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Propos recueillis par Nataly Botero et Myriam Hernandez Orellana, leurs interventions sont en caractères gras.

Professeure des universités en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris-Est Créteil (UPEC), Caroline Ollivier-Yaniv a été pendant dix ans co-directrice du laboratoire CÉDITEC, dont elle est l’une des membres fondateurs. Ayant interrogé la communication gouvernementale dans ses premiers travaux (sa thèse a donné lieu à l’ouvrage L’État communicant, 2000), elle est spécialiste de la communication des institutions publiques et a porté un intérêt particulier à la communication sanitaire, avec des travaux sur le VIH, le tabagisme, le cancer et les controverses vaccinales.  

S’inscrivant à la fois dans une sociologie compréhensive et dans une approche symbolique des problèmes publics (Gusfield, 2009 ; Cefaï, 2009), ses travaux sur la communication de prévention lui ont permis de proposer un modèle « intégratif et configurationnel » permettant de mieux saisir l’importance de la communication dans le cadre des politiques publiques de prévention. Celui-ci octroie une centralité « aux pratiques, aux discours et aux dispositifs relevant de l’information, de l’accès aux médias et de la médiation dans le travail du gouvernement » (Ollivier-Yaniv, 2013). Alors que ses recherches portent majoritairement sur les conditions de production de la communication publique (spécialisation du travail au sein des institutions, professionnalisation de la communication), elle interroge désormais cette activité sous le prisme des publics institutionnels à travers les notions de réception et d’appropriation. Que ce soit en situation de production ou de réception, ses analyses sont traversées par la question du gouvernement des conduites, particulièrement en matière de santé publique.

Bonjour Caroline, Merci d’avoir accepté ce temps d’échange au sujet de questions sanitaires et de communication. Pour commencer, pouvez-vous présenter votre parcours universitaire, le dialogue entre les approches discursives et les approches en science politique dont témoignent vos travaux ?

J’ai fait une thèse en science politique à Paris 1-Panthéon Sorbonne à une époque où la sociologie politique était en pleine émergence. Mon directeur de thèse était un politiste publiciste bien plus qu'un sociologue, mais qui était intéressé par cet objet par ailleurs mésestimé qu’était la communication. Lorsque j’ai démarré ma thèse, en 1994, je voulais travailler sur le service d'information du gouvernement, institution que j'avais découverte en faisant mon mémoire de maîtrise qui portait sur les discours de politique générale des Premiers ministres de la Ve République.

Il s’agissait d’un mémoire en sciences de l'information de la communication (SIC), que je réalisais alors au CELSA. Mon parcours de formation a été pluridisciplinaire en sciences sociales, c’est probablement le cas de bon nombre d’enseignants-chercheurs, mais je trouve qu’on a souvent tendance, en France, à privilégier les parcours mono-disciplinaire, ou à « mono-disciplinariser » sa trajectoire, soit pour simplifier la manière dont on se présente, soit par rationalisation a posteriori, soit par conformisme avec le cadre scientifique et institutionnel que représentent les disciplines à la française. J’ai pris le parti de faire avec ces différents courants disciplinaires que j'ai traversés pendant ma formation. Après un bac scientifique, j'ai commencé d’être formée à la sociologie en classe préparatoire « lettres et sciences sociales » — la khâgne « BL ». Ensuite j'ai découvert l’analyse de la communication et des médias, mais aussi leurs savoir pratiques, lorsque je suis entrée au CELSA. C’était le début des années 1990 et le corpus de notions et de textes en information-communication était beaucoup moins développé qu’aujourd'hui. J’étais particulièrement intéressée par les cours en relation avec la communication des institutions et des acteurs politiques. Tout ceci m’a conduite, après la maîtrise, à me tourner vers la science politique et particulièrement, vers la sociologie politique qui me semblait proposer des cadres d’analyse pertinents pour les phénomènes qui m’intéressaient. Je me suis retrouvée en DEA — qui correspond aujourd'hui à une deuxième année de master spécialisé sur la recherche — dans une formation qui s’intitulait « Communication, technologies et pouvoir » et que dirigeait Lucien Sfez à Paris 1. On peut relier mon intérêt pour la « chose publique » au fait d’avoir grandi dans un milieu marqué par l’engagement dans le domaine de l’éducation populaire et de la politique locale. L’année en DEA a renforcé mon désir de poursuivre l’analyse et la problématisation de ce qui se jouait par et au SID et plus généralement par l’utilisation des médias de masse pour exercer le pouvoir (les campagnes électorales ne m’intéressaient guère) et orienter les esprits et les conduites tout en respectant les libertés publiques. Trouver un DEA cohérent avec mon parcours, et un directeur (ou une directrice, même s’il y en avait peu !) de DEA intéressé par un projet de mémoire sur la communication gouvernementale n’a pas été simple. Enfin c’est peu de dire que la « communication gouvernementale » était un sujet mésestimé, considérée comme de la propagande vaguement revisitée et finalement, aussi peu légitime pour les chercheurs et les universitaires que pour les acteurs politiques et les journalistes.

Ce parcours pluridisciplinaire habite toujours mes recherches, et le fait d'avoir travaillé au CÉDITEC a nourri cela. Si j'avais été recrutée ailleurs, dans un laboratoire dont le projet scientifique n'était pas forgé dès le départ sur le dialogue entre les approches disciplinaires autour d'un objet que les analystes du discours à la française qualifient de « discours », mais qui finalement renvoie à bien d’autres signes, cela aurait probablement changé mes travaux. Je suis quelqu'un qui aime travailler collectivement et je considère que le collectif de recherche dans lequel on est impliqué est très important pour les travaux de chacun et chacune. Le CÉDITEC était un lieu propice à ces approches croisées sur le discours et sur la matérialité de signes langagiers. La matérialité de signes approchée avec un regard sociologique pour moi, avec un regard linguistique pour d’autres au CÉDITEC, c'est quelque chose qui était cohérent avec mes travaux.

Le dialogue entre ces approches était aussi rendu possible par un présupposé commun sur le plan épistémologique qui était que les signes ont une matérialité qui mérite d'être étudiée pour comprendre le social et les institutions. Je mobilisais alors plus particulièrement la notion de « politique symbolique », en m’appuyant sur les travaux de Murray Edelman (1991), de Georges Balandier (1980) ou de Claudine Haroche (1991) et de Marc Abélès (1991), et un peu plus tard de Joseph Gusfield (1963, 2009) — des politistes ou des anthropologues du politique pour qui les rituels, la dramaturgie et les signes en général sont des phénomènes sociaux et pas des reflets de la vie institutionnelle. Tout ce qui relevait de la capacité de la bureaucratie à produire et à imposer des catégories, que Bourdieu (1993) a proposé de considérer comme le monopole de la « violence symbolique de l’État », m’importait également. Mais le travail entre des personnes qui ont des ancrages disciplinaires différents devient possible à partir du moment où l’on sait sur quelle épistémologie les uns et les autres s’appuient. Ce sont moins les disciplines qui m’empêchent de travailler avec quelqu'un d'autre que le fait de ne pas partager une épistémologie

Quand le CÉDITEC a été créé, en 2000, à l’université Paris 12 (aujourd’hui université Paris-Est Créteil), c'était sur la base de ce présupposé épistémologique de la matérialité des signes et des discours pour étudier les phénomènes institutionnels, dans le monde politique et en matière d’éducation. Le dialogue s'est bien sûr aussi déployé entre des personnes : le laboratoire a été mis en place à l’initiative de Simone Bonnafous (analyste du discours politique et professeure en SIC), avec Dominique Ducard (linguiste spécialiste de l’énonciation) et des chercheurs plus juniors dont je faisais partie. Il y avait aussi Christine Barats, Claire Oger qui faisait sa thèse sous la direction de Simone Bonnafous, puis Marie-Anne Paveau, Dominique Desmarchelier, Pierre Fiala, Alice Krieg-Planque et Dominique Maingueneau qui sont arrivés peu de temps après. Il y avait des cadrages théoriques, disciplinaires et méthodologiques diversifiés et compatibles dès et à l’origine de la constitution de l’équipe de recherche. L’autre point important, c’est que l’articulation entre ces différentes approches des discours a toujours fait d’un travail réflexif et à ce titre, a toujours été inscrite dans le projet scientifique du laboratoire.

Ce dialogue entre approches est aussi lié au fait qu’il y avait dès le départ des modalités de travail collectif, matérialisées par les séminaires publics, par les discussions de travaux ou de textes plus internes, ainsi que par des contrats de recherche. Au début des années 2000, c’était des manières de faire moins répandues qu’elles ne le sont aujourd’hui, dans un domaine scientifique très marqué par les individualités pour ne pas dire par l’individualisme. Cela rend possible des discussions et des échanges sur un mode bien différent de ce qui se passe dans les colloques. Évidemment, cela a eu une importance majeure dans la suite de mes pratiques, mais aussi de mes apprentissages scientifiques.

Vous avez parlé du dialogue entre les disciplines. Dans le cadre de votre travail, quel est l’apport de l’approche interdisciplinaire ? Quelles sont les difficultés qu’elle comporte ?

L’interdisciplinarité est différente de la pluridisciplinarité. En écrivant un texte de synthèse sur la communication publique — une notice pour le Publictionnaire —, je me suis dit que c'est au moment où j'ai développé la notion de « modèle intégratif de la communication dans l'action publique » (Ollivier-Yaniv, 2013) que je pouvais prétendre à l’interdisciplinarité. Je n'ai pas forgé seule ce modèle — il y a peu de choses que l’on forge seul dans le travail scientifique. Cette idée a émergé dans le travail que je conduisais alors avec trois collègues (sociologues politiques et analyste du discours médiatique) en préparant l’ouvrage collectif Les mondes de la communication publique (2014).

J'avais commencé à la développer dans un autre article paru dans Communication & langages (2013), dont l’objet est de proposer une typologie de différentes approches de la communication dans la prévention en santé. Le modèle intégratif est une proposition interdisciplinaire qui s’appuie sur des notions ancrées en sociologie politique, notamment l'action publique par les instruments de Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès (2004) et avec Louis Simard (2011) et, avant eux, de politistes anglo-saxons comme Christopher Hood (1986). Ce modèle intégratif prend en compte le postulat de la matérialité des discours et des dispositifs médiatiques afin de mettre en évidence que la production et le contrôle de la circulation des signes sont significatifs des transformations du travail politique et institutionnel et de ses modalités de légitimation.

La pluridisciplinarité, c’est de mon point de vue plus facile : ce sont des regards diversifiés sur un phénomène partagé. Quand avec Alice Krieg-Planque, on organise un séminaire du laboratoire sur les « petites phrases », on prend en considération un phénomène langagier significatif des pratiques professionnelles d’un certain nombre d’acteurs dans le monde politique et médiatique et on le constitue en objet. Dans ce séminaire, puis dans le numéro de revue qui l’a suivi (Krieg-Planque et Ollivier-Yaniv, 2011) est réalisé un travail pluridisciplinaire : on croise les regards de chercheurs qui ont des approches diversifiées méthodologiquement, disciplinairement et aussi un peu épistémologiquement. Dans le numéro de revue, tout le monde est d'accord pour considérer que ces éclairages sont compatibles entre eux et qu'ils apportent du sens à partir d’un même objet, mais on ne cherche ni à les combiner, ni à proposer une nouvelle notion à partir de leur rapprochement. Faire de la pluridisciplinarité à plusieurs, c'est relativement simple à partir du moment où les gens sont au clair sur les présupposés épistémologiques des uns et des autres. Est-ce qu'on peut faire de la pluridisciplinarité tout seul ? Sans doute, mais les limites à la pluridisciplinarité assumée par une seule personne sont les limites de ses connaissances et de ses compétences.

Quand je propose un « modèle intégratif de la communication », je considère que les acteurs institutionnels utilisent des instruments communicationnels et que les caractéristiques des procédés communicationnels transforment les activités de ces acteurs et l’action publique — en déplaçant la frontière entre espace privé et espace public, pour ce qui est de la prévention en matière de santé par exemple. Je sais que je suis moins bien équipée pour travailler la matérialité des signes, par comparaison avec des collègues spécialistes d’analyse du discours ou sémiologues. Mais finalement je n’ai pas besoin d’être aussi bien équipée qu’eux parce que justement le projet interdisciplinaire induit que je ne fasse ni uniquement de l’analyse du discours, ni uniquement de la sociologie politique. La difficulté est de déterminer jusqu’à où cela peut aller tout en demeurant rigoureux. Ici la discussion avec les collègues, dans un collectif scientifique tel qu’un laboratoire, mais aussi lors de l’accompagnement d’une Habilitation à diriger des recherches, est à nouveau essentielle. Pour finir sur ces questions de pluri- et d’interdisciplinarité, je dirais que je suis une sociologue de la communication et du discours institutionnel qui a travaillé avec des analystes du discours en sciences de l’information et de la communication de manière pluridisciplinaire et que cela m’a conduite à tenter d’élaborer une approche interdisciplinaire de la communication institutionnelle.

J’ai aussi travaillé avec des immunologues qui cherchent à mettre au point un vaccin contre le VIH-sida, sur un phénomène qui était très précis et très localisé par rapport à l’ensemble de leurs activités : le recrutement de participants à un essai clinique au moyen d’une campagne de communication médiatique. Il s’agissait d’éclairer les motifs d’engagement ou de non-engagement dans l’essai clinique et en particulier, de comprendre quelle avait été l’appropriation des informations délivrées au moyen de dispositifs de communication diversifiés (affiche, site internet, interactions avec Sida-Info-Service, note d’information préalable au recueil du consentement...). Cette recherche était menée avec une post-doctorante anthropologue du VIH, Mathilde Couderc. J'avais aussi accès à une vision d’ensemble de la conduite de l’essai du point de vue biomédical puisque je participais à son conseil scientifique, consacré à la surveillance d’éventuels « effets indésirables ». Je dirais que c’est une autre configuration de pluridisciplinarité. Tout en étant encore moins immunologue que linguiste, l’immersion dans le conseil scientifique et les interactions avec les responsables de l’essai et les épidémiologistes chargés de son suivi, m’ont permis de comprendre la complexité bio-sociale de cet essai. Cela pourrait paraîtrait trivial de dire que c’est à la fois la nature biomédicale et la construction sociale d’une maladie qui déterminent les modalités d'engagement dans un essai clinique, mais c'est très important à prendre en compte dans le travail de recherche en sciences sociales. C’est une manière de documenter l’approche constructiviste.

Vos premières recherches s’appuient sur la notion de gouvernementalité de Michel Foucault, puis vous avez progressivement déplacé votre analyse vers la notion de biopolitique. Comment s’est produite cette évolution et quel est l’apport de ces notions à vos travaux ? La biopolitique n’est-elle pas une forme de gouvernementalité ?

La raison principale pour laquelle j'ai mobilisé les notions de gouvernementalité et de biopolitique, c'est parce qu’elles permettent d'aborder les techniques et les procédés de conditionnement et de contrôle des individus. Elles sont également significatives des transformations de l’action de l’État et plus généralement de l’action des institutions, en tant qu’organisations ayant autorité sur la société, dans un contexte de développement du néolibéralisme. Ces notions constituent un cadre théorique qui me permettait d’éclairer ce que j'observais empiriquement, dans la manière dont l'État et les institutions constituent et transforment les dispositifs de gouvernement des conduites. C'est une transformation qui passe non pas par l'autorité mais par des formes de contrôle et de régulation. Dans ma thèse, quand je travaillais sur la professionnalisation de la communication et des relations avec les journalistes dans les ministères, je mettais en évidence un phénomène de transformation des contraintes : on passe d’un mode autoritaire de censure ou d’empêchement, à un mode d'orientation et de compréhension du travail des journalistes pour faire en sorte de le contrôler, pour anticiper la reprise des énoncés, pour raréfier les discours disponibles dans l’espace public, sans contraindre leurs producteurs. On peut observer des mécanismes analogues à l’échelle des individus. C'est ce que j'ai essayé de développer dans l’ouvrage Communication de l'État et gouvernement du socialavec Michael Rinn (2009). Dans ma contribution à cet ouvrage, j'étais assez loin du « modèle intégratif » car très ancrée dans l'approche par les instruments, sans expliciter assez nettement l'importance de la matérialité et des procédés communicationnels. J’y ai développé la thèse selon laquelle la communication était un instrument complémentaire ou qui se substituait à des instruments incitatifs ou coercitifs de l'État. Je dirais aujourd’hui que les procédés et les dispositifs communicationnels permettent à l’action publique de se déployer dans l’espace privé et de l’intimité. De par sa matérialité et de ses procédés (dont les procédés publicitaires), la communication scénarise, suscite des émotions, attire l'attention en vue de construire et d’imposer la définition des normes comportementales des individus. C’est le cas dans le domaine de la santé dans lequel s’affirme simultanément l’importance de la responsabilité et du consentement individuels (caractéristiques de la démocratie sanitaire), tout comme celle des savoirs liés à l’expérience de la maladie.

Pour finir sur l’apport des travaux de M. Foucault, j’ai aussi mobilisé la notion de « technique de soi » (Foucault, 1988) dans la recherche sur les motifs d’engagement dans l’essai clinique pour un vaccin contre le VIH. Sur la base de l’analyse des entretiens avec des volontaires, cette notion a permis de rendre compte du fait que la participation à un dispositif aussi archétypique de la biopolitique constituait une expérience de subjectivation et un phénomène relevant de ce que D. Memmi a aussi appelé la « biopolitique déléguée » (2006). Cette réflexion, qui a aussi été stimulée par un colloque puis un ouvrage sur le biographique en sciences humaines et sociales (Ollivier-Yaniv, 2018a) et le recours aux propositions de M. Foucault pour articuler institutions et subjectivation, ont constitué une étape importante pour passer à l’analyse de l’appropriation et des publics institutionnels.

Dans la continuité dans vos recherches sur la communication gouvernementale, vous avez travaillé sur différents terrains : le cancer, le tabagisme, le VIH. Quel a été le parcours intellectuel et institutionnel qui vous ont conduit à travailler sur ces problématiques ?

Le fait d’avoir travaillé sur ces différents terrains est pour une bonne partie liée à au contexte professionnel. Mais pas que. D’une part, je me suis mise à travailler sur les campagnes de communication déployées par l’État en matière de lutte contre le tabagisme passif. Ce qui m’intéressait, c'était de travailler sur une politique publique qui concernait l'espace privé les comportements individuels, pour mieux cerner quel était le rôle de la communication. C'était un moment où les politiques publiques de lutte contre la consommation de cigarettes, en France et en Europe, avaient mis en place beaucoup de restrictions, on avait des instruments désincitatifs (augmentation du prix du paquet de cigarettes) et des instruments de coercition (interdiction de fumer dans les lieux publics). Du côté des acteurs de la santé publique, la question était comment faire en sorte que les gens s'arrêtent de fumer en particulier dans les lieux où on ne peut pas l’interdire. D’autre part, j’ai cherché à éclairer la dimension communicationnelle de l'action publique sanitaire d'un point de vue sociologique en ayant une approche sociographique des communicants, en interrogeant leur professionnalisation au travers de leurs interdépendances avec les acteurs politiques, administratifs, scientifiques, médiatiques... Ce projet m’a permis d’obtenir une délégation à l’Institut Universitaire de France. Mais ces recherches sur la professionnalisation de la communication publique demandaient – et demandent encore - un travail plus conséquent et donc plus collectif. Je regrette encore qu’il n’ait pas pu être mené, après plusieurs dépôts infructueux à l’ANR !

Concernant le cancer puis le VIH, c'est lié à des rencontres professionnelles. Pour le cancer, il s’est agi d’une étude sur la transformation des discours médiatiques depuis 1980 (Pourchet, Ollivier-Yaniv et al., 2010), grâce à un contrat de recherche entre le CÉDITEC et l’Institut National du Cancer (INCa). La direction de la communication voulait savoir comment les médias généralistes parlaient du cancer et si leurs campagnes de communication centrées sur d’anciens malades avaient contribué à donner plus d’importance aux individus dans les médias. Nous n’avons pas travaillé sur les effets des campagnes mais sur la mise en évidence de ce qui avait changé - ou pas - dans les discours médiatiques sur le cancer. C'est Maria Pourchet, docteure en SIC, qui a véritablement mené ce travail, en collaboration avec plusieurs membres du CÉDITEC. Contrairement à ce que l’INCa présupposait, le discours médiatique sur le cancer était encore très largement indexé sur les experts médicaux et il y avait très peu de place pour les malades. Cette recherche mettait en évidence que le cancer restait un sujet d'experts, de spécialistes, de médecins, ce qui était dans la continuité du travail de Patrice Pinell sur la construction sociale du cancer (1992) et les travaux d’Hélène Romeyer sur le cancer dans l’espace public (2005).

Et sur le VIH, c’était grâce à des rencontres avec des immunologues ?

Il y a une dizaine d'années était déployé en France un programme-cadre d'orientation de la recherche qui passait par la mise en place de LABEX (Laboratoire d'excellence). C’est dans ce cadre que l’UPEC et l’Agence nationale de la recherche contre le sida et les hépatites (ANRS) ont construit un projet en vue d'accélérer la recherche sur le vaccin contre le VIH. Yves Lévy (PU-PH en immunologie à l’UPEC) et Jean-François Delfraissy (alors directeur de l’ANRS), qui étaient à l’initiative du projet, souhaitaient y intégrer des sciences sociales. Le CÉDITEC venait de publier la recherche sur le cancer et nous souhaitions continuer à travailler sur les discours et la communication en santé. Dominique Maingueneau et moi nous sommes ainsi retrouvés un jour à présenter à Yves Lévy ce que faisait le CÉDITEC. Deux ensembles de travaux ont ainsi été initiés par la suite : les motifs d’engagement dans un essai clinique vaccinal VIH et l’analyse des controverses en matière de vaccination en général et sur les obligations vaccinales en particulier. Notre enquête sur les participants à l’essai a été centrée sur les trajectoires sociales et les pratiques informationnelles des volontaires, à rebours du présupposé selon laquelle la campagne de recrutement aurait une influence au sens psychologique de la notion. C’était le début de mes interrogations sur l’appropriation des campagnes de communication sur des sujets en rapport avec la santé et le corps.

Quand on a commencé à construire le travail sur les motifs d’engagement dans l’essai, le contexte français était caractérisé par la montée en puissance des questionnements et des critiques à l'égard des vaccins en France, ainsi que par la diminution de la couverture vaccinale pour certaines maladies. On se demandait si tout ce bruit autour des vaccins et de la vaccination obligatoire constituerait un frein à l'engagement dans un essai vaccinal. Et l’enquête a montré que ce n’était pas du tout le cas : les personnes qui manifestent un intérêt pour un essai clinique VIH, dont on arrive à attirer l'attention quand on lance un essai clinique de ce type, sont des personnes dont la socialisation fait qu’elles n’expriment pas d'inquiétude ni de doute à l’égard des vaccins.

Vous avez travaillé sur l’analyse des conditions de production des discours institutionnels mais vous vous intéressez depuis quelques années à l’appropriation. Comment cette notion aide-t-elle à comprendre des problématiques d’ordre sanitaire ?

Il y a un lien entre les conditions de production et la réception, qui est expliqué le numéro de la revue Politiques de communication consacré aux « publics institutionnels » (Ollivier-Yaniv, 2018b). J'ai beaucoup plus travaillé sur les conditions de production en intégrant le plus possible les spécificités des procédés communicationnels pour consolider cette proposition interdisciplinaire de « modèle intégratif ». Quand on travaille sur les conditions de production, on est amené à aborder les procédés au moyen desquels sont construits les publics dans et par les institutions. On peut parler de fabrication parce que, dans les activités des communicants, on trouve la construction de « cibles » ou de « publics cibles ». C'est d’ailleurs un point commun entre la communication publique et les politiques publiques, comme le montre l’ouvrage dirigé par Guillaume Gourgues et Alice Mazeaud (2018) sur les publics de l’action publique. La communication publique peut ainsi être conçue comme relevant de la mise en publics des individus.

C'est la proposition de ce numéro de Politiques de communication, qui fait suite à une journée d’études du CÉDITEC et qui est également nourri des recherches doctorales de Coralie Pereira da Silva (2020) et de Cécile Loriato (2020). Elle propose d'aborder l'appropriation selon deux acceptions des publics : les publics fabriqués dans et par les acteurs institutionnels et les communicants, et les publics au sens pragmatique du terme c'est-à-dire les publics expérientiels de la communication institutionnelle de l'État. Ce n'est pas un passage depuis une conception de la communication qui serait centrée sur l'émetteur vers une conception qui serait centrée sur le destinataire. C’est significatif d’une conception de la communication comme médiation (Davallon, 2004) qui intègre réception et production. Ceci dit, les notions de réception et d'appropriation relèvent bien du deuxième axe que j'ai évoqué et elles sont en relation avec les travaux qui portent sur les publics au sens anthropologique du terme. Pour la notion d'appropriation, je renvoie un article co-écrit notamment par Joëlle Kivits (2014) qui porte sur l'appropriation des informations médiatiques sur le cancer. Il ne faut pas s'interroger sur ce que cette multiplicité d’informations fait aux individus, mais éclairer comment les acteurs les retraitent, compte tenu de leur forme, de leurs conditions sociales de vie et des interactions dans lesquelles ils sont impliqués. Les notions de réception et d'appropriation sont très liées aux travaux préexistants en sociologie de la réception des médias, sachant que dans ce champ il y a des épistémologies différentes. Il y a, d'une part, des travaux qui se situent dans la continuité des Cultural Studies, avec un ancrage épistémologique structuraliste très fort sur le fait qu'il y a des émetteurs dominants et des publics dominés ou subalternes. D’autre part, il y a un autre courant duquel je suis plus proche, un courant plus pragmatiste dont les représentants français les plus connus sont Louis Quéré (1996), Daniel Cefaï et Dominique Pasquier, notamment dans l’ouvrage collectif Le sens du public(2003).Les rapports de position sociale sont beaucoup moins déterminants car moins postulés comme tels a priori. J’essaie de construire une position intermédiaire, qui permet de tenir compte des caractéristiques sociales et des trajectoires des individus et de prendre au sérieux leur réflexivité. Cette position est liée aussi à ce que j'observe et j'ai cette prétention de dire que le modèle théorique évolue en fonction de ce que j'observe empiriquement. Or j'observe que les acteurs sociaux ont de la réflexivité, laquelle n'est pas du même ordre selon leurs caractéristiques sociales, leur trajectoire de formation… Je n'ai jamais observé qu'il n'y ait pas de réflexivité donnée à voir par et dans le discours des acteurs. De ce point de vue je me sens très proche de la sociologie pragmatique (Barthe et al., 2013), de la sociologie compréhensive et plus généralement, des constructions théoriques qui cherchent explicitement à penser ensemble l’individuel et le collectif – à la manière de la « configuration » éliasienne (Elias, 1991) qui permet de penser le caractère relationnel et changeant des relations de pouvoir.

Avec la notion de « publics institutionnels », qui est encore insuffisamment définie, j’essaie de travailler sur des phénomènes de réception et d'appropriation liés à des recommandations émanant des acteurs et des groupes institutionnels. Cela ne veut pas dire que je présuppose qu'ils détiennent le pouvoir (à la manière d’une amulette, pour reprendre une métaphore utilisée par N. Elias (1991), mais je considère que ce sont des acteurs ou des groupements qui n'ont pas la même position sociale, qui n'ont pas les mêmes ressources préalables dans l’organisation et la transformation de la société qu’une entreprise ou qu’une association. Ce serait céder à l'aveuglement de présupposer le caractère immuable de leur pouvoir parce que, en matière de santé, qui est un sujet sur lequel on a longtemps considéré que les institutions publiques, scientifiques et médicales avaient encore une autorité (qu'elles avaient perdue sur d'autres sujets pour les politiques), on voit bien, quand on analyse les controverses vaccinales ou même lors de la crise COVID actuelle que le pouvoir dont les acteurs institutionnels se sentent autorisés est mis en cause et discuté.

Les travaux que je trouve très stimulants pour m'aider à avancer là-dessus sont ceux qui relèvent de l'ethnographie institutionnelle. Il y a déjà eu des travaux d'anthropologie institutionnelle comme a pu le faire Jean-Marc Weller dans L’État au guichet(1999) qui montre qu’il existe des rapports différenciés des individus à l’institution administrative. Ce que je mobilise actuellement, ce sont les travaux de Dorothy Smith (2018), une chercheuse américaine dont l’un des ouvrages a été traduit il y a peu dans la collection « Études sociologiques », chez Economica. Elle propose de comprendre ensemble ce qu'elle appelle les « régimes institutionnels » et les « régimes expérientiels ». C'est une manière de penser le rapport des individus aux institutions à partir des discours.

En matière de santé, les catégories de sensibilisation et d'acceptabilité sociale (Chaskiel, 2018) sont largement utilisées dans des sphères administratives, académiques et médiatiques. Quelles sont leurs limites et les critiques que vous leur adressez ?

Ce sont des catégories, ou même des expressions, qui sont significatives des discours d’acteurs en situation professionnelle. Cela fait partie du langage des acteurs qui fabriquent les politiques publiques, des acteurs politiques qui sont dans une position dominante parce qu’ils sont responsables des prises de décision. Elles sont significatives des procédés de construction des publics, au sens où les publics sont conçus comme des cibles, où les individus sont conçus comme des personnes dont on va orienter les conduites parce qu’on considère que c’est bénéfique à la collectivité. Cela repose sur une acception comportementale des individus. On associe les individus à des comportements qu’on veut transformer pour préserver la santé du collectif, de la population : c'est de la biopolitique foucaldienne contemporaine. Ce que je trouve intéressant dans la catégorie d'« acceptabilité sociale », c’est qu'elle est significative, dans le discours des experts très éduqués, des limites propres à leurs pratiques. Regardez par exemple les prises de parole d’Alain Fisher, ce professeur d’immunologie pédiatrique incontesté dans le monde scientifique et qu’on surnomme « Monsieur vaccin » parce qu’il a présidé la concertation sur les obligations vaccinales à la fin des années 2010 et qu’actuellement, il préside le « Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale Covid-19 » auprès du ministère de la santé. Quand il est question d’« acceptabilité sociale » dans son discours, c'est toujours pour signifier que certaines parties de la population, n'acceptent pas ce que les autorités leur proposent, et qu'elles résistent ou qu’elles contournent. Quand un décideur politique ou un scientifique parle d'« acceptabilité sociale », c'est déjà une manière de manifester que les objectifs de l'action publique ne fonctionnent pas.

« Sensibilisation » et « acceptabilité sociale » sont surtout des catégories qui relèvent une vision instrumentale de la communication publique et de l'action publique. C'est significatif de l’ethos professionnel, et social probablement aussi, des décideurs politiques. Ce que j'essaie de faire avec la notion de « publics institutionnels », c'est de développer une approche compréhensive des raisons pour lesquelles les individus occultent, détournent ou résistent face aux consignes institutionnelles en discours. Tout refus d’une politique publique en matière de santé, ce n’est pas uniquement de la résistance. Ce n'est pas nécessairement parce qu’on est antivax radical, par exemple pour des raisons religieuses, que l'on s'interroge sur l’obligation vaccinale. Il reste donc à éclairer les raisons d'agir, de manière compréhensive et pragmatique, tout en ayant des informations sur les déterminations sociales des individus. C'est le rôle des sciences sociales, et éventuellement, si les acteurs publics sont disponibles, ça peut peut-être éclairer une partie de leurs activités.

Après, est-ce que l'on peut faire entendre à un décideur public qu'il y aura toujours des gens qui résisteront et qui n’adopteront pas les comportements préconisés à l'échelle populationnelle ? Je ne sais pas si c'est le rôle des chercheurs en sciences sociales, je ne sais même pas si c'est possible.

Vous avez souligné l’importance de la dimension communicationnelle de l’action publique, pourtant dans l’article « La communication publique sanitaire à l’épreuve des controverses » (Ollivier-Yaniv, 2015), vous évoquiez la subordination de la communication à d’autres formes de savoir (biomédical, politique, administratif...). Cela continue d’être le cas ou avez-vous constaté des évolutions ?

Dans cet article, quand il est question de subordination de la communication, c'est par rapport à d'autres expertises professionnelles. Cet article met en évidence que les compétences des professionnels de la communication, dans un contexte de controverse sanitaire, sont subordonnées à d’autres logiques d’action, en particulier politique et biomédicale - moins à l'expertise administrative. Elle reste subordonnée parce qu’elle est instrumentalisée, même si les particularités des procédés communicationnels contribuent à transformer le biomédical et le politique en retour.

Est-ce que j'ai constaté des évolutions ? Je ne sais pas si j'ai mené suffisamment de travaux qui permettraient d’apporter une réponse étayée. Ce qui se passe dans les arènes numériques change probablement la donne… Cette observation n'est peut-être pas tout à fait la même en fonction du type d'arène qu’on analyse.

Revenons aux arènes numériques, dont on voit qu’elles jouent un rôle important actuellement. On l’a vu au moment du non-reconfinement en novembre 2020, les médias ont présenté cette décision comme le résultat d’une attention accrue portée aux réseaux sociaux.

Les procédés de fabrication des publics se sont diversifiés, parce qu’ils évoluent en fonction des techniques disponibles. Un des procédés anciens, classiques, ce sont les sondages et les enquêtes de d’opinion, dont la sociologie politique a bien montré les limites. La veille numérique est à l’évidence un autre procédé de fabrication des publics. Tous ces procédés ont leurs caractéristiques, leurs biais, leurs limites, mais la veille numérique est probablement un apport des professionnels de la communication, comme le montre Sandrine Roginsky (2020). De ce point de vue, on peut considérer que l’instrument fonctionne parce qu’il contribue à transformer le travail politique. Si les acteurs du gouvernement s’appuient sur ce type de résultat pour prendre une décision, cela fait partie des procédés de fabrication des publics.

Mais quels que soient les procédés utilisés, ce qui est frappant, c’est que les recherches sur les représentations des « publics » ou du « grand public » par les décideurs politiques et administratifs continuent de mettre en évidence un présupposé d’irrationalité. Si on prend le cas de la crise sanitaire liée au virus de la grippe H1N1, l’article de Jérémy Ward (2018) dans le numéro de Politiques de communication montre, à partir d’entretiens et d’observations, comment et pourquoi la préoccupation principale du gouvernement et de ses communicants est d’éviter des paniques et surtout qu’il y a une véritable focalisation sur les signes caractéristiques de l’irrationalité du grand public. Dans un autre article portant sur les débats et les controverses sur l’opportunité du vaccin contre H1N1, Cécile Méadel (2014) met également en évidence que l’échec de la campagne vaccinale est majoritairement imputé, par ses responsables, à l’irrationalité des personnes nourrie par les rumeurs et la désinformation en ligne.

Dans la crise sanitaire actuelle, il faudrait creuser ce qui est en train de se passer du point de vue de la représentation et de la construction des publics dans les discours des responsables politiques, administratifs et sanitaires. Il me semble que le ministre de la santé et les Premiers ministres ont à plusieurs reprises déclaré qu’il y aurait une information complète sur ce qu’on savait mais aussi sur ce qu’on ne savait pas sur le virus ou sur ses modes de transmission. L’épisode où la porte-parole du même gouvernement a expliqué publiquement que les masques étaient inutiles pour se protéger a complètement contredit cette promesse de « transparence ». Et malgré la mise en place d’un « collectif citoyen » sur la vaccination, il existe actuellement un débat public de fond sur le sens de la « responsabilisation » des citoyens. Un « citoyen responsable », est-ce que c’est un individu qui comprend et se plie aux consignes gouvernementales, ou est-ce que c’est un acteur social dont on entend les interrogations ou les propositions ?

Nous assistons actuellement à de nombreuses controverses sur la campagne vaccinale : absence de vaccin développé en France, potentielle obligation pour le personnel soignant… Ces controverses participent-elles à accroître la méfiance des français vis-à-vis des vaccins, ou est-ce une dynamique relativement attendue vu le caractère inédit de la crise ?

Il m’est impossible de répondre à une question aussi vaste sérieusement aujourd’hui. En revanche, je pense qu'il faut reprendre ou continuer les travaux sur les controverses relatives aux vaccins. La nature de la maladie a changé, la construction sociale de la maladie n'a rien à voir avec la construction sociale des maladies infantiles dont on ne voit plus les effets depuis de nombreuses années. D'un point de vue constructiviste, la dangerosité d'une maladie est aussi socialement construite. La problématique de construction des problèmes publics met en évidence à quel point ce n’est pas la morbidité d'une pathologie qui la rend importante.

La COVID-19 est une maladie nouvelle en termes de construction sociale, peut-être même plus que du point de vue biomédical. Ses effets en termes de morbidité sont publics, ils sont montrés et médiatisés dans des arènes publiques et ils touchent toute la population. Une autre chose qui la caractérise, c'est qu’elle a publiquement mis en évidence les difficultés ou les limites de systèmes de santé nationaux que l'on considérait comme les plus performants. Il y avait bien sûr des mobilisations sur les problèmes rencontrés par le système hospitalier français depuis plusieurs années, mais c’était des mobilisations localisées. Ces derniers mois on a vu se former un « problème public » dont le « Ségur de la santé » a constitué la phase institutionnelle.

Un autre aspect intéressant de la période actuelle, c’est le phénomène de circulation des controverses d’une arène à l’autre et le fait que cela transforme leur sens (Ollivier-Yaniv 2020). Je pense à ce qui s’est passé au sujet de la chloroquine, au printemps 2020, lorsqu’une controverse scientifique et médicale s’est retrouvée transposée dans les médias d’information et dans les réseaux sociaux. En avril 2020, un sondage a ainsi été organisé pour connaître « l’avis des Français » sur « l’efficacité » de ce traitement, qui faisait l’objet depuis plusieurs semaines d’une croisade médiatique par un professeur de médecine marseillais. Dans certains médias d’information, tout s’est passé comme si les résultats du sondage avaient le même sens que les résultats des essais cliniques – qui étaient d’ailleurs encore en cours et pas publics : tout se passe comme si la science ne faisait plus autorité.

Dans le même ordre d’idée, cette crise sanitaire est un moment exceptionnel pour analyser la médiatisation des discours scientifiques et de celles et ceux qui les portent et plus généralement, les relations entre les médias, les acteurs scientifiques et les acteurs politiques.