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Depuis l’énoncé de la doctrine [Paul] Gérin-Lajoie en 1965, qui marque en quelque sorte la naissance du Québec à l’international, un grand nombre d’intellectuels ont pensé et étudié les relations que la province entretient avec l’extérieur. Le politologue Jean-François Payette est l’un de ceux-ci. Dans son plus récent livre, issu de sa thèse de doctorat, il cherche à répondre à une question somme toute simple, mais largement occultée au sein du débat intellectuel québécois : le Québec possède-t-il une politique étrangère ? Il y répond par la négative, ce qui s’avère plus complexe qu’il n’y paraît, au vu des enjeux théoriques, politiques et épistémologiques que la question soulève. Payette s’y attaque de manière cohérente à l’aide d’une revue historique exhaustive qui démontre que le Québec, bien qu’exploitant le flou juridique de la constitution canadienne, ne s’est jamais totalement sorti du cadre qu’a tenté de lui imposer le gouvernement canadien.

D’abord, l’auteur réalise un survol de la place des États fédérés en relations internationales. Si les courants paradigmatiques de la discipline demeurent stato-centrés, les études axées sur le fédéralisme ont permis l’émergence du concept de « paradiplomatie », qui s’est largement imposé dans la littérature pour décrire l’activité internationale des entités non souveraines. L’utilisation de ce concept aurait cependant mené à plusieurs travers épistémologiques et méthodologiques. D’une part, il semble mener à une surabondance de travaux adoptant une approche empirico-déductive plus proche de la politique comparée que des relations internationales et, d’autre part, il n’a pas débouché sur un modèle d’analyse cohérent des relations internationales des États fédérés.

L’auteur s’affaire ensuite à circonscrire ce qu’est une théorie de la politique étrangère des États fédérés. Compris comme « l’ensemble des principes, orientations, programmes, ententes, institutions et actions qui caractérisent les relations d’un État avec les autres États » (p. 21), le concept de politique étrangère sied parfaitement à l’activité internationale du Québec. C’est d’ailleurs une idée largement répandue, tant chez les chercheurs que les politiques, comme Payette le démontre. Concrètement, trois éléments sont retenus pour pouvoir parler de politique étrangère, soit l’impératif de l’État, le principe d’intérêt national et l’importance de la souveraineté. Si au Québec les deux premiers éléments sont sans aucun doute présents, la question de la souveraineté lui fait défaut. Reprenant la définition d’André Patry (La Capacité internationale des États : l’exercice du « jus tractatuum », Presses de l’Université du Québec, 1983), la souveraineté y est définie par une autonomie interne et une souveraineté externe. L’auteur applique ces éléments aux États fédérés à l’aide d’un modèle en quatre catégories. Il différentie, d’une part, les États possédant des compétences constitutionnelles en matière d’activités internationales et ceux n’en possédant pas et, d’autre part, les États nationaux non souverains des États subétatiques, donc non nationaux. Si les premiers peuvent se targuer de posséder une politique étrangère (ou subnationale étrangère), les seconds posséderaient plutôt une politique de relations internationales, soit « la mise en oeuvre, par un corps politique, suivant son niveau d’autonomie, des grandes orientations de relations internationales, où convergent, par un cadre structurel et doctrinal, l’ensemble des domaines d’activités dirigées – selon ses moyens et ses attributs – vers l’extérieur » (p. 23). L’attribut « politique étrangère » repose donc ici moins sur l’intensité des activités d’un État que sur la non-immédiateté internationale du destinataire.

Le retour aux fondements de la doctrine Gérin-Lajoie et de la position fédérale pave la voie à la revue historique que l’auteur développe ultérieurement dans son ouvrage. Il y offre un éclairage sur la relation conflictuelle entre les deux gouvernements au sujet des affaires extérieures, leurs positions n’ayant pas changé dans les cinquante dernières années. La doctrine québécoise, qui repose sur l’absence de la compétence internationale dans la Constitution, ainsi que sur l’autonomie législative et la détermination par Québec d’affirmer cette autonomie, se heurte à la question centrale de la souveraineté de l’État et à la tradition des relations internationales westphaliennes.

Les chapitres qui suivent offrent la démonstration détaillée, à travers une revue des principaux événements depuis la Révolution tranquille, que le Québec n’a jamais su être pleinement autonome sur la scène internationale et n’a donc jamais mis en pratique une véritable politique étrangère. Ottawa a en effet été continuellement présent pour l’encadrer, voire le restreindre et le bloquer. Ainsi, toutes les représentations québécoises ont été créées avec l’accord d’Ottawa, qui s’opposa d’ailleurs à l’ouverture par le Québec d’une délégation au Sénégal dans les années 1970. La relation privilégiée Paris–Québec qui, par son importance historique et les privilèges dont bénéficie la délégation du Québec à Paris, est la seule à avoir « une allure diplomatique », reste toujours sous pression, par Ottawa et les fonctionnaires du quai d’Orsay. À l’encontre d’une vision largement véhiculée, le Québec n’aurait jamais vraiment cherché à agir seul sur la scène internationale, et même les périodes préréférendaires n’auraient mené qu’à une protodiplomatie limitée. Finalement, Payette remet clairement les pendules à l’heure en ce qui a trait à la politique internationale du Québec qui, bien qu’ayant brisé le monopole que le gouvernement canadien détenait sur celles-ci, a consisté en grande partie en une « diplomatie intergouvernementale » avec Ottawa.

Sur la forme, on reprochera à l’auteur l’utilisation d’une syntaxe parfois lourde et n’aidant pas toujours bien son propos. Celle-ci n’est pas sans rappeler le style déjà présent dans ses précédents ouvrages (p. ex. : Jean-François Payette et Roger Payette, Ce peuple qui ne fut jamais souverain, Fides, 2013). Sur le fond, Payette, qui lui-même mobilisait le concept de paradiplomatie dans son ouvrage Introduction critique aux relations internationales du Québec (Presses de l’Université du Québec, 2009), ne justifie pas de manière suffisamment convaincante son refus de recourir à ce concept pourtant central dans la littérature scientifique. Surtout, en restant muet sur la façon d’articuler ensemble les concepts de politique de relations internationales et de paradiplomatie, l’ouvrage manque probablement une occasion de poser solidement les bases d’un programme de recherche sur l’étude des relations internationales du Québec, ce qui est l’un de ses objectifs avoués. Même constat sur son modèle des activités internationales subétatiques, qui aurait mérité davantage de précisions.

Très bien documenté et enrichi des nombreuses entrevues réalisées par l’auteur, cet ouvrage a le mérite de poser clairement et réalistement l’état actuel des relations internationales du Québec et d’en offrir une perspective historique éclairante. Sa lecture apparaît obligatoire pour quiconque s’intéresse à la politique québécoise ou aux activités internationales des États fédérés. Nul doute qu’il deviendra un incontournable dans ce champ d’études. L’approche juridique mobilisée par l’auteur se démarque de la majorité des ouvrages sur le sujet et représente l’un des principaux attraits de l’ouvrage. Loin des idées reçues et des lieux communs, le travail de Jean-François Payette s’avère d’une grande pertinence afin de renouveler la réflexion, voire la pratique de la politique internationale du Québec, où, comme il le démontre bien, beaucoup reste encore à faire.