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Introduction

Confrontée comme de nombreuses métropoles nord-américaines aux enjeux de la désindustrialisation, Montréal a entamé dès les années 1980 une reconversion économique orientée vers les activités culturelles, les technologies de l’information et des communications, et de l’innovation (Coffey et Polèse, 1999). En termes urbanistiques, cette reconversion s’est traduite par un réinvestissement plus ou moins programmé des anciens secteurs industriels par les institutions du savoir, des technologies et de la culture favorisant une transformation draconienne de ces anciennes friches situées à proximité du centre-ville. Sous l’impulsion d’institutions phares de cette « nouvelle économie » – comme Ubisoft autour du secteur Saint-Viateur dans le Mile End – ou par des stratégies municipales combinant développement économique et régénération urbaine – comme pour le Quartier des spectacles – se sont multipliés dans la métropole québécoise des quartiers thématisés autour de la créativité, de la connaissance et des technologies, dont le multimédia (Klein et Shearmur, 2017).

Dans la continuité des écrits sur les impacts territoriaux de l’ancrage des activités de la nouvelle économie (Pratt, 2000 ; Hutton, 2004 ; Evans, 2009 ; Paris et Veltz, 2010), certains auteurs se sont intéressés, dans le contexte de Montréal, aux rapports entre proximité et innovation (Tremblay et al., 2003 ; Shearmur, 2012a) ou encore aux liens entre régénération urbaine, développement social et compétitivité économique dans certains quartiers (Battaglia et Tremblay, 2011). D’autres travaux ont porté sur les représentations urbaines développées dans les quartiers thématisés autour des nouvelles technologies (Poitras, 2002) et sur l’importance des caractéristiques du cadre bâti dans les choix de localisation des activités culturelles (Rantisi et Leslie, 2010). Plus récemment, des écrits ont exploré les enjeux d’identité urbaine résultant des processus de thématisation des friches industrielles autour du multimédia ou de l’innovation (Shearmur, 2017 ; Tremblay, 2017). En revanche, la contribution de la planification urbaine pour traiter des enjeux de ces processus n’a fait l’objet que de peu d’attention, particulièrement dans le cadre montréalais.

Par cet article, qui constitue le premier volet d’une recherche portant sur le rôle de l’urbanisme dans la fabrication des lieux thématisés autour des nouvelles technologies et de l’innovation à Montréal, nous voulons combler cette lacune en nous intéressant à un territoire particulièrement touché par ces processus de thématisation technologique : les friches industrielles des abords du canal de Lachine. Depuis 2009, le secteur est en effet ciblé par le Quartier de l’innovation (QI), projet d’initiative universitaire soutenu par les différents paliers gouvernementaux – fédéral, provincial et municipal – et par le secteur privé, notamment immobilier.

D’abord pensé par l’École de technologie supérieure (ÉTS) comme un « campus urbain intégré » sans réelle limite géographique, lui permettant avant tout de valoriser ses actifs immobiliers acquis lors de son installation en 1994 dans l’ancien secteur industriel de Griffintown (ÉTS et Université McGill, 2012), le QI s’est progressivement institutionnalisé. Il a pris le statut d’organisme à but non lucratif et a démontré une forte volonté d’ancrage territorial à travers ses quatre piliers fondateurs : urbain, social, technologique et industriel. Beaucoup plus grand que ses équivalents nord-américains (Ananian, 2019), le QI revendique un territoire d’intervention bien délimité qui s’étend sur un peu plus de 3 km2 incluant plusieurs quartiers distincts, soit Griffintown, Petite-Bourgogne, le faubourg des Récollets et une petite partie du centre des affaires. S’il désire s’établir comme un « terrain de jeu » pour l’expérimentation technologique, le QI ne dispose d’aucun pouvoir en termes d’aménagement du territoire et n’a fait l’objet d’aucune planification urbaine particulière. Il englobe cependant plusieurs territoires ciblés par une multitude de plans d’aménagement et de développement urbain, dont la Cité du Multimédia qui, dans les années 1990, a constitué une première tentative de thématisation technologique dans le secteur par des incitatifs fiscaux et des appels à la revalorisation foncière.

Notre objectif avec cet article est alors d’évaluer le niveau d’intégration entre les enjeux de la thématisation technologique des friches industrielles et ceux du développement urbain. Pour cela, nous proposons, dans un premier temps, de revenir sur la vision de la planification en amont de ces projets de thématisation, en évaluant dans quelle mesure une telle planification amorce la reconversion économique, sociale et physique de ces territoires. Nous ferons cela à travers l’étude des plans produits dans les années 1970, commentés par des entrevues avec les acteurs du développement urbain. Dans un deuxième temps, nous poserons la question de la contribution de la planification urbaine au devenir de ces quartiers en interrogeant des acteurs scientifiques, technologiques et culturels sur l’identité de ces territoires.

La régénération urbaine des friches industrielles par la thématisation technologique

Les processus récents de reconversion des friches industrielles vers de nouvelles activités économiques ont été largement abordés dans les écrits en géographie économique et en études urbaines. On pourrait catégoriser ces processus en trois grandes phases, même si cette distinction n’est pas toujours claire et si ces phénomènes se recoupent parfois (Liefooghe, 2010). La première incarnation physique de cette reconversion est celle des quartiers « culturels », qui découlent d’un réinvestissement d’anciens territoires industriels par l’art et la culture.

Certains auteurs décrivent l’aspect d’abord spontané de l’arrivée d’artistes sur le territoire, attirés par les anciens bâtiments industriels offrant de grands espaces à bas prix (Ambrosino et al., 2013). La venue de ces artistes contribue à générer un regain d’intérêt pour les commerçants, les promoteurs immobiliers et les municipalités, pouvant mener par la suite à des phénomènes de gentrification [1] qui finissent par chasser ces mêmes artistes (Zukin et Braslow, 2011). Un autre pan de la littérature s’est intéressé aux quartiers qualifiés cette fois-ci de « créatifs », caractérisés par une concentration importante d’entreprises des nouvelles technologies de l’information et des communications. Tandis que certains expliquent ces phénomènes de clusterisation par les qualités intrinsèques de territoires porteurs d’une certaine ambiance (Hutton, 2006), d’autres évoquent la programmation de ces espaces par les différents paliers gouvernementaux (Evans, 2009) encouragés par le succès retentissant des paradigmes de ville et de classe « créatives » (Landry, 2000 ; Florida, 2002). Le capital humain et urbain y est alors vu comme la clé de la croissance économique. Plus récemment, inspirés de l’expérience barcelonaise (22@ Barcelona), les quartiers dits de l’innovation ont commencé à éclore dans le paysage urbain, cette fois-ci sous le paradigme de la ville intelligente et durable. Les friches industrielles offrent alors un potentiel de relocalisation des universités et centres de recherche dans la ville centre, la proximité étant décrite comme un vecteur de production et de diffusion des connaissances et de l’innovation (Katz et Wagner, 2014).

Le rôle joué par les pouvoirs publics dans ces phénomènes de transformation des friches industrielles a, lui aussi, fait l’objet d’une certaine attention dans la littérature scientifique, les aménités physiques et le cadre urbain étant considérés comme essentiels pour l’attraction des acteurs culturels, créatifs et technologiques (Florida, 2005). Malgré les débats sur des liens supposés entre territoire et innovation (Shearmur, 2012b) et sur le bien-fondé de la thèse de la classe créative (Peck, 2005), des travaux ont montré les diverses stratégies mises en place par les villes pour accompagner le développement des quartiers créatifs et culturels. Ces stratégies vont des simples procédés de marketing urbain jusqu’à la mise en place d’incitatifs financiers (Cohendet et al., 2010), voire la planification entière du territoire par de grands projets urbains qui rassemblent activités résidentielles, économiques, commerciales, éducatives et de loisir (Fainstein, 2000 ; Evans, 2001). De tels aménagements valorisent donc une approche intégrée du développement économique et de la régénération urbaine, fondée sur la mixité des fonctions, la densification résidentielle, la valorisation du cadre bâti et la proximité géographique entre milieu de vie, de loisir et de travail. Dans le cadre des quartiers de l’innovation, ces principes de base sont agrémentés de l’intégration croissante d’outils technologiques dans le milieu urbain et d’une valorisation encore accrue des modes de transport actif et propre (Katz et Wagner, 2014).

Pour certains auteurs, cependant, cette approche intégrée échouerait à faire de ces quartiers de véritables milieux de vie, les grands projets urbains répondant le plus souvent à des priorités guidées par le secteur privé (Rodriguez et al., 2005). Malgré un accent mis sur la mixité sociale, des études empiriques ont montré la mainmise du secteur immobilier sur certains projets de quartiers créatifs ou de l’innovation, menant à de la spéculation financière qui finit par chasser les populations et les activités les plus précaires, notamment créatives (Evans, 2009 ; Charnock et al., 2014). Enfin, l’importance accordée aux activités économiques dans la programmation de ces territoires autour de la technologie et de la culture soulève la question de la thématisation de l’espace, le développement de ces quartiers reposant, selon certains, sur des formes de marketing urbain qui visent à construire, voire à reconstruire l’identité locale pour la rendre plus attractive (Hutton, 2004). Poitras (2002) montre, par exemple, la façon dont l’architecture industrielle est valorisée tout en étant débarrassée des connotations négatives liées aux activités industrielles – bruit, pollution, saleté ou pauvreté – ce qui crée un effet de vitrine dénuant le quartier de toute authenticité et limitant alors le développement d’un sentiment d’appartenance, chez les résidents comme chez les acteurs économiques (Le Bel, 2011 ; Shearmur, 2017 ; Tremblay, 2017).

Cela étant dit, pourquoi les pouvoirs publics continuent-ils d’invoquer cette approche intégrée dans leurs discours lors des processus de régénération des friches urbaines, alors que les procédés de thématisation technologique ne semblent parvenir à influencer significativement ni le développement économique ni le développement urbain ? Pour répondre à cette question, nous nous penchons plus particulièrement sur le cas montréalais, et explorons la contribution de la planification urbaine dans la thématisation technologique des friches industrielles, afin d’en révéler les principaux enjeux.

Méthodologie

L’étude de la transformation des friches industrielles situées aux abords du canal de Lachine permet d’appréhender l’évolution des visions et des approches sur une période d’une trentaine d’années. Le processus de thématisation technologique en cours depuis 2009 sur ce territoire, le QI, succède en réalité à une première tentative lancée en 1998, celle de la Cité du Multimédia, et s’appuie sur une reconversion des activités industrielles entamée en 1979 avec le premier plan directeur du canal de Lachine.

Cet article repose donc, dans un premier temps, sur une analyse documentaire des principaux plans d’aménagement et de développement urbains produits depuis cette année‑là. Après une recherche effectuée auprès des archives de la Ville de Montréal, du Service d’urbanisme et de la mobilité (anciennement Service de mise en valeur du territoire) et de Bibliothèque et archives nationales du Québec (BAnQ), 12 documents ont été recensés et étudiés (tableau 1).

Ces 12 documents ont été étudiés selon une grille d’analyse qui consistait à déterminer tous les éléments se rapportant aux parties prenantes impliquées (acteurs à l’origine des plans, partenaires, population, société civile, etc.), à la vision du développement urbain (aménagements et infrastructures) et à la vision du développement économique (activités ciblées par le zonage, les incitatifs financiers, etc.). Une attention particulière a été portée aux références faites aux anciennes activités industrielles présentes sur ces territoires, qui se sont révélées être des procédés de marketing urbain fréquents dans la thématisation des friches montréalaises.

TABLEAU 1

Liste des 12 plans étudiés

Liste des 12 plans étudiés
Source : Ananian et Borde, 2018

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L’analyse documentaire a été complétée par 35 entretiens semi-dirigés, effectués entre les mois d’août 2017 et octobre 2018. Les premières personnes interviewées ont été choisies à partir des 12 documents de planification urbaine et économique, à titre de parties prenantes directement impliquées dans ces projets. Ces entretiens préliminaires ont permis de trouver, par effet de boule de neige, d’autres interlocuteurs pertinents concernés de près ou de loin par le développement de ces territoires. Enfin, un recensement des institutions scientifiques, culturelles et technologiques présentes sur le territoire nous a permis de compléter cette liste. Ces acteurs ont été contactés par courriel ou par téléphone, pour des entrevues d’une durée d’une heure en moyenne, enregistrées à huis clos.

On peut distinguer deux groupes d’acteurs parmi les personnes interrogées. La première catégorie comprend des « acteurs du développement urbain » (16 personnes), incluant des élus et fonctionnaires de la Ville et de l’arrondissement, des promoteurs immobiliers, des architectes et des urbanistes, ainsi que des groupes communautaires et citoyens. La seconde regroupe les « acteurs scientifiques, technologiques et culturels » (19 personnes), qui inclut des employés ou directeurs d’institutions de la nouvelle économie, notamment des secteurs scientifiques, artistiques, culturels, universitaires et de l’innovation technologique ou sociale. L’objectif de ces entrevues était de commenter la participation de la planification urbaine dans les processus de thématisation technologique, comme outil de programmation de ces espaces, mais également dans la capacité de cette planification à pérenniser le territoire autour d’une nouvelle identité urbaine.

La thématisation technologique des friches industrielles du canal de Lachine

Longtemps considérés comme le berceau de l’industrialisation canadienne (Linteau, 2007), le canal de Lachine et ses quartiers limitrophes connaissent un rapide déclin au tournant des années 1960. Avec l’inauguration de l’autoroute surélevée Bonaventure en 1966, qui favorise le départ des industries vers la banlieue et enclave les quartiers du Sud-Ouest, et avec la fermeture définitive

du canal en 1968, le secteur connaît un important exode de population et une dégradation rapide du cadre bâti (Hanna, 2007). Ce n’est qu’au bout d’une dizaine d’années que l’intérêt pour ces friches commence à renaître avec le transfert de la gestion des abords du canal, en 1978, du gouvernement fédéral à son agence Parcs Canada, dans le cadre des « Accords sur la Récréation et la Conservation » (ARC). Ce programme vise la sauvegarde des composantes naturelles et humaines du patrimoine canadien. La pertinence d’une requalification du secteur en Cité du Multimédia, en 1998, et en QI, 20 ans plus tard, était, bien entendu, impossible à prévoir. Toutefois, l’étude des documents de planification urbaine nous montre une volonté progressive d’amener ces friches industrielles vers une plus grande mixité de fonctions, une densification résidentielle et des interactions entre les activités économiques et la population à travers les technologies (figure 1).

Les premiers éléments de reconversion

Un an après en avoir obtenu la gestion, Parcs Canada produit un premier plan directeur pour le canal de Lachine (Parcs Canada, 1979), lequel propose l’intégration d’activités de loisir et de détente aux équipements déjà en place. La transition vers le secteur récréotouristique n’est cependant pas radicale, puisque Parcs Canada suggère la conservation et la mise en valeur des éléments patrimoniaux et historiques les plus significatifs, et que la fonction industrielle demeure dans certaines parcelles adjacentes. La reconversion des friches vers des activités résidentielles n’est néanmoins pas encore d’actualité, le manque de concertation entre la multitude d’acteurs publics et privés qui se partagent les terrains et infrastructures aux abords du canal rendant difficile l’inclusion de tout projet de logement ou de revalorisation immobilière. En revanche, le plan insiste sur l’importance d’offrir un meilleur accès au canal pour la population limitrophe, et les aménagements visent clairement une amélioration de la qualité du cadre de vie. Si le plan directeur du canal propose déjà comme thématique de mise en valeur patrimoniale « la canalisation et la technologie », il faudra tout de même attendre la fin des années 1990 pour voir naître un véritable processus de thématisation technologique dans le secteur. Cela se fera avec la Cité du Multimédia, située dans le faubourg des Récollets, friche industrielle enclavée entre le secteur historique du Vieux-Montréal et l’autoroute Bonaventure.

FIGURE 1

L’évolution de la planification sur le territoire du QI (1979 à 2015)

L’évolution de la planification sur le territoire du QI (1979 à 2015)
Conception : Ananian et Borde, 2018

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Le développement de la Cité du Multimédia se réalise à une époque où la Ville de Montréal s’inquiète de la spéculation entourant certains quartiers centraux sous-utilisés, qu’elle considère comme des territoires susceptibles de participer à la viabilité économique et au rayonnement culturel de la métropole. Ayant acquis la quasi-totalité des terrains du faubourg des Récollets par l’entremise d’une société paramunicipale (la Société immobilière du patrimoine architectural de Montréal [SIMPA]), la Ville de Montréal, dans son premier plan d’urbanisme (Ville de Montréal, 1992), définit le faubourg comme un secteur de planification particulière pour lequel elle préconise une mixité de fonctions incluant des activités résidentielles, commerciales et de bureau.

Un premier projet presque exclusivement résidentiel, le Quartier des Écluses, est proposé en 1993 (Le Quartier des Écluses Inc., 1993) mais, menacé par la mauvaise conjoncture économique et le manque d’adhésion citoyenne, il laissera finalement la place, à la suite d’une consultation menée auprès d’artistes et de propriétaires du secteur, à la Cité du Multimédia, inaugurée en 1998. Cette dernière est élaborée par un consortium composé de la Société paramunicipale de développement de Montréal (SDM), du bras immobilier du Fonds de solidarité des travailleurs du Québec (SOLIM) et de la Société immobilière Trans-Québec (SITQ) (filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec). Elle vise explicitement la concentration géographique des entreprises du multimédia puisqu’elle réserve l’ensemble de ses bâtiments à ce secteur d’activité. Le gouvernement provincial appuie fortement ce projet en l’accompagnant d’un programme de crédits d’impôt, circonscrit à ce territoire, visant les sociétés spécialisées dans la production de titres du multimédia.

La reconversion sans précédent de ce secteur géographique vers les activités technologiques se fait en outre dans une perspective monofonctionnelle puisque le plan de développement de la Cité, élaboré par deux firmes d’architectes en étroite collaboration avec la Ville, ne prévoit aucune programmation des activités résidentielles, culturelles ou commerciales, considérant que la venue de nouveaux travailleurs suffira à « transformer radicalement le secteur et créer une demande en services de toutes sortes » (Cardinal Hardy et Provencher Roy & Associés, 1999 : 57). Si le passé industriel du quartier est là encore valorisé, il se limite à une conservation patrimoniale du cadre bâti et des trames de rues, à laquelle se superposent des éléments plus actuels associés au multimédia, notamment des jeux de lumière et des installations extérieures.

L’intégration tardive de la mixité des fonctions

Au tournant des années 2000, la revalorisation des friches situées aux abords du canal de Lachine se poursuit, cette fois-ci un peu plus vers l’ouest. Tandis que la mise à jour du plan directeur du canal en 2004 (Parcs Canada, 2004) confirme la nouvelle vocation du secteur autour des activités récréotouristiques et de la conservation du territoire, la Société du Havre de Montréal (SHM) publie, la même année, sa Vision 2025 pour le secteur du Havre, vaste territoire incluant entre autres le district encore industriel de Griffintown et le Vieux-Montréal. Créé en 2002 à la suite du Sommet de Montréal, cet organisme à but non lucratif a alors pour mission de « ramener la ville vers son fleuve » (SHM, 2004 : 5) à travers les potentiels de développement résidentiel, récréatif, touristique, culturel, commercial et industriel du secteur.

Parmi les nombreux projets proposés par la SHM, deux verront le jour sur notre territoire d’étude, soutenus par le nouveau plan d’urbanisme (Ville de Montréal, 2004) : les Bassins du Nouveau-Havre et l’abaissement de l’autoroute Bonaventure. Le premier, en 2007, est confié à la Société immobilière du Canada (SIC) et à la firme d’architectes Cardinal Hardy. Il consiste à développer, à l’échelle d’un îlot, un vaste complexe résidentiel de 2 000 logements, incluant 500 unités de logement social, couplé à quelques commerces (Groupe Cardinal Hardy et al., 2009). Le second repose sur la transformation du tronçon surélevé de l’autoroute Bonaventure en boulevard, seul élément conservé du projet fortement réprouvé de « Quartier Bonaventure » présenté en 2009 par la SHM, qui programmait un nouveau milieu de vie de type centre-ville basé sur la densification des édifices résidentiels et de bureaux le long de l’axe viaire. À l’instar de la Cité du Multimédia, ces projets proposent de valoriser le passé industriel des lieux tout en lui donnant une connotation plus positive et moderne, puisque les Bassins du Nouveau-Havre, qui s’inspirent d’une architecture portuaire, participent à la décontamination du secteur, tandis que le Quartier Bonaventure vise à rétablir « les liens entre les faubourgs d’autrefois [et à poser] les jalons d’un projet architectural tourné résolument vers l’avenir » (SHM, 2009 : 7).

Si l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) a remis en cause la viabilité économique et la pertinence urbanistique et sociale du Quartier Bonaventure, le Projet Griffintown du promoteur Devimco a connu un sort plus heureux. Proposant lui aussi la programmation complète d’un vaste complexe incluant logements, bureaux, salles de spectacle et hôtels, le projet est soutenu par un programme particulier d’urbanisme (PPU) adopté en 2008 par l’arrondissement du Sud-Ouest, qui mène à lui seul le processus de consultation publique. Bien que controversé, notamment parce qu’il adopte des principes d’aménagement propres au tissu périurbain, le Projet Griffintown permet à l’arrondissement d’offrir une nouvelle vision pour Griffintown, quartier présenté dans le plan d’urbanisme de 2004 comme un des 26 secteurs « d’intérêt pan-montréalais », après des années de délaissement. Comme le faubourg des Récollets, ce secteur zoné exclusivement industriel depuis 1963 connaît alors une reconversion radicale de ses activités, cette fois-ci dans une perspective de mixité. En revanche, s’il propose lui aussi de « préserver le caractère et l’échelle urbaine associés au passé industriel du secteur » (Ville de Montréal, 2008 : 7) le PPU facilite également la destruction d’un nombre important de bâtiments historiques.

L’émergence progressive des références à l’innovation

Malgré l’installation, en 1994, de l’ÉTS dans le secteur et sa volonté annoncée d’y développer un campus intégré favorisant la collaboration avec les institutions spécialisées en ingénierie, ce n’est qu’en 2013, avec l’adoption d’un second PPU que la créativité et l’innovation sont réellement intégrées dans la planification et considérées comme « des facteurs identitaires déterminants du quartier » (Ville de Montréal, 2013 : 5). Élaboré après une longue série de consultations publiques menées cette fois par l’OCPM dans les locaux-mêmes de l’ÉTS, le PPU propose de revoir à la baisse certaines limitations de hauteur et de densité, en réaction aux critiques qui ont entouré le projet de Devimco, déjà fortement affecté par la crise économique. En réduisant les activités industrielles aux seules industries légères et axées sur l’innovation, le document confirme la volonté de reconversion économique, cette fois vers le savoir. Le PPU propose ainsi d’élargir le paramètre des activités de l’ÉTS et, bien qu’il ne contienne aucun plan d’aménagement ou de développement qui lui soit consacré, il évoque et valorise le projet de QI à plusieurs reprises. Il conserve néanmoins les principes de mixité énoncés dans le premier PPU, à appliquer dans le développement commercial, la densification résidentielle – incluant du logement abordable et social –  et les activités culturelles. La qualité du milieu de vie est également au coeur du plan, qui veut favoriser le développement piétonnier, réduire le stationnement sur rue, verdir les espaces et conserver, cette fois encore, ce qu’il reste du patrimoine et du caractère historique du lieu.

Dans la lignée du principe de planification particulière valorisé par le second plan d’urbanisme (2004), un PPU est également adopté en 2015 pour le Quartier des gares (Ville de Montréal, 2015), situé au nord de Griffintown. Ce PPU promeut à son tour la densification résidentielle, fondée sur la revalorisation de bâtiments patrimoniaux et la construction de grandes tours à logements, et incluant des logements abordables. Vantant la proximité de divers réseaux de transport, de nombreux commerces, d’établissements universitaires et de bureaux, le plan met de l’avant une stratégie de mobilité reposant sur les principes du développement durable en encourageant les modes de déplacement actif, le transport en commun et l’autopartage. Sans proposer de nouvel aménagement ou de modification au zonage – à l’exception notable des rez-de-chaussée commerciaux intégrés à certaines tours résidentielles – le PPU prend le soin de rappeler aussi la proximité de certains équipements culturels et récréatifs majeurs, de grands hôpitaux et d’institutions d’enseignement telles que l’ÉTS.

L’analyse des documents de planification sur une période de plus de 30 ans nous montre donc une évolution certaine des visions et des approches dans la reconversion des friches industrielles bordant le canal de Lachine. Alors que les premières tentatives de revalorisation des anciens territoires industriels reposent sur des mécanismes centralisés par la Ville, parfois en collaboration avec les instances provinciales et fédérales, le plan d’urbanisme de 2004 déclare favoriser une approche plus locale, orientée par les arrondissements dans une démarche participative – parfois controversée. Les échelles d’intervention varient également, puisqu’aux plans d’envergure entourant le canal de Lachine et le Havre de Montréal et aux interventions très localisées des Bassins du Nouveau-Havre et de la Cité du Multimédia succèdent les PPU, qui reposent sur une vision intégrée à l’échelle du quartier. La thématisation technologique du territoire se fait enfin plus subtile, abandonnant la programmation menée par les pouvoirs publics pour des projets proposés par le milieu universitaire, eux-mêmes favorisés par des principes de mixité, d’innovation technologique et de durabilité, et intégrés de façon de plus en plus systématique sur l’ensemble du territoire. Une constante demeure cependant dans l’ensemble des plans, celle de la mobilisation du passé industriel pour justifier les transformations physiques, sociales et économiques qu’ils proposent au présent.

Milieu de vie ou lieu d’ancrage des activités économiques ? Les raisons d’un décalage certain dans la planification urbaine

Si les documents de planification montrent une volonté forte d’orienter la reconversion économique des friches industrielles vers la mise en place d’un véritable milieu de vie, des écrits récents autour de la Cité du Multimédia (Tremblay, 2017) et du QI (Shearmur, 2017) remettent en cause la capacité de ces projets de thématisation technologique à s’établir comme des leviers favorisant l’émergence de nouvelles identités urbaines. Les entrevues semi-dirigées réalisées avec des acteurs du développement urbain impliqués dans la planification et des acteurs scientifiques, technologiques et culturels ciblés par ces plans nous ont permis de mieux comprendre les raisons de ce constat. Les résultats de la recherche mettent de l’avant trois problèmes principaux : un développement peu intégré entre les dimensions immobilières, économiques et sociales ; des processus de participation peu inclusifs ; et un développement urbain de type opportuniste contraint par le manque de leviers de la part des acteurs publics.

Un développement peu intégré autour du canal de Lachine

Les larges plans d’ensemble menés par Parcs Canada dans le cadre de la revalorisation des berges du canal et par la SHM pour le territoire du Havre de Montréal ont été fortement affectés par un partage complexe des rôles et responsabilités entre les acteurs publics des différents paliers gouvernementaux et les propriétaires privés. Parcs Canada, qui doit composer avec des parcelles de terrains cédées à diverses agences fédérales et municipales, consacrées au transport ferroviaire ou réservées à certaines industries, se retrouve donc limité dans ses interventions face à un manque de coopération lié à des « objectifs économiques, culturels et sociaux [qui] ne sont pas toujours convergents » (Parcs Canada, 2004 : 67). Bien que mandatée par la Ville de Montréal, la SHM doit quant à elle se contenter de formuler des recommandations, ce qui conditionne sa capacité d’agir à la mise en place de partenariats public-privé où « la contribution du secteur public se traduirait par la cession de terrains et celle du secteur privé, par l’apport des capitaux nécessaires à leur mise en valeur » (SHM, 2004 : 13).

Alors que les consultations publiques menées par l’OCPM montrent un décalage parfois important entre les besoins des résidents et les principes énoncés par la SHM, le développement peu intégré aux abords du canal de Lachine a également menacé le déploiement des activités économiques, comme le raconte ce participant aux entrevues, dont l’entreprise s’est installée dans la Cité du Multimédia à la fin des années 1990 : « Les gens n’étaient pas du tout contents. […] C’est pas que c’était dangereux, Montréal c’est pas une ville dangereuse, mais c’était peut-être plus apeurant que dangereux, parce que c’était dans le temps que le canal de Lachine était pas creusé, tous les édifices étaient presque à l’abandon, puis c’était un petit peu flyé d’avoir un déménagement ici » (#12, acteur technologique).

En plus de retarder le démarrage effectif des travaux de restauration du canal et d’empêcher la réalisation de certains projets de la SHM, cette absence de coordination entre acteurs a également affecté les populations locales, notamment les travailleurs, et leurs rapports au territoire au quotidien.

Des processus de participation peu inclusifs dans la création de la Cité du Multimédia

Bien que l’acquisition anticipée par la SIMPA de la plupart des bâtiments et terrains du faubourg des Récollets ait permis d’éviter cette contrainte de gouvernance partagée, le projet de la Cité du Multimédia a lui aussi souffert d’un manque flagrant de vision concertée. L’ensemble des participants à nos entretiens s’accordent ainsi pour dire que sa planification s’est faite sans consultation avec le milieu, ce qui s’inscrivait, selon les acteurs du développement urbain interrogés, dans les pratiques de l’époque : « Y a pas eu de consultation. Y a eu un processus d’approbation relativement simple. Dans le fond, on changeait pas les choses tant que ça. On faisait juste consolider les choses. Puis comme y avait pas de logements dans le secteur, y a pas eu d’opposition » (#32, acteur urbain).

Cependant, pour la plupart de nos intervenants du milieu du multimédia, la Cité, qui « a pris tout le monde par surprise » (#30, acteur technologique) n’a pas su répondre aux besoins des entreprises qu’elle visait, et le programme de crédit d’impôts circonscrit à un territoire assez retreint a été largement vécu comme une contrainte plutôt qu’une occasion : « Cette contrainte-là a été toujours perçue, je dirais pas d’une mauvaise façon, mais mal perçue, en disant "on est dans un monde numérique, avec de plus en plus de capacités à faire véhiculer autant en amont dans le processus de production, véhiculer des éléments de contenu, que lors de la diffusion. Pourquoi obliger les gens à aller dans un endroit ?" » (#30, acteur technologique). L’un des répondants voit alors dans cette mesure fiscale des externalités qui répondent avant tout au secteur immobilier : « Le fait de rattacher des crédits d’impôt à des bâtisses spécifiques, y a un risque économique assez important. Est-ce qu’une partie des bénéfices qui devaient aller aux entreprises qui s’installaient se sont retrouvées plutôt dans les poches des promoteurs immobiliers ? » (#27, acteur technologique).

À une époque où le gouvernement provincial voyait dans les activités du multimédia un potentiel de relance économique, l’intégration de ce type particulier d’activités dans la planification de la Cité semble avoir reposé davantage sur « un concours de circonstance » (#34, acteur du développement urbain), voire un choix opportuniste, que sur des caractéristiques intrinsèques au territoire. C’est d’ailleurs ce que paraît confirmer la succession, sur le même territoire, du projet résidentiel du Quartier des Écluses puis du projet économique de la Cité du Multimédia, ainsi que le départ de nombreuses entreprises du multimédia au profit d’une plus grande diversité d’activités après la fin de la mesure fiscale, remplacée en 2003 par des subventions accordées sans contrainte de localisation. Enfin, la Cité du Multimédia n’a pas su développer une nouvelle identité urbaine pour le quartier : « Je ne sais pas ce que c’est maintenant, la Cité du Multimédia. Ça n’est pas évoqué dans l’actualité de l’industrie beaucoup. Ça reste plus, maintenant, un point géographique. Pour aller dans la Cité, les gens me disent " je m’en vais dans le Vieux " » (#30, acteur technologique).

Cette difficulté de faire émerger une nouvelle identité semble donc reposer sur le manque de prise en compte des spécificités du territoire dans la planification de la Cité du Multimédia, sur l’absence de concertation avec le milieu, ainsi que sur le report de la responsabilité du développement résidentiel, commercial et culturel sur la seule arrivée des travailleurs du secteur du multimédia.

Du bricolage territorial pour le QI

Contrairement à l’approche sommet-base (top-down) mobilisée dans la Cité du Multimédia, la revalorisation des friches industrielles à l’ouest de l’autoroute Bonaventure s’est faite à une époque de décentralisation administrative sur le plan urbanistique. L’usage des PPU pour le développement de Griffintown ne semble cependant pas avoir suffi à rééquilibrer l’importance des questions économiques, sociales et identitaires dans la planification du territoire. Si la connivence entre Devimco et l’arrondissement du Sud-Ouest est évidente dans le cadre du premier PPU, c’est l’ÉTS qui, de façon certainement plus subtile, semble avoir insufflé sa vision du quartier pour le second. C’est en tout cas l’avis de cet interviewé : « Le PPU de 2013 propose ainsi de "supporter l’expansion potentielle du campus de l’École de technologie supérieure" (Ville de Montréal, 2013 : 65) et évoque explicitement le projet du QI, d’abord pensé par l’ÉTS dans l’objectif de revaloriser ses actifs immobiliers non développés » (ÉTS et Université McGill, 2012 : 29). En se focalisant cette fois-ci sur l’innovation et la créativité comme « facteurs identitaires déterminants du quartier » (Ville de Montréal, 2013 : 5), le PPU semble avoir encore une fois manqué un arrimage nécessaire avec les autres dimensions du territoire.

S’il soutient le projet, le PPU n’accorde au QI aucun pouvoir en termes d’aménagement du territoire ou de programmation économique, son intervention se limitant à animer et mettre en réseau les acteurs concernés par l’innovation technologique et sociale. À l’inverse de la Cité du Multimédia, les pouvoirs publics n’ont pas non plus mobilisé d’outil urbanistique particulier pour en faciliter le développement : « Tout ce qui s’est fait dans la Cité du Multimédia, il y avait une volonté gouvernementale de subventionner des entreprises pour qu’elles viennent s’installer là, puis développer ce créneau-là. Alors que dans le QI, il y a une volonté de concentrer certaines activités, mais il n'y a pas d’incitatif financier » (#33, acteur urbain). Ayant acquis le statut d’organisme à but non lucratif en 2013, le QI bénéficie en outre d’un budget assez réduit (soutenu à 50 % par les instances municipales, provinciales et fédérales, et à 50 % par le secteur privé) qui lui permet simplement d’assurer des activités de réseautage ou de promotion.

Néanmoins, nos entretiens démontrent une volonté très forte du QI de s’ancrer dans le territoire afin d’assurer sa légitimité auprès des acteurs institutionnels et de l’innovation technologique et sociale, mais aussi auprès des communautés locales (résidentielles, culturelles, des affaires). Ses délimitations géographiques, inhabituellement grandes pour un projet de ce type (Ananian, 2019), peuvent alors s’expliquer par la volonté de réunir en son sein des territoires qui rejoignent les quatre volets sur lesquels il repose : urbain, social, technologique et industriel. La Cité du Multimédia lui assure ainsi la présence de nombreuses entreprises technologiques, Griffintown réunit les activités universitaires et industrielles, le quartier populaire de la Petite-Bourgogne concentre logements accessibles et groupes communautaires, le Quartier des gares lui donne une image de durabilité et favorise la mobilité autre qu’automobile, et le centre des affaires lui offre une légitimité en termes d’emplois institutionnels et de bureau. Pour autant, ce « bricolage territorial » ne semble pas toujours convaincant pour les autres joueurs du quartier qui, lors des entretiens, démontrent un manque d’adhésion important, voire une méconnaissance totale du projet. Pour certains répondants scientifiques, technologiques et culturels, le QI jouerait en effet un rôle mineur dans le développement du territoire, s’appropriant des dynamiques qui auraient existé sans son influence. Quelques-uns critiquent également l’attention portée à ce secteur géographique précis, quand l’innovation ne reposerait pas nécessairement sur un ancrage territorial particulier.

Conclusion

La reconversion des activités industrielles vers de nouveaux secteurs économiques est donc au coeur des plans d’aménagement et de développement urbain étudiés, avec un accent progressif mis sur la mixité des fonctions, la qualité du cadre de vie et, plus récemment, l’innovation. Cependant, malgré la diversité des visions et des approches développées depuis le premier plan d’aménagement du canal de Lachine jusqu’aux PPU de Griffintown et du Quartier des gares, on remarque, dans les tentatives de thématisation technologique des friches industrielles montréalaises, une difficulté certaine à arrimer les projets de développement économique et urbain, limitant de ce fait l’émergence d’une nouvelle identité urbaine pour ces territoires. L’idée d’un rapport entre territoire et innovation demeure au coeur du développement immobilier et du branding territorial, qui continuent à valoriser la concentration géographique des institutions du savoir et de la nouvelle économie, sans prendre en compte la littérature scientifique qui remet en cause un tel lien pour créer de l’emploi ou générer de l’innovation, et sans mettre en place un réel processus de consultation auprès des acteurs concernés.

L’étude des enjeux de la thématisation technologique et de la planification urbaine révèle plusieurs éléments sur lesquels peuvent reposer les difficultés pour la Cité du Multimédia et le QI à s’imposer comme de nouveaux territoires identitaires pour les acteurs technologiques et urbains, ainsi que l’ont révélé la littérature et nos entrevues semi-dirigées. L’arrivée tardive du multimédia et de l’innovation technologique dans les plans, qui reposent en outre souvent sur une réinterprétation du passé industriel du territoire de façon opportuniste, témoigne d’un manque de réelle vision économique pour le secteur et offre donc une réponse insuffisante aux besoins réels des institutions visées. Par ailleurs, nous constatons un manque flagrant de vision concertée, avec des plans qui se font écho mais ne se répondent pas. Si la planification urbaine a échoué à développer une réelle vision d’ensemble pour ces territoires, elle a tout de même accompagné leur émergence, de façon directe pour la Cité du Multimédia, et indirecte pour le QI.

Le décalage entre le projet économique et le projet urbain, tout comme le bricolage territorial dans le processus de thématisation technologique, ne contribuent pas à l’émergence d’une nouvelle identité urbaine et nuisent, par conséquent, à l’ancrage des activités économiques et à l’émergence d’une nouvelle identité urbaine reconnue par les communautés locales. Par cet article, nous démontrons alors les limites, mais également les potentiels de la planification urbaine dans la thématisation technologique des friches industrielles.

Ainsi, malgré l’accent que met la littérature récente sur les quartiers de l’innovation et sur l’importance des acteurs publics dans le développement de ces territoires, notre étude de cas montre qu’il y a encore un travail de taille à faire pour dépasser le développement immobilier et le branding territorial. Mais elle démontre également la difficulté pour les acteurs économiques ou universitaires de porter à eux seuls la mise en place d’une identité urbaine pour le quartier, ainsi que la nécessité de compter sur une approche plus dynamique et proactive des pouvoirs publics. La pérennité de ces territoires repose alors sur une nécessaire vision concertée entre les divers acteurs publics, privés et citoyens dépassant les partenariats public-privé classiques pour proposer une réelle approche intégrée du développement économique et urbain.