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Les enquêtes du commissaire Habib l’amènent dans plusieurs contextes socio-culturels différents du Mali, ce qui constitue sans doute la technique d’appropriation du genre la plus manifeste pour tout lecteur des romans policiers de Moussa Konaté. En effet, les polars de Konaté nous entraînent non seulement à travers les rues et banlieues encombrées de Bamako, mais conduisent aussi le lecteur dans les milieux traditionalistes des Dogons, des Bozos, des Malinkés et des Touaregs. Or, le caractère patriarcal des sociétés traditionnelles a souvent été souligné par des études de tous genres alors que le roman policier (et plus particulièrement le roman noir) s’est vu reprocher aussi ses tendances « macho ». Du moment que les enquêtes du commissaire Habib s’inscrivent à la croisée des deux (la représentation des sociétés traditionalistes et le canon du polar), on peut donc se demander quels rôles et quelle place échouent au personnage féminin chez Konaté. Est-il cantonné dans le profil de la femme-objet ou de l’épouse soumise ou participe-t-il à la représentation d’une Afrique plurielle aussi bien dans ses pratiques culturelles que dans ses tendances littéraires ?

Pour mener une petite enquête sur la question, nous nous proposons donc de procéder, dans les pages qui suivent, à un rapide survol des personnages féminins, aussi bien principaux que secondaires, dans les six romans policiers de Konaté, afin de découvrir quels contours ou configurations s’en dégagent. L’imaginaire du féminin chez Konaté est-il peuplé de types et de stéréotypes ou nous propose-t-il (aussi) des personnages et discours moins conventionnels ?

Notons d’emblée que la place qu’occupent les personnages féminins d’un roman à l’autre varie de manière assez frappante. En effet, s’ils sont nombreux et occupent aussi bien des rôles clés que secondaires dans L’Assassin du Banconi, L’Empreinte du renard, et La Malédiction du Lamantin, ils le sont moins dans L’Honneur des Kéita et Meurtre à Tombouctou alors que L’Affaire des coupeurs de têtes ne compte que quelques rares personnages de femme apparaissant ici et là dans les coulisses de l’intrigue principale[1]. Néanmoins, qu’ils soient plus ou moins présents en termes quantitatifs, ces personnages restent indispensables dans la structuration des récits, car d’un roman à l’autre (mis à part L’Affaire des coupeurs de têtes), ces femmes de fiction aux profils divers finissent par occuper tous les rôles clés du polar, sauf un. La convention du polar exige en effet, minimalement, une victime, des suspects, un criminel et un enquêteur, avec, souvent, plusieurs personnages dans chaque rôle[2]. On constate effectivement que, dans les six romans du corpus, trois des victimes sont des femmes : Sira et Naïssa, dans L’Assassin du Banconi, et Nassoumba, dans La Malédiction du Lamantin. Parmi les suspects figurent les coépouses de Sira, Sadio et Soussaba, et Djaaba, la coépouse de Nassoumba, alors que le rôle du criminel est endossé par Fatma Walette Sidi-Mohamed, la vieille mère de la victime, Ibrahim, dans Meurtre à Tombouctou et Kaïra, la propre fille de Nassoumba, dans La Malédiction du Lamantin. Les personnages féminins sont donc au centre de la plupart des enquêtes du commissaire Habib, si bien qu’il n’y a que le rôle du héros chargé d’élucider les mystères en tout genre qui n’est jamais incarné par un personnage féminin chez Konaté. Aussi n’y a-t-il à cela rien d’étonnant, sans doute, dans le cadre d’une littérature sérielle qui, jusqu’à récemment, comptait bien plus de Sherlock Holmes, de Maigret et de San Antonio que de Miss Marple. De cette brève vue d’ensemble du corpus se dégage donc une répartition entre personnages féminins et masculins assez caractéristique des grandes tendances du roman policier.

Épouses, coépouses et gardiennes de la tradition

Par ailleurs, l’on reconnaît également, chez Konaté, plusieurs personnages types récurrents du polar dont, en premier lieu, l’épouse du policier-enquêteur, type initié sans doute par Madame Maigret, chez Simenon, et que l’on retrouve aussi chez Yasmina Khadra, par exemple, sous les traits de Madame Llob (Mina)[3] ou encore (au Québec) incarné par Madame Gamache dans les romans de Louise Penny. Or, alors que ce personnage n’apparaît que ponctuellement, en marge du récit, il occupe néanmoins une fonction non négligeable dans la mesure où il contribue à la valorisation du héros-policier en tant que citoyen et enquêteur intègre, mari et père attentionné, quoique souvent distrait par son travail. C’est bien le cas du couple du commissaire Habib dont l’épouse, Haby, fait quelques brèves apparitions dans quatre des six romans, prenant la parole le plus souvent pour s’inquiéter de la sécurité de son mari lorsqu’il entreprend des enquêtes particulièrement dangereuses (ML, 95-96 ; MT, 54-55). Cependant, dans le contexte socio-culturel africain où se déroule l’intrigue des polars de Konaté, Haby n’est guère la figure de l’épouse traditionnelle mais plutôt celle d’une femme de la petite bourgeoisie urbaine qui sait concilier travail et famille, et ce, avec bonne humeur.

Oumar courut rejoindre, sous la véranda, sa mère Haby, une petite femme boulotte, institutrice vieillissante et bavarde que son mari n’appelait plus que « la mère Haby ».

– Maman, dit le garçon avec gravité, tu sais, la situation de papa devient de plus en plus grave. […]

La mère se renversa sur sa chaise et partit d’un énorme éclat de rire qui attira son époux.

ER, 44

Il s’agit par ailleurs d’un couple monogame dans un milieu où la polygamie demeure courante. Haby n’incarne donc pas tout à fait l’épouse type du roman policier. Tout comme le commissaire, son épouse participe à l’élaboration d’un certain discours didactique qui traverse les romans de Konaté. Dans ce cas, Habib et Haby constituent en effet une sorte de couple « modèle » pouvant illustrer une évolution harmonieuse de la famille vers une dynamique plus égalitaire où le rôle de la femme ne se limite pas à être une femme au foyer[4].

Le personnage de Haby sert alors également à créer un contraste avec la figure de la femme traditionnelle, personnage type récurrent du roman africain classique[5], type qui apparaît en arrière-plan de tous les romans de Konaté et qui participe aussi activement au déroulement de l’intrigue dans la plupart. Selon le cas, ce personnage prendra les traits de la grand-mère, la mère, la soeur, la tante, l’épouse, la coépouse, etc. d’un personnage masculin et constitue souvent une collectivité anonyme qui évolue en marge du récit. L’on constate en effet que, lorsque le commissaire Habib enquête chez les Dogons, les Bozos, les Touaregs ou les Malinkés aux moeurs traditionnelles, le texte souligne régulièrement l’absence des femmes lors des cérémonies officielles, des conseils de famille et des rencontres de notables (ER, 238-240 ; ACT, 77), et qu’elles se tiennent à l’écart ou « s’éclipsent » carrément (ER, 161) lorsqu’arrivent « les étrangers », Habib et Sosso (MT, 7, 89, 107, 189, entre autres). Cependant, le personnage type de la coépouse prend plus de relief et les querelles que suscitent les ménages polygames se trouvent plusieurs fois à l’avant-scène. Ainsi, La Malédiction du Lamantin s’ouvre sur une violente dispute entre Nassoumba, la première femme du chef Kouata, et sa coépouse, Djaaba, enfermée dans sa chambre au moment où Nassoumba s’apprête à sortir :

– Écoute-moi, vieille sorcière, qui veux-tu manger aujourd’hui, hein ? hurla-t-elle [Nassoumba].

– Je te tuerai, quoi que tu fasses, vieille chienne ! Je te tuerai ! répliqua la geignarde avec vigueur.

– Vieille folle, c’est moi qui te tuerai avant.

– Souviens-toi du mal que tu m’as fait. Tu ne me connais pas, sinon tu aurais compris que ta vie est finie.

ML, 12

Naturellement, Djaaba fait aussitôt partie des suspects lorsque Nassoumba est retrouvée poignardée. Par ailleurs, quand le commissaire interroge Kaïra, la fille, sur cette relation orageuse entre les deux femmes, elle se contente d’affirmer : « C’est normal, c’étaient des coépouses. » (ML, 176)

Une scène analogue, tout aussi théâtrale, se produit dans L’Assassin du Banconi, lorsque le commissaire convoque les deux coépouses de la première victime, Sira, pour les interroger sur le meurtre. La rencontre dégénère aussitôt en récriminations réciproques dont le policier profite pour leur soutirer des informations utiles :

Le commissaire Habib, lui, savait d’expérience que la meilleure façon de mener l’interrogatoire dans ce genre de situation était de laisser les coépouses s’entre-déchirer. Effectivement, les derniers propos de Sadio jetèrent la deuxième épouse de Saïbou dans une fureur aveugle ; elle ne se retenait plus, criait à tel point que de l’écume s’amassait aux coins de sa bouche.

AB, 104

Sans doute que le texte frise ici le stéréotype, même s’il s’agit avant tout d’une dramatisation comique qui ajoute une touche d’humour à une situation macabre où les cadavres se multiplient.

Parmi les personnages types du roman africain classique[6], l’on retrouve également chez Konaté la figure de la grand-mère respectée, gardienne des traditions, du savoir, de la sagesse et de la mémoire ancestrale qu’elle transmet aux générations futures. Dans La Malédiction du Lamantin, ce personnage est représenté par la vieille mère de Bouba – un ami de Sosso –, qui fait connaître aux enquêteurs le récit fondateur des Bozos (la légende de la divinité Maa, le Lamantin protecteur) et l’histoire de la famille du chef Kouata, famille qui occupe la chefferie depuis des générations (ML, 47-54, 105-113). Personnage secondaire, cette femme savante est néanmoins indispensable au déroulement de l’intrigue puisque, sans ces éléments de l’histoire et des croyances de l’ethnie, le commissaire n’aurait pu mener à bien son enquête.

Un personnage analogue, plus substantiel, occupe un rôle clé dans le roman Meurtre à Tombouctou : Fatma Walette Sidi-Mohamed, l’épouse du patriarche Aghaly. Tout au long du récit, cette grand-mère respectée de tous est décrite comme un des piliers de la famille, depuis son arrivée dans le foyer de son mari, à 16 ans :

Très vite, elle s’était imposée et était devenue la lumière de la famille. Lui-même [Aghaly], alors commerçant ambulant, voyageait souvent, mais l’esprit toujours tranquille, parce que sachant qu’il laissait les siens en des mains sûres. Femme au grand coeur, Fatma ignorait la rancune. […] Adolescente, la vieille femme d’aujourd’hui était déjà la confidente de sa mère et détenait les grands secrets de ses familles paternelle et maternelle. […] En fait, c’était elle l’étai qui soutenait la famille.

MT, 41-42

Le commissaire Habib lui-même fait d’elle un portrait élogieux qui résume la grandeur du personnage :

Elle était une poétesse remarquable, l’héritière et la gardienne du savoir de ses ancêtres, une épouse et une mère au grand coeur. […] L’intelligence, le savoir et la grandeur d’âme de Fatma Wallete Sidi-Mohamed l’ont conduite à être la gardienne de l’héritage ancestral. Ainsi, pour elle, cette fonction était comme une foi.

MT, 203-204

Et pourtant, à la fin du roman, le lecteur apprend que le personnage de Fatma déroge foncièrement au modèle du personnage type attachant, la grand-mère chère aux lecteurs du roman africain, car, pour nous comme pour les jeunes collègues du commissaire Habib, il est inimaginable qu’une femme aussi « royale[7] » puisse être une meurtrière.

Il apparaît ainsi que, de Haby à la gardienne du savoir traditionnel en passant par les coépouses, ces différents personnages types, empruntés soit au canon du polar, soit aux conventions du roman réaliste africain, incarnent à leur manière les deux faces du Mali et l’évolution difficile du pays dont le discours du commissaire Habib fait état à plusieurs reprises. Il y réfléchit, entre autres, à la suite d’une visite chez une vieille tante et son cousin, dans L’Affaire des coupeurs de têtes où il est mandaté pour faire une enquête dans sa ville natale, Kita.

Redevenu le chef de la Brigade criminelle, Habib n’en demeurait pas moins troublé par le contraste entre le pessimisme de sa tante et la révolte de Barou. Il venait d’être confronté aux deux visages de sa ville natale : celui du passé, désespéré parce que se sentant impuissant, et celui du présent, ignorant le passé et convaincu que l’avenir lui appartenait. Ainsi, comme partout ailleurs, à Kita aussi, les mentalités changeaient, les ancêtres perdaient de leur pouvoir.

ACT, 57

Cependant, le commissaire Habib est le premier à affirmer que ce monde du passé est malgré tout digne de respect et il n’hésite pas, lors de son enquête chez les Dogons, à faire son autocritique en guise de leçon morale et de principe de procédure d’enquête adressés à son jeune adjoint, Sosso :

Or, ceux à qui nous avons affaire ici n’appartiennent pas à notre univers et nous n’osons pas nous avouer que nous les tenons, du point de vue de la pensée, pour des primitifs. Alors nous les méprisons. J’ai eu mal ce matin, parce que j’ai découvert cette vérité. Tu vois, les choses ne sont pas aussi simples, et nous-mêmes, imbus de notre science, nous ne savons pas qui nous sommes. Il ne s’agit pas, en fait, de faire semblant de les comprendre, mais d’admettre qu’ils ont le droit d’avoir leur univers à eux.

ER, 142-143

La coexistence, dans les romans de Konaté, des personnages féminins types appartenant aussi bien au monde du présent qu’à celui du passé relève donc sans doute à la fois du principe d’une représentation respectueuse à la fois de la société actuelle et des milieux culturels traditionnels et du canon réaliste auquel adhèrent autant le roman policier[8] que le roman africain classique[9].

Il convient toutefois de souligner que ce discours sur la pluralité socio-culturelle du Mali (de l’Afrique) et le respect des spécificités ethniques qui traverse les polars de Konaté ne peuvent pas pour autant se lire comme une apologie des sociétés patriarcales en ce qui concerne la place de la femme ou le comportement « macho » des hommes, jeunes et moins jeunes. L’on note en effet que cette mise en scène récurrente des personnages types féminins socio-littéraires s’accompagne également à l’occasion d’un discours critique tenu, le plus souvent, par le commissaire Habib. En témoigne, entre autres, un échange qui a lieu un soir où le commissaire est invité chez le lieutenant Diarra à Mopti. Lorsque la jeune épouse de Diarra s’en prend sévèrement aux traditions des Dogons, Habib ne peut que lui donner raison sur la question du sort réservé aux femmes :

– Et ils n’ont que du mépris pour la femme, insista madame Diarra.

– Je ne sais pas si je serais aussi catégorique que vous, madame Diarra, dit Habib, mais il est vrai que, dans l’histoire qui nous amène ici, une fille est morte aussi, mais personne n’en parle, comme si cela n’avait aucune importance. Et quand on écoute les pères, on a le sentiment que leur monde est exclusivement un monde d’hommes. Je me demande si tout cela ne contribue pas à rendre leur vie aussi rude.

ER, 186

De même, au moment où Sosso révèle à son chef les habitudes de coureurs de jupons du jeune maire de Pigui et de ses amis, qui n’hésitent même pas à séduire des élèves mineures, le commissaire se désole en soulignant : « On a beau être jeune, il y a quand même une limite à ne pas franchir. » (ER, 144) Le discours didactique qui sous-tend les polars de Konaté s’étend donc manifestement aussi à la question du respect de la femme, indépendamment de la facette du pays où elle évolue.

De sacrées garces : celles par qui le malheur arrive

N’empêche que les personnages types les plus connus du genre et qui ont valu au polar la réputation d’être macho et misogyne se trouvent également multiplement incarnés chez Konaté : la prostituée (personnage récurrent dans le roman noir, en particulier) et la femme fatale. L’on peut noter d’ailleurs que, parmi les nombreux personnages qui incarnent le brassage social caractéristique du roman noir, le seul personnage féminin retenu par Yves Reuter, dans sa présentation de la poétique du genre, est « la vamp » :

Plus qu’un roman des bas-fonds ou des marges, le roman noir est le roman du brassage social.

Non déterminés par une structure rigide, les personnages peuvent être très nombreux, diversifiés psychologiquement et dans leur façon de parler, apparaître tardivement, évoluer et se transformer au cours de l’histoire…

Ils ont correspondu à des images suffisamment fortes dans l’imaginaire collectif pour engendrer des types mythologiques de notre culture : loser, privé, femme fatale ou vamp, tueur, policier corrompu, politicien véreux[10]

Notons, toutefois, que les enquêtes du commissaire Habib suivent davantage les conventions du roman à énigme que celles du roman noir[11], si bien que le personnage de la prostituée (associé aux bas-fonds des milieux urbains) est plutôt rare. Cependant, les personnages des romans de Konaté (aussi bien masculins que féminins) sont certainement nombreux et diversifiés, et si le « type mythique » de la vamp ne s’y trouve pas non plus, plusieurs personnages endossent le rôle de la femme fatale, au sens large de celle par qui le malheur arrive[12].

L’on constate en effet que c’est dans L’Assassin du Banconi qu’apparaît le seul personnage de prostituée que comptent les polars de Konaté. Il s’agit de Sali, une amie de Naïssa, la deuxième victime, que le commissaire interroge pour tenter de comprendre le mobile du meurtre. Or, selon la rumeur, c’est cette fréquentation même qui aurait détourné Naïssa du droit chemin, si bien que c’est plutôt celle-ci qui est condamnée pour ses moeurs légères, dans son quartier, comme Sosso l’explique à son patron : « [La morte] s’appelle Naïssa et elle semble avoir mauvaise réputation dans le quartier, à tel point que l’imam s’est fait tirer l’oreille pour assister à l’inhumation. » (AB, 66) Aux yeux du voisinage, elle n’est donc pas réellement une victime innocente ; elle aurait mérité son sort. Sali confirme ce comportement peu orthodoxe de son amie, à qui elle « rend service » en lui prêtant sa chambre, tout en expliquant ce qui avait poussé Naïssa à agir ainsi :

Naïssa venait ici chaque fois avec quelqu’un de nouveau. C’étaient souvent des jeunes gens et je ne les connais pas. […] Naïssa était prudente. Je pense que c’est pour ça qu’elle ne s’attachait pas à un seul homme. En tout cas, tout ce que je puis vous affirmer, c’est qu’elle souffrait de ne pas avoir d’enfants.

AB, 113-114

L’enquête révèlera par la suite que l’assassin, un marabout réputé mais charlatan, avait profité de son désespoir (et celui des autres victimes) pour lui vendre à prix fort un remède miracle empoisonné.

Par ailleurs, cette brève mise en scène du milieu de la prostitution, dans le premier roman de Konaté, s’accompagne de celle des médisances, soit d’un discours social moralisateur qui condamne les femmes « de mauvaise vie » (qu’elles s’y adonnent pour l’argent ou le plaisir). En même temps, les investigations de la police montreront que ces femmes « déchues » ne sont pas réellement fautives, puisque c’est le désespoir, la pauvreté ou la perte des valeurs traditionnelles qui les poussent à la déchéance. Ce double discours apparaît également dans d’autres romans de Konaté où le phénomène de la prostitution et le comportement « trop libre » des femmes servent plutôt de justification aux actions parfois radicales des traditionalistes qui cherchent à empêcher l’érosion des croyances et des valeurs séculaires. C’est ainsi que les anciens de Pigui, notamment, dans L’Empreinte du renard, expliquent leur décision de supprimer les jeunes associés du maire :

« Voilà quelques mois pourtant qu’un projet funeste a envahi l’esprit de nos enfants : ils se sont avisés, avec la complicité de gens étrangers à notre pays, d’accaparer les terres du Hogon pour y construire des hôtels, y faire venir des étrangers, des femmes aux moeurs légères et des coutumes qui ne sont pas les nôtres. Tout cela uniquement pour de l’argent. […]

« C’est l’argent qui les pousse à ne plus respecter leurs aînés, à prendre les femmes de plus pauvres qu’eux, à cracher sur l’amitié, à se considérer comme des rois. […] Que peut-on espérer de tels enfants quand ils auront grandi en n’ayant pour seul maître que l’argent ?

ER, 240-241

Dans ce contexte, lutter contre la prostitution s’inscrit donc dans un projet global de conservation des valeurs traditionnelles, plutôt que dans un souci d’améliorer les conditions de vie de la femme.

Il en découle que le personnage de Sali est moins un personnage type qu’un prétexte pour mettre en scène ce discours traditionaliste conservateur qui, le plus souvent, censure sévèrement la liberté des femmes. L’on note d’ailleurs que ce n’est que dans le premier polar de Konaté qu’apparaît la prostituée en tant que personnage. Celle-ci sera par la suite relayée par la figure de la femme fatale, également « africanisée » selon le milieu ethnique où elle évolue et encadrée généralement aussi par ce même discours désapprobateur.

Le corpus à l’étude compte en effet plusieurs jeunes femmes séduisantes, « trop » belles, auxquelles les hommes ne savent pas résister, ce qui les mène à leur perte. Il ne s’agit certes pas de la vamp irrésistible qui parvient immanquablement à piéger des agents chevronnés comme San Antonio ou James Bond, mais plusieurs de ces personnages incarnent néanmoins le rôle – sans doute plus classique dans l’histoire et la littérature si l’on remonte jusqu’à Hélène, de la guerre de Troie – de la Femme à la beauté néfaste par qui le malheur arrive. Dans L’Honneur des Kéita, d’abord, l’enquête révélera que le mobile du meurtre de Fatoman Bagahogo se retrouve en fait dans ses relations avec Kankou, la fille du chef Sandiakou Kéita. Mentionné brièvement au début du roman, ce personnage ne réapparaît qu’à la fin, lorsque le commissaire et Sosso reconstituent le déroulement des événements ayant mené au crime. Or, il s’agit d’une jeune fille moderne qui a quitté son village natal et ses tabous pour vivre sa vie à sa guise, ailleurs, comme le rapporte Sosso, à la suite de sa rencontre avec Kankou :

– Dis-moi, Sosso, comment est-elle, cette Kankou, la fille de Sandiakou Kétia ? demanda le commissaire.

– Belle, chef, aussi belle que Satourou [la mère de Fatoman], mais beaucoup plus charmante et moins sauvage ; au contraire, elle est une fille très moderne. Nous avons causé très librement. On dirait une citadine.

HK, 287

Cette liberté citadine lui a pourtant valu de sérieux ennuis, comme le révèle le commissaire au chef Kéita : « Vous savez sans doute que votre fille Kankou est enceinte à Kaban, mais vous ignorez que le père de son enfant n’est autre que Fatoman Bagayogo, le fils de Satourou [cousine du chef]. » (HK, 289) Cependant, les policiers en savent moins qu’ils ne le pensent et c’est le vieux Kéita lui-même qui leur apprend finalement les secrets du clan. En réalité, Fatoman et Kankou sont tous les deux les enfants de Badian, le jeune frère délinquant du chef, banni de la famille. Kéita avoue par la même occasion avoir ordonné lui-même l’assassinat de son neveu afin de mettre un terme à cette relation incestueuse et, encore une fois, sauver l’honneur de la famille en empêchant le scandale de s’ébruiter.

Dans L’Empreinte du renard, la « sacrée garce » prend les traits d’une autre jeune fille trop désirable qui provoque autour d’elle un enchaînement de comportements meurtriers justifiés, à nouveau, par le principe de l’honneur bafoué. Aussi le texte souligne-t-il, dès l’entrée en scène de Yakomoro, la fiancée de Yadjè, son pouvoir perturbateur :

[Yakoromo] sourit : elle était belle comme une sculpture, avec de grands yeux rieurs, des seins en galbe parfait, une croupe aguicheuse. Il se dégageait de son corps une sensualité irrésistible qui pétrifiait Nèmègo, submergé par une bouffée de chaleur. Il tenta de prendre dans ses bras la fille, qui esquiva le geste en riant.

ER, 16

Cette fiancée volage apparaît ainsi d’emblée comme la figure « africanisée » de la vamp du polar conventionnel et le lecteur apprendra aussitôt que Nèmègo a en fait déjà succombé aux charmes de la belle, pour le plus grand malheur de tous, car Nèmègo se trouve être le meilleur ami du fiancé trompé. Or, celui-ci sera sommé immédiatement, par sa soeur et son vénérable oncle, chef de famille, de laver l’affront, alors que lui-même est plutôt disposé à pardonner. En effet, le vieux Kansaye ne voit qu’une issue à l’affaire : « Bientôt, tu seras la risée du village, et la famille de mon frère aussi. Ça, je ne le permettrai jamais. Tu es un Dogono, Yadjè, et tu dois le prouver. Défie Nèmègo sur la falaise et tue-le ! » (ER, 24) L’intransigeance de l’oncle ne fait pourtant que provoquer une catastrophe puisque Nèmègo, Yadjè et sa soeur Yalèmo tombent tous les trois de la falaise au cours de la bataille, alors que Yakoromo sera bannie du village par son propre père. Celui-ci, devant l’assemblée des notables, n’hésite pas à la déclarer coupable :

Si elle a trahi son fiancé pour se lier avec son meilleur ami, c’est qu’elle n’est plus digne de nous. C’est par elle que le malheur est venu. Je n’ai pas attendu. Je lui ai dit qu’elle n’était plus une Dogono, qu’elle devait s’en aller pour toujours.

ER, 244

Cependant, l’on ne peut que constater qu’autant Kankou que Yakoromo sont de jeunes femmes « fatales » malgré elles, si bien qu’à travers ces personnages et les réflexions du commissaire Habib, les romans soulèvent avant tout la question de la pertinence d’un code d’honneur qui provoque autant de mortalité.

C’est le cas aussi dans Meurtre à Tomboutou où un scénario analogue se construit autour du personnage de Khaïra, la maîtresse de la victime, Ibrahim. Cette fois, la reconstitution de l’histoire du crime remonte jusqu’à la génération précédente et au scandale provoqué par Youssef, l’un des oncles du jeune homme. Faisant fi de la désapprobation générale, celui-ci avait pris comme seconde épouse « une Bella, une esclave noire affranchie » (MT, 192). C’est ainsi qu’Aghaly, père d’Ibrahim, explique aux enquêteurs la querelle qui oppose les deux familles depuis lors :

[J]’ai conseillé, supplié, menacé Youssef, en vain. Est-ce que la Bella l’avait ensorcelé au point de lui faire oublier le serment que lui avait fait prêter notre père de ne jamais déshonorer leur famille ni notre tribu ? [… Je] ne pouvais pas pardonner à mon frère d’avoir désobéi à notre père et d’avoir couvert notre famille et notre tribu de honte. Nous, nous sommes des nobles, or un noble n’épouse pas son esclave.

MT, 193

Or, dans le contexte des valeurs égalitaires et démocratiques actuelles, le « mariage d’amour » de l’oncle Youssef ne paraît guère si condamnable, mais dans la famille Aghaly, les valeurs anciennes perdurent. Ainsi, rejetée par tous, l’épouse « ensorceleuse » finit par quitter le foyer, mais, à l’insu de tous sauf de quelques femmes de la famille, elle aura une fille, Khaïra.

Ce secret restera bien gardé jusqu’au jour fatidique où le hasard mettra Ibrahim sur le chemin de cette cousine métisse inconnue (MT, 152). Si bien que l’histoire se répète : alors qu’il a déjà une jeune épouse enceinte de leur premier enfant, Ibrahim est incapable de résister aux charmes de cette fille de Bella, laquelle tombera également enceinte. C’est alors la vielle Fatma Walette Sidi-Mohamed elle-même qui décidera de prendre les choses en main pour mettre fin définitivement à ce scandale « héréditaire ». Le sens de l’honneur prime sur l’amour maternel : le seul remède à ce Mal sera la mort de son propre fils.

L’inventivité : criminelles ou justicières ?

Et c’est ainsi qu’entre en scène le personnage féminin dans le rôle de la meurtrière, femme littéralement et intentionnellement fatale. Les polars de Konaté n’en comptent que deux, mais ces criminelles s’avèrent être les personnages féminins les plus complexes et les moins conventionnels du corpus. Dans la littérature africaine classique, rares sont en effet les aïeules vénérées qui se transforment en meurtrières. Tel que mentionné plus haut, Meurtre à Tombouctou se termine en effet sur un véritable coup de théâtre puisque les autres personnages, pas plus que les policiers et le lecteur, ne peuvent soupçonner la vieille Fatma d’être l’auteur du crime, comme le commissaire l’explique à Sosso : « Ce sont [ses] qualités qui poussent l’enquêteur à refuser même d’imaginer qu’un tel individu soit susceptible de mal se comporter » (MT, 204). Aussi, si elle en arrive à poser un tel geste, c’est précisément qu’à ses yeux, ce n’est pas « mal se comporter », comme le souligne également Habib. En tant que gardienne de l’héritage ancestral, cette fonction était comme une foi pour elle. Voilà pourquoi rien ni personne n’était au-dessus de la volonté des ancêtres, pas même son propre enfant.

Elle adorait Ibrahim, je pense qu’elle l’a tué aussi par amour. Elle se savait condamnée [par la maladie] et souffrait de devoir abandonner son fils, qui, après ses fautes, était voué à vivre dans le mépris des siens, donc dans la souffrance. Voilà pourquoi elle avait choisi de l’avoir avec elle pour toujours. Je n’exclus même pas l’hypothèse d’un suicide de la vieille femme.

MT, 204

Autrement dit, comme la plupart des polars de Konaté, le dénouement de l’enquête ramène ici le lecteur au dilemme des multiples facettes des nations africaines actuelles : comment concilier les lois et usages ethniques ancestraux avec la loi démocratique moderne lorsque ce qui constitue un crime dans le monde actuel n’est que justice aux yeux des communautés traditionalistes ?

C’est ce même écart qu’invoque la deuxième meurtrière du corpus, la jeune Kaïra qui tue sa propre mère dans La Malédiction du Lamantin. Pour elle aussi, il s’agit de se conformer à la volonté des ancêtres et donc d’éliminer les fautifs qui ont péché contre la loi des esprits, en l’occurrence le chef des Bozos lui-même et sa femme, Nassoumba. À nouveau, l’histoire du crime se construit autour d’une femme irrésistible mais interdite et remonte à la génération précédente. À l’époque coloniale, Gori, l’oncle de Nassoumba, a accepté, contre une forte somme d’argent, d’aider un des administrateurs à capturer un lamantin et son petit, dans le fleuve Djoliba, pour les mettre dans un zoo. Or, les Bozos considèrent que ce lamantin est l’incarnation animale de Maa, leur divinité tutélaire. Par conséquent, « [Maa] avait maudit la lignée de Gori pour l’éternité » (ML, 93). Cependant, bravant cette malédiction, le chef Kouata se laisse ensorceler (littéralement, selon la rumeur [ML, 106-107]) par Nassoumba, la nièce de Gori, et, dès lors, les malheurs s’accumulent :

Tous les Bozos se sont employés à l’éloigner de la femme maudite, mais rien à faire. C’est à partir du moment où il a épousé Nassoumba que Kouata n’a plus connu la paix. Sa première épouse Nansa est morte noyée dans le Djoliba deux semaines après le mariage de sa coépouse ; son fils Sodjè est devenu comme hanté par les esprits et a déserté le domicile familial ; la troisième épouse de Kouata fut Djaaba, elle n’a jamais eu d’enfant et est devenue folle ; quant à Nassoumba, ses deux premiers enfants, des garçons, sont morts à leur naissance ; seule a survécu sa fille Kaïra, mais elle est née handicapée de la jambe droite. La même année, Kouata lui-même est devenu infirme.

ML, 93

Ainsi, quand d’autres catastrophes frappent la communauté bozo (accidents mortels, maladie contagieuse, orages violents hors saison), tous les interprètent comme l’expression de la colère de Maa, si bien que les Bozos n’y voient rien d’étrange lorsque le chef Kouata et Nassoumba sont retrouvés morts dans leur cour, frappés par la foudre.

Toutefois, étant donné la rareté des décès causés par la foudre, les esprits rationnels (Habib et Sosso) trouvent cette explication peu vraisemblable et décident d’enquêter. L’autopsie révélera en effet que Nassoumba a été poignardée alors que son époux a été victime d’une crise cardiaque quand il essayait de lui venir en aide. Aussi, comme le veulent les conventions bien établies du polar, parmi les multiples témoins et suspects, ce sera le personnage que personne ne soupçonne qui s’avérera être le coupable – en l’occurrence Kaïra, que le commissaire amène finalement à avouer qu’elle a assassiné sa propre mère. Le dénouement ne manquera pas, malgré tout, d’étonner le lecteur puisque Kaïra nie en même temps avoir commis un matricide et elle se campe, comme Fatma, dans le rôle de la justicière. Elle explique en effet au commissaire qu’elle est la réincarnation de la fille de Maa, le petit lamantin blessé mais non pas capturé, comme sa mère, par l’administrateur blanc. Cette fille, revenue sous forme humaine, aurait pour mission de venger la divinité offensée.

Oui, commissaire, je suis la fille de Maa. […] Personne d’autre que vous ne le sait parce que les mortels, même bozos, ne peuvent entrer dans le secret des génies. […] En réalité, je n’ai pas été du tout blessée, commissaire, ma jambe droite paralysée n’est qu’une illusion que j’entretiens, car, vous vous en doutez, j’ai des pouvoirs, moi aussi, parce que je suis l’enfant des génies.

ML, 179-181

Aussi, sa mission accomplie, la jeune fille ne semble guère perturbée par son arrestation. Et si celle-ci est tout à fait conforme aux conventions, le personnage de Kaïra s’en écarte. Sans doute que les personnages dotés de superpouvoirs sont légion dans la littérature et le cinéma populaires actuels, mais Kaïra n’en demeure pas moins « une originale », un personnage hybride construit à la croisée du polar, des légendes et de la science-fiction.

Codes pluriels

Il s’avère ainsi que les polars de Konaté sont peuplés d’une foule de personnages féminins très variés, même si plusieurs s’approchent de certains types et stéréotypes du genre. Presque tous font l’objet d’une forme d’hybridation où l’on voit s’exercer l’inventivité de l’écrivain. Reste à se demander si ces créatures de fiction possèdent aussi une voix, si les romans leur attribuent une parole susceptible de briser le silence proverbial des femmes dans les sociétés patriarcales et des personnages littéraires relégués au rôle de figurant.

Sur ce plan, il n’y a pas de doute : les personnages féminins des romans de Konaté ont un langage abondant, varié et coloré et, surtout aux yeux de leurs proches, parlent souvent un peu trop, notamment quand ils cèdent aux insistances du commissaire Habib ou se confient à Sosso. En effet, à l’exception de cette collectivité de femmes anonymes des marges du récit qui s’éclipsent à tout moment, de la « grande-gueule » à la grand-mère conteuse, les personnages de Konaté déploient toute une variété de paroles, conformément à leur profil. Un examen détaillé du langage attribué aux personnages féminins confirmerait ainsi vraisemblablement que l’inventivité de l’écrivain se manifeste également sur le plan de la construction des personnages, faisant entendre toute une variété de voix et de paroles de femmes. Qu’ils soient principaux ou secondaires, qu’ils occupent des rôles clés ou n’apparaissent qu’en marge du récit, les personnages féminins de Konaté sont rarement réduits au silence.

Que peut-on conclure, finalement, de cette pluralité de profils féminins dans les polars de Konaté ? Une piste pour une lecture d’ensemble se dessine peut-être dans ce propos de Marc Lits, où il rappelle qu’à l’origine de la double structure narrative du roman policier[13], il y a toujours un acte criminel et que « [le] récit de l’enquête sera donc une tentative de ramener le désordre à l’ordre, d’effacer le crime initial par la découverte – sinon le châtiment – du coupable »[14]. Le lecteur ne peut que constater, toutefois, que le commissaire Habib affronte le plus souvent des situations plus complexes puisque l’ordre des uns est le désordre des autres, si bien que les romans de Konaté mettent en question, finalement, la définition même du crime[15]. Ce questionnement passe certainement aussi par ces multiples profils du personnage féminin qui se trouve presque immanquablement être vecteur du désordre du point de vue des uns ou des autres. Le cas de la « descendante du prophète » dont la voix intarissable traverse les murs du commissariat[16] en est certainement emblématique. Ainsi, comme plusieurs des meurtriers masculins des romans à l’étude, Fatma et Kaïra commettent des actes jugés criminels selon les lois de l’état moderne en cherchant à conserver l’ordre établi des communautés traditionalistes. Les deux victimes, Sira et Naïssa, ainsi que les différents personnages campés dans le rôle de la femme fatale sont jugés coupables de comportement immoral et dérangent dans les milieux où règne encore l’ordre patriarcal, alors qu’aux yeux du lecteur (et souvent de Sosso et du commissaire), ils ne font que s’affranchir de certaines contraintes qu’imposent ces milieux. Un certain désordre s’avère alors être plutôt salutaire puisqu’il contribue à soulever la question non seulement de la place de la femme de part et d’autre, mais de la légitimité même de l’ordre établi, que ce soit celui des gouvernements actuels souvent gangrenés par la corruption (évoqués dans L’Assassin du Banconi, L’Empreinte du renard et L’Affaire des coupeurs de têtes, notamment) ou celui des communautés ethniques traditionalistes qui, à force de résister au changement, se figent.