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Introduction

La Loi concernant les soins de fin de vie (ci-après la Loi), adoptée en 2014 par l’Assemblée nationale du Québec et entrée en vigueur en décembre 2015, a considérablement fait évoluer le droit en matière de fin de vie. Elle a notamment créé le droit aux soins de fin de vie, incluant les soins palliatifs et l’aide médicale à mourir (AMM), encadré le recours à la sédation palliative continue et institué un régime de directives médicales anticipées qui exclut cependant la possibilité de demander l’AMM à l’avance en prévision d’une perte d’aptitude à consentir aux soins. Cet article porte sur l’administration des demandes d’AMM. Cette pratique, aussi appelée euthanasie volontaire, consiste en l’administration de médicaments par un médecin à une personne en faisant la demande dans le but d’entraîner son décès (Québec 2014 : art. 3(6)). Au moment de mon enquête, six conditions légales et cliniques devaient être réunies pour qu’une personne puisse obtenir l’AMM : la personne demandeuse doit être couverte par l’assurance maladie publique, être majeure et apte à consentir aux soins, être en fin de vie, être atteinte d’une maladie grave et incurable, avoir une condition médicale à un stade de déclin avancé et irréversible, et éprouver des souffrances physiques ou psychiques insupportables (ibid. : art. 26[1]).

Dans les faits, les protagonistes impliqués dans l’administration des demandes d’AMM — les professionnels, les patients et leurs proches — se retrouvent moins à appliquer le droit et la médecine qu’à tracer les contours de l’AMM, légalement définie comme un « soin », en tant que service public. L’administration des demandes d’AMM se déroule dans le cadre d’une « relation administrative » (Dubois 2010) qui implique une demande formelle, la signature d’un formulaire de demande, la présence de témoins, deux évaluations médicales et le remplissage de formulaires de déclaration. Malgré son formalisme, la bureaucratie n’est pas pour autant froide, désincarnée, calculatrice et sans pitié (Weller 2000). La logique de prestation de services vers laquelle évolue l’État-providence invite les agents de l’État à ne plus appliquer les règles de manière uniforme, mais à tenir compte des contextes et situations particulières des personnes demandeuses (id. 1999 : 9). En ce sens, l’encastrement de l’AMM dans les soins s’appuie au moins autant sur une « éthique en actes » que sur des dispositions législatives et des protocoles cliniques. Par « éthique en actes », j’entends une approche contextualisée de l’éthique telle qu’elle prend forme à travers les actions, pratiques et discours au quotidien (Paillet 2007 ; Fortin et al. 2016). Même si la Loi place les cliniciens dans une situation nouvelle, caractérisée par la binarité de la légalité et de l’illégalité, la pratique de l’AMM se produit tout de même dans un espace social et relationnel comme c’est le cas des pratiques cliniques de manière générale (Fortin et Knotova 2013). En pratique, l’administration des demandes d’AMM suit ses propres règles, qui s’appuient plus ou moins sur des dispositifs formels, comme le montre mon enquête.

L’enquête

Mon enquête a porté sur l’administration des demandes de mort à partir de deux démarches controversées, l’AMM au Québec et l’assistance au suicide dans le canton de Vaud en Suisse, et été menée de 2015 à 2019[2]. Cet article se concentre sur la partie du volet québécois conduite dans un hôpital de la grande région de Montréal. Cette partie de l’enquête inclut des observations et des entretiens qui ont été réalisés entre 2017 et 2019. Les observations, totalisant cinquante-cinq heures, ont eu lieu lors de dix-sept rencontres du groupe interdisciplinaire de soutien (GIS) à l’AMM et de trois rencontres thématiques entre professionnels, ainsi qu’à différentes étapes de l’administration de quinze demandes d’AMM (rencontres préparatoires entre professionnels, évaluation, administration, groupes de parole). Mes observations n’étaient participantes que lors des rencontres du GIS, où il était attendu que je commente l’actualité sur la question de l’AMM et fournisse des mises en perspective sociologiques à ce groupe qui offre un soutien clinico-administratif aux équipes chargées d’administrer des demandes. Cette partie de l’enquête s’appuie également sur quarante entretiens, réalisés sur le mode de la conversation (Kaufmann 2007), d’une durée de 21 minutes à 3 h 30, et ce, avec 31 professionnels de la santé (médecins, infirmières, infirmières conseillères, infirmières-cheffes, pharmaciens, intervenants en soins spirituels, psychologues, préposé à l’entretien), une personne demandeuse et huit proches. J’ai analysé les notes tirées de l’observation et les transcriptions d’entretiens à l’aide du logiciel de gestion de données qualitatives NVivo. L’analyse thématique a permis d’identifier des maximes pratiques, entendues de façon récurrente au cours de l’enquête, qui balisent l’éthique en actes mise en oeuvre par les acteurs au cours de l’administration de demandes d’AMM.

Conditions de possibilité, régimes d’action et éthique en actes

Au cours de mon enquête et à partir de la lecture d’enquêtes ethnographiques sur l’assistance à mourir (Pool 2000 ; Norwood 2009 ; Stavrianakis 2017 ; Buchbinder 2018 ; Gandsman 2018), j’en suis venu à identifier quatre conditions de possibilité de l’« assistance à mourir », un terme générique que j’emploie pour désigner autant l’auto-administration (suicide assisté) que l’administration par autrui (euthanasie) de la mort. Ces conditions de possibilité minimales ne recoupent ni nécessairement ni pleinement les critères d’accès cliniques et légaux. Lorsque ces conditions de possibilité sont remplies, des acteurs peuvent envisager de mettre en oeuvre une assistance à mourir[3]. Parfois, les critères légaux et cliniques sont plus restrictifs que ces conditions de possibilité, notamment dans les contextes où cette pratique est prohibée, ce qui n’empêche pas que l’assistance à mourir y soit pratiquée clandestinement dans de rares cas dont la fréquence fait débat (Magnusson 2004). D’autres fois, les conditions de possibilité sont plus restrictives que les critères légaux et cliniques, par exemple lorsque la situation de la personne demandeuse suscite des doutes quant au fait que l’AMM soit la réponse la plus appropriée à la souffrance de la personne, bien que celle-ci réponde aux critères (Gupta et Blouin 2021). Les quatre conditions de possibilité que j’ai identifiées sont les suivantes :

  1. La mort doit pouvoir être présentée comme l’objet d’une conviction personnelle.

  2. L’assistance à mourir doit pouvoir être distinguée des morts que l’on cherche à prévenir, notamment le meurtre et le suicide.

  3. La différence entre l’assistance à mourir et les morts que l’on cherche à prévenir doit pouvoir être indiquée par la demande d’une personne « autonome ».

  4. Une personne doit accepter de fournir l’assistance demandée.

À ces conditions s’articulent des discours, des dispositifs formels et une « éthique en actes » qui permettent aux acteurs engagés dans l’administration de demandes d’AMM de parvenir à une entente sur la possibilité de mener à bien l’assistance à mourir.

La réalisation de ces conditions passe par des actions dont les orientations sont bien saisies par les concepts de « régime d’amour » et de « régime de justice » élaborés par Luc Boltanski. Ce sociologue a notamment élaboré ces concepts dans ses travaux sur la « compétence au jugement » (1990) et sur la souffrance (2007 [1993]). Sans prétendre que la souffrance est le seul motif du recours à l’AMM, elle est tout de même l’un des principaux ressorts de la justification éthique et médicale de cette pratique (Gupta et Blouin 2021). Boltanski distingue deux orientations possibles pour qui fait face à la souffrance : l’amour et la justice. Un régime d’amour implique la considération des souffrances actuelles — plutôt que des souffrances passées ou futures — « telles qu’elles s’incarnent dans une personne particulière », une « contrainte de singularité qui rend délicate l’opération de passage au collectif » (Boltanski 2007 : 353). Dans ce régime, l’« esprit secourable » qui anime les acteurs s’accompagne de la « suspension du jugement qui soulage du poids de la preuve » (ibid. : 351, 353). Prodiguer l’AMM implique certainement l’appréciation de la souffrance de la personne demandeuse, mais ce jugement n’a pas, en régime d’amour, la prétention d’être justifiable à la lumière d’autres cas comparables. L’horizon de l’action est alors le soulagement immédiat de la souffrance perçue. En revanche, en régime de justice, la réflexion des acteurs porte moins sur un cas particulier que sur la justification des décisions et l’attribution des responsabilités (ibid. : 350-351). Dans une situation d’AMM, le jugement posé cherche, en régime de justice, à établir des équivalences, à partir de principes, entre des situations comparables de façon à déterminer la marche à suivre la plus juste. Par exemple, on pourrait chercher à appréhender toutes les demandes d’AMM à partir du principe de l’autonomie afin de déterminer lesquelles accepter. Mon enquête m’a amené à conclure que l’éthique en actes sur laquelle s’appuie l’administration des demandes d’AMM emprunte à ces deux régimes d’action distincts qui, dans les situations d’assistance à mourir, ne sont pas nécessairement opposés et parfois complémentaires. Cette éthique en actes rend possible une entente sur la réalisation des quatre conditions de possibilité.

Les contours d’une éthique en actes

À l’appui de mon enquête, j’ai dégagé les contours d’une éthique en actes qui prend la forme de ce que Boltanski appelle un « modèle de compétence au jugement » (1990 : 75-90). J’ai pu observer ces compétences au jugement à travers l’emploi de maximes pratiques par les acteurs. Suivant le travail de D. Lawrence Wieder (2010), Daniel Cefaï et Edouard Gardella identifient les « maximes pratiques » qui composent le « code du maraudeur » à partir d’une enquête ethnographique du Samusocial de Paris, qui vient en aide aux personnes démunies :

L’enquête réfléchit alors une série de maximes pratiques qui organisent le « code du maraudeur », pratiqué sans être réfléchi, qui n’est écrit nulle part, mais dont les intervenants sociaux peuvent, à l’occasion, dans une situation de tension, de pointage d’une erreur ou de rappel à l’ordre, énoncer l’une ou l’autre maxime.

Cefaï et Gardella 2011 : 22

Les auteurs précisent que ces maximes pratiques ne sont pas appliquées :

[Les acteurs ne] les formulent que rarement, après coup, dans des situations problématiques et […] elles n’éclairent que d’une lumière rétrospective ce qui a été dit ou fait. L’enquêteur peut légitimement abstraire, au terme d’observations répétées de séquences d’activités situées, un code des activités et des interactions de la maraude, mais sans oublier les conditions de possibilité et sans outrepasser les limites de validité de son analyse.

Ibid. : 277

Les compétences au jugement ne reflètent « pas uniquement une compétence langagière », mais aussi la compétence de « construire des assemblages d’objets, des dispositifs qui se tiennent et dont on puisse donc relever la justesse » (Boltanski 1990 : 79). Mon enquête m’a permis d’identifier quatre couples de maximes qui dessinent les contours de l’éthique en actes de l’AMM, balisent l’engagement dans les régimes d’amour et de justice, et assurent ainsi la réalisation des quatre conditions de possibilité, comme l’expose le tableau 1.

Tableau I

Les maximes pratiques associées aux régimes d’amour et de justice qui balisent la réalisation des conditions de possibilité de l’assistance à mourir

Les maximes pratiques associées aux régimes d’amour et de justice qui balisent la réalisation des conditions de possibilité de l’assistance à mourir
Source : Blouin S., 2020, Administrer les demandes de mort : comparaison de l’aide médicale à mourir (Québec) et de l’assistance au suicide (canton de Vaud). Thèse de doctorat, Département de sociologie, Université de Montréal, et Institut de sciences sociales des religions, Université de Lausanne, p. 393.

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Reconnaître que l’on choisit sans choisir

La première condition de possibilité requiert que la mort puisse être représentée comme l’objet d’une conviction personnelle. Mourir doit pouvoir être pensé comme quelque chose que l’on peut décider et faire, et non seulement comme quelque chose qui arrive (Hintermeyer 2011 : 172). Les acteurs ont recours à deux maximes pratiques pour baliser cette première condition : « c’est son choix » ou « c’est mon choix », et « c’est une situation sans issue » ou « sans choix ». Il faut reconnaître la situation comme en étant une de choix en l’absence perçue de choix, que l’on choisit sans choisir (Stavrianakis 2017).

D’abord, les acteurs engagés dans l’administration des demandes d’AMM réaffirment constamment que « c’est le choix » de la personne, que « c’est sa décision ». Le fait de reconnaître le choix revient dans le discours des professionnels et des proches au sujet de la décision de la personne demandeuse d’avoir recours à l’AMM, y compris chez des acteurs qui s’opposent à l’AMM par principe. J’ai notamment pu l’observer au cours d’une rencontre préparatoire à l’administration d’une AMM (notes d’observation, cas no 4[4]). Cette rencontre, organisée par une infirmière conseillère en soins spécialisés, Nadia[5], vise à préparer l’équipe soignante de l’unité où aura lieu l’administration. Huit personnes y prennent part : des infirmières, des infirmières auxiliaires, un intervenant en soins spirituels, l’infirmière-cheffe, Nadia et moi. Nadia présente la demande d’un patient de 90 ans atteint d’un cancer de l’estomac dont la douleur est contrôlée, mais qui souffre d’une grande lassitude de la vie. Nadia invite les personnes présentes qui ont une « objection de conscience » à en parler avec leur gestionnaire et à faire part de leur « malaise ». Quelques personnes présentes expriment un tel malaise, que ce soit l’intervenant en soins spirituels, de conviction catholique, qui est plus ou moins d’accord avec l’AMM, ou encore une infirmière qui invoque son « héritage judéo-chrétien » auquel elle dit ne pas pouvoir échapper. Malgré tout, chacune de ces interventions se conclut par la volonté de respecter le « choix » ou la « décision » du patient, bien que l’accompagnement que ces personnes disent pouvoir fournir devra s’arrêter avant l’administration des médicaments. En dépit des désaccords, personne ne remet en question la possibilité que la demande du patient aille de l’avant. La maxime « c’est son choix » opérationnalise un régime de justice qui implique la justification des décisions en vertu de critères d’équivalence par-delà des cas particuliers, ici le respect de la conviction d’autrui. La sécularisation a rendu imaginable pour une foule d’individus — croyants ou non — la coexistence d’une variété de convictions (Taylor 2007 : 19-20). Au Québec, l’État organise la possibilité de ce « choix » par le dispositif de l’AMM qui doit aussi respecter les convictions des professionnels appelés à participer à ce processus[6]. Les maximes pratiques organisent en partie la façon dont les personnes concernées modulent leur participation pour tenter d’accommoder les différentes convictions en présence, sans nécessairement énoncer des principes ou ressortir à des dispositifs formels.

Pour que l’administration d’une demande d’AMM aille de l’avant, le « choix » de la personne demandeuse ne suffit pas. Les acteurs en présence, incluant la personne demandeuse, doivent avoir la conviction que cette décision est prise en l’absence d’autres « choix ». La situation doit être considérée « sans issue », comme c’était notamment le cas d’un patient que j’ai interviewé. L’impossibilité pour lui de demeurer à la maison et la fatigue immense qu’il ressentait pendant la réalisation de tâches quotidiennes l’ont convaincu de faire une demande d’AMM, et ce, davantage que la douleur causée par son cancer qui était bien contrôlée par la médication. Il précise : « Ma vie d’après ne sera plus jamais celle que j’ai eue avant, c’est-à-dire une belle vie que je faisais ce que je voulais. [Silence, réflexion.] Parce que sans prétention, là [toux], j’ai quand même fait une belle vie. » Face à la mort et faute d’options alternatives pour continuer à mener ce qu’il considère comme « une belle vie », il a formulé cette demande. Ce patient est finalement décédé avant la date prévue de l’AMM. Deux autres exemples peuvent illustrer cette maxime — « une situation sans issue » — qui complète la première — « c’est son choix ». Une proche m’a raconté lors d’un entretien l’évolution du diabète de son mari, dont ce dernier ne s’est jamais vraiment préoccupé. Faute de prise en charge, la maladie s’est développée jusqu’à entraîner des infections à répétition, une condition cardiaque et l’amputation d’orteils — ce qui l’empêche de marcher. Après une première opération au coeur qui a engendré des complications, le chirurgien a jugé trop risqué de procéder à une deuxième opération pourtant nécessaire. Pour cette femme, « c’était le dernier choix » qui n’était finalement « pas un choix ». « En son âme et conscience », son mari avait tout essayé. Bien qu’elle se demande si les choses auraient pu en être autrement si son époux avait pris soin de son diabète, elle n’a jamais « contesté son choix », « son choix à lui ». Face à l’inéluctabilité de la mort en l’absence d’opération, il a eu recours à l’AMM.

Dans un autre cas, une infirmière-cheffe m’a raconté lors d’un entretien comment ce sont plutôt les conditions légales qui ont placé un patient dans une situation de choix en l’absence de choix. Le patient a connu des épisodes de confusion causée par des métastases au cerveau. À tout moment, son aptitude à consentir à l’AMM pouvait être compromise. Craignant davantage que la mort de revivre une telle confusion et de perdre la possibilité d’obtenir l’AMM, le patient décide de la demander prématurément, bien que ses autres symptômes soient maîtrisés. L’infirmière trouve cette situation « injuste ». Dans ce cas, l’infirmière aurait souhaité pouvoir rassurer le patient quant à la possibilité de recevoir l’AMM quand il le souhaiterait. Or, la politique de justice que traduit la Loi vise à assurer l’autonomie du « choix » en requérant l’aptitude à consentir de la personne demandeuse jusqu’au moment de l’administration. Malgré l’injustice perçue, l’équipe soignante s’engage dans un régime d’amour pour permettre le soulagement de la souffrance du patient par l’administration de l’AMM, même si cela doit survenir plus tôt qu’il ne l’aurait souhaité n’eût été la Loi. La seconde maxime, selon laquelle une situation doit être « sans issue », peut être employée pour désigner une variété de circonstances ou une somme de circonstances, que ce soit l’absence de possibilités de traitement, l’accumulation d’incapacités à réaliser des activités quotidiennes, l’âge avancé, des difficultés financières, le décès du conjoint ou encore les contraintes légales qui poussent à devancer la décision. Au Québec, cette maxime a généralement une connotation médicale en raison des critères d’admissibilité à l’AMM qui requièrent que la personne demandeuse soit en fin de vie, qu’elle soit atteinte d’une maladie grave et irréversible, et que le déclin de ses capacités soit avancé. Les médecins évaluateurs jouent donc un rôle déterminant dans l’appréciation de la demande et le cadrage de cette maxime, mais d’autres cadrages de cette dernière sont possibles comme en témoigne le volet suisse de mon enquête où la part strictement médicale de l’évaluation est moindre (Blouin 2020).

Entre banaliser et dramatiser

La deuxième condition de possibilité implique que l’assistance à mourir puisse être distinguée des morts que l’on cherche à prévenir. En effet, on ne peut à la fois chercher à prévenir et à faciliter une même mort. En pratique, j’ai observé que cette distinction s’appuie sur deux maximes qui balisent la pratique. Les acteurs cherchent à « ne pas banaliser » l’AMM tout en ne voulant « pas dramatiser ».

La maxime « ne pas banaliser » s’est aussi présentée sous d’autres variantes au cours de mes entretiens et observations. L’AMM peut par exemple être qualifiée de « geste sacré », de « cérémonie » ou de « soin pas comme un autre », soit autant de façons de souligner que cette pratique ne doit pas être « banalisée » et que cette mort a un caractère spécial. Loin de n’être qu’un élément de discours, cette maxime recouvre une importante composante émotionnelle de l’administration des demandes d’AMM. Pour éviter de banaliser la pratique, les acteurs ont recours à un travail de dramatisation. L’objectif d’un tel travail n’est pas de faire de l’AMM un drame, ce qui aurait pour effet d’en faire une mort que l’on voudrait prévenir ; le travail de dramatisation, au sens de « théâtralisation » (Wolf 2006) et de mise en scène, vise ici plutôt à marquer une distinction avec les morts « ordinaires » (Norwood 2018). Ce travail de dramatisation doit éviter de produire un drame, sans banaliser. Au cours d’une rencontre préparatoire, une infirmière conseillère et une pharmacienne filent par exemple la métaphore théâtrale dans un effort pour distinguer l’AMM de la pratique ordinaire de la médecine. Elles évoquent le « scénario », le « rituel », le plateau de seringues « qui suit le rythme de l’ordonnance », ainsi que l’importance de « marquer son respect avant de se retirer » après le décès (notes d’observation, cas no 5[7]).

Le travail de dramatisation s’accompagne d’un travail sur les émotions. Au cours de la même rencontre, l’infirmière conseillère précise à une infirmière qu’elle peut pleurer devant la personne demandeuse, tant qu’elle n’éclate pas en sanglots. Le travail émotionnel vise à trouver un juste équilibre entre une banalisation de l’AMM qui ferait disparaître toute émotion (un effet redouté par certaines personnes régulièrement impliquées dans l’AMM) et la dramatisation (au sens ici de faire un « drame » et non de mettre en scène) qui passerait par un débordement d’émotions. Dans une autre situation, une adjointe administrative de l’unité de soins palliatifs me raconte lors d’un entretien comment elle arrive à faire sa propre évaluation d’une demande d’AMM, sans même être engagée directement dans le processus. Elle ressent l’ambiance qui règne au sein de l’unité. Bien que l’atmosphère soit toujours « tranchée au couteau » lorsqu’il y a une AMM, elle arrive à saisir les nuances des situations à partir de ce qu’elle ressent et observe. Elle contraste par exemple l’ambiance « moins lourde » de l’AMM d’une dame qui « était au clair avec sa décision, et la famille aussi » avec celle entourant la demande d’un patient qui ne semblait pas pressé, mais dont la famille insistait pour accélérer le processus. Dans ce cas, l’absence de sérénité enveloppant le processus la faisait s’interroger sur la volonté du patient, qui est finalement décédé sans avoir recours à l’AMM. Ces normes émotionnelles, qui font écho aux maximes voulant qu’il ne faut ni banaliser ni dramatiser, sont révélatrices de la portée évaluative des émotions (Paperman 1992).

À ces normes émotionnelles s’ajoutent des dispositifs institutionnels qui contribuent à assurer que l’AMM soit une forme de mort traitée avec un soin particulier. Pour prévenir d’éventuels dérapages, différents mécanismes de contrôle sont mis en place de sorte que la décision d’accorder ou non une AMM n’est pas laissée qu’à l’appréciation des acteurs en présence. La loi fédérale encadrant l’AMM exige notamment la présence de témoins indépendants au moment de la signature du formulaire de demande par la personne requérante. De plus, le médecin qui administre l’AMM doit la déclarer à la Commission sur les soins de fin de vie qui en vérifie la conformité légale. Dans une perspective de justice, la maxime « ne pas banaliser » ainsi que les normes et dispositifs qui l’accompagnent ont pour effet de rappeler que cette forme de mort doit être traitée avec un soin particulier afin d’éviter d’éventuelles dérives.

À l’autre extrême, comme déjà évoqué, la maxime « ne pas dramatiser » balise l’engagement des protagonistes dans un régime d’amour. Le soulagement de la souffrance doit apparaître urgent et nécessaire, sans être dramatique, auquel cas l’AMM risquerait d’être rangée au rang des morts à prévenir aux côtés du suicide, du meurtre ou des morts de « jeunes » personnes qui, selon plusieurs acteurs, ne sont pas « dans l’ordre des choses ». Au début d’une rencontre préparatoire que j’ai observée, Maggy, une infirmière conseillère, présente son rôle comme étant celui de « dédramatiser » l’AMM ou, dit autrement, de normaliser cette pratique (notes d’observation, cas no 6). Alors qu’une infirmière participant à la rencontre compare l’AMM à une « exécution », une pharmacienne intervient pour insister sur le fait que l’AMM est un « soin » prodigué à l’aide de « médicaments préparés sous hotte ». Malgré ses hésitations personnelles vis-à-vis de cette pratique, la pharmacienne insiste sur son rôle de professionnelle qui est de travailler à faire de l’AMM un « soin ». L’infirmière et la pharmacienne situent ainsi l’AMM dans l’univers de la pratique quotidienne soignante plutôt que dans un registre qui associe la pratique à une forme « dramatique » de mort à éviter, à une expression de la compassion pour la souffrance d’autrui qui aurait dépassé les limites de l’acceptable.

Évaluer sans juger

La troisième condition de possibilité veut que la distinction entre l’assistance à mourir et les morts que l’on cherche à prévenir soit minimalement indiquée par la demande d’une personne « autonome ». Cette condition n’implique pas que les acteurs chargés de l’administration d’une demande n’imposent pas d’autres critères à leur participation, mais simplement que l’« autonomie » de la personne demandeuse constitue un socle minimal pour l’acceptation d’une demande. Deux maximes encadrent la réalisation de cette condition : « évaluer » et « ne pas juger ».

Les acteurs engagés dans l’administration d’une demande d’AMM — qu’il s’agisse des professionnels ou des proches — évaluent la demande de la personne requérante, notamment pour s’assurer qu’elle n’est pas l’expression d’un trouble mental, d’une quête de sens qui pourrait être apaisée autrement ou encore une façon d’attirer l’attention. L’évaluation de la satisfaction du critère légal de l’aptitude à consentir à l’AMM participe à la réalisation de cette condition de possibilité. Tout au long du processus d’administration, la demande de la personne est constamment évaluée par une multitude de professionnels. Le professionnel qui reçoit la demande initiale détermine s’il s’agit véritablement d’une demande d’AMM au sens de la Loi. Une évaluation préalable par une infirmière peut parfois arriver à la conclusion que la demande n’est pas recevable à sa face même. Deux médecins évaluent formellement la demande en fonction des critères légaux. Un doute sur l’aptitude de la personne ou la présence d’un trouble mental peut motiver le médecin à demander une évaluation psychiatrique ou psychologique. À travers ces évaluations, les acteurs s’engagent dans un régime de justice en appréhendant chaque situation, notamment, à partir d’un critère commun — l’autonomie — ou, du moins, ce qu’ils entendent comme étant l’expression de l’autonomie.

La maxime « évaluer » est contrebalancée par les acteurs eux-mêmes qui y opposent la maxime « ne pas juger ». Cette deuxième maxime peut sembler contradictoire avec la première. Or, dans la pratique des acteurs, « ne pas juger » ne signifie pas « ne pas évaluer ». Cette seconde maxime est plutôt employée pour limiter l’étendue de ce qui est évalué de sorte à protéger une part d’autonomie pour la personne requérante. Lorsque j’ai demandé à la docteure Caron de m’expliquer ce qu’elle entend par « ne pas juger », une expression qu’elle a utilisée à plusieurs reprises au cours de l’entretien, elle m’a donné l’exemple qui suit. Face à la demande d’un patient qui ne parle plus à son fils, elle se refuse à l’encourager à tenter de renouer avec lui avant de mourir, estimant que ce n’est pas son rôle, qu’elle n’a pas à « juger » cette situation :

Puis, c’est tous des adultes. Ils sont… ils sont capables de réaliser que… Ils… ils saisissent aussi bien que nous l’enjeu de leur demande ; ils savent très bien que c’est un point de non-retour. Ils n’ont pas besoin que moi, je leur… je leur demande implicitement de régler leurs affaires avant de mourir.

D’autres acteurs excluent de l’évaluation la situation financière de la personne, l’état de ses relations sociales et les raisons derrière le choix de la date de l’administration. La tension entre « évaluer » et « ne pas juger » est aussi ressentie par les personnes demandeuses et leurs proches. Madame Lamothe, la fille d’une patiente ayant demandé l’AMM, m’a raconté lors d’un entretien la crainte qu’avait sa mère d’être considérée inapte à la recevoir, car « elle était un peu limite », et que sa souffrance ne soit pas reconnue comme telle en raison de sa « pleine forme » apparente. Sa fille ajoute que les deux médecins ont « entériné un peu son… son… le jugement qu’elle portait elle‑même, là, sur… sur sa douleur… mais c’était ça, elle avait peur de ça [qu’on n’entérine pas son jugement]. » Par la maxime « ne pas juger », les acteurs s’engagent dans un régime d’amour dans la mesure où ils s’extraient du domaine de la justification générale pour se concentrer sur le soulagement de la souffrance immédiate. La fréquence à laquelle j’ai entendu répéter cette maxime durant mes observations et lors des entretiens m’a amené à réaliser que cette maxime n’a aucun appui institutionnel. Elle semble servir de contrepoids devant la tendance institutionnelle à tout évaluer, de l’état mental au capital veineux en vue des injections.

S’imaginer ou non à la place d’autrui ou de son soi futur

La quatrième condition de possibilité suppose qu’une autre personne accepte de prodiguer l’AMM. Pour baliser cette condition, les acteurs rencontrés sur le terrain recourent régulièrement à la maxime « s’imaginer à la place de l’autre » ou, à l’autre extrême, « ne pas pouvoir s’imaginer à la place de l’autre ». Cet effort d’imagination porte aussi sur la possibilité d’envisager ce que souhaiterait son soi futur.

Au cours du processus d’administration d’une demande d’AMM, les professionnels et les proches se projettent à la place de la personne demandeuse (« imagine other ») ou de leur soi futur placé dans la même situation pour faire sens de la demande (« imagine self ») (van Tol et al. 2012). Plusieurs facteurs contribuent à la compréhension de l’expérience d’autrui. Le docteur Dubois m’a expliqué pendant un entretien qu’il comprenait bien comment la qualité de vie d’un patient qu’il suivait pouvait être bouleversée par la mort de son chat, puisqu’il en avait lui-même un. L’état du patient rendait inenvisageable qu’il s’en procure un nouveau. Le docteur Cormier m’a exposé, quant à lui, que les demandes d’AMM provenant de sa patientèle en oto-rhino-laryngologie (ORL) seraient susceptibles de convaincre quiconque en raison des effets dévastateurs de ces pathologies qui défigurent et entravent l’alimentation, la respiration et la parole. Selon lui, les évaluateurs « vont toujours se projeter en disant : “Écoute, si c’est mon cas, là, je voudrais pas vivre ça.” Alors, ils vont tous être acceptés, je suis convaincu ». Il estime que « la qualité de l’évaluation […] vient toujours faire référence à notre vécu et notre projection [se mettre à la place de l’autre] ». Les docteurs Dubois et Cormier ainsi qu’une infirmière m’ont aussi fait part du fait que leur réflexion sur l’AMM évolue au fur et à mesure qu’ils gagnent en âge et qu’ils doivent eux-mêmes composer avec la perspective de leur propre mort. Plus le temps passe, plus ils souhaitent pousser leur réflexion sur la question, alors qu’ils me disent difficilement pouvoir avoir de telles discussions avec leurs collègues plus jeunes. Au cours d’une rencontre préparatoire, une infirmière conseillère invite chaque personne autour de la table à s’imaginer à la place du patient. Elle pointe chaque personne du doigt à tour de rôle en les interpellant : « Fais face à ta mort ». Elle ajoute que le personnel n’a accès qu’à une petite partie de la vie du patient et que s’imaginer face à leur propre mort peut aider les membres du personnel à trouver acceptable la demande (notes d’observation, cas no 11). La maxime « s’imaginer à la place d’autrui » ou de son soi futur opérationnalise un régime d’amour en aiguisant la compassion et l’empathie des protagonistes pour la souffrance d’autrui. La parenté d’expérience et l’âge facilitent notamment cet effort d’imagination. Cette maxime opère également à l’échelle des débats publics. Au cours des « affaires » qui animent les débats sur l’AMM (Boltanski 2007), le public est appelé à s’imaginer à la place des personnes demandeuses ou de celles qui leur portent assistance, parfois illégalement[8]. Cette façon de se sentir concerné engage le public en faveur de la légalisation de l’AMM et de l’élargissement de ses conditions d’admissibilité.

En revanche, le docteur Pelletier estime, lors d’un entretien, qu’il est impossible de s’imaginer à la place d’autrui. Tout au mieux peut-on s’imaginer à la place de son soi futur. Dans son cas, la perspective d’être atteint de démence le pousse à revendiquer la possibilité du recours à l’AMM par demande anticipée. Le constat de ce médecin quant à l’impossibilité de s’imaginer à la place d’autrui est révélateur d’une absence. Au cours de mon enquête, on m’a très peu parlé de l’impossibilité de s’imaginer à la place d’autrui, probablement parce que j’ai principalement rencontré des personnes acceptant de participer à l’administration de demandes d’AMM. Une exception est la docteure Latour qui m’a confié avoir de la difficulté à comprendre les souffrances psychiques parce qu’elle a eu « une belle vie », bien que sa compréhension s’affine au contact des personnes demandeuses. Dans la perspective d’un régime de justice, la version négative de la maxime « s’imaginer à la place d’autrui » est incontournable pour assurer un traitement équitable des demandes à partir de principes communs. L’acceptabilité de la demande d’autrui ne saurait être fondée uniquement sur une homologie d’expérience, sachant que la compréhension de la souffrance d’autrui varie notamment selon la race et le genre. Cette seconde maxime pallie les limites que la perspective et la position sociale d’une personne imposent à la compréhension de l’expérience d’autrui. À une autre échelle, la reconnaissance légale d’un droit aux soins de fin de vie, dont à l’AMM, supporte cette maxime pratique. L’application d’un droit, surtout celui d’un groupe minoritaire, ne peut reposer sur la perspective de la majorité, sans quoi un droit perdrait tout son sens, bien que les contextes libéraux imposent à leur façon des normes plus ou moins explicitées dans l’exercice des droits (Berger 2008). L’éthique en actes dont j’ai dressé les contours participe de telles normes.

Conclusion

À la différence d’Anne Paillet (2007), mon enquête met en évidence l’éthique en actes qui unit les acteurs — probablement parce que j’ai principalement documenté le travail de personnes prenant part au processus à différents titres et degrés — plutôt qu’une variété d’approches morales se distinguant selon les professions ou d’autres caractéristiques personnelles, ce qui ne signifie pas que ces différences n’existent pas. Cette éthique en actes permet aux acteurs de parvenir à « des formes d’accord infra-argumentatif entre des individus qui auraient bien du mal à s’entendre s’ils devaient expliciter discursivement les principes ultimes justifiant leur ralliement à la cause » (Traïni 2017 : 25). Par-delà les différences de points de vue existent des conditions d’interaction et des maximes les balisant qui permettent aux acteurs de parvenir à une entente autour d’une mort par AMM, sans nécessairement qu’il y ait accord sur les principes qui la fondent. Cette entente s’établit par un travail d’équilibre entre l’engagement dans un régime d’amour et dans un régime de justice qui, chacun poussé à l’extrême, risquent respectivement de faire basculer les interactions dans une compassion sans limites qui ferait fi des conséquences indirectes de chaque administration ou dans une justice incapable de tenir compte de la singularité des situations. Une telle recherche d’équilibre entre des injonctions contradictoires est courante dans le travail de soin et le travail funéraire (Bernard 2009 ; Anchisi et Gagnon 2017).

Par l’identification des contours de cette éthique en actes, je ne prétends pas expliquer ou prédire chaque décision au sujet de demandes particulières d’AMM. Comme le souligne Boltanski à propos de son enquête sur l’avortement : « J’ai plutôt cherché à reconstituer l’espace, indissociablement cognitif, affectif et social, dans lequel la décision était prise sans prétendre avoir, à propos des décisions des personnes, le dernier mot » (2006 : 190). En définitive, dans le cas de l’AMM, la décision revient au médecin qui la prodiguera, car sans assistance il n’y a pas d’aide à mourir. Les conditions de possibilité et les maximes pratiques qui en permettent la réalisation sont en fait des conditions à la participation des acteurs à l’administration des demandes. Les acteurs qui ne considèrent pas que ces conditions sont réunies décident régulièrement de ne pas prendre part au processus, comme c’est le cas de nombreux professionnels qui refusent de participer ne serait-ce qu’aux rencontres préparatoires. Pour que l’administration soit menée à terme, cependant, seule la participation du médecin et du pharmacien est absolument indispensable en raison de la Loi qui n’autorise que le premier à prodiguer l’AMM et du rôle du second dans la préparation des médicaments. Lorsque les conditions ne sont pas réunies pour plusieurs personnes engagées dans la situation, en revanche, le déroulement est plus susceptible d’être troublant pour celles-ci, y compris pour le médecin. Par exemple, lorsque des proches d’un patient ont lancé : « Assassin ! » à un médecin qui allait procéder à une AMM, invalidant ainsi la réalisation de la deuxième condition de possibilité, le coût émotionnel de la participation du médecin et de tous les acteurs s’est considérablement accru. Lorsque ce coût est trop élevé, c’est la « hantise » qui guette les acteurs (Stavo-Debauge 2012). Mon enquête apporte un éclairage complémentaire aux études déjà réalisées sur les raisons motivant l’objection de conscience des médecins à participer à l’AMM (Bouthillier et Opatrny 2019 ; Dumont et Maclure 2019). Elle expose en quoi les conditions sociales — au-delà des motivations personnelles — favorisent ou non la participation à l’AMM. Dans le contexte actuel du système de santé québécois marqué par la surcharge de travail et la pénurie de personnel, les professionnels courent le « risque moral » d’être coupés de la collégialité et de la concertation avec les proches et les patients dans la prise de décision et, ainsi, de la référence à des normes partagées (Weller 2009 : 329), de sorte qu’ils se retrouvent seuls avec leur expérience et leur bagage biographique pour faire sens du trouble suscité par l’AMM.