résultats sur les plans de l’assiduité et de l’engagement en comparaison aux employés locaux.

« On voudrait plus d’immigrants, mais ils n’ont souvent pas de voiture et il n’y a pas de transport en commun. Le covoiturage, ça peut marcher, mais si le conducteur s’absente, personne n’entre à l’usine. […] C’est une des raisons qui font que nous n’avons pas autant d’immigrants qu’on aimerait. »

GEST, Centre-du-Québec, Manufacturier, 42

« S’il y a juste un immigrant qui a une auto et qu’il tombe malade, les autres immigrants qui voyagent avec lui n’entrent pas travailler. S’il décide de quitter parce qu’il n’aime pas son emploi ou qu’il a trouvé autre chose, je perds tout le groupe. »

PRH, Estrie, Manufacturier, 9

Les participants adoptant un schéma mental d’appréhension tiennent à traiter de manière égalitaire tous leurs employés. Comme pour les nouveaux employés locaux, les immigrants doivent faire des efforts pour réussir à s’intégrer et à s’adapter.

« Au niveau de la responsabilisation de l’employé, qu’il soit immigrant ou québécois, ça ne change rien. Nous voulons quelqu’un qui est capable de faire le travail. Si on embauche un ingénieur, on s’attend qu’il ait les connaissances et la formation requises. Si on embauche des opérateurs, on s’attend à ce qu’ils apprennent, comprennent et posent des questions. »

GEST, Estrie, Manufacturier, 8

Un participant reconnaît que cette absence de volonté d’adapter ou d’accommoder leurs pratiques aux immigrants peut créer des iniquités qui risquent de les inciter à quitter l’entreprise.

« C’est peut-être ça le problème qu’on a eu avec l’employé immigrant. On ne l’a pas traité de manière particulière, mais comme tout le monde. On n’a pas pris en compte qu’il venait d’ailleurs. » .

PRH, Mauricie, Manufacturier, 38

Ils répondent aux attentes des immigrants lorsqu’elles sont jugées raisonnables et acceptables par les employés locaux.

« On essaie de répondre aux besoins de chacun. On est chanceux, on est une petite équipe. […] On écoute tout le monde, sauf si les demandes sont déraisonnables. » .

PRH, CentreduQuébec, Manufacturier, 40

Pour ces participants, la satisfaction des clients prime, et l’employé doit offrir le même service, qu’il soit immigrant ou local.

« Si un employé tutoie les personnes âgées en disant que dans son pays on les tutoie, je lui dis qu’ici, il faut vouvoyer et qu’il n’a pas de choix. Il faut offrir un bon service à la clientèle sinon il y aura des plaintes. Mes normes sont là et il faut rentrer dans le moule. » .

PRH, Capitale nationale, Services, 52

En général, ces participants laissent les immigrants assumer seuls les responsabilités liées aux tâches administratives en lien avec leur déménagement, l’apprentissage de la langue, la connaissance de la région, l’intégration au travail, etc.

Le schéma mental de responsabilisation

Un schéma mental de responsabilisation regroupe les participants qui misent sur les meilleures pratiques pour attirer et embaucher des immigrants et qui se considèrent comme étant responsables de la réussite de l’intégration et de la rétention des immigrants dans l’entreprise et la région.

Embauche et accueil : Les participants présentant un schéma mental de responsabilisation reconnaissent la vulnérabilité et la différence des travailleurs immigrants et cherchent à optimiser leurs pratiques de dotation en profitant de l’aide offerte par les organismes locaux.

« Ce n’est pas toutes les régions qui offrent des ressources pour nous aider. Nous avons l’avantage de pouvoir travailler avec eux (conseillers). […] Il faut faire une “petite séduction”. […] On les fait venir quelques jours pour qu’ils voient l’environnement avant de décider de déménager. » .

PRH, Estrie, Manufacturier, 17

Pour pourvoir leurs postes, certains réalisent des missions onéreuses de recrutement dans un pays étranger.

« Ça coûte cher parce que les deux propriétaires doivent y aller et s’absentent de l’usine pendant 7 à 10 jours. Mais quand tu dois bloquer ton expansion par manque de personnel, tu n’as pas le choix. » .

DIR, Estrie, Manufacturier, 4

Toutefois, un participant dont l’entreprise avait fait un recrutement international (ce qui lui a coûté environ 12 000 $ par travailleur pour un contrat de 2 ans) exprime qu’ils ont décidé de ne plus répéter l’expérience, mais plutôt de mieux concentrer leurs efforts de recrutement au Québec ou dans d’autres régions du Canada. D’autres participants ont décidé de revoir leurs façons de faire sur la base de leur expérience avec les immigrants.

« Avec des candidats sans voiture qui viennent de Montréal ou de plus loin en région, on veut faire ce que l’on a fait avec des personnes recrutées à international. On va leur offrir un service d’autobus et des logements sur une base temporaire. Nous allons les aider à venir travailler ici et leur permettre de retourner chez eux sans avoir à briser un bail. » .

PRH, Estrie, Manufacturier, 15

Les obstacles rencontrés donnent lieu à la recherche de solutions et à la création de nouvelles pratiques chez ces employeurs.

Ces participants reconnaissent l’importance de consacrer du temps et des ressources financières pour bien accueillir les immigrants dans l’entreprise et la communauté. Les barrières linguistiques tout comme les contraintes administratives liées au recrutement à l’étranger, la demande de visa ou les démarches de citoyenneté les accaparent beaucoup. Ils préparent la venue d’immigrants de manière à faciliter leur installation au pays et dans la région en tenant compte, par exemple, de leurs besoins de liquidité, de vêtements, de logement, etc.

« Nous sommes responsables de leur trouver un logement, de les familiariser avec la communauté, de leur faire visiter le village. Comme ils sont catholiques pratiquants, on les fait rencontrer le curé, visiter l’église. […] On a des rencontres à tous les 2 mois avec les employés. On en profite pour les informer du projet de recrutement à l’étranger. On les rassure en répondant à leurs questions : leur emploi et leur place dans l’entreprise sont-ils menacés par l’arrivée d’immigrants? Pas du tout. Une spécialiste a aussi rencontré les employés qui allaient travailler avec les immigrants. »

PRH, Estrie, Manufacturier, 12

« On fait bien des démarches pour eux […] C’est très exigeant de préparer leur venue et cela entraîne des coûts élevés. »

PRH, Chaudière-Appalaches, manufacturier, 60

« On a mis des affiches : avez-vous des manteaux d’hiver, foulards, mitaines, tuques? […] On est allé dans une friperie. »

PRH, Estrie, Manufacturier, 14

Ces participants préparent aussi leurs employés locaux à l’arrivée des immigrants sur les lieux de travail en insistant sur le problème de pénurie de candidats et sur l’absence de suppression de postes pour les employés locaux. Ces efforts de préparation relèvent souvent du manque d’expérience avec la diversité, mais reflètent un désir de surmonter les défis reliés à la diversité.

Intégration et rétention : Ces participants mettent de l’avant les efforts pour favoriser l’intégration et la rétention des immigrants en entreprise et en région. À titre d’exemple, ils peuvent mettre en place des cours de français, des programmes de mentorat ou de jumelage et organiser des activités sociales sur les lieux de travail, etc. Tout cela en vue de favoriser leur performance et de développer une culture inclusive où les employés locaux ont un grand rôle à jouer.

« On affecte aux immigrants un compagnon. S’ils ont des questions, tant sur l’ambiance de travail que sur leur travail, ils se rapportent à lui. »

PRH, Estrie, Manufacturier, 12

« On sélectionne bien le compagnon. Ce n’est pas seulement une question de compétences, mais d’ouverture d’esprit, de volonté d’aider. […] Si tu matches un immigrant avec un Québécois qui ne veut pas, cela ne marchera pas. »

DIR, Estrie, Manufacturier, 4

« Les employés sont curieux et ont posé des questions. Nous avons déjà fait un dîner communautaire où tout le monde apportait un plat de leur pays. Nous avons partagé les plats et des recettes. »

PRH, Capitale-Nationale, agroalimentaire, 53

« Beaucoup d’employés ont fait des petits gestes. Ils leur ont fait visiter la ville et les environs. Ça n’a pas pris un mois, ils étaient devenus nos amis. »

PRH, Estrie, Manufacturier, 14

Les participants adoptant un schéma mental de responsabilisation se disent en « apprentissage », démontrent une ouverture pour modifier leurs pratiques de gestion et expriment plus de tolérance envers les immigrants en ce qui a trait à la formation et au temps requis pour devenir performant.

« On travaille sur des pictogrammes pour montrer les outils dans différentes langues afin qu’ils puissent les utiliser. »

PRH, Capitale-Nationale, Services, 48

Ils reconnaissent aussi que ce qui peut aller de soi pour les employés locaux peut être nouveau pour un immigrant, notamment le respect des règles liées aux horaires et à la ponctualité. Certains participants expriment le besoin d’accorder des accommodements aux immigrants sur divers plans (religieux, alimentaire, etc.). Toutefois, on reconnaît que le sujet des accommodements est délicat et qu’il faut bien gérer leurs incidences potentiellement négatives sur la performance ou les relations avec les employés locaux.

« Nous, on aime être ponctuel. À 7 h 30, ça commence. Eux, ils pouvaient entrer à 8 h, à 9 h et cela n’était pas grave à leurs yeux. On leur a dit que c’était important pour nous. Ils se sont adaptés et ils arrivent à l’heure maintenant. »

PRH, Estrie, Manufacturier, 13

« On donne plus de chances aux immigrants. On réalise qu’ils n’ont pas nécessairement compris ce qui est à faire. On répète un petit peu plus. On se donne plus de temps avant de dire qu’il peut ou ne peut pas faire le travail. On est plus tolérants envers eux. »

DIR, Estrie, Manufacturier, 24

« Au niveau de l’accueil et de l’intégration des immigrants, il faut revoir certaines choses et préciser nos attentes. Il faut aussi revoir des politiques. On doit se poser des questions du genre : Quelles sont les accommodations qu’on peut faire ou ne peut pas faire comme employeur? Certains employés doivent faire la prière et ne pas manger à certains moments. […] Quelqu’un qui va prier, ça peut être dérangeant. L’employé qui jeûne et qui fait un travail très physique peut être moins performant et s’absenter plus, surtout lors des périodes de chaleur. »

PRH, Capitale-Nationale, Services, 48

Ainsi, ces participants développent et créent des pratiques dans l’optique d’un compromis. La création des pratiques se fait dans un aller-retour constant entre la réalité sur le terrain et les croyances des responsables (critères, normes, règles, etc.). Ils prennent la responsabilité de faire en sorte que l’embauche d’immigrants en région soit un succès pour leur entreprise.

Le schéma mental de mobilisation

Les participants adoptant un schéma mental de mobilisation se montrent ouverts à investir bien des ressources pour attirer, intégrer et retenir les immigrants parce qu’ils comprennent et apprécient leur valeur ajoutée tant au niveau du travail que du climat. Ces participants ont typiquement plus d’expérience en gestion de la diversité. Avec le soutien d’organismes locaux, ces participants aident leurs employés immigrants à surmonter des barrières administratives (durée des visas, délais d’acheminement des permis de travail, conditions pour demander la résidence permanente) en s’attendant aussi que ces derniers y accordent les efforts requis. Ils veulent ainsi s’assurer que tous les immigrants soient le plus rapidement intégrés, productifs et désireux de rester pour progresser au sein de l’entreprise.

Embauche et accueil : Les participants qui adoptent un schéma mental de mobilisation parlent de l’importance de bien s’assurer d’embaucher des personnes ouvertes à la diversité.

« C’est un succès [l’embauche d’immigrants]. On adore ça, on s’est habitué et on ne pourrait plus s’en passer. Lors de l’entrevue d’un candidat, qu’il soit immigrant ou non, on lui demande s’il a des problèmes à travailler avec des personnes immigrantes. » .

PRH, Estrie, Services, 1

Ce succès entraîne la cristallisation de pratiques de RH performantes. Plusieurs recourent à des organismes externes pour les aider lors de recrutements à l’international afin d’identifier des candidats qui ont le potentiel de s’établir en région pour longtemps.

« Je suis allée à six reprises recruter au Costa Rica. On a fait affaire avec un organisme qui a défriché le terrain et monté une banque de candidatures [(…] On vient d’engager des candidats qui auront le goût de résider au Canada. Les embaucher sur une base temporaire s’avère un trop grand investissement. »

PRH, Estrie, Manufacturier, 36

Ils reconnaissent le rôle de chaque acteur et s’appuient sur ce partage de responsabilité.

Par exemple, s’ils font un effort pour bien accueillir les employés immigrants, ils s’attendent aussi à ce que ces derniers s’investissent dans leur travail et restent dans l’entreprise.

« Il faut investir dans un nouvel immigrant pour l’amener au niveau voulu […] il y a des terminologies québécoises, des façons de faire, des attentes, une façon de gérer et de s’exprimer qu’il faut lui montrer. » .

PRH, Estrie, Services, 16

Un participant exprime que son entreprise fournit une maison d’hébergement aux nouveaux immigrants.

« Nous avons une résidence appelée “le Tremplin” qui facilite leur intégration comme ils ne sont pas isolés dans une petite chambre [...] Après un certain temps, ils sont intégrés et ils se trouvent un appartement. ».

PRH, Capitale nationale, Services, 54

En responsabilisant les travailleurs immigrants, l’employeur évite davantage les écueils et la « fatigue organisationnelle » pouvant être liée aux efforts d’intégration. Du coup, cet employeur donne plus de pouvoir aux travailleurs immigrants afin qu’ils puissent s’intégrer de manière plus durable et soient plus satisfaits de travailler en région. Cela dit, cette approche peut également avoir pour effet négatif de responsabiliser les travailleurs immigrants à l’excès, voire de les culpabiliser, et ce, principalement dans les cas d’échec d’intégration et de rétention.

Intégration et rétention : Les participants ayant un schéma de mobilisation adoptent un langage basé sur la réciprocité avec les travailleurs immigrants.

« C’est évident que nous devons nous préparer, mais eux aussi. Ils doivent suivre des cours de français, de connaissances générales et des institutions au Canada. ».

GEST, Estrie, Manufacturier, 3

Un participant parle des cours de français qui sont offerts à l’interne et des efforts qui sont attendus des immigrants en la matière.

« Le centre de francisation le plus près est à 35 minutes de route aller-retour alors qu’ils n’ont pas de permis de conduire. […] Prendre un taxi pendant 35 minutes, ça coûte trop cher. Il n’y avait pas possibilité d’avoir du covoiturage. De plus, les cours se donnaient le jour alors qu’ils travaillent. […] On leur a dit : “vous serez libres de faire la démarche de résidence permanente quand vous aurez complété la francisation.” […] Nous sommes là s’ils font des efforts pour l’intégration et ont besoin d’aide. Certains ont décidé de s’acheter une maison, d’inscrire des enfants à l’école. On les accompagnait parce qu’ils ont fait l’effort d’apprendre le français. »

PRH, Chaudière-Appalaches, Manufacturier, 70

Ces participants se préoccupent aussi de la rétention des immigrants dans l’entreprise et dans la communauté, et donc, du développement de leur carrière. Aussi, ils vont franciser les employés immigrants sur les lieux de travail, leur proposer des avantages sociaux, des salaires, des possibilités de carrière et des formations, etc..

« Quand il [immigrant] va partir en mandat, il va être solide parce qu’on l’a accompagné et formé. » ().

PRH, Capitale nationale, Services, 49

Ils vont aussi accorder des accommodements, notamment pour la prière, mais de manière encadrée ou balisée. Selon eux, leur entreprise vise vraiment à développer une culture d’ouverture à la diversité.

« On a des rencontres trimestrielles avec les employés. On veut que tout le monde soit heureux et que les immigrants continuent de travailler pour nous. On est bien avec eux. On ne voudrait pas qu’ils partent. S’ils partent, ce qui est très rare, ça nous fait vraiment quelque chose. »

PRH, Estrie, Services, 1

Ces participants savent aussi combien les employés locaux ont une part de responsabilité dans le développement d’une culture inclusive de par leurs gestes.

« Pour démontrer l’ouverture d’esprit à vouloir bien les intégrer, des employés locaux ont appris l’espagnol. »

PRH, Chaudière-Appalaches, Manufacturier, 70

En somme, ces participants reconnaissent l’importance des changements d’attitudes et de comportements de la part de tous les acteurs présents au travail et dans la communauté pour intégrer et retenir les immigrants.

« Comme les immigrants sont de plus en plus présents dans la société, les mentalités ont évolué des deux côtés. Nous avons moins de préjugés envers eux, et eux, moins de préjugés envers les Québécois. »

PRH, Montérégie, Manufacturier, 46

Discussion

Comme résumé au Tableau 2, les résultats de nos entretiens montrent que les schémas mentaux envers la diversité étant adoptés par les gestionnaires, les dirigeants et les responsables des RH qui travaillent dans des organisations situées en région se regroupent en trois types : l’appréhension, la responsabilisation ou la mobilisation. Chaque schéma mental est associé à différentes façons de faire en matière d’attraction, d’intégration et de rétention des travailleurs immigrants.

Tableau 2

Liens entre les pratiques de gestion des participants travaillant au sein d’entreprises situées en région et leurs schémas mentaux à l’égard de la diversité

Liens entre les pratiques de gestion des participants travaillant au sein d’entreprises situées en région et leurs schémas mentaux à l’égard de la diversité

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Premièrement, les participants adoptant un schéma mental d’appréhension voient la diversité comme un mal nécessaire afin de pourvoir les postes vacants. Ils craignent les résistances et les perceptions d’injustice entre des employés qu’ils tendent à catégoriser comme étant « in-group et out-group » (Greer et coll., 2012). Pour faire face à ces injustices, les participants procèdent plutôt au cas par cas, comme il a été aussi démontré dans une autre étude menée auprès des employeurs situés en région (Beaudry et Gagnon, 2019). Ils conservent des critères d’embauche stricts et des pratiques standardisées afin de traiter les employés immigrants comme les employés locaux (Haas et Shimada, 2014). Ce principe d’égalité peut conduire à des formes indirectes d’exclusion, voire de discrimination en emploi (Esses, 2021). Ce sont les immigrants qui ont la responsabilité de faire les efforts pour s’intégrer. Cela nuit aussi à l’intégration sociale des immigrants puisqu’ils sont souvent laissés à eux-mêmes en dehors du travail (Castro, 2019). Ce schéma mental apparaît cohérent avec le premier stade du modèle de sensibilité interculturelle de Bennett et Bennet (2003), soit le stade « ethnocentrique » qui repose sur le déni, la défense et la minimisation des atouts de la diversité.

Deuxièmement, les participants adoptant un schéma mental de responsabilisation s’efforcent d’attirer et d’intégrer les employés immigrants dans l’entreprise et la communauté. En processus d’apprentissage et d’expérimentation, ils adaptent leurs pratiques tout en étant conscients de la limite de leurs ressources (expertise, temps, argent, etc.). Ils se sentent responsables et préoccupés par la bonne intégration des immigrants dans la région. Ils considèrent équitable d’adopter des pratiques à cette fin, mais ils le font de manière réactive afin de pourvoir leurs postes et de pouvoir réaliser leur mission et répondre aux clients (Cornet et El Abboubi, 2012). De plus, l’absence d’alternatives pour faire face à la crise de pénurie de main-d’oeuvre les oblige à gérer la diversité à court terme pour survivre ou se développer. Ils visent essentiellement à recruter et à intégrer rapidement en poste des travailleurs immigrants considérés comme une main-d’oeuvre loyale, fiable et efficace, mais à coûts élevés (Gravel et coll., 2017). Leurs efforts sont plus orientés sur l’attraction, l’embauche et l’intégration immédiate en poste avec le meilleur rapport coûts-bénéfice. Ici, les écueils de telles pratiques reposent sur le caractère temporaire, pour ne pas dire éphémère, des pratiques. Le recours à des travailleurs temporaires, tel qu’on le retrouve souvent pour ce schéma de la responsabilisation, met à l’épreuve la pérennité des innovations en gestion et les collaborations continues avec d’autres acteurs de la région (autres entreprises, organismes d’intégration, chambre de commerce, etc.). La responsabilité est prise par l’employeur seulement.

Troisièmement, les participants adoptant un schéma mental de mobilisation ont des attentes et offrent des mesures selon le principe de responsabilité partagée entre divers acteurs. Ils reconnaissent la valeur ajoutée de la diversité et souhaitent que les investissements faits par leur organisation permettent de garder les travailleurs immigrants à long terme au sein de leur entreprise. Comme l’ont constaté d’autres chercheurs, l’intégration en région au Québec doit se faire en coordination entre les entreprises et les organismes locaux ainsi que les instances gouvernementales qui régulent l’immigration et l’emploi afin que la diversité soit gérée de manière durable et socialement responsable (Beaudry et coll., 2019; Vatz-Laaroussi et coll., 2010). Ce schéma mental apparaît le plus en lien avec le second stade du modèle de sensibilité interculturelle de Bennett et Bennett (2003) qu’ils qualifient d’« ethnorelativiste » et qui mise sur l’acceptation, l’adaptation et l’intégration de la diversité. Ces gestionnaires comprennent et connaissent mieux que les autres le large système dans lequel leurs employés immigrants naviguent. Les participants savent qu’il importe d’être plus inclusif en reconnaissant l’environnement dans lequel les immigrants évoluent (Barel et Frémeaux, 2013). Pour cela, ils font évoluer leurs initiatives de diversité et les changent afin d’atteindre un niveau optimal (Ofori-Dankwa et Julian, 2014). De plus, la marque d’employeur inclusif qu’ils se bâtissent s’avère un signal qui permet d’attirer des candidats partageant ces valeurs, soit des gens ouverts à la diversité ainsi que les personnes issues de l’immigration (Carpentier, 2019).

On constate toutefois que cette nécessité de créer un environnement organisationnel inclusif est perçue de manière asymétrique par nos répondants. À ce titre, bien que les schémas mentaux soient des indicateurs de premier plan pour prendre la mesure de ces perceptions plurielles, on constate également que les gestionnaires et les dirigeants ne peuvent être les seuls responsables des bonnes ou moins bonnes attitudes et postures en la matière. Au-delà de ces schémas et de leurs effets respectifs, cette étude fait également ressortir que les distinctions entre les grands centres urbains et les régions périphériques, bien qu’indéniablement présentes, demeurent parfois surestimées, du moins en ce qui a trait aux pratiques en RH. Bâtir un climat inclusif, une reconnaissance des talents et des possibilités de progression professionnelle sont tous des éléments essentiels d’une bonne gestion des ressources humaines, quel que soit l’endroit où se situe l’organisation. Les distinctions deviennent plus saillantes dans les écosystèmes d’employeurs et dans leur capacité à générer des dynamiques de « coopétitions » (Battista Dagnino et coll., 2007) visant à optimiser une gestion axée sur la collaboration, l’innovation et la compétitivité. À ce titre, attirer et retenir la main-d’oeuvre immigrante en région exige d’apporter des changements intraorganisationnels et interorganisationnel qui permettront aux gestionnaires et aux dirigeants de faire progresser la marque de l’employeur au-delà des réticences et des obstacles inhérents à leur écosystème.

Si cette étude innove à bien des égards, elle comporte des limites qui ouvrent la voie à des recherches futures. D’abord, les gestionnaires et les dirigeants qui ont accepté de participer à notre étude sont plus susceptibles d’être ouverts au sujet sondé (Nicolini, 2017). D’ailleurs, les grandes entreprises de plus de 500 employés sont présentes dans notre échantillon (8 %), bien qu’elles représentent moins de 1 % des entreprises situées à l’extérieur de la région métropolitaine de Montréal (Statistiques Canada, 2017). Cependant, la diversité des trois schémas identifiés semble minimiser l’emprise de ce biais. Par ailleurs, comme pour les études menées à l’aide de questionnaires, une étude menée par entrevue ne prétend pas qu’une ou deux personnes, aussi légitimes, compétentes et expérimentées soient-elles, puissent vraiment exprimer ce que fait une organisation. Nous recueillons leurs perceptions sur leur environnement de travail. Nos participants semblaient avoir été bien choisis et identifiés, puisqu’ils n’ont pas vraiment eu de difficultés à répondre à nos questions et à donner des exemples pour illustrer leurs propos.

Il serait aussi intéressant d’explorer les relations entre les déterminants et les incidences des schémas mentaux envers la diversité étant adoptés par les employeurs situés en région. Des études quantitatives devraient être menées par questionnaire, et idéalement selon une approche longitudinale à multiniveaux, afin de confirmer le sens des relations (entre les schémas mentaux et les actions des dirigeants, par exemple). Dans le cadre de notre étude qualitative, les schémas exprimés par les participants ne semblent pas variés selon le secteur d’activité et la taille de leur organisation. Cependant, les participants des régions les moins peuplées (la Mauricie et le Centre-du-Québec) semblent présenter plus un schéma mental d’appréhension. Également, on note que le tiers des participants exprimant un schéma mental de mobilisation disent travailler au sein d’une entreprise cumulant plus de 10 ans d’expérience en matière de gestion de la diversité ethnoculturelle. À la lumière d’études menées à l’international (Klarsfeld, 2010; Syed et Ozbiligian, 2019), les futures recherches devraient analyser les liens entre le schéma mental en matière de diversité des personnes et les diverses caractéristiques suivantes, soit la région (taille, économie, etc.), l’employeur (industrie, taille, présence syndicale), les employés locaux (expérience, âge, genre, etc.) et les immigrants embauchés (nombre, âge, origine ethnique, éducation, statuts, ancienneté dans l’organisation, etc.). Il faudrait aussi explorer les incidences des schémas mentaux des dirigeants et des cadres sur divers indicateurs de performance.

Par ailleurs, des travaux futurs gagneraient à explorer les liens entre les schémas mentaux à l’égard de la diversité adoptés par les employeurs situés en région et les perceptions des employés (locaux et immigrants) à l’égard de l’authenticité de leur employeur, ce qui dépend, selon Shem et Kim (2012), de l’ampleur avec laquelle les pratiques sont perçues comme authentiques, transparentes et cohérentes. Ainsi, une organisation se montre authentique en s’efforçant de découvrir ce que ses parties prenantes veulent (ici, le personnel immigrant) et en veillant à ce qu’elles participent aux processus décisionnels. En matière de transparence, les dirigeants semblent apprendre de leurs propres erreurs et ont des comportements objectifs. Finalement, les valeurs, les croyances et la rhétorique des dirigeants apparaissent conformes à leurs comportements.

En conclusion, cette étude a permis d’explorer les schémas mentaux à l’égard de la diversité ethnoculturelle adoptés par des gestionnaires en région et leur influence sur leurs pratiques de gestion. Selon leurs schémas mentaux, soit l’appréhension, la responsabilisation ou la mobilisation, leurs pratiques en matière d’attraction, d’intégration et de rétention des immigrants se distinguent. À l’instar d’autres travaux, nous avons pu aussi observer que les schémas mentaux en matière de diversité adoptés par les employeurs en région se construisent à travers les expériences de ces derniers et l’implication de toutes les parties prenantes, y compris les organismes locaux (OBNL d’intégration, chambre de commerce, table de concertation, etc.) (Deschênes et coll., 2015). La transparence et le partage de responsabilités avec les acteurs du milieu (citoyens, agence, organismes, etc.) semblent jouer un rôle clé pour une intégration durable des immigrants dans leur poste et dans la région.