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Introduction

Depuis quelques années, l’équipe d’animation muséale (EAM) du Musée de la nature et des sciences de Sherbrooke (MNS2) et des enseignant(e)s responsables de groupes d’adultes en francisation interrogent la portée formative et interculturelle de la visite muséale proposée aux adultes allophones en processus de francisation[2]. Cette visite, dynamisée par une personne de l’EAM, propose la découverte de l’exposition permanente AlterAnima, qui expose un ensemble de spécimens animaliers de tous les continents regroupés par thèmes. La scénographie de l’exposition présente les groupes d’animaux dans de petites salles de teinte gris foncé à l’éclairage tamisé, ouvertes les unes sur les autres. Les groupes d’animaux sont distanciés du public, le plus souvent au moyen de simples barrières métalliques. Des arbres sont stylisés et certains spécimens sont placés dans des endroits insolites (par exemple une tête de bison suspendue au plafond) et ceux du Québec sont signalés par une fleur de lys.

Le potentiel éducatif de la visite de l’exposition AlterAnima dans le cadre de programmes de francisation a incité l’EAM à se demander comment favoriser une animation plus attractive, immersive (MNS2, 2019) et éducative, qui soit adaptée aux adultes allophones, pour mieux positionner le MNS2 comme lieu d’apprentissage dans le milieu d’accueil de ces adultes (Meunier, 2018). En vue de répondre à ces préoccupations, une recherche partenariale a vu le jour, engageant trois chercheuses universitaires[3] et l’EAM, de même que des enseignant(e)s en francisation provenant d’éducation formelle et non formelle.

Après l’exposé, une première problématique reliée à l’intégration de la population immigrante allophone au Québec suit la présentation de la seconde problématique. Propre à l’institution muséale qu’est le MNS2, elle repose sur l’enjeu de proposer des activités d’apprentissage stimulantes adaptées à cette population. Ces deux problématiques ont incité les parties prenantes à ancrer leurs questions de recherche dans un cadre de référence réunissant la francisation des adultes allophones, l’éducation muséale et l’éducation relative à l’environnement. Cet article clarifie ensuite les objectifs poursuivis et décrit la méthodologie déployée pour les atteindre, puis rapporte et discute les premiers résultats de l’analyse diagnostique qui constitue l’étape initiale de la recherche. Ceux-ci mettent en évidence certaines limites de l’exposition AlterAnima du MNS2, mais aussi des leviers pertinents de développement. Beaucoup reste à faire, mais la volonté de changer les pratiques éducatives muséales et de mieux arrimer la visite aux besoins et attentes des adultes en francisation est bien affirmée par les partenaires engagés.

1. Les problématiques de la recherche partenariale

Comme annoncé, deux grandes problématiques sont abordées ci-dessous au regard des préoccupations reliées à la visite de l’exposition AlterAnima du MNS2 par des groupes d’adultes allophones. Arrivés au Québec en vue de s’y installer, ceux-ci apprennent la langue française dans des classes de francisation en vue d’une meilleure intégration à leur milieu d’accueil. Il importe d’offrir des activités d’apprentissage adaptées à leur situation.

1.1. L’immigration permanente allophone et son inclusion à la société d’accueil

De façon contemporaine, le Canada et le Québec misent sur l’immigration permanente de personnes qualifiées et en âge de travailler afin de combler des besoins démographiques et économiques. Ainsi, entre 2014 et 2018, ce sont plus de 50 000 personnes en moyenne qui ont immigré chaque année au Québec (ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, 2020). En 2016, 13,7 % de la population québécoise faisait partie de la population immigrée. Selon les projections de Statistique Canada (2016), d’ici 2036, 28 % de la population canadienne sera née à l’étranger, ce qui fait de l’immigration permanente un phénomène non marginal. La population immigrante se caractérise par des parcours et des profils fort diversifiés et se distingue par la catégorie d’immigration, l’âge, les niveaux de scolarisation, la langue maternelle, la région de provenance et d’installation. Même si la maîtrise de la langue française et les capacités d’apprentissage dépendent de plusieurs facteurs, le profil linguistique des personnes immigrantes permanentes au Québec constitue une information pertinente dans le cadre de la recherche. Selon Bégin et al. (2021), en 2018, 49,5 % de la population immigrante parlait le français à son arrivée. Or, le Vérificateur général du Québec (VGQ) dressait en 2017 des constats accablants en matière de francisation des adultes immigrants allophones, où seulement un tiers de ceux ayant déclaré ne pas connaître le français à leur arrivée avaient suivi des cours de français entre 2010 et 2013 (VGQ, 2017, p. 3). Parmi ceux qui avaient effectué un parcours de francisation, « la vaste majorité […] n’avait pas atteint le seuil d’autonomie langagière » : ainsi seulement 9,1 % avaient acquis une autonomie à l’oral et 3,7 à 5,3 % avaient acquis une autonomie à l’écrit, selon les statistiques de 2015. Une plus grande maîtrise de la langue française serait pourtant essentielle puisqu’elle facilite l’accès au marché du travail ou permet d’entreprendre des études postsecondaires (VGQ, 2017, p. 3). La maîtrise de la langue française est donc une condition d’inclusion socioéconomique et culturelle et d’appropriation du milieu d’accueil pour les nouveaux arrivants. Cet enjeu de l’inclusion des personnes immigrantes allophones n’échappe pas à la municipalité de Sherbrooke dont 7,1 % de sa population est issue de l’immigration récente (Statistique Canada, 2016). De 2011 à 2016, elle provenait, par ordre d’importance, de l’Afghanistan, de la France, de la Colombie, de la Syrie et de la République démocratique du Congo; durant la même période, les langues, autres que le français et l’anglais, parlées à la maison par cette population étaient le perse, l’arabe et l’espagnol. Cette diversité culturelle et linguistique pose ainsi des défis d’inclusion au milieu sherbrookois, situation qui préoccupe les acteurs du monde de l’éducation dont le MNS2 fait partie.

1.2. La visite d’AlterAnima du MNS2 en tant qu’expérience d’apprentissage du français

Milieu d’éducation non formelle, le MNS2 possède une politique d’éducation qui stipule que les programmes éducatifs doivent aller au-delà de l’acquisition de connaissances, miser sur l’expérience, tenir compte des perceptions initiales des visiteurs et favoriser le contact direct avec l’objet (MNS2, 2018). L’institution se donne aussi pour mission « d’inspirer, d’émerveiller et de rendre accessible à chacun la découverte de la nature, des sciences, et la richesse de ses collections issues du patrimoine naturel » (MNS2, 2018, p. 1). Elle souhaite, en outre, jouer un rôle socioéducatif plus signifiant dans l’inclusion des personnes adultes immigrantes et dans leurs apprentissages tout au long de la vie (Meunier, 2018). Ainsi, le musée offre chaque année des visites animées à des groupes d’adultes inscrits dans un programme de francisation à Sherbrooke. En vue de viser une augmentation de ce public pour favoriser l’appropriation de son nouveau milieu de vie, le MNS2 cherche à ouvrir un dialogue interculturel enrichissant (Bluteau et Crépeau, 2019) et à augmenter son ancrage territorial au sein de communautés diversifiées (Meunier et Soulier, 2010a; MNS2, 2017).

Conformément à la politique d’éducation et à la mission du musée, les partenaires de la recherche se sont penchés sur la conception d’un nouveau programme éducatif muséal interdisciplinaire (PEMI) qui saura mieux tenir compte des caractéristiques des groupes d’adultes inscrits en francisation dans divers milieux éducatifs sherbrookois et qui pendra appui sur un objet d’apprentissage précis, soit le patrimoine naturel du Québec et d’ailleurs, mis en valeur dans l’exposition AlterAnima. Comme le souligne Meunier (2011, p. 6), « l’idée est de placer les visiteurs au centre d’un projet [d’éducation et] de communication interculturelle » en s’intéressant aux effets qu’auront sur eux les contenus et les processus d’appropriation proposés.

Bien que rares, les écrits scientifiques portant sur la francisation en contexte muséal mettent néanmoins en évidence la faible pénétration de la pratique, spécialement en ce qui concerne le public adulte. Au sujet d’un public plus jeune, ce sont les publications s’intéressant à l’apprentissage de l’anglais langue seconde ou parlé par des locuteurs d’autres langues qui ont retenu l’attention; l’accent est mis sur le besoin d’établir et de consolider les relations entre les milieux éducatifs et les institutions muséales (Jacobi, 2019; McCrory, 2002; Shoemaker, 1998). Toutefois, bien que les personnes immigrantes qui prennent part à un programme de francisation soient jugées prioritaires par nombre d’institutions muséales du Québec, à ce jour, peu d’offres ont été développées à leur intention.

En ce qui a trait aux programmes analysés, notons que les personnes éducatrices au sein des institutions muséales et les enseignant(e)s du milieu formel travaillent souvent de concert, que ce soit dans le cadre de formations ou d’ateliers communs, de discussions préparatoires à la visite, de transfert d’expertises ou de partage de ressources et d’outils pédagogiques (Clarke, 2013; Fazzi, 2018; Harper, 2020; Meunier et Soulier, 2010b; Museum Consultants Network, 2009; Shoemaker, 1998). Au moyen de ressources prévisite et post-visite, tous et toutes veillent à ce que les personnes immigrantes soient préparées au mieux à interagir en contexte muséal. Il s’agit aussi de prolonger les effets de l’activité tout en s’assurant de l’appropriation des contenus médiatisés au cours de celle-ci. Les trois principales étapes de la visite (avant, pendant et après) semblent bonifier le niveau de langue, tant à l’écrit qu’à l’oral, y compris en contexte de conversation. Elles contribuent à estomper la barrière linguistique et à faciliter l’intégration (Cooker et Pemberton, 2010; Moore, 2017).

2. Les questions ayant fondé cette recherche

Les problématiques que nous venons d’esquisser montrent la pertinence éducative, sociale et scientifique du projet. Elles conduisent également à formuler les questions de recherche suivantes : 1) Afin de répondre aux besoins, aux attentes et en tenant compte des différents niveaux de francisation des groupes d’adultes en apprentissage du français, quelles seraient les caractéristiques (objectifs, contenus, démarche) d’un nouveau PEMI axé sur l’appropriation d’un patrimoine naturel d’ici et d’ailleurs? 2) Quels types d’activités éducatives prévisite et post-visite seraient de nature à rendre plus signifiante l’expérience de visite (Meunier, 2011) pour les adultes du point de vue de leurs apprentissages de la langue française et des sciences naturelles?

3. Le cadre de référence de la recherche

Notre questionnement autour de l’exposition AlterAnima et de l’amélioration de la portée éducative de l’animation proposée à des adultes allophones montre que plusieurs champs théoriques sont à convoquer dans le cadre de cette recherche. Le cadre de référence intègre ainsi explicitement la francisation des adultes, l’éducation muséale et l’éducation relative à l’environnement. Nous verrons que la recherche s’inscrit également dans le cadre plus large de la littératie multiple. Masny (2001, p. 18) utilise le concept de littératie multiple, car il « permet d’évoquer […] le fait qu’il existe des façons différentes de parler, de lire, d’écrire et de valoriser les choses de la vie. On peut donc dire qu’il y a des littératies qui sont particulières à une communauté, des littératies qui sont individuelles et des littératies qui sont scolaires ».

Dans le cas de cette recherche, les adultes des groupes de francisation réalisent des apprentissages de la langue française dans un contexte d’éducation muséale où ce qui est donné à découvrir correspond à des artéfacts de nature. Ces derniers sont des animaux sauvages dont ils apprennent les noms, les caractéristiques physiques et comportementales, ainsi que des particularités de leurs milieux de vie, milieux qui sont très souvent partagés avec les populations humaines. Une telle cohabitation en milieu urbain ou naturel soulève des enjeux et pose des défis.

3.1. Une approche communautaire partenariale

Au regard des enjeux soulevés par le projet et du contexte spécifique du MNS2, une littératie multiple se réalise à la fois à l’intérieur d’un PEMI et dans le contexte particulier d’un musée de proximité (Beauregard et al., 2011; Dezutter et al., 2018; Masny, 2001). Cette littératie s’articule également autour de pratiques sociales plurielles, situées dans le contexte réel du quotidien des apprenants (Barton et Hamilton, 2010; Bélisle et Bourdon, 2006) et rejoint plusieurs conceptions de l’éducation communautaire (Jarvis, 1995; Villemagne, 2008), en particulier celles de l’éducation tout au long de la vie et de l’éducation dans la communauté. Cette dernière conception attire l’attention, d’une part, sur le rôle de la communauté dans l’éducation des adultes, au-delà des murs de l’école et dans des contextes non formels; d’autre part, elles valorisent la prise en charge de l’éducation des adultes par la communauté. De fait, dans la recherche dont fait état cet article, ce sont bel et bien des partenaires issus de la communauté éducative qui se mobilisent pour développer les compétences en littératie des adultes allophones dans un contexte authentique.

3.2. La francisation des adultes

La francisation ou l’apprentissage de la langue française chez les personnes adultes immigrantes allophones correspond à l’acquisition de compétences langagières en français afin de favoriser leur inclusion sociale, culturelle et économique. La francisation est entendue au Québec comme un « processus par lequel une personne non francophone apprend et adopte le français comme langue d’usage normal et habituel » (Couture, 2019, p. 22). Si elle présente depuis toujours des visées d’intégration sociale et culturelle, elle est désormais une voie d’intégration professionnelle et de qualification grâce au développement d’une autonomie langagière. Une telle autonomie est visée par l’atteinte du huitième et dernier niveau de l’échelle québécoise de niveau de compétence en français des personnes immigrantes adultes (Desbiens et al., 2011). L’apprentissage du français, en tant que langue seconde, tierce ou autre, prend appui historiquement sur plusieurs approches combinées dites structurale, communicative ou actionnelle. En francisation, la plus répandue serait l’approche communicative (Bérard, 1991; Vermette et al., 2000). Ainsi au Québec, plusieurs programmes de francisation coexistent (Desbiens et al., 2011). Or, la réussite de la francisation des personnes allophones serait très dépendante de leur niveau de scolarité atteint au moment de l’apprentissage du français et, par le fait même, de leur niveau d’alphabétisme dans leur langue maternelle (Johannson et al., 2005). De plus, Saydi (2015) insiste sur la nécessité d’une éducation « dans la société » visant à résoudre des problèmes du quotidien. La maîtrise de la langue n’est plus un but en soi, mais un instrument intermédiaire. Une telle conception de la francisation présente un terrain fertile pour la compréhension des apprentissages réalisés dans et en dehors des programmes officiels de francisation. Dans le contexte de la recherche, la francisation se réalise en contexte d’éducation muséale, dans un espace dédié à la découverte de la nature et des sciences, soit le MNS2. Ce musée régional cherche à « donner une voix au visiteur en ce qui a trait à la prise de décisions collectives sur des problèmes environnementaux » (Fortin-Debars, 2003, citée dans Meunier et Bélanger, 2017, p. 221).

3.3. L’éducation muséale

L’éducation muséale a beaucoup évolué, tant dans ses processus que dans la muséographie offerte au public. Reconnus aujourd’hui comme lieux d’éducation non formelle agissant en complémentarité avec d’autres milieux ou programmes éducatifs (Meunier, 2018), les musées et leurs missions se sont beaucoup transformés. L’éducation muséale comprend trois dimensions complémentaires : l’action éducative, l’action culturelle et la médiation muséale (Société des musées du Québec et Compétence Culture, 2017). La mission du musée n’est pas seulement de distraire ou de donner à contempler; cette mission peut, en effet, intégrer une véritable action sociale, éducative et citoyenne (Clover et Villemagne, 2020; McManus, 1994; Meunier et Soulier, 2010a). Pour Clover et Villemagne (2020), un musée donne à expérimenter à la fois ce qui est « vu » et ce qui est « non vu », ce dernier aspect étant conçu comme le reflet des rapports de domination d’une société, notamment au regard de l’environnement. Cet aspect est particulièrement prégnant pour les musées de sciences naturelles, comme c’est le cas du MNS2. Ces musées peuvent ainsi participer au développement d’une muséologie citoyenne interpellant les citoyens sur des sujets qui les touchent et qui sont en résonnance avec leurs préoccupations, leurs difficultés ou leurs revendications (Meunier et Soulier, 2010a).

3.4. L’éducation relative à l’environnement

Le mandat éducatif d’un musée comme le MNS2, axé sur la nature et les sciences, peut-être envisagé à l’aune des finalités de l’éducation relative à l’environnement (ERE); s’étendant au-delà des systèmes d’éducation conventionnels, celle-ci se retrouve dans divers espaces constituant la société éducative, dont les musées, qui se voient ainsi appelés à prendre position dans les débats de société (Meunier et Bélanger, 2017). Traversée par plusieurs courants dont Sauvé a élaboré une typologie (2003, p. 25, 2017), l’ERE vise le développement d’un réseau de relations personnes-sociétés-environnement plus harmonieux (Sauvé, 1997). Parmi les courants de l’ERE, celui qui est axé sur la relation à la nature, comme dans l’exposition permanente AlterAnima, peut poursuivre différents objectifs, proposant à cet effet des approches éducatives cognitive, expérientielle, affective, spirituelle, mais aussi artistique et scientifique. Dans un musée comme celui du MNS2, l’ERE peut aussi s’inscrire dans d’autres courants, comme le courant mésologique, le courant de la critique sociale ou le courant ethnographique, dont il s’agira d’explorer les apports pour en enrichir l’action éducative. Dans le contexte de cette recherche, l’ERE prend une couleur particulière puisqu’elle s’intéresse à des visiteurs adultes qui, malgré une maîtrise incertaine de la langue française, ne doivent pas être infantilisés (Walter, 2009). En outre, il s’agit de citoyens amenés à prendre quotidiennement des décisions ayant potentiellement des effets sur l’environnement (Villemagne, 2017; Villemagne et al., 2018). Ces personnes doivent ainsi acquérir les moyens de développer un agir critique au regard de la complexité des réalités socioécologiques qui se présentent à eux, et ce, en fonction de la conscientisation de leur relation à l’environnement. De plus, l’ERE intègre trois perspectives qui teintent la manière d’aborder l’action éducative au musée en problématisant différemment les enjeux d’apprentissage (Sauvé, 1997, p. 19-23) : la perspective environnementale est axée sur le développement de la capacité de résolution de problèmes environnementaux; la perspective éducationnelle est centrée sur le développement des personnes, notamment sur la construction de leur identité écologique; la perspective pédagogique cherche, quant à elle, à améliorer les conditions d’apprentissage et d’enseignement en intégrant l’environnement en tant que lieu d’apprentissage significatif.

4. Les objectifs de recherche

Considérant les défis liés à l’apprentissage de la langue du milieu d’accueil des adultes ainsi que ceux que pose l’inclusion des adultes à leur nouveau contexte de vie, quatre objectifs complémentaires orientent notre recherche partenariale, qui se déroule, rappelons-le, dans le contexte d’une éducation muséale axée sur la relation à la nature :

  1. En collaboration avec des partenaires éducatifs sherbrookois contribuant à la francisation des adultes dans leur milieu, réaliser un diagnostic de l’offre éducative actuelle relativement de l’exposition AlterAnima du MNS2, de façon à identifier les besoins et défis d’apprentissage des adultes qui fréquentent le MNS2 et de mettre en évidence les attentes des différents acteurs engagés dans l’initiative;

  2. Concevoir un prototype de PEMI axé sur l’appropriation d’un patrimoine naturel d’ici et d’ailleurs, et modulé en fonction des différents niveaux de maîtrise de la langue française;

  3. Expérimenter ce prototype avec des groupes d’adultes en francisation, dont les niveaux de francisation auront été évalués, de façon à identifier, s’il y a lieu, des améliorations à ce programme;

  4. Proposer une offre éducative muséale totalement renouvelée et modulée en fonction de différents niveaux d’appropriation de la langue française par les nouveaux arrivants, favorisant une meilleure connaissance de leur environnement et contribuant à leur intégration à la société d’accueil.

5. La méthodologie

Au regard de nos quatre objectifs, nous avons opté pour une méthodologie inspirée de la recherche-développement d’objet éducatif (Harvey et Loiselle, 2009; Van der Maren, 2003), l’objet éducatif correspondant, en l’occurrence, au PEMI à développer. Chacune des étapes du processus de la recherche-développement vise à proposer un PEMI optimal aux groupes d’adultes en processus de francisation. Il s’agit ainsi d’effectuer une analyse diagnostique de l’offre éducative existante ainsi qu’une analyse de besoins qui prend en compte les points de vue de tous les acteurs concernés (groupes d’adultes en francisation, enseignant(e)s de francisation, EAM). Ces mêmes acteurs seront aussi engagés dans les étapes subséquentes de la recherche-développement, soit la conception, l’expérimentation et l’évaluation, dans une perspective d’amélioration du nouveau PEMI. Ce dernier sera constitué de plusieurs activités d’apprentissage complémentaires, dont les objectifs et les approches éducatives seront organisés selon le niveau de maîtrise de la langue; il comportera, en outre, des stratégies d’évaluation des apprentissages. En vue de compléter l’étape diagnostique, dont nous rendons compte dans cet article, nous avons rencontré trois groupes de participants. Le nombre de personnes rencontrées ainsi que les modes de collecte de données au cours des groupes de discussion et des entrevues individuelles (Baribeau, 2009; Geoffrion, 2016) ont dû faire l’objet d’une importante adaptation en raison des mesures sanitaires en vigueur. Au bout du compte, les personnes suivantes ont pu être engagées dans cette étape :

  • Lors d’entrevues individuelles, deux enseignant(e)s rattaché(e)s à un centre d’éducation des adultes (CEA) (1 femme et 1 homme);

  • Lors de six groupes de discussion menés avant et après la visite d’AlterAnima, 25 adultes inscrits en francisation dans un CEA (15 femmes et 10 hommes);

  • Lors de deux groupes de discussion menés au début de la recherche, cinq membres de l’EAM (4 femmes et 1 homme).

  • Dans les classes de francisation du CEA, ces adultes étaient regroupés en trois niveaux distincts, établis en fonction de leur niveau de maîtrise de la langue française et de leur niveau de scolarité. Selon ces niveaux, différents programmes de francisation sont offerts. Ainsi, le programme Francisation-alpha, élaboré par Lavoie (2015), était enseigné à six des adultes rencontrés, qui comptaient huit années et moins de scolarité et parlaient peu la langue française (appelés « étapes »). Quant aux 19 autres personnes, elles avaient été scolarisées durant neuf années et plusieurs possédaient une connaissance de la langue française (selon des « niveaux » de maîtrise de 1 à 8). Un programme inspiré du programme-cadre publié conjointement en 2011 par le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles et le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport leur était enseigné; 11 faisaient partie du regroupement des niveaux de 1 à 4 (sur 8) et 8 faisaient partie du regroupement des niveaux de 5 à 8. Une grande disparité dans la maîtrise de la langue française a été observée entre les apprenants dits « en étapes » et ceux dits « dans les niveaux ». Ainsi, la personne intervieweuse a rencontré des défis de communication durant les groupes de discussion menés avec les adultes qui commençaient l’apprentissage de la langue française. L’usage d’autres langues, dont l’anglais et l’espagnol, ainsi que l’entraide entre adultes pour traduire ce que chacun€ souhaitait exprimer ont favorisé les échanges et la collecte des données.

Les données recueillies lors des entrevues individuelles et des groupes de discussion ont été retranscrites en verbatim en vue d’effectuer une analyse de contenu qui permette de répondre à notre premier objectif de recherche, soit analyser l’offre éducative muséale actuelle reliée à l’exposition AlterAnima du MNS2 et analyser les divers besoins et les attentes des acteurs en jeu, et ce, avec pour visée de développer un nouveau PEMI. L’analyse de contenu a consisté en plusieurs lectures successives des verbatim afin de repérer des unités de sens (Bardin, 2013). Le classement des unités d’analyse a été réalisé en fonction de catégories construites à partir des guides conçus pour les entrevues individuelles et les groupes de discussion, tout en laissant place à d’autres catégories pouvant émerger de l’analyse de contenu. Ces guides ont été conçus dans le but de faire entrer en dialogue divers points de vue sur des sujets de discussion identiques.

6. Premiers résultats de recherche

Nous rapportons les résultats de l’analyse de contenu qui vise à orienter la conception du prototype du PEMI axé sur l’appropriation d’un patrimoine naturel d’ici et d’ailleurs, présenté dans l’exposition permanente AlterAnima. Ces résultats, qui concernent notre premier objectif de recherche, sont présentés selon les trois types d’acteurs en jeu : EAM, adultes en francisation et enseignant(e)s. Chacun porte un regard sur le MNS2, l’exposition AlterAnima, l’animation muséale, etc., en fonction du rôle qu’il y joue et de ses propres habiletés. Notons que les propos des adultes n’ont pas été différenciés selon leur niveau de francisation. Certes, ceux dits « en étapes » avaient plus de mal à s’exprimer, mais, au bout du compte, il est apparu qu’au sein d’un même groupe de francisation les écarts de maîtrise de la langue pouvaient être aussi très grands. La tenue d’un plus grand nombre de groupes de discussion aurait peut-être permis de formuler des différences entre les trois niveaux de francisation rencontrés, ce que nous n’avons pu faire ici.

6.1. L’EAM

6.1.1. Points de vue sur l’exposition permanente AlterAnima

Par son design, AlterAnima présente l’avantage de permettre aux visiteurs de découvrir de nouveaux éléments à chaque visite, notamment en raison de la grande variété des animaux présentés. En cela, l’exposition peut rejoindre un large public, en plus d’offrir le privilège d’une grande proximité avec les animaux naturalisés, qui ne sont pas disposés dans des vitrines. Des réserves sont néanmoins émises par les membres de l’EAM rencontrés au sujet de la forêt dite « fantasmée », créée par l’artiste et metteur en scène chargé de la conception de l’exposition, et qui sert de contexte aux animaux exposés : très sobre, elle échappe à plusieurs visiteurs. De plus, le regroupement des animaux selon des thèmes tels « Bêtes à queue », « Hauts en couleur », « Noir et blanc », « Sortie de couples », « Air de famille » et « Beaux becs » entraverait à la fois la mise en relation des animaux entre eux et avec leur habitat, en plus d’empêcher la transmission d’information factuelle telles les régions d’origine des espèces exposées. À ce sujet, seules les espèces présentes au Québec sont identifiées (par une fleur de lys). Des questions plus délicates, comme la fragilité du vivant, n’y sont pas présentées. La disparition des espèces est certes abordée avec l’exemple de la tourte, mais sans être mise en évidence. D’ailleurs, l’information mise à la disposition des visiteurs est limitée. L’exposition donnerait donc à voir surtout la beauté des espèces pour susciter, chez le visiteur, l’envie de protéger la nature en provoquant son émerveillement.

6.1.2. Regard sur les groupes d’adultes en francisation

Selon l’EAM, le niveau de français des adultes est pris en considération lors des animations, mais nous n’avons pu savoir comment s’opéraient les ajustements nécessaires. Selon les personnes rencontrées, un défi important réside dans le fait de ne pas connaître ce niveau avant la visite des groupes en francisation. Le discours doit ainsi s’adapter en contexte de contact, par exemple en tentant de valider l’adéquation entre le débit de la parole et la capacité de compréhension moyenne. L’EAM doit donc se montrer très sensible au langage non verbal des apprenants, qui composent par ailleurs un public jugé hétéroclite. Il est hétéroclite, certes, en raison de la diversité des niveaux de maîtrise du français, mais aussi en fonction des niveaux d’éducation et de la diversité des origines présentes. Il est aussi hétéroclite en fonction des expériences muséales antérieures et de la connaissance du MNS2; par exemple, certains adultes peuvent en être à leur deuxième ou troisième visite dans le cadre d’une activité de francisation, alors que d’autres découvrent le MNS2 pour la première fois. Un bon niveau de cohésion dans les groupes est néanmoins relevé par l’EAM. Enfin, les apprenants adultes sont généralement perçus comme étant des personnes très curieuses.

L’EAM est consciente que son accompagnement à la visite d’AlterAnima nécessiterait de mieux saisir les caractéristiques de chaque groupe avant son arrivée; une meilleure préparation serait également appréciée.

6.1.3. Regard critique sur l’animation offerte aux groupes d’adultes en francisation

Lorsque les groupes d’adultes en francisation sont accueillis au MNS2, une visite guidée de l’exposition AlterAnima leur est offerte; elle se déroule en moyenne sur 30 minutes, durée dont l’EAM n’a pu expliquer la motivation. Bien qu’elle soit offerte depuis de nombreuses années, cette activité ne se déroule pas selon une planification préétablie en fonction d’approches et d’objectifs éducatifs clairs. Chaque membre de l’EAM organise sa visite en l’ajustant selon la réactivité du groupe.

De façon générale, l’EAM cherche à faire connaître la faune estrienne, à susciter des échanges et à mettre en relation le Québec et le pays d’origine des apprenants. Si le temps le permet, un enregistrement de cris d’animaux propose d’associer un cri à l’espèce qui le produit. En raison de la difficulté à cerner le niveau de maîtrise du français du groupe, l’EAM cherche à ce qu’il passe un moment agréable en entrant en relation avec une personne représentant la culture québécoise. De beaux échanges peuvent survenir malgré les difficultés des apprenants à s’exprimer en français. Pour l’EAM, le défi consiste à offrir un cadre souple, à développer une attitude d’ouverture, centrée sur l’humain.

Si l’animation se montre parfois complexe en raison de la taille du groupe, la structure même de l’exposition AlterAnima peut également représenter une contrainte. Par exemple, la consultation d’un écriteau afin d’identifier les animaux d’un regroupement à partir d’une série de numéros peut se montrer difficile pour certains apprenants. En outre, l’EAM a du mal à évaluer si les participants apprécient vraiment la visite, car les animaux naturalisés suscitent des réactions ambivalentes. Les membres de l’EAM rencontrés n’arrivent pas non plus à déterminer si les remerciements reçus à la suite de la visite témoignent d’une expérience positive ou sont uniquement motivés par la politesse.

6.2. Le point de vue des adultes inscrits en classe de francisation

3.2.1. Avant la visite

Avant de participer à l’animation muséale reliée à l’exposition AlterAnima, les groupes d’adultes en francisation ne sont préparés d’aucune manière à l’expérience qu’ils vont vivre. Alors que quelques-uns maîtrisant mieux le français avaient déjà visité le MNS2, le plus souvent en famille, la majorité ne connaissait pas le musée. De façon générale, la visite du MNS2 est une activité attendue, car elle est désirée et jugée utile pour connaître la culture et la nature de l’Estrie, du Québec et du Canada, ainsi que pour entrevoir les différences avec leur région d’origine, en général perçue comme plus polluée que la région d’accueil. La nature au Québec est qualifiée de belle, merveilleuse, formidable et changeante selon les saisons, vues comme très marquées. C’est une nature qu’ils découvrent lors de leurs déplacements quotidiens.

Les participants rencontrés entretiennent des attentes face à la visite du MNS2 : ils comptent en apprendre plus sur le corps humain de même que sur les plantes, leurs caractéristiques et leurs utilisations possibles, notamment dans les traditions autochtones; sur l’histoire des animaux et leur relation avec l’humain; sur les animaux du Québec en particulier, leur milieu de vie, les relations entre eux et leur dangerosité. Ils souhaitent, en outre, aborder des sujets tels l’évolution des paysages attribuable à l’introduction d’espèces par les colons, la santé et le bien-être personnel en relation avec la qualité de leur milieu de vie. Ils s’attendent également à faire des expériences scientifiques. Au sortir de la visite, les adultes en francisation espèrent avoir appris de nouveaux mots et, surtout, pouvoir nommer des réalités du quotidien. Ils croient qu’ils auront à répondre à des questions et espèrent les comprendre, indépendamment du débit de parole et de l’accent de la personne animatrice; en aucun cas, ils ne pensent pas avoir à lire ou à écrire lors de la visite au MNS2.

6.2.2. La visite de l’exposition AlterAnima et ses suites

Selon les adultes en francisation rencontrés, aller au MNS2 aurait dû leur permettre d’ouvrir un livre de sciences donnant accès à des animaux vivants provenant de tous les continents, mais ce n’est pas ce qu’ils ont vécu. Selon eux, les regroupements thématiques mentionnés précédemment ne sont pas problématiques; ceux qui maîtrisent mieux la langue arrivent à les nommer. En outre, certains animaux leur ont fait penser à leur pays d’origine et aux symboles qu’on y associe. Au terme de la visite, ce sont plus d’une vingtaine d’animaux du Québec qui auront été nommés par les participants, qui ont, par ailleurs, été marqués par les différences morphologiques entre les mâles et les femelles ainsi que par la taille réelle de certains animaux. AlterAnima a rappelé à plusieurs adultes à quel point il est de notre devoir de protéger la nature. Toutefois, la visite n’aura pas eu d’impact sur la façon dont la majorité percevait la nature : ils la considéraient comme importante avant la visite.

Parmi les points forts de cette expérience muséale, les adultes en francisation interrogés retiennent qu’ils ont pu échanger en français en raison de la thématique accessible de l’exposition. Ils se disent, en outre, impressionnés par la diversité des animaux présentés et par la possibilité de s’en approcher. Quant aux aspects à améliorer, ils notent que l’exposition est sombre, occupe un espace restreint et ne génère pas une ambiance naturelle. Les personnes rencontrées se sont aussi exprimées au sujet des défis d’accès à l’information que pose l’exposition; parmi les irritants : la taille des caractères; le positionnement des panneaux explicatifs; la difficulté de repérer le logo signalant les espèces issues du territoire québécois; la faible quantité d’information au sujet des animaux. Ce dernier élément attire l’attention, car il leur permet de faire des liens entre les territoires d’accueil et d’origine. Les participants regrettent de ne pas disposer d’un support écrit (par exemple un dépliant) auquel se référer à la suite de la visite afin de compléter l’information reçue durant la visite. Ils croient aussi que cette dernière serait favorablement complémentée par un parcours extérieur permettant de mieux connaître les animaux de Sherbrooke. Au sujet des bruits d’animaux diffusés dans la salle, les participants relèvent qu’il s’agit pour eux d’un paradoxe, voire d’une source de tristesse, puisque les animaux exposés sont morts.

Jugée trop courte, la visite est globalement très appréciée du point de vue de l’animation muséale, caractérisée, selon les adultes en francisation, par son dynamisme, la chaleur humaine qui s’en dégage et la passion du membre de l’EAM qu’ils ont rencontré. Enfin, s’ils n’ont pas réalisé d’activités en classe à la suite de la visite, ils ont partagé leurs photos et vidéos à la maison avec les membres de leur famille.

6.3. Le point de vue des enseignants

Visiter le MNS2 fait partie des activités culturelles proposées aux groupes de francisation. Les motifs incitant les enseignant(e)s à organiser cette visite sont d’offrir une expérience hors de la classe et de faire découvrir la richesse culturelle de la ville.

6.3.1. Avant la visite

Les enseignant(e)s ont affirmé du même souffle ne pas avoir reçu d’information prévisite et ne pas concevoir eux-mêmes une introduction à l’activité. Pour les adultes du groupe « en étapes », le MNS2 et ses expositions peuvent parfois être apprivoisés à l’aide du site Internet de l’institution.

6.3.2. La visite animée

L’accueil des adultes dans le hall d’entrée est apprécié par les enseignant(e)s, tant du point de vue du lieu choisi, même s’il est peu intime, que de la forme : ils ont le sentiment d’être bien accueillis, notamment parce que le déroulement de la visite y est annoncé. Des questions sur le pays d’origine des adultes et leurs prénoms sont posées. Quant à l’expérience muséale, elle est jugée différemment selon le niveau de français des adultes. Plus le niveau est faible, plus l’expérience de la visite est jugée pertinente et significative. L’animation de la visite, qui consiste – peu importe le niveau de maîtrise de la langue – en une description des animaux et en une série d’interactions visant à savoir si les apprenants reconnaissent ces animaux, demeure très centrée sur ces derniers. Selon les enseignant(e)s, pour cette raison, l’EAM ne jouerait pas un rôle significatif dans l’intégration des adultes en francisation à leur milieu, et ce, bien qu’elle leur offre un moment convivial et chaleureux. Toutefois, les enseignant(e)s conviennent que, pour les adultes présentant un niveau de maîtrise de la langue plus faible, être exposés à la description des animaux suffirait à l’apprentissage de nouveaux mots sans occasionner de surcharge cognitive. Si la visite permet aux adultes en francisation de mieux connaître la faune qui les entoure, pour ceux dont le niveau de maîtrise de la langue est plus avancé, la présentation des animaux est insuffisante; chaque spécimen devrait être présenté dans sa globalité, à savoir : sa nourriture, son mode de reproduction, son mode de vie et son habitat, ainsi que l’impact des populations humaines sur ce dernier.

Il apparaît, en outre, difficile de décrire la manière dont le membre de l’EAM en charge de ses groupes s’est adapté aux différents niveaux de maîtrise de la langue des apprenants; l’effort pour moduler le débit de la parole et pour questionner les visiteurs afin de s’assurer de leur compréhension est noté, mais les enseignant(e)s déplorent que le contenu de l’animation soit le même, peu importe le niveau, ce qui occasionnerait de la frustration chez les adultes plus avancés. Il semble également difficile d’évaluer la portée éducative de la visite : elle semble limitée pour les plus avancés, notamment en raison de l’information communiquée, qui serait trop succincte. Elle serait cependant plus significative en ce qui a trait à l’acquisition de nouveaux mots de vocabulaire pour les adultes en francisation présentant un niveau plus faible de maîtrise de la langue.

Selon les enseignant(e)s, le contenu et les approches de l’animation muséale offerte pourraient être révisés. En particulier, les approches devraient être mieux adaptées au niveau des visiteurs afin de maintenir leur motivation et leur intérêt. Il serait, par exemple, avantageux d’augmenter les interactions avec les groupes plus avancés afin de pratiquer les habiletés conversationnelles, peu sollicitées par la forme actuelle de l’animation. À l’inverse, le niveau actuel d’interactions semble convenir aux adultes maîtrisant peu la langue; par exemple, ils peuvent intervenir facilement en répondant par l’affirmative ou la négative à des questions fermées. En général, la participation des adultes est jugée peu active en raison même du type d’animation offert. Par exemple, le contenu de l’animation étant relativement réduit, il devient difficile d’évaluer les capacités des adultes en francisation en matière de compréhension, de lecture ou d’écriture. En outre, les enseignant(e)s affirment qu’il ne s’agirait pas, pour les membres de l’EAM, de simplifier leur discours, mais d’adopter une élocution plus fluide, qui permettrait aux adultes d’entrer en contact avec la langue vernaculaire telle qu’elle est parlée dans la vie quotidienne.

Toujours selon les enseignant(e)s, une approche cognitive, axée sur la transmission de savoirs, est dominante tout au long de l’animation; selon eux, d’autres approches pourraient être mobilisées, en particulier en fonction des niveaux de maîtrise de la langue. Pour les adultes du groupe « en étapes », il serait pertinent d’exploiter davantage l’approche sensorielle et affective, peu mobilisée au moment de la visite, mais qui serait favorablement investie afin de créer des ponts entre les cultures d’origine et du milieu d’accueil. Quant à l’approche ludique, elle pourrait être mise de l’avant à destination de ces mêmes adultes. En revanche, les niveaux plus avancés gagneraient à ce que l’animation combine ces deux types d’approches, en plus de l’approche critique, qui leur donnerait l’occasion de discuter des préoccupations soulevées par la visite et d’argumenter afin de défendre un point de vue (par exemple sur la disparition de certaines espèces). Quant à la création de ponts entre les cultures, si la visite muséale doit jouer un rôle dans l’intégration au milieu d’accueil, elle devrait engager davantage d’éléments propres à la culture des adultes, notamment afin de dépasser la simple reconnaissance d’animaux présents dans les pays d’origine. Enfin, en ce qui a trait à la durée de l’animation, elle est jugée beaucoup trop courte.

6.3.3. Après la visite animée d’AlterAnima

Les enseignant(e)s rencontré(e)s font remarquer l’absence d’activités de synthèse ou de prolongement développées soit par l’EAM ou par le CEA. Exceptionnellement, une telle activité a été réalisée avec les adultes « en étapes »; il s’agissait d’écrire les noms des animaux qu’ils avaient retenus dans le but de faciliter les échanges. Les enseignant(e)s se disent intéressés à ce qu’un membre de l’EAM prenne le leadership de la création de telles activités ou qu’elle formule explicitement des suggestions d’activités complémentaires ou de consolidation à réaliser en classe.

6.3.4. L’animation muséale et les programmes de francisation

L’approche communicative de l’enseignement du français est utilisée à destination des personnes qui suivent le programme de francisation s’adressant aux adultes ayant accumulé huit années et moins de scolarité. Selon les enseignant(e)s rencontré(e)s, l’objectif de cette approche est de rendre l’adulte capable de parler de soi-même à la première personne, de comprendre son environnement, de participer à une conversation et de se faire comprendre. Il va sans dire que cette approche pourrait être valorisée par l’EAM. Quant au programme s’adressant aux adultes des « niveaux », son objectif est de permettre de fonctionner dans leur milieu de vie, dans la société d’accueil et au travail. D’ailleurs, les adultes de ces niveaux, qui ne souhaitent pas être infantilisés, demandent davantage de parler en classe, de discuter de sujets du quotidien.

L’équipe de formation du CEA considère que deux principales caractéristiques des programmes de francisation devraient être prises en considération par l’EAM : le niveau de maîtrise de la langue et le niveau de scolarité des adultes. Une diversification des approches d’apprentissage ainsi que la différenciation de l’animation selon les niveaux se montrent nécessaires. Il serait également indiqué de faire intervenir une personne apte à exercer une médiation interculturelle afin de mieux reconnaître les cultures d’origine et du milieu d’accueil.

7. Discussion des résultats

De façon générale, la visite au MNS2 par des groupes d’adultes allophones suivant un programme de francisation n’est pas remise en cause. L’exposition AlterAnima présente certes des limites associées à son design initial; toutefois, les potentialités de développement de différents scénarios éducatifs qui tiennent compte des niveaux diversifiés en littératie sont bien là; spécialement si des objectifs, qui sont clairement énoncés, mobilisent des approches éducatives pertinentes et, s’il y a lieu, s’appuient sur du matériel susceptible d’enrichir l’expérience de visite. Il s’agirait alors de tirer des avantages du contenu de l’exposition sans en faire le coeur de l’action éducative; celle-ci offrirait plutôt un levier ou un tremplin afin de valoriser autrement les animaux exposés. Aborder des questions relatives à l’éthologie, aux écosystèmes dans lesquels ils évoluent ainsi que leurs relations historiquement situées avec les populations humaines semble constituer des attentes explicites formulées à la fois par les adultes et les enseignant(e)s. Transmettre uniquement un savoir au moyen des noms des animaux et de quelques caractéristiques esthétiques semble insuffisant.

Une piste de solution consisterait à mieux préparer les groupes à la visite muséale, par exemple par l’appropriation d’un vocabulaire permettant d’améliorer la compréhension et l’expression orale. En outre, des approches éducatives plus stimulantes devraient être introduites, tout en évitant d’infantiliser les adultes qui, au quotidien, ont diverses préoccupations. En effet, ces derniers, qui appartiennent à différentes communautés (d’origine et locales), exercent tour à tour des rôles d’élèves, de parents, de citoyens, de professionnels ou de consommateurs; ces adultes sont donc des décideurs dans différentes sphères de leur vie, et leurs décisions peuvent avoir des retombées positives ou négatives sur les espèces animales qu’ils découvrent au MNS2, sur les écosystèmes terrestres et sur l’ensemble du vivant dont ils font eux-mêmes partie (Clover et al., 2000). Même s’ils font l’expérience d’une barrière linguistique plus ou moins grande selon leur niveau de maîtrise du français, ils sont en général informés et sont porteurs d’un savoir, même s’il ne conduit pas nécessairement à s’engager dans des actions environnementales (Clover et al., 2013; Haugen, 2010; Villemagne, 2008).

En tout temps, l’éducation des adultes devrait prendre en considération leur apport aux processus éducatifs, leurs perceptions, leurs savoirs, leurs expertises ou leurs opinions et proposer des approches éducatives à la fois plus participatives, mais aussi plus critiques. Dans le cas qui nous intéresse, ces approches pourraient s’actualiser à travers l’analyse de situations environnementales qui affectent les animaux vus au MNS2, mais aussi par la recherche de solutions créatives aux problèmes soulevés. La visite muséale suscitant généralement une prise de conscience de réalités environnementales problématiques, nourrir l’écoanxiété ne semble pas approprié dans un contexte socioculturel marqué par l’urgence climatique et la fragilité du vivant; cette fragilité même étant par ailleurs mise en évidence par la pandémie.

Du point de vue de l’éducation muséale, l’EAM est consciente des défis auxquels elle est confrontée et souhaite opérer des changements afin de mieux exercer son rôle, notamment de médiation interculturelle. Elle souhaite, par exemple, mieux connaître les adultes avant la visite, les rencontrer, s’il y a lieu, pour découvrir ce qu’ils ont à partager sur les animaux de leur pays : leur animal préféré et son écosystème, les animaux des pays d’origine ayant des ressemblances avec ceux que présente le MNS2, les différents symboles qu’on associe dans leur pays, etc. Ces quelques suggestions, qui devront s’enrichir dans les étapes suivantes de la recherche, présentent l’avantage d’accentuer la reconnaissance de l’identité et de la culture dont sont porteurs les adultes inscrits en classe de francisation. Elles donneraient aussi l’occasion de dépasser l’usage de l’oral dans la compréhension et la prise de parole, en mobilisant des compétences en lecture et en écriture, et ce, dans la perspective d’améliorer les échanges. D’ailleurs, les adultes rencontrés ont affirmé souhaiter repartir de la visite muséale avec « un souvenir » de celle-ci afin de prolonger l’expérience avec leurs proches; ce média (dépliant ou brochure, par exemple) pourrait, en outre, permettre la réalisation d’une activité post-visite. Cette dernière, tout comme les activités prévisite ou la visite elle-même, devrait, par ailleurs, être intégrée aux visées des programmes de francisation afin que le passage au MNS2 puisse déployer davantage son potentiel éducatif.

Conclusion

Au bilan, si la phase diagnostique de la recherche partenariale en cours montre le potentiel de la visite de l’exposition AlterAnima offerte aux classes d’adultes en francisation, elle permet toutefois d’en souligner les limites. Cette activité devrait être revue en profondeur, notamment afin d’offrir, au-delà d’une simple sortie culturelle ou d’une activité de loisir, une occasion d’apprentissage. Son potentiel éducatif s’actualiserait mieux si la visite s’intégrait à un scénario éducatif plus étoffé et si des liens étaient établis avec les programmes de francisation en vigueur à Sherbrooke. L’EAM possède une expertise en muséologie et en sciences de l’environnement de même qu’un potentiel de créativité qui pourront être pleinement mis à profit dans le cadre des prochaines étapes de la recherche.