Corps de l’article

1. Introduction

La violence sexuelle (VS) commise à l’égard des enfants est une problématique sociale préoccupante. Bien que la VS soit l’un des crimes les plus sous-déclarés aux autorités (Benoit, Shumka, Phillips, Kennedy et Belle-Isle, 2015), les données rapportées au ministère de la Sécurité publique (2017) démontrent que les enfants et les adolescent⋅e⋅s représentent près de la moitié des victimes d’agressions sexuelles au Québec. Parmi ceux‑ci, les enfants de cinq ans et moins constituent 5,6 % des jeunes victimes. Peu de données sont disponibles quant aux répercussions engendrées par la VS chez les tout-petits, mais les enfants d’âge préscolaire victimes d’agression sexuelle seraient susceptibles de vivre des problèmes intériorisés pouvant perdurer jusqu’à l’âge adulte (Séguin-Lemire, Hébert, Cossette et Langevin, 2017). Ainsi, il est fortement recommandé de mettre en oeuvre des activités préventives pour permettre aux enfants de développer des comportements d’autoprotection qui leur permettront de réagir adéquatement et de dévoiler toute situation abusive à un adulte de confiance (DeGue, Valle, Holt, Massetti, Matjasko et Tharp, 2014; Fryda et Hulme, 2015). Puisque l’éducation à la sexualité constitue le principe sous-tendant la prévention de la VS auprès des tout-petits, les programmes qui leur sont destinés doivent aborder l’anatomie du corps et des parties intimes, les différents types de touchers, les bons et les mauvais secrets, les règles de sécurité et l’affirmation de soi (Walsh, Zwi, Woolfenden et Shlonsky, 2015).

Plusieurs éléments des programmes de prévention efficaces ont été repérés par Nation et ses collègues (2003). Selon leur recension, il importe d’identifier les facteurs de risque de la VS, d’adapter les interventions au niveau de développement des enfants et d’implanter les programmes avant l’apparition de la problématique. En outre, les auteurs recommandent d’intégrer une combinaison variée de contextes et de composantes d’intervention. Il est aussi recommandé de varier les méthodes d’apprentissage, de prévoir un temps d’exposition suffisant et de favoriser le développement de relations positives entre les enfants et les adultes qui les entourent (Nation, Crusto, Wandersman, Kumpfer, Seybolt, Morrissey-Kane et Davino, 2003).

Malheureusement, peu de programmes de prévention sont destinés aux jeunes enfants (Fryde et Hulme, 2015), notamment en raison du défi de créer des outils éducatifs adaptés au niveau de développement des tout-petits. Quelques initiatives de prévention de la VS destinées aux enfants de moins de cinq ans et ayant fait l’objet d’évaluation ont été recensées: ESPACE (Croteau, 1999), Smarter, Safer Kids (Brown, 2017), Parents as Teachers of Safety (Kenny, 2009) et le Behavioral Skills Training Program (Sarno et Wurtele, 1997). Ces programmes reposent sur l’utilisation de concepts simples et concrets afin de permettre aux jeunes enfants d’acquérir plus facilement les notions enseignées (Walsh et al., 2015).

Cependant, les initiatives de prévention ne peuvent cibler uniquement le développement de capacités d’autoprotection des tout-petits; elles doivent également outiller les adultes afin de les amener à réagir de façon efficace en cas de dévoilement d’une situation abusive de la part d’un enfant (Basile, 2015; DeGue et al., 2014). En effet, plusieurs auteurs soulignent les difficultés pour les jeunes enfants à reconnaître les situations à risque et à s’opposer ouvertement à un adulte (Rudolph et Zimmer-Gembeck, 2018), car la VS est généralement commise par un adulte connu de l’enfant, et bien souvent par un parent ou un membre de la famille élargie (Hébert, Lavoie, Piché et Poitras, 2001). Par ailleurs, les approches ciblant uniquement les enfants n’empêchent pas les tentatives de contacts sexuels par un adulte (Rudolph et Zimmer-Gembeck, 2018). Ainsi, l’utilisation d’une approche écosystémique consistant à mettre en place des stratégies préventives à tous les niveaux du modèle est à prioriser afin de développer un filet de sécurité autour des tout-petits (OMS, 2006). À cet effet, les personnes éducatrices occupent une position de choix puisqu’elles sont susceptibles de recevoir des dévoilements de situations abusives ou d’observer certains indices pouvant laisser croire qu’un enfant vit une situation de maltraitance.

Ainsi, les milieux éducatifs offrent un environnement favorable à la prévention de la VS au quotidien par l’éducation à la sexualité et la promotion des relations égalitaires. Toutefois, alors que les écoles québécoises doivent à nouveau intégrer l’éducation à la sexualité auprès des élèves du primaire et du secondaire, aucun contenu obligatoire n’est imposé pour les enfants d’âge préscolaire. De plus, la majorité des membres du personnel enseignant ne se sent pas assez outillée pour aborder des notions liées à la sexualité et la VS auprès des enfants d’âge scolaire (Jetté et Ouimet, 2017). Cette difficulté est certainement encore plus grande en milieu préscolaire, considérant que la majorité des personnes éducatrices n’ont pas reçu de formation à ce sujet (Hébert, Fortin, Julien, Dion et Cyr, soumis) et que plusieurs entretiennent la croyance que les enfants d’âge préscolaire sont trop jeunes pour entendre parler de sexualité (Bobier et Martin, 2016). Par conséquent, il est primordial d’offrir une solide formation aux personnes éducatrices afin de les sensibiliser à la VS et l’éducation à la sexualité, et de les outiller à intervenir adéquatement lorsque la sécurité d’un enfant peut être compromise.

1.1 Le programme Lanterne

Ancré dans une approche écosystémique, le programme Lanterne vise la prévention de la VS et s’adresse aux enfants d’âge préscolaire ainsi qu’aux adultes qui gravitent autour d’eux. Le programme intègre les meilleures pratiques en matière de prévention: le déploiement d’activités adaptées au développement des enfants, l’utilisation de diverses composantes d’intervention et méthodes d’apprentissage, l’exposition quotidienne aux outils pédagogiques et le développement de relations positives entre les participant⋅e⋅s (Nation et al., 2003).

Le programme Lanterne a été implanté dans 23 milieux de la petite enfance durant la phase d’évaluation en 2019. Celui-ci a été élaboré à partir d’une analyse des besoins des personnes éducatrices des différents milieux. L’implantation du programme est soutenue par une formation générale destinée à l’ensemble des personnes éducatrices, puis de deux formations conçues pour former une personne-ressource par milieu ainsi que les membres de la direction. Les outils éducatifs ont été créés en collaboration avec une équipe de professionnelles chevronnées en matière de VS ainsi que des partenaires en milieux éducatifs et communautaires[1]. Ces derniers ont d’ailleurs été testés dans quelques milieux éducatifs avant l’implantation du programme. Le tableau 1 résume les caractéristiques des formations et des outils éducatifs du programme.

1.2 Objectifs

Cette étude qualitative vise à explorer les perceptions des personnes éducatrices quant à leur utilisation des outils pédagogiques auprès des enfants, ainsi que les perceptions des personnes Lanterne concernant la formation Ressource Lanterne et leur expérience à l’égard de ce mandat au sein de leur milieu. Cette étude exploratoire vise aussi à recueillir les recommandations des personnes éducatrices afin de permettre une utilisation optimale des outils pédagogiques et d’aider les personnes Lanterne à bien jouer leur rôle de personne-ressource dans leur milieu.

2. Méthodologie

2.1 Participantes

Huit personnes ont participé à des entrevues concernant l’utilisation des outils pédagogiques dans leur milieu éducatif. Ces huit personnes s’identifient au genre féminin et la majorité (75 %) a rapporté être d’origine québécoise. La moitié des participantes est âgée entre 30 et 39 ans, deux se situent entre 18 et 29 ans, une est âgée entre 40 et 49 ans, et finalement une autre est âgée de 60 ans ou plus. La plupart travaillent comme éducatrice dans un centre de la petite enfance (n = 5), un organisme communautaire (n = 1) ou un service de garde en milieu familial (n = 2).

Dix autres personnes ont participé à des entrevues en lien avec leur rôle de personne-ressource Lanterne. Toutes les participantes s’identifient au genre féminin et la majorité (80 %) a rapporté être d’origine québécoise. Quatre personnes sont âgées de 30 à 39 ans, trois ont entre 40 et 49 ans, deux se situent entre 18 et 29 ans, et une autre a plus de 60 ans. Cinq participantes travaillent au sein d’un organisme communautaire, trois dans un centre de la petite enfance, une en halte-garderie et une dans un bureau coordonnateur. Les fonctions exercées par les participantes varient d’un milieu à un autre: éducatrices (n = 3) ou intervenantes (n = 2), agentes de soutien (n = 2), coordonnatrice (n = 2) ou non précisé (n = 1).

Tableau 1

Résumé des formations et outils du programme Lanterne

Résumé des formations et outils du programme Lanterne

Note: La formation Direction Lanterne n’a pas été évaluée dans le cadre de l’implantation pilote du programme.

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2.2 Procédures de recrutement

Le recrutement pour les deux types d’entrevue s’est fait sur une base volontaire dans les milieux ayant implanté le programme Lanterne. Pour participer à l’entrevue liée à l’utilisation des outils éducatifs, les participantes devaient avoir suivi la formation générale Lanterne. Concernant l’entrevue liée au rôle des personnes-ressources Lanterne, les participantes devaient avoir suivi la formation spécifique Ressource Lanterne. L’approbation éthique a été octroyée par le comité institutionnel d’éthique de la recherche de l’Université du Québec à Montréal.

Lors de la formation Lanterne, les personnes intéressées à participer à une entrevue ont signé le formulaire de consentement sur place en indiquant leurs coordonnées. L’équipe de recherche a reçu le consentement de 46 personnes. De celles-ci, 10 n’ont pas inscrit leurs coordonnées dans le formulaire ou les coordonnées indiquées n’étaient pas valides. Neuf personnes n’ont pas été contactées, car elles n’effectuaient que très peu d’heures de travail auprès des enfants. Enfin, parmi les 27 personnes contactées, 4 n’avaient pas encore utilisé les outils Lanterne et 15 n’ont pas répondu aux messages de l’équipe de recherche. Au total, 8 personnes ont participé à une entrevue semi-structurée concernant leur utilisation des outils Lanterne.

Les procédures entourant le second type d’entrevue sont similaires à la précédente. À la fin de la formation spécifique Ressource Lanterne, les personnes intéressées à participer à une entrevue ont signé le formulaire de consentement sur place et fourni leurs coordonnées. Au total, 41 personnes ont manifesté un intérêt. Parmi celles-ci, deux avaient oublié de fournir leurs coordonnées, trois n’ont pas été contactées parce qu’elles travaillaient au sein d’un centre local de services communautaires (CLSC) et qu’elles ne pouvaient pas donner leur consentement sans en faire la demande à leur supérieur, et 10 ont remis leur formulaire de consentement après la fin des démarches d’évaluation. Parmi les 26 personnes contactées, 16 n’ont pas offert de réponse et 10 ont participé à une entrevue concernant leur rôle de personne-ressource Lanterne.

Dans tous les cas, le formulaire de consentement précisait que la participation aux formations du programme Lanterne était indépendante de la participation aux démarches d’évaluation. L’entrevue était enregistrée en version audio et l’auxiliaire de recherche rédigeait ensuite un compte rendu détaillé, sans toutefois réaliser de verbatim complet.

2.3 Instruments de mesure

Les grilles d’entrevue semi-dirigée ont été créées par le biais d’une collaboration des chercheures avec l’équipe de la Fondation Marie-Vincent. Les données recueillies dans le cadre des entretiens qualitatifs ont ensuite été analysées par regroupement thématique.

Concernant le premier type d’entrevue, la grille d’entretien permettait d’aborder les thèmes suivants: 1) l’utilisation des outils auprès des tout-petits, leur degré d’adaptation à la réalité des enfants, les difficultés rencontrées et l’appréciation perçue chez les enfants et 2) la poursuite du programme Lanterne et les recommandations. Ces entrevues ont duré en moyenne 27 minutes.

Quant à la seconde entrevue, la grille d’entretien contenait les thèmes suivants: 1) les motivations à suivre la formation Ressource Lanterne et la perception du milieu quant au programme; 2) les ressources offertes aux personnes Lanterne; 3) le rôle de personne Lanterne et 4) la continuité du programme et les recommandations. Les entrevues ont duré en moyenne 29 minutes.

Finalement, certaines questions ont été posées lors des deux types d’entrevue afin d’interroger plus globalement les participantes quant à: 1) leur vision du programme Lanterne; 2) l’effet de celui-ci sur leur pratique professionnelle et 3) leurs recommandations générales entourant le programme, sa poursuite et sa pérennité.

3. Résultats

Les résultats sont regroupés par thématique en fonction du type d’entrevue réalisé. Un premier travail de regroupement a été effectué lors du développement du canevas d’entrevue. Les entrevues semi-structurées permettaient ensuite d’approfondir avec les participantes les différents thèmes d’intérêt en vue d’évaluer leur appréciation du programme. Étant donné le très petit nombre de participantes à chaque type d’entrevue et l’approche semi-structurée utilisée, un tableau de réponses a permis de faire manuellement des regroupements thématiques des différents propos des participantes. Les résultats des entretiens portant sur l’utilisation des outils pédagogiques sont d’abord présentés, suivis de ceux découlant des entretiens concernant le rôle des personnes Lanterne dans les milieux éducatifs. La dernière section présente les résultats communs aux deux types d’entrevue, notamment concernant la perception du programme Lanterne par les participantes.

3.1 Entrevues concernant l’utilisation des outils pédagogiques

3.1.1 Le contexte d’utilisation des outils Lanterne

Selon plusieurs personnes interrogées (n = 6), l’âge des enfants est l’un des facteurs influençant le plus le choix des outils employés, ce qui concorde avec l’approche développementale utilisée par le programme. En effet, les participantes qui oeuvrent auprès d’enfants de 0 à 18 mois mentionnent qu’elles ont davantage utilisé l’imagier Toi comme moi, alors que les autres outils ont été mis de l’avant par les personnes travaillant auprès d’enfants âgés de 2 à 5 ans. Quant au Guide Lanterne, celui-ci n’avait pas encore été utilisé par la plupart des participantes (n = 7) puisqu’elles n’en avaient pas encore ressenti le besoin. Ces dernières ont toutefois rapporté être très satisfaites de l’éventail du contenu qui s’y retrouve et ont mentionné qu’elles n’hésiteront pas à le consulter si nécessaire.

Quant à la séquence d’utilisation des outils, la majorité des personnes interrogées (n = 7) a affirmé ne pas avoir établi de routine précise. Selon les caractéristiques des milieux, certaines participantes avaient davantage l’occasion de laisser un libre choix aux enfants concernant les activités quotidiennes. Ainsi, les livres ont parfois été lus avant ou après la sieste ou lors d’un moment de transition entre deux activités. Les participantes ont d’ailleurs souligné que le fait de varier les moments d’utilisation des outils avait permis de susciter davantage l’intérêt des enfants. Certaines participantes ont notamment offert aux enfants de consulter les livres par eux-mêmes en les incluant dans leur bibliothèque régulière. Pour plusieurs, il était important que les livres soient manipulés directement par les enfants pour qu’ils puissent les voir de près et assimiler à leur façon l’information qui s’y retrouve.

3.1.2 Les réactions des tout-petits

Selon les personnes interrogées, les réactions des enfants étaient nombreuses à l’égard des outils Lanterne. Plusieurs participantes (n = 5) ont affirmé que les tout-petits appréciaient les outils, qu’ils les redemandaient et qu’ils continueraient de les consulter plus longuement si le temps le permettait. La marionnette Marvin constitue d’ailleurs un élément central puisque les enfants avaient l’impression que c’était la marionnette qui réalisait les activités de lecture et l’animation du jeu plutôt que l’éducatrice. D’ailleurs, certains enfants s’adressaient directement à la marionnette lorsqu’ils avaient des réactions ou des questions. Deux participantes ont rapporté que les enfants étaient fiers lorsqu’ils connaissaient les bonnes réponses et qu’ils étaient contents de partager leurs connaissances avec leurs pairs. Selon certaines participantes (n = 3), les enfants ont bien assimilé les informations et ils les utilisaient au quotidien, par exemple en nommant correctement les parties intimes lors des changements de couches. Les enfants semblaient davantage utiliser les vrais mots pour décrire les parties de leur corps et verbalisaient plusieurs autres informations acquises grâce aux outils. En revanche, l’une des participantes a indiqué que les plus jeunes avaient parfois de la difficulté à bien saisir certains mots et que le niveau d’aisance variait d’un enfant à un autre. Toutefois, selon quelques personnes interrogées (n = 3), les enfants étaient de plus en plus curieux, intéressés et amusés par les outils au fil des utilisations.

Selon quatre participantes, les réactions des enfants différaient en fonction des outils qui leur étaient proposés. Ainsi, les tout-petits semblaient particulièrement apprécier les photos concrètes de l’imagier Toi comme moi qui représentent des activités qu’ils font eux aussi. Ils étaient contents de pouvoir dire qu’ils cuisinent comme l’enfant sur la photo ou qu’ils jouent eux aussi dans les modules de jeux en allant au parc. Quant aux livres La bulle de Miro et Marvin a disparu, les enfants semblaient se reconnaître dans les histoires et s’identifiaient aux personnages. En effet, une participante a constaté que les enfants aimaient beaucoup réfléchir à la façon dont le personnage se sentait dans la situation et discuter des jours où ils souhaitent jouer seuls eux aussi, comme Miro. Quant au jeu Marvin, à quoi on joue?, une participante a souligné que les enfants étaient impatients à l’idée de l’utiliser et qu’ils y jouaient comme si c’était un autre jeu purement ludique.

Quelques participantes (n = 2) ont mentionné que les enfants discutaient des outils Lanterne avec leurs parents. Selon certaines (n = 4), les réactions des parents semblaient généralement positives quant au programme Lanterne et ceux-ci ont apprécié que leur enfant apprenne des informations qui sont si importantes. Toutefois, une participante a rapporté que certains parents étaient craintifs lorsque le programme leur avait été présenté, mais qu’ils avaient rapidement réalisé que l’éducation à la sexualité ne repose pas sur une définition de la sexualité telle que les adultes la conçoivent généralement, mais plutôt sur des principes d’égalité et de connaissance du corps et de son intimité.

3.1.3 Les éléments facilitant l’utilisation des outils

Les participantes ont fait état d’un grand nombre de facteurs ayant facilité leur utilisation des outils auprès des enfants. D’abord, les outils sont attrayants, notamment le livre Toi comme moi en raison de ses images réelles plutôt que de l’utilisation de dessins. Plusieurs participantes (n = 6) ont aussi mentionné que la formation Lanterne était articulée autour des sujets abordés par les outils et leur a donc permis de se sentir plus à l’aise pour discuter de ces thèmes avec les enfants. De plus, lors de la formation Lanterne, les participantes ont eu l’occasion de manipuler concrètement les outils, ce qui, selon elles, a contribué à augmenter leur niveau d’aisance en vue de les utiliser dans leur milieu respectif.

La connaissance des enfants et de leur développement était également un élément facilitateur pour l’utilisation des outils selon plusieurs personnes interrogées (n = 4). Ainsi, certaines participantes ont rapporté que même si les outils sont considérés comme étant clés en main, il n’en demeure pas moins qu’il fallait s’assurer de maintenir l’attention des enfants tout au long de l’activité. Bien connaître les enfants leur a permis de mieux respecter leur rythme et de bien gérer les rigolades et les égarements qui pouvaient survenir en utilisant les outils proposés.

Les données recueillies lors des entrevues suggèrent que des facteurs individuels et personnels ont aussi agi comme facilitateurs. Le niveau d’aisance a notamment été reconnu par les participantes comme l’un des facteurs déterminants et celui-ci serait directement influencé par la fréquence d’utilisation des outils. Lorsque questionnées à ce propos, les participantes (n = 8) ont affirmé que leur niveau d’aisance à utiliser les outils avait grandement augmenté au fil des utilisations. Par ailleurs, certaines participantes (n = 3) ont rapporté que les réactions positives des enfants avaient aussi influencé leur niveau d’aisance. Quelques participantes ont mentionné que leur première utilisation s’était déroulée de façon plus sommaire, puis qu’elles avaient abordé les contenus proposés plus en profondeur les fois suivantes. Par exemple, une participante a mentionné que son style d’animation habituel ne faisait pas appel à l’utilisation de marionnettes et qu’elle avait d’abord dû s’exercer à utiliser ce genre d’outil afin de se sentir à l’aise de le faire devant les enfants. Dans le même ordre d’idées, la majorité des participantes a affirmé qu’il est essentiel de s’approprier les outils avant de les utiliser auprès des enfants.

Finalement, certains facilitateurs seraient liés aux caractéristiques des milieux éducatifs. La moitié des participantes (n = 4) a mentionné que l’ouverture de leurs collègues et des gestionnaires quant au programme avait facilité leur utilisation des outils. Selon certaines participantes (n = 3), l’accessibilité des outils au sein des milieux serait un enjeu ou un facilitateur de taille. En effet, certains milieux ont préféré disposer d’une seule série des outils et les éducatrices devaient en faire la demande et les réserver, ajoutant ainsi un obstacle à leur utilisation. Dans d’autres milieux, chaque groupe avait accès à tous les outils, et selon les participantes ce fonctionnement a grandement facilité leur utilisation et leur intégration dans leur travail quotidien.

3.1.4 Les recommandations entourant les outils Lanterne

Les commentaires des participantes soulignent la qualité, la diversité et la facilité d’utilisation des outils du programme. L’un des éléments les plus appréciés concerne la possibilité d’utiliser les outils graduellement selon leur niveau d’aisance. Plusieurs participantes ont aussi formulé des recommandations afin de bonifier les outils. Notamment, une participante a mentionné que les tout-petits de 0 à 18 mois sont particulièrement attirés par les grandes images et les textures. Ainsi, l’imagier Toi comme moi pourrait être de plus grand format, ce qui permettrait de présenter plus facilement le livre devant un groupe. Pour le même groupe d’âge, une autre participante a recommandé de développer un imagier qui serait plus court. Selon elle, un livre qui prendrait environ trois minutes à lire serait plus adapté à la capacité de concentration des tout-petits. Une participante a aussi remarqué que les outils comportent parfois des phrases formulées par la négative, ce qui n’est pas optimal pour les jeunes enfants considérant qu’ils n’ont pas forcément la capacité de bien interpréter les messages qui les informent uniquement des comportements qu’ils doivent éviter. Plusieurs participantes (n = 4) ont affirmé qu’il serait intéressant de développer de nouveaux outils, notamment pour les 0 à 18 mois pour lesquels un seul outil est actuellement disponible. Par exemple, une participante a recommandé de développer des figurines ou peluches représentant les personnages des livres, alors qu’une autre a émis l’idée de créer de nouvelles pastilles de jeu afin d'offrir de la diversité aux enfants.

3.2 Entrevues concernant l’expérience des personnes Lanterne

3.2.1 Les motivations à participer à la formation Ressource Lanterne

Les participantes ont évoqué différentes motivations sous-tendant leur participation à la formation Ressource Lanterne. D’abord, plusieurs participantes (n = 6) ont mentionné qu’elles avaient grandement apprécié la formation générale et qu’elles désiraient approfondir certaines connaissances et habiletés. Certaines participantes ont rapporté que cet approfondissement leur avait permis de s’approprier davantage le programme, ses objectifs et son contenu. De plus, plusieurs participantes (n = 5) ont mentionné qu’elles souhaitaient s’impliquer plus activement dans le programme et avoir la capacité de mieux soutenir leurs collègues.

3.2.2 Le rôle des personnes Lanterne

Selon les participantes (n = 10), le rôle de personne Lanterne signifie soutenir ses collègues et les accompagner lorsqu’elles sont hésitantes à l’égard de leurs interventions. Les personnes Lanterne ont aussi comme mandat d’encourager leurs collègues et les motiver à utiliser les outils pédagogiques de façon hebdomadaire. Selon toutes les participantes, les personnes Lanterne agissent à titre de personne-ressource dans leur milieu et sont disponibles pour accueillir leurs collègues en cas de situations problématiques ou de malaise à l’égard de certains contenus abordés, en plus de les accompagner dans leurs démarches advenant la nécessité de faire un signalement à la protection de la jeunesse.

Au moment de réaliser les entrevues, l’expérience des personnes Lanterne interrogées consistait principalement à soutenir leurs collègues quant à l’utilisation des outils, c’est-à-dire rappeler les principes entourant leur utilisation et offrir une formation d’appropriation à de nouvelles collègues. Une participante a aussi mentionné avoir soutenu une collègue qui faisait face à une situation de dévoilement et a mentionné qu’elle avait pu utiliser ses acquis Lanterne afin de lui offrir un meilleur soutien. Parmi les défis rencontrés, quelques participantes (n = 2) ont mentionné le manque d’aisance de collègues ou de gestionnaires entourant le sujet de l’éducation à la sexualité, en plus de difficultés rencontrées auprès de certains parents inconfortables avec les sujets abordés au sein du programme.

3.2.3 L’appréciation de la formation Ressource Lanterne

Les entrevues ont également permis de recueillir les commentaires des participantes quant au contenu et au déroulement de la formation Ressource Lanterne. Plusieurs (n = 5) ont rapporté avoir apprécié de rencontrer des personnes d’autres milieux éducatifs. Selon elles, ces rencontres leur ont permis de développer des liens et des contacts, et d’échanger sur les expériences et les réalités de chacun. Ces échanges ont d’ailleurs été perçus comme l’un des aspects les plus importants de la formation.

En matière de contenu, certaines participantes (n = 4) ont apprécié que cette seconde formation permette d’approfondir le sujet du dévoilement d’une situation de VS. De plus, une participante a rapporté avoir particulièrement apprécié que la formation offre des outils quant aux meilleures façons de répondre aux questions des enfants selon leur niveau de développement. Quelques participantes (n = 2) ont toutefois rapporté certains irritants, notamment l’emplacement géographique de la formation qui était difficile d’accès. Une participante a aussi mentionné qu’à son avis cette seconde formation avait de nombreuses ressemblances avec la première.

3.2.4 Les recommandations entourant la formation Ressource Lanterne

Plusieurs participantes ont émis des suggestions quant au contenu et au déroulement de la formation Ressource Lanterne. En ce qui a trait aux sujets abordés, une participante a mentionné qu’il serait intéressant d’offrir des pistes pour adapter le programme auprès de parents et d’enfants provenant de milieux culturels variés. À son avis, la perception de l’éducation à la sexualité, de la VS et des relations égalitaires est différente selon les cultures, et bien que les outils soient inclusifs il serait intéressant d’en discuter plus longuement dans la formation. Aussi, une participante a rapporté qu’elle aurait également aimé discuter des enfants plus âgés que cinq ans puisque certains milieux accueillent des enfants de plusieurs groupes d’âge.

En ce qui concerne le déroulement de la formation Ressource Lanterne, une personne a recommandé d’inverser l’ordre des contenus. Selon elle, il est plus facile d’être attentif en début de journée et, puisque le sujet de la VS est la priorité du programme, il serait pertinent de débuter avec ce thème. Enfin, quelques participantes (n = 3) ont mentionné que la formation pourrait être améliorée par l’ajout de mises en pratique concrètes. Une participante a suggéré de manipuler à nouveau les outils en allant plus en profondeur ou en approfondissant le contexte de soutien auprès de collègues.

3.3 L’effet du programme Lanterne et sa poursuite

3.3.1 La vision du programme Lanterne

Toutes les participantes (n = 18) sont d’avis que le programme Lanterne leur a donné accès à des outils pour faire l’éducation à la sexualité et la promotion des relations égalitaires auprès des tout-petits. En plus d’avoir réalisé qu’elles font déjà de l’éducation à la sexualité sans nécessairement en être conscientes, certaines participantes (n = 8) ont aussi mentionné que le programme a permis de valider leurs interventions et leur jugement personnel face à certaines situations problématiques.

Plusieurs participantes (n = 8) ont indiqué que le programme a permis de répondre à plusieurs questionnements puisque les sujets de l’éducation à la sexualité et de la VS sont rarement abordés dans la formation académique. Par ailleurs, l’approche préconisée par le programme a été très appréciée de la majorité des participantes (n = 12) puisqu’elle leur a permis d’aborder des sujets lourds de conséquences en toute simplicité et de façon amusante pour les enfants.

3.3.2 Les effets du programme sur la pratique professionnelle

Les personnes participantes avaient l’occasion de discuter des effets du programme Lanterne à l’égard de leur pratique professionnelle. Les principaux effets rapportés concernent la promotion des relations égalitaires. En effet, certaines d’entre elles (n = 4) ont mentionné qu’elles encourageaient davantage les enfants à jouer avec tous les jouets plutôt que de cibler les jeux dits masculins pour les garçons et ceux dits féminins pour les filles. De plus, plusieurs participantes ont affirmé (n = 8) porter une attention particulière aux compliments adressés aux enfants. À titre d’exemple, les commentaires visant l’apparence physique des filles sont délaissés, ainsi que ceux visant la force des garçons.

Dans le même ordre d’idées, plusieurs participantes (n = 6) ont affirmé qu’elles sont plus sensibles au choix des mots employés auprès des enfants, par exemple en utilisant les vrais mots pour nommer les parties intimes, mais aussi en appelant les personnes par leurs vrais noms. À cet effet, une participante a souligné l’importance de nommer les adultes qui côtoient les enfants par leur nom afin de permettre aux enfants de dévoiler plus clairement si une personne commet des gestes de violence à leur endroit. De plus, certaines participantes (n = 4) ont mentionné qu’elles respectent davantage l’intimité des enfants, par exemple en les laissant aller seuls aux toilettes. De même, les câlins et les bisous sont maintenant donnés sur une base volontaire et non pas imposés par les adultes.

3.3.3 Les recommandations à l’égard du programme Lanterne

Afin de bonifier le programme, certaines participantes (n = 3) ont soulevé l’idée de développer des formations de rappel suivant l’implantation du programme dans un milieu. Par exemple, une participante a suggéré que les éducatrices pourraient recevoir régulièrement des formations concernant l’éducation à la sexualité et la promotion de relations égalitaires afin de rafraîchir les acquis des participantes et les motiver à utiliser quotidiennement les outils du programme. Dans le même sens, il a aussi été suggéré par une participante que la Fondation Marie-Vincent effectue un suivi personnalisé afin de soutenir les équipes dans les difficultés rencontrées, mais également pour les motiver et solidifier les liens entre les équipes.

Là encore, il a été suggéré de développer de nouveaux outils pour les enfants. Par exemple, des affiches qui pourraient être dérivées des outils Lanterne afin d’offrir un soutien visuel quotidien aux couleurs du programme. Selon deux participantes, ces outils affichés permettraient de discuter quotidiennement des enjeux abordés par le programme, sans nécessairement utiliser l’un des outils. Ces affiches pourraient aussi servir aux parents pour leur expliquer plus facilement le programme et sa philosophie, ou pour qu’ils utilisent eux-mêmes les affiches à la maison.

Quant à la poursuite du programme, une participante a émis le souhait que celui-ci soit offert beaucoup plus largement, notamment au sein du cursus scolaire des futur⋅e⋅s professionnel⋅le⋅s en petite enfance. De plus, pour faciliter le maintien du programme, des participantes (n = 4) ont soulevé l’idée de créer une communauté de pratique entre les personnes Lanterne de chaque milieu. Cette communauté permettrait de partager les bons coups et les défis, l’adaptation du programme aux diverses réalités, les plans d’action inspirants ou les bonnes pratiques à adopter auprès des parents.

4. Discussion

La prévention de la VS durant l’âge préscolaire est cruciale au bon développement des enfants. Cependant, les programmes de prévention de la VS existants au Québec sont majoritairement destinés aux enfants en milieux scolaires (Fryda et Hulme, 2015; Walsh et al., 2015). À cet égard, l’approche préconisée par le programme Lanterne se distingue en impliquant également les adultes qui gravitent autour des jeunes enfants. Cette étude à visée exploratoire avait donc comme objectif d’examiner les perceptions des personnes éducatrices concernant l’implantation du programme Lanterne. Dans le contexte d’une première implantation, une telle approche était pertinente et a permis de décrire l’utilisation des outils et l’expérience des personnes Lanterne, ainsi que d’offrir des recommandations afin de bonifier le programme et assurer sa pérennité.

Plusieurs éléments clés favorisant l’efficacité d’un programme de prévention ont été repérés par Nation et ses collègues (2003). Le premier principe concerne l’utilisation d’une approche écosystémique dont il a été question précédemment dans cet article (Basile, 2015; DeGue et al., 2014). En effet, les personnes éducatrices qui côtoient quotidiennement les tout-petits occupent une position de choix dans la prévention de la VS. Celles-ci sont susceptibles de recevoir des dévoilements ou d’observer certains indices pouvant entraîner un doute quant à la sécurité de l’enfant, en plus d’être les seules adultes que les enfants côtoient à l’extérieur de leur famille. Selon les données recueillies, l’implantation du programme Lanterne se déroule bien et les éducatrices se sentent investies dans leur rôle. Il est donc possible de croire que non seulement l’approche écosystémique a été respectée au moment de développer le programme, mais qu’elle l’est tout autant dans l’application réelle du programme par les adultes qui entourent les enfants.

En plus de mobiliser les adultes significatifs dans la vie des enfants, le développement d’habiletés d’autoprotection et l’utilisation d’une variété de méthodes d’apprentissage sont deux éléments figurant au sein des meilleures pratiques en matière de prévention (Nation et al., 2003). Le programme Lanterne s’adresse aux jeunes enfants âgés de 0 à 5 ans dans le but de les amener à acquérir des compétences de sécurité qui leur serviront de l’enfance à l’âge adulte. Le programme a aussi été développé en intégrant une grande variété d’outils. Lors des entrevues, les éducatrices ont mentionné qu’elles utilisent la grande majorité des outils du programme, tout en respectant le niveau de développement des enfants. Bien qu’il n’ait pas été possible d’évaluer l’acquisition des habiletés d’autoprotection chez les enfants, les données nous permettent de supposer que les enfants sont exposés à une diversité de méthodes d’apprentissage pour acquérir ces compétences, respectant ainsi l’une des recommandations de Nation et ses collègues (2003).

Concernant le contexte d’utilisation des outils Lanterne, les participantes ont rapporté les avoir utilisés quotidiennement dans leur pratique bien qu’une routine ou qu’une séquence prédéterminée n’ait pas nécessairement été instaurée. Soulignons que la possibilité d’utiliser les outils sans avoir d’étapes successives à suivre peut faciliter leur utilisation en tout temps. En ce sens, il est permis de croire que la souplesse du programme facilite l’intégration de la prévention de la VS au quotidien, ce qui est cohérent avec la recommandation de Nation et ses collègues (2003) suggérant de fournir un temps d’exposition suffisant aux contenus d’un programme. Selon les données recueillies lors des entrevues, ce principe serait donc amplement validé.

De plus, selon les participantes, les outils Lanterne semblent être bien adaptés sur les plans socioculturel et développemental. En effet, les outils du programme font l’unanimité auprès des participantes, qui les considèrent comme étant bien construits, attrayants, adaptés aux enfants tout comme aux éducatrices, en plus d’être de grande qualité. Or, l’adaptation d’un programme et de ses outils à la réalité sociale et développementale d’une clientèle cible est également l’un des principes à respecter selon Nation et ses collègues (2003). Bien que les résultats de la présente recherche ne permettent pas de discuter spécifiquement de l’adaptation au niveau socioculturel, l’équipe de la Fondation Marie-Vincent a eu ce souci tout au long de l’élaboration du programme en illustrant au sein de ses outils des enfants issus de communautés ethniques traditionnellement racisées. Une version spécifiquement conçue pour la communauté atikamekw (Lanterne|Awacic) a aussi été développée en suivant le principe du «développement par et pour» les membres de la communauté (Dion et al., 2020).

Les écrits portant sur l’efficacité des programmes suggèrent que les contenus soient transmis par du personnel bien formé (Nation et al., 2003). À cet effet, la formation Lanterne s’articule autour de l’appropriation des outils pédagogiques et vise à former les personnes éducatrices à les utiliser adéquatement auprès des enfants. D’ailleurs, les résultats de l’évaluation quantitative de la formation Lanterne vont en ce sens et suggèrent une amélioration significative du sentiment d’autoefficacité des participantes à faire de l’éducation à la sexualité et à utiliser les outils dans leur travail quotidien (Hébert et al., soumis). Les données recueillies dans le cadre de la présente étude qualitative appuient également ces résultats, notamment puisque les participantes ont rapporté une augmentation de leur niveau d’aisance au fil de l'utilisation des outils. Par ailleurs, les participantes ayant pris part à la formation Ressource Lanterne ont rapporté avoir particulièrement apprécié de pouvoir aborder plusieurs thèmes plus en profondeur, notamment en ce qui concerne les façons adéquates de soutenir un enfant et ses parents et de recevoir un dévoilement de VS. Ces acquis concrets et facilement transférables dans leur quotidien ont été perçus comme étant très utiles par les participantes tant dans leur vie professionnelle que personnelle. Il est donc possible de croire que les éducatrices se considèrent comme adéquatement formées afin d’utiliser les outils auprès des enfants.

Pour maximiser l’efficacité d’un programme de prévention, il importe également de miser sur le développement de relations positives entre les participant⋅e⋅s (Nation et al., 2003). Dans le cadre du programme Lanterne, les contenus sont transmis par les éducatrices avec lesquelles les enfants ont déjà développé une relation significative. Somme toute, il est possible de croire que les outils Lanterne favorisent le développement et le maintien de relations positives entre les enfants et les adultes qui gravitent autour d’eux, entre les enfants eux-mêmes et également envers un personnage imaginaire positif pour les tout-petits.

En plus d’avoir une grande valeur informative et de venir soutenir la poursuite du programme, les données recueillies laissent entrevoir que celui-ci pourrait répondre à plusieurs des principes d’efficacité d’un programme préventif. Certes, les entrevues réalisées se voulaient exploratoires, mais elles permettent de souligner l’importance du programme dans les milieux éducatifs, sa pertinence pour les enfants et son influence positive sur la pratique professionnelle.

4.1 Limites

Cette étude doit être considérée au regard de ses limites, notamment en ce qui concerne la constitution de l’échantillon. Dans le cadre de cette étude exploratoire, toutes les participantes s’identifiaient au genre féminin. Il importe de souligner la surreprésentation du genre féminin dans les milieux éducatifs, particulièrement en petite enfance. Pourtant, il aurait été pertinent d’explorer ces mêmes expériences selon le point de vue de participants s’identifiant au genre masculin. Par ailleurs, très peu de personnes ont pris part aux entrevues et il est possible que des différences existent pour celles n’ayant pas participé, notamment concernant l’utilisation des outils et leurs attitudes vis-à-vis du programme. En effet, toutes les participantes ont rapporté que leur niveau d’aisance s’était grandement amélioré en fonction de leur fréquence d’utilisation des outils, ce qui n’est probablement pas le cas des personnes qui n’ont pas eu l’occasion d’utiliser quotidiennement les outils. Dans le cadre de démarches évaluatives futures, il sera pertinent de déceler d’autres obstacles à l’implantation du programme que ceux rapportés par la présente étude.

D’autre part, l’expérience des participantes en lien avec le programme et ses outils était variable puisque pour certains milieux l’implantation du programme avait débuté peu de temps avant leur entrevue alors que d’autres utilisaient déjà les outils éducatifs depuis plusieurs semaines. De plus, les données recueillies ne permettent pas d’évaluer la pertinence du Guide Lanterne puisque ce dernier n’avait pas encore été utilisé par les éducatrices au moment de l’évaluation. Une évaluation à plus long terme permettrait de mieux explorer l’expérience des personnes éducatrices et documenter les facteurs facilitants et les obstacles à la pérennité du programme. Finalement, il sera particulièrement important, lors d’études futures, d’examiner les effets du programme sur les enfants, notamment au regard des taux de dévoilement, mais aussi de mesurer directement leurs réactions et niveau de compréhension quant aux outils et activités qui leur sont destinés. Il sera également pertinent de documenter les effets des autres composantes, notamment les outils destinés aux parents ou encore la formation Direction Lanterne qui n’ont pas encore fait l’objet d’une évaluation.

4.2 Recommandations

Les résultats de la présente étude permettent d’offrir des recommandations en vue de bonifier le programme Lanterne et favoriser sa pérennité dans les milieux éducatifs. Premièrement, plusieurs participantes ont recommandé le développement de nouveaux outils, particulièrement pour les enfants âgés de 0 à 18 mois. L’engouement des participantes vis-à-vis des outils guide aussi cette recommandation, car elles sont nombreuses à vouloir continuer de les utiliser au quotidien avec les enfants. Le développement de nouveaux outils permettrait d’assurer une plus grande diversité pour les enfants et favoriserait ainsi la poursuite à long terme du programme. Pensons notamment aux enfants qui suivent un parcours typique en se trouvant au sein d’un même milieu éducatif jusqu’à leur entrée à l’école et qui auront un nombre limité d’outils pédagogiques à consulter. En outre, puisqu’une plus faible utilisation a été remarquée chez les participantes qui devaient partager une seule série d’outils avec leurs collègues, il est aussi recommandé que les milieux éducatifs reçoivent plusieurs exemplaires des différents outils afin de favoriser leur utilisation auprès des enfants.

Dans le but de faciliter l’appropriation individuelle des outils, les participantes ont mentionné à plusieurs reprises l’idée de développer des capsules vidéo de modelage qui permettraient de présenter diverses façons d’utiliser les outils et de voir les possibles réactions des enfants. De plus, comme l’a soulevé l’une des participantes, la perception de l’éducation à la sexualité et de la VS varie selon les cultures. Les capsules vidéo seraient donc un bon moyen d’exposer certaines de ces différences et d’offrir quelques pistes pour adapter le programme auprès de parents et d’enfants provenant de milieux culturels variés.

Finalement, plusieurs participantes aimeraient pouvoir partager leurs réussites, leurs acquis, mais aussi leurs défis, avec leurs collègues de milieux éducatifs divers. La création d’une communauté de pratique est l’une des principales recommandations émises par les personnes Lanterne, ce qui permettrait de favoriser les échanges intermilieux, en plus de répondre au besoin des participantes qui désirent recevoir des formations de rappel. Puisque le rôle des personnes Lanterne est de soutenir leurs collègues dans leur utilisation des outils, celles-ci souhaitent devenir elles-mêmes des personnes de référence et des expertes en la matière. Une communauté de pratique réunissant toutes les personnes Lanterne leur permettrait de discuter des réussites et des difficultés vécues par les éducatrices de leur milieu et d’y rechercher des conseils et solutions auprès des autres personnes participantes.

4.3 Conclusion

Somme toute, cette démarche qualitative a permis de mettre en lumière plusieurs constats démontrant les retombées positives du programme et sa forte appréciation auprès des participantes. Puisque les enfants en bas âge sont grandement dépendants des adultes afin de combler leurs besoins fondamentaux et de recevoir des soins, la grande proximité que les personnes éducatrices partagent quotidiennement avec eux en font des alliées de choix en matière de prévention. Les différentes formations du programme Lanterne permettent de les outiller à prévenir la VS et à intervenir lorsque la sécurité d’un enfant peut être compromise. Finalement, les recommandations offertes dans le cadre de cette étude permettront de favoriser l’appropriation des outils Lanterne et de maximiser la pérennité du programme dans les milieux éducatifs.