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Introduction

La motivation peut être définie comme un construit mis en oeuvre pour décrire les forces participant à l’initiation, à la direction, à l’intensité et à la persistance du comportement (Lafrenière et al., 2009). En ce sens, elle peut être appréhendée comme un processus neurocognitif permettant à chaque individu de penser, d’agir et de se projeter dans le futur. En s’engageant dans des études supérieures, un étudiant entreprend un parcours de formation en s’appuyant sur une motivation initiale. Il poursuit et termine sa formation en maintenant cette motivation dans le temps, malgré la survenue éventuelle de difficultés. La motivation d’un étudiant influence sa ou ses stratégies d’apprentissage, ses performances scolaires et, plus généralement, son bien-être au cours de sa formation (Haider et al., 2015 ; Isik et al., 2018 ; Kusurkar et al., 2011a, 2013a, 2013b ; Lyndon et al., 2016).

Plusieurs travaux décrivent les altérations de la motivation occasionnées par un épuisement physique ou psychologique (Kunanitthaworn et al., 2018 ; Lyndon et al., 2017 ; Moir et al., 2018). Cette situation d’épuisement peut survenir plus particulièrement chez les étudiants en médecine, avec une prévalence variant de 15 % à 45 % (de Cavalcante Almeida et al., 2016 ; Dyrbye et al., 2006 ; Galam et al., 2013 ; Ishak et al., 2013). Par conséquent, appréhender la motivation des étudiants en formation médicale représente une nécessité pour les équipes pédagogiques afin d’élaborer des environnements d’apprentissage répondant aux plus hauts standards de formation, tout en favorisant le bien-être et la qualité de vie pendant les études (Kusurkar et al., 2012).

Motivation pour les études médicales

La motivation pour la formation médicale a été décrite comme une construction multidimensionnelle impliquant un désir altruiste de prendre soin des personnes, la recherche d’un statut et de revenus élevés, un fort intérêt pour les connaissances scientifiques et l’influence de l’entourage familial (Goel et al., 2018 ; Kusurkar et al., 2011b ; Lambrou et al., 2010 ; Pagnin et al., 2013 ; Shankar et al., 2013). Pour des primo-entrants dans les études médicales, la motivation peut être élevée, même si aucune activité de préparation à la carrière n’a été pratiquée antérieurement (Shankar et al., 2013). La motivation à devenir un médecin peut varier en fonction de l’ancienneté dans le cursus médical et selon le genre (Heiligers, 2012 ; Kusurkar et al., 2010 ; Torres-Roman et al., 2018 ; Vaglum et al., 1999 ;). Ainsi, certains déterminants de la motivation semblent évoluer pendant la formation, avec le glissement de l’idéal altruiste vers le désir de sécurité d’emploi, de statut social important et de revenus élevés (Mader et al., 2014 ; Morley et al., 2013).

Devenir médecin en France

La formation médicale est perçue par les étudiants français comme un parcours long et difficile impliquant une dimension sacrificielle ainsi qu’une capacité à persister malgré une exposition fréquente à la maladie, à l’agonie et au décès de patients. Malgré cela, le recrutement sélectif de postulants à une carrière médicale repose essentiellement sur des performances scolaires réalisées au cours d’une année préparatoire. Le nombre de recrutés, limité par numerus clausus, est déterminé annuellement par décret gouvernemental. En cas de résultat insuffisant, un seul redoublement est autorisé. À l’issue de leur recrutement, les étudiants suivent un cursus préclinique (années 2 et 3 : acquisition de compétences théoriques), puis poursuivent leur formation par un cursus clinique (années 4, 5 et 6) visant au renforcement de ces compétences et à l’acquisition de compétences préparatoires à l’exercice thérapeutique. En fin de 6e année, les étudiants participent à une seconde sélection, qui les oriente vers une spécialité d’exercice médical. Les raisons du choix d’une carrière médicale en France sont peu documentées (Lefevre et al., 2010) et il n’existe pas d’étude quantitative concernant la mesure de la motivation au cours de la formation médicale.

La Loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants (ORE) prévoit, depuis la rentrée universitaire de septembre 2020, une profonde modification des conditions de recrutement dans la formation médicale. D’une part, il est obligatoire de recruter des étudiants et étudiantes en seconde année d’études médicales, à partir d’une population inscrite dans un Parcours d’accès spécifique santé (PASS). D’autre part, il est aussi prévu de recruter en seconde année d’études médicales des étudiants inscrits en première année de Licence avec un accès santé (LAS). À l’université d’attache, à partir de septembre 2021, l’accès en seconde année de formation médicale sera rendu possible pour des étudiants de LAS scientifiques (mathématique, physique, chimie, sciences de l’ingénieur, sciences de la vie, sciences de la terre), de LAS sciences humaines et sociales (psychologie, droit, économie-gestion) et de LAS sciences et techniques des activités physiques et sportives.

Aujourd’hui, il apparaît légitime de s’interroger sur la capacité des étudiants issus du PASS ou d’une LAS à accepter certains sacrifices concernant leur vie personnelle ou sociale durant la formation médicale. De même, il serait crucial pour les facultés de médecine de s’assurer que tous les étudiants recrutés (PASS ou LAS) auront la capacité d’engagement et l’opiniâtreté nécessaires à l’accomplissement du parcours de formation. Par conséquent, il serait indispensable de disposer d’instruments valides permettant de mesurer ces qualités motivationnelles, dans le but d’améliorer les conditions de recrutement et la formation des futurs médecins français.

Échelles SMMS et SMMS-R

La force de la motivation pour étudier la médecine peut être définie comme « la volonté des étudiants à s’engager dans une formation médicale et à la poursuivre, quels que soient les sacrifices, les revers, les malheurs ou les perspectives décevantes » (Nieuwhof et al., 2004, p. 2, trad. libre). Ainsi, mener une étude sur la motivation pour les études médicales implique d’identifier les éléments de confort ou de qualité de vie que les étudiants sont prêts à abandonner/sacrifier pour devenir médecins.

L’Échelle d’évaluation de la force de la motivation pour les études médicales (SMMS pour Strength of Motivation for Medical Studies) a été élaborée pour examiner cette question (Nieuwhof et al., 2004). Ce questionnaire est constitué de 16 items dont la notation repose sur une échelle de Likert à 5 points (1 = désaccord total et 5 = accord total ; Nieuwhof et al., 2004). Sept items (2, 4, 8, 9, 11, 13 et 14) sont notés après inversion de l’échelle, en raison de leur formulation.

Les items ont été proposés à des étudiants néerlandais inscrits en première année (n = 405). Une analyse en composantes principales (ACP) a révélé une structure factorielle unidimensionnelle. Les 16 items de l’échelle démontraient une bonne consistance interne, caractérisée par un coefficient α de Cronbach égal à 0,79 (Nieuwhof et al., 2004). En utilisant cette échelle auprès d’étudiants néerlandais, Kusurkar et al. (2010) ont rapporté une différence de force de motivation liée au genre (étudiantes > étudiants) et ont proposé par régression linéaire multiple un modèle dans lequel l’âge, le genre et le profil de formation antérieure constituent des prédicteurs de la force de motivation.

Une version révisée de l’échelle SMMS néerlandaise (SMMS-R), qui ne comporte que 15 items, a été proposée plus récemment (Kusurkar et al., 2011b). La consistance interne globale était caractérisée par un α de Cronbach égal à 0,79. Une ACP des réponses obtenues auprès d’un large échantillon néerlandais (n = 1494) a privilégié une structure à trois composantes : a) l’acceptation de sacrifices (5 items, α = 0,70), b) la capacité d’engagement (5 items, α = 0,67) et c) l’opiniâtreté (5 items, α = 0,55). Les coefficients de corrélation entre composantes variaient de 0,36 à 0,49.

Par la suite, cette version révisée a été adaptée pour des étudiants de Chine (An et al., 2017) et pour des étudiants francophones de France et de Suisse (Abbiati et al., 2019). La structure de cette version française a été analysée par une ACP (Abbiati et al., 2019), tandis que la version chinoise faisait l’objet d’une analyse factorielle confirmatoire (An et al., 2017). Ces analyses se sont accordées sur une structure à trois composantes/dimensions pour les deux versions, avec des compositions en items identiques à celles proposées à l’origine par Kusurkar et al. (2011b).

Plusieurs critiques peuvent être formulées quant aux hypothèses et aux approches méthodologiques utilisées pour l’analyse structurale de l’échelle SMMS-R. D’une part, le caractère ordinal des scores d’item (lié à l’utilisation d’une échelle de Likert) n’était pas pris en compte pour les analyses. D’autre part, la nature de la matrice de corrélation élaborée à partir des scores d’item n’était pas indiquée dans les différents travaux (Abbiati et al., 2019 ; An et al., 2017 ; Kusurkar et al., 2010, 2011b). De plus, la normalité univariée et multivariée des scores d’item n’était pas vérifiée. L’affirmation d’une différence de force de motivation liée au genre, justifiée par un test de Student (Kusurkar et al., 2010 ; Zugun-Eloae et al., 2016), est donc sujette à caution. De même, l’estimateur utilisé pour déterminer le nombre de facteurs restait inconnu (Kusurkar et al., 2011b), et les critères de choix faisaient essentiellement référence au critère de Kaiser (valeur propre >1) et à l’analyse de l’histogramme des valeurs propres (scree test). Cette approche demeure imparfaite et des méthodologies alternatives performantes sont aujourd’hui disponibles (Boateng et al., 2018). Enfin, les conditions d’analyse factorielle utilisées par Kusurkar et al. (2011b) et par Abbiati et al. (2019) semblaient mal maîtrisées. En effet, à la suite d’une ACP avec rotation Promax, ces auteurs ont rapporté l’existence de corrélations entre composantes, alors que l’ACP repose sur un postulat de non-corrélation entre composantes. De plus, la rotation Promax présuppose l’existence de corrélations entre facteurs, ce qui entre en contradiction avec le principe même de l’ACP. Finalement, il ressortait du travail réalisé sur la version française que 4 items sur 15 présentent une forte ambiguïté d’allocation factorielle (Abbiati et al., 2019).

Le dernier point critique concerne la mesure d’invariance réalisée pour la version chinoise (An et al., 2017). D’une part, ce travail n’apportait aucune information sur la méthode d’estimation utilisée. D’autre part, les résultats montraient que les transitions entre niveaux d’invariance étaient caractérisées par des tests de différence de χ2 significatifs, contredisant ainsi un critère de validation de la mesure d’invariance d’item (Dimitrov, 2010).

Objectifs de l’étude

Les conclusions concernant la structure factorielle de l’échelle SMMS-R reposaient sur des considérations méthodologiques fragiles et sur des résultats dont la fiabilité pouvait être remise en question. Sur la base de ces arguments, nous avons considéré que la version française de l’échelle SMMSR (Abbiati et al., 2019) requérait une nouvelle analyse structurale, et que l’analyse des différences de force de motivation entre groupes nécessitait une analyse de la mesure d’invariance, c’est-à-dire une caractérisation argumentée et approfondie de l’interaction entre chaque item et son facteur d’allocation. Pour ces raisons, les objectifs du travail décrit ici ont consisté à réinterroger les propriétés des items constitutifs de la version française de l’échelle SMMS, à analyser leur invariance selon le genre et à comparer statistiquement la force de motivation manifestée par les étudiantes et étudiants pour les études médicales.

Méthode

Une approbation a été obtenue par le comité d’éthique de l’université d’appartenance.

Recrutement des participants et déroulement de l’enquête

Les étudiants en préclinique de la formation médicale (années 2 et 3) d’une université française (2014-2015 : N = 480 ; 2017-2018 : N = 464) ont été contactés par messagerie électronique afin de leur exposer les objectifs et la méthode, puis de leur indiquer le droit de librement participer à cette étude. Ces étudiants ont été invités à répondre électroniquement à un questionnaire disponible sur la plateforme Moodle de l’Université. Cette invitation a été reproduite pendant quatre semaines, à raison d’une fois par semaine (en mars 2015 pour les étudiants inscrits en 2014-2015 et en mars 2018 pour les étudiants inscrits en 2017-2018). L’anonymat des répondants était garanti et les données numériques collectées étaient uniquement accessibles aux chercheurs. La participation ou non à l’enquête n’avait aucune influence sur les évaluations scolaires ultérieures.

Items de l’échelle SMMS-R

Les items de la version française de l’échelle SMMS-R (Abbiati et al., 2019) sont présentés en annexe. L’item 15 de la version originale (Nieuwhof et al., 2004) (« I would like to study medicine, even if I have to spend a lot of time on topics that later turn out to be a waste of time ») a été adapté en français par les auteurs (« Je continuerai d’étudier la médecine, même si consacrer beaucoup de temps à l’apprentissage de certaines connaissances s’avérait finalement une perte de temps ») et est inclus dans le questionnaire. La notation des items 1, 3, 5, 6, 7, 10, 12, 15 et 16 est basée sur une échelle de Likert à 5 points, où 1 = désaccord total et 5 = plein accord. L’échelle de notation des items 2, 4, 8, 9, 11, 13 et 14 a été inversée en raison de leur formulation.

Analyses factorielles

Le plan d’analyse est indiqué dans la Figure 1. Les questionnaires dont la réponse à au moins 1 item était absente ont été écartés, tout comme ceux dont les scores d’item apparaissaient comme aberrants sur la base d’une représentation en boite à moustaches (box plot). Le nombre de questionnaires écartés soustrait du nombre de questionnaires récoltés a défini l’échantillon total (n = 410). Parmi cet échantillon, la normalité de la distribution de score pour chaque item (normalité univariée) a été analysée par un test de Shapiro-Wilk (logiciel SigmaPlot) en considérant que p < 0,05 signifiait que la normalité n’est pas avérée. La normalité multivariée a été analysée par un test de Mardia effectué sur les critères d’asymétrie et d’aplatissement (avec un seuil de significativité fixé à p < 0,05) (logiciel FACTOR ; Lorenzo-Selva et Ferrando, 2006). Le coefficient de corrélation entre le score d’item et le score total (ritem/score) a aussi été calculé pour chaque item (valeur limite >0,3).

Figure 1

Plan d’analyse des réponses à l’enquête

Plan d’analyse des réponses à l’enquête

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Analyse factorielle exploratoire

Il est recommandé d’utiliser une matrice de corrélation polychorique lorsque les scores d’item correspondent à des variables ordinales, et que les hypothèses de normalité univariée et multivariée ne sont pas confirmées (Baglin, 2014). Cette matrice de corrélation polychorique a été construite en utilisant le logiciel FACTOR. La qualité d’échantillonnage de la matrice a été déduite du coefficient de Kaiser-Meyer-Olkin (KMO). Le test de sphéricité de Bartlett a été utilisé afin de vérifier que la matrice de corrélation était différente d’une matrice identité.

L’estimation du nombre de facteurs communs a fait appel à la méthode de Hull (Lorenzo-Seva et al., 2011). La proximité du modèle théorique avec un modèle unidimensionnel a été évaluée en calculant la congruence unidimensionnelle et la variance commune expliquée pour chaque item et pour l’ensemble des items (Ferrando et Lorenzo-Seva, 2018). Osborne et Fitzpatrick (2012) recommandent d’évaluer le caractère réplicable du résultat d’une analyse factorielle exploratoire (AFE) sur deux sous-échantillons produits à partir de l’échantillon total. Dans ce travail, l’AFE a été conduite (logiciel FACTOR) sur l’échantillon total (n = 410) afin de bénéficier d’un effectif important (>400) et d’un ratio nombre de répondants/nombre d’items ≥20 (Boateng et al., 2018 ; Obsorne, 2014 ; Bandalos et Finney, 2018). La méthode d’estimation utilisée pour l’extraction des facteurs correspond à une analyse robuste s’appuyant sur la méthode des moindres carrés pondérés avec une statistique ajustée sur la moyenne et sur la variance (robust diagonally weighted least squares ou RDWLS ; Asparouhov et Muthen, 2010). Le calcul des intervalles de confiance (95 %) est basé sur la méthode bias-corrected and accelerated percentile (BCa ; Lambert et al., 1991). L’extraction factorielle a été complétée par une rotation oblique Promin (Lorenzo-Seva et Ferrando, 2019) pour le calcul des saturations factorielles (ci-après saturations) de chaque item. La valeur 0,3 a été définie comme seuil minimal d’acceptabilité pour une saturation factorielle.

Analyse factorielle confirmatoire

Une analyse factorielle confirmatoire (AFC) a été réalisée afin de comparer la structure adaptée aux données expérimentales (à la suite de l’AFE), avec les structures envisagées dans des travaux antérieurs (Abbiati et al., 2019 ; An et al., 2017 ; Kusurkar et al., 2011b ; Nieuwhof et al., 2004). L’AFC a été conduite en utilisant le logiciel JASP 0.12.2 (Love et al., 2019). Les réponses provenant de l’échantillon total et des groupes correspondant aux étudiantes et étudiants ont été utilisées. Le caractère ordinal des données a justifié qu’une analyse robuste s’appuyant sur la méthode des moindres carrés pondérés avec un ajustement sur la moyenne et la variance soit utilisée comme estimateur (Li, 2016). Les indicateurs de la qualité d’ajustement sont :

  • le khi carré normalisé par le nombre de degrés de liberté (χ2/ddl), avec valeur limite supérieure <3,0 ;

  • l’indice comparé d’ajustement (CFI pour comparative fit index), avec valeur limite inférieure >0,95 ;

  • l’indice de qualité de l’ajustement (GFI pour goodness-of-fit index), avec valeur limite inférieure >0,90 ;

  • la racine carrée de l’erreur quadratique moyenne d’approximation (RMSEA pour root mean square error of approximation), avec valeur limite supérieure <0,06 ;

  • la valeur standardisée de l’erreur quadratique moyenne des résidus (sRMR pour standardized root mean square residual), avec valeur limite supérieure <0,08 ; et

  • l’indice de Tucker-Lewis (TLI pour Tucker-Lewis index), avec valeur limite inférieure >0,90 (Hooper et al., 2008 ; Hu et Bentler, 1999).

L’hypothèse d’un facteur supérieur de motivation a été explorée. Une AFC de second ordre a été conduite en regroupant les facteurs issus de l’analyse de premier ordre. Les critères déterminant la qualité de l’ajustement étaient identiques à ceux décrits précédemment, en considérant la saturation de chaque facteur sur ce facteur commun et la significativité de l’interaction. La saturation a été interprétée selon les recommandations de Comrey et Lee (2013) : excellent = >0,71 ; très bon = 0,63-0,70 ; bon = 0,55-0,62 ; acceptable = 0,33-0,44 et médiocre = <0,32.

Analyse de la consistance interne et de la validité des construits

Le jeu de données utilisées correspondait à l’échantillon total (n = 410). La consistance interne de l’échelle et de ses dimensions a été estimée à partir du calcul des coefficients ω de McDonald et GLB (pour greatest lower bound coefficient ou meilleure borne inférieure). L’analyse des corrélations a été déduite du coefficient de Spearman (rs) calculé entre les scores de l’échelle entière et ceux des facteurs définis selon le résultat de l’AFC. La validité convergente des items d’un facteur a été déduite de la variance moyenne extraite (AVE pour average variance extracted) et du coefficient de fiabilité composite (CR pour composite reliability). Ces deux estimateurs standardisés ont été définis par Fornell et Larcker (1981) et calculés (logiciel Excel) comme :

en considérant que λ représente la saturation de chaque item sur son facteur respectif, et que k corresponde au nombre d’items du facteur considéré. La validité convergente était satisfaite lorsque CR et AVE étaient respectivement supérieurs à 0,7 et 0,4. Par ailleurs, le caractère discriminant entre deux facteurs a été estimé en comparant la valeur quadratique de variance moyenne partagée par deux facteurs (ASV pour average shared squared variance) et la valeur d’AVE. La validité discriminante était satisfaite lorsqu’AVE était supérieure à ASV pour les deux facteurs (Fornell et Larcker, 1981).

Analyse de la mesure d’invariance

L’analyse de la mesure d’invariance a fait intervenir une analyse factorielle confirmatoire multigroupe (AFCMG ; Xu et Tracey, 2017). L’ensemble de la procédure repose sur un test de différence de khi carré (Δχ2) entre un modèle sans aucune contrainte (c.-à-d. sans aucune invariance présupposée) et un modèle contraint (c.-à-d. présupposant une invariance sur un ou plusieurs paramètres d’item) (Dimitrov, 2010). Le test est validé lorsqu’il peut être montré que la différence de χ2 (calculée comme Δχ2 = χ2contraint - χ2non contraint) n’est pas statistiquement significative (p > 0,05). Toutefois, le test du χ2 pouvant s’avérer sensible à l’effectif, les critères CFI et RMSEA ont été utilisés de manière complémentaire. Les valeurs de CFI et de RMSEA ont été calculées et comparées à des valeurs de référence pour validation (Hu et Bentler, 1999).

L’analyse débute par un modèle sans contrainte, puis introduit progressivement l’invariance de paramètres d’item entre les groupes testés. Le premier niveau correspond à l’invariance configurationnelle (ou de base) postulant que la structure de l’échelle SMMS et la composition en items des facteurs sont identiques pour les étudiantes et les étudiants. En cas de validation, ce modèle indique que les deux groupes ont une représentation similaire du construit sous-jacent.

Dès lors, un second niveau défini comme invariance métrique (ou invariance faible) peut être testé selon le genre. L’invariance métrique implique que la contribution de chaque item pour un facteur (mesuré par la saturation ou coefficient de régression standardisé) est identique entre les étudiantes et les étudiants. Si validé, ce modèle indique que la compréhension du contenu de chaque item n’est pas affectée par le genre.

Un troisième niveau peut alors être évalué. Ce niveau correspond à l’invariance scalaire et indique un niveau d’invariance forte. Pour que l’invariance scalaire soit validée, il doit être démontré que l’intercept de chaque item n’est pas affecté par le genre des répondants. Si tel est le cas, cela indique que la compréhension de la réponse apportée à chaque item est la même, quel que soit le genre du répondant. La validation implique que la transition entre deux niveaux consécutifs d’invariance soit caractérisée par des valeurs |ΔCFI contraint vs non contraint| ≤0,01 et |ΔRMSEA contraint vs non contraint| ≤0,02 (Cheung et Rensvold, 2002).

Une AFCMG a été réalisée (logiciel JASP 0.12.2) sur le jeu de données provenant de l’échantillon total en considérant le genre comme variable indépendante. La nature ordinale des données a justifié l’emploi d’une analyse robuste par moindres carrés pondérés avec un ajustement sur la moyenne et la variance comme estimateur. La mesure d’invariance selon le genre a été analysée en considérant les modèles factoriels des premier et second ordres, testés lors de l’AFC. Alternativement, la mesure d’invariance selon le genre a aussi été évaluée en considérant le modèle structural historique (Abbiati et al., 2019 ; An et al., 2017 ; Kusurkar et al., 2011b).

Analyse comparative des scores

Les scores de l’échelle SMMS et de chaque facteur ont été calculés en utilisant les items invariants. La normalité des scores a été analysée par un test de Shapiro-Wilk (seuil de significativité : p < 0,05). Les différences liées au genre ont été estimées (logiciel SPSS 21.0) en utilisant un test de Wilcoxon-Mann-Whitney, en fixant le seuil de significativité d’une différence à p < 0,05.

Résultats

Les questionnaires (n = 418, taux de retour moyen 44 %) ont été récoltés chez les étudiants inscrits en 2014-2015 (n = 96, taux de retour = 20 %) et en 2017-2018 (n = 322, taux de retour = 69 %). Pour la cohorte 2014-2015, 1 seul questionnaire présente 6 items SMMS-R sans réponse et 3 questionnaires présentent des valeurs aberrantes aux scores d’item. Pour la cohorte 2017-2018, 4 questionnaires présentent des valeurs aberrantes aux scores d’item. L’échantillon final correspond donc à 410 répondants (âge moyen = 21,3 ans), dont 255 étudiantes et 155 étudiants. Le ratio étudiantes/étudiants (~1,64) est très proche de celui observé pour les individus suivant la formation médicale à l’université d’attache.

Analyses des scores d’item

Les scores ont été calculés pour les 16 items de l’échelle SMMS dans l’échantillon total et dans les groupes constitués des étudiantes et des étudiants (voir Tableau 1). En considérant les réponses analysées à partir de l’échantillon total, les items 1, 2, 4, 9 et 11 présentent des scores ≥4,0. Plusieurs items présentent des valeurs de coefficients d’aplatissement et d’asymétrie >1,0. Aucun item ne satisfait au critère de normalité univariée (test de Shapiro-Wilk, p < 0,05) et le test de Mardia confirme l’absence de normalité multivariée (p < 0,05). La corrélation entre le score total de l’échelle et le score de chaque item est caractérisée par un coefficient >0,3, à l’exception de l’item 2, pour lequel une valeur proche de 0,2 est observée. Les critères de normalité univariée et multivariée ne sont pas satisfaits pour les scores d’item calculés séparément pour les étudiantes et pour les étudiants.

La nature ordinale des scores d’item et l’absence de validation des normalités univariée et multivariée pour notre échantillon justifient l’expression des corrélations interitems sous la forme d’une matrice polychorique, et non d’une matrice de corrélation utilisant les coefficients de Bravais-Pearson. Les résultats sont présentés dans le Tableau 2.

Tableau 1

Statistiques descriptives du questionnaire SMMS

Statistiques descriptives du questionnaire SMMS

Note. En raison de leur formulation, certains items ont nécessité une inversion (R) de l’échelle de Likert. La distribution des scores de chaque item différait significativement d’une distribution normale (test de Shapiro-Wilk, p < 0,05). La normalité multivariée des données n’était pas vérifiée (test de Mardia, p < 0,05). ritem/score = coefficient de corrélation entre le score de l’item et le score total.

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Tableau 2

Matrice de corrélation polychorique

Matrice de corrélation polychorique

Note. Les valeurs représentent les coefficients de corrélation polychorique calculés entre les scores d’item. R = une inversion de l’échelle de Likert. Le déterminant de la matrice valait 0,036.

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Analyses factorielles

La qualité d’échantillonnage est acceptable puisque le coefficient KMO vaut 0,78 (intervalle à 95 % de confiance : 0,78-0,81). Le test de Bartlett (χ2(120) = 1335,1 ; p < 0,000) montre que la matrice de corrélation est différente d’une matrice identité. Le calcul utilisant la méthode de Hull (avec une analyse par moindres carrés pondérés avec ajustement sur la moyenne et la variance, et avec CFI comme critère optimal d’évaluation de la qualité de l’ajustement) suggère que l’ensemble des items de l’échelle représente un seul et unique facteur commun. Toutefois, la valeur du coefficient de congruence unidimensionnelle (0,825 ; intervalle à 95 % de confiance : 0,758-0,889) et la valeur de la variance commune expliquée (0,738 ; intervalle à 95 % de confiance : 0,712-0,780) sont en deçà de seuils de validation pour une solution unifactorielle. Les valeurs de ces deux paramètres, calculées pour plusieurs items (voir Tableau 3), demeurent aussi en deçà des seuils pour une allocation sur un seul facteur commun.

Analyse factorielle exploratoire

L’AFE a été conduite sur plusieurs structures hypothétiques. Les résultats sont présentés dans le Tableau 3. La solution à un facteur, qui explique 24 % de la variance observée, ne satisfait pas au critère de Kelley puisque la valeur de RMSR (root mean square residual ; 0,0664) est supérieure à la valeur attendue pour une solution factorielle acceptable (c.-à-d. 0,0494 dans nos conditions). Par ailleurs, les saturations calculées pour les items 1, 4, 8, 9, 11, 13 et 14 restent en deçà de la valeur choisie comme seuil minimal d’acceptabilité (0,3). Les hypothèses factorielles alternatives incluant deux, trois ou quatre facteurs satisfont au critère de Kelley. Elles expliquent respectivement 34,4 %, 43,8 % et 50,7 % de la variance observée. L’hypothèse à deux facteurs alloue sans ambiguïté les items 3, 5, 6, 7, 10, 12, 15 et 16 au premier facteur, et les items 4, 8, 9, 11, 13 et 14 au second facteur. Cependant, la saturation calculée pour l’item 1 n’atteint pas le seuil d’acceptabilité (0,3) et celle calculée pour l’item 2 ne permet pas une allocation univoque. Pour le modèle à trois facteurs, les saturations allouent les items 3, 5, 7, 10, 12, 15 et 16 au premier facteur. Les items 2, 4, 8, 9, 13 et 14 ainsi que 1, 6 et 11 constituent respectivement les facteurs 2 et 3. La quatrième hypothèse structurale explorée est identique à la troisième hypothèse en ce qui concerne la composition des facteurs 1 et 3, avec une dichotomie aboutissant à répartir les items 2, 4, 8 et 9 sur un facteur 2, et les items 13 et 14 sur un facteur 4. Bien que ce quatrième modèle soit plus explicatif en matière de variance, il présente le désavantage d’être moins parcimonieux et d’allouer seulement deux items sur un facteur. Sur la base de ces résultats, la solution à trois facteurs apparaît comme la plus plausible.

Tableau 3

Analyse factorielle exploratoire

Analyse factorielle exploratoire

Note. Les calculs ont porté sur 410 réponses. La congruence unidimensionnelle (I-UniCo : item unidimensional congruence) et la variance commune expliquée (I-ECV : item explained common variance) ont été calculées pour chaque item. La saturation pour chaque item a été déterminée en considérant des modèles théoriques à 1, 2, 3 ou 4 facteurs. Les chiffres en gras correspondent aux saturations prises en considération pour une allocation factorielle des items. RMSR (root mean square residual) = erreur quadratique moyenne des résidus.

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Analyse factorielle confirmatoire

Une AFC de premier ordre a été conduite sur l’ensemble des données (n = 410). Les résultats sont présentés dans le Tableau 4. Les valeurs des indicateurs CFI et TLI, calculées pour un modèle unifactoriel, n’atteignent pas les seuils minimaux pour une validation. Les analyses réalisées en tenant compte du modèle tridimensionnel décrit par Kusurkar et al. (2011b), par An et al. (2017) ainsi que par Abbiati et al. (2019) (modèle 2) montrent un assez bon ajustement de la structure aux données. Toutefois, les valeurs des indices CFI et TLI ne sont pas complètement satisfaisantes. Les indicateurs d’ajustement présentent de meilleures valeurs lorsque le modèle tridimensionnel issu de l’AFE (modèle 3) est testé. L’acceptabilité du modèle 3 a aussi été testée en omettant l’item 2 des calculs puisque cet item est faiblement corrélé avec l’échelle complète. Les valeurs des indices TLI, CFI et RMSEA sont dégradées par rapport à celles calculées pour la solution intégrant l’item 2. La bonne qualité du modèle 3 incluant l’item 2 est confirmée dans les groupes constitués par les étudiantes ou les étudiants. Ainsi, sur la base de ces résultats, on peut proposer que les facteurs 1 (items 3, 5, 7, 10 et 12), 2 (items 2, 4, 8, 9, 13 et 14) et 3 (items 1, 6 et 11) correspondent respectivement à : a) l’acceptation de sacrifices, b) l’opiniâtreté et c) la capacité d’engagement. Les valeurs standardisées des saturations et les valeurs des corrélations interfactorielles sont indiquées dans la Figure 2.

L’analyse de validité des construits a été effectuée à la suite de cette AFC de premier ordre. Les résultats sont donnés dans le Tableau 5. Les valeurs des indicateurs de consistance interne (ω et GLB) et de fiabilité composite (CR) de l’échelle SMMS sont acceptables. La corrélation entre l’échelle SMMS et chaque facteur varie de moyenne (pour lacapacité d’engagement) à très forte (pour l’acceptation de sacrifices) (voir Tableau 5). Bien que significatives, les corrélations entre facteurs sont faibles (0,333 ≥ rs ≥ 0,207). Les valeurs d’ASV demeurent systématiquement inférieures aux valeurs d’AVE, ce qui satisfait au critère de validité discriminante. Pour le facteur acceptation de sacrifices, les indicateurs ω et GLB sont acceptables. Toutefois, les indices CR et AVE n’atteignent pas les seuils minimaux pour satisfaire la validité convergente. Pour les facteurs opiniâtreté et capacité d’engagement, les indicateurs de consistance interne et de validité convergente sont médiocres.

Tableau 4

Ajustement des données expérimentales par différents modèles structuraux

Ajustement des données expérimentales par différents modèles structuraux

Note.

Modèle 1 (Nieuwhof et collab., 2004) : 16 items ; 1 facteur.

Modèle 2 (Kusurkar et collab., 2011b ; Ann et collab., 2017 ; Abbiati et collab., 2019) : 15 items ; facteur 1 : items 5, 7, 9, 10 et 12 ; facteur 2 : items 1, 3, 6, 11 et 16 ; facteur 3 : items 2, 4, 8, 13 et 14.

Modèle 3 (cette étude) : 16 items, facteur 1 : items 3, 5, 7, 10, 12, 15 et 16 ; facteur 2 : items 2, 4, 8, 9, 13 et 14 ; facteur 3 : items 1, 6 et 11.

Les indicateurs correspondaient au khi carré normalisé par le nombre de degrés de liberté (χ2/ddl), à l’indice comparé d’ajustement (CFI : comparative fit index), à l’indice de qualité de l’ajustement (GFI : goodness-of-fit index), à la racine carrée de l’erreur quadratique moyenne d’approximation (RMSEA : root mean square error of approximation), à la valeur standardisée de l’erreur quadratique moyenne des résidus (sRMR : standardized root mean square residual) et à l’indice de Tucker-Lewis (TLI : Tucker-Lewis index).* = p > 0,05.

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La faiblesse des corrélations interfactorielles, la faible consistance interne des facteurs 2 et 3 ainsi que la non-satisfaction des critères de validité convergente pour chaque facteur suggèrent qu’un facteur latent supérieur puisse représenter les trois construits. Une AFC de second ordre a été conduite afin de tester cette hypothèse. Les valeurs des indicateurs d’ajustement (χ2/ddl, sRMR, GFI, CFI, TLI et RMSEA) et la saturation de chaque item sur son facteur respectif sont identiques à celles calculées pour l’AFC de premier ordre. Ce modèle de second ordre montre que l’interaction entre les facteurs 2 et 3 et ce facteur commun est significative (p < 0,001 ; coefficients de régression respectivement égaux à 0,564 et 0,579). En revanche, l’interaction impliquant le facteur 1 n’est pas significative (p = 0,061). Au second ordre, le modèle suggéré comporte donc deux facteurs (acceptation de sacrifices et engagement-opiniâtreté). Les indicateurs de consistance interne pour le facteur engagement-opiniâtreté présentent de meilleures valeurs (voir Tableau 5). Toutefois, en dépit d’une amélioration de la fiabilité composite, le critère de satisfaction de la validité convergente n’est toujours pas atteint.

Figure 2

Analyse factorielle confirmatoire

Analyse factorielle confirmatoire

Les valeurs numériques encadrées correspondent aux items. Les valeurs numériques en gras correspondent aux coefficients standardisés de régression linéaire. Les valeurs numériques en italique correspondent aux coefficients de corrélation entre facteurs.

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Tableau 5

Validité de l’échelle SMMS

Validité de l’échelle SMMS

Note. Les calculs ont été effectués sur l’échantillon total (N = 410) en considérant les modèles issus de l’analyse factorielle confirmatoire (AFC) de premier ordre ou de second ordre.

ASV = valeur quadratique de la variance moyenne partagée (average shared squared variance) ; AVE = variance extraite moyenne (average variance extracted) ; CR = coefficient de fiabilité composite (composite reliability) ; GLB = meilleure borne inférieure (greatest lower bound) ; ω = coefficient ω de McDonald ; rs = coefficient de corrélation de Spearman. Toutes les corrélations sont significatives (p < 0,001).

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Analyse de la mesure d’invariance

L’interaction item/facteur dans les groupes constitués par les étudiantes et par les étudiants a été étudiée par une analyse de l’invariance de la mesure (selon le genre). Les trois modèles structuraux utilisés dans l’AFCMG correspondent aux modèles de premier et de second ordres décrits dans cette étude et au modèle tridimensionnel historique (Abbiati et al., 2019 ; An et al., 2017 ; Kusurkar et al., 2011b). Le Tableau 6 présente les résultats obtenus. Les valeurs de CFI, ΔCFI, RMSEA et ΔRMSEA sont satisfaisantes pour les trois niveaux d’invariance selon le genre et pour les trois modèles structuraux considérés. Toutefois, le modèle historique (Abbiati et al., 2019 ; An et al., 2017 ; Kusurkar et al., 2011b) ne satisfait pas au critère du test de différence de χ2 puisque les niveaux d’invariance M0*, M1* et M2* diffèrent significativement les uns des autres. Ce modèle a donc été invalidé. Le modèle structural faisant appel à une structure hiérarchique de second ordre (SO) n’apporte aucune valeur ajoutée supplémentaire par rapport au modèle structural de premier ordre (M). En conséquence, ce dernier a été privilégié pour les analyses comparatives.

Tableau 6

Analyse de l’invariance selon le genre

Analyse de l’invariance selon le genre

Note. L’analyse de l’invariance a été réalisée sur l’échantillon total (N = 410) en considérant les trois facteurs décrits dans cette étude (M0, M1 et M2) ou les trois facteurs décrits par Abbiati et collab. (2019) (M0*, M1* et M2*) ou encore les deux facteurs produits par l’AFC de second ordre (SO0, SO1 et SO2). Les niveaux d’invariance évaluaient l’équivalence d’allocation factorielle des items sans contrainte sur les saturations et les intercepts (invariance configurale : M0, M0* et SO0), l’équivalence des saturations sans contrainte sur les intercepts (invariance métrique : M1, M1* et SO1) et l’équivalence des saturations et des intercepts (invariance scalaire : M2, M2* et SO2). La transition entre deux niveaux a été évaluée par un test de différence de χ2 (Δχ2) avec p indiquant la significativité de la différence.

CFI (comparative fit index) = indice comparé d’ajustement; RMSEA (root mean square error of approximation) = racine carrée de l’erreur quadratique moyenne d’approximation ; sRMR (standardized root mean square residual) = valeur standardisée de l’erreur quadratique moyenne des résidus.

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Analyse selon le genre de la force de motivation pour les études médicales

Les scores de l’échelle SMMS et des trois facteurs ont été calculés en considérant les items invariants. Les distributions ne satisfaisant pas au critère de normalité, les comparaisons ont été réalisées en utilisant des tests de Wilcoxon-Mann-Whitney. Les résultats (voir Tableau 7) montrent que les étudiantes et les étudiants manifestent la même force de motivation pour les études médicales ainsi que les mêmes facteurs : acceptation de sacrifices, opiniâtreté et capacité d’engagement.

Tableau 7

Analyse comparative des scores selon le genre

Analyse comparative des scores selon le genre

Note. Les valeurs correspondent à des moyennes (écarts-types). Les différences ont été évaluées par un test de Wilcoxon-Mann-Whitney (U). La significativité est indiquée par la valeur de p.

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Discussion

Les objectifs du travail consistaient à : a) explorer la structure factorielle de l’échelle SMMS en exploitant des données présentées sous la forme d’une matrice de corrélation polychorique et en utilisant une méthodologie rigoureuse, b) analyser l’invariance selon le genre de l’interaction item/facteur et c) comparer statistiquement la force de motivation manifestée par les étudiantes et les étudiants. Les résultats obtenus ont permis d’atteindre ces objectifs.

Dans le travail d’Abbiati et al. (2019), le taux de retour moyen des questionnaires équivalait à 74 %, avec une valeur de 98 % pour les répondants français. Les modalités de passation faisaient intervenir un questionnaire électronique, et les étudiants étaient incités par les enseignants à remplir le questionnaire pendant les séances de formation. Dans le travail présenté ici, les étudiants ont été informés électroniquement de la recherche, puis incités à répondre électroniquement à l’enquête en dehors des séances de formation. Les répondants n’ont donc subi aucune influence autre que celle de leur propre motivation. Dans ces conditions, le taux de retour des étudiants inscrits en 2014-2015 était faible par rapport à celui de la population inscrite en 2017-2018, dont la valeur est proche du taux rapporté dans des travaux impliquant d’autres étudiants en médecine (Guihard et al., 2018 ; Morice-Ramat et al., 2018 ; Toquet et al., 2018). Cette évolution importante du taux de retour, qui traduit une motivation intrinsèque accrue, pourrait relever d’une acculturation des étudiants en médecine pour les projets de recherche en lien avec les sciences humaines et sociales (Lechopier et al., 2018).

Structure de l’échelle

Nos résultats argumentent en faveur d’une structure d’échelle à trois facteurs, avec une composition en items remaniée par rapport à celle décrite antérieurement (Abbiati et al., 2019 ; Kusurkar et al., 2011b). Historiquement, l’item 15 avait été exclu sur un constat d’une amélioration de la consistance interne (Kusurkar et al., 2011b). Ce postulat a été accepté sans vérification par Abbiati et al. (2019) pour la version française. Les résultats rapportés ici montrent plutôt que l’item 15 contribue significativement à l’échelle SMMS et à l’acceptation de sacrifices. Ce travail montre aussi que l’item 2 (« J’arrêterais d’étudier la médecine si j’étais à 95 % sûr de ne jamais pouvoir pratiquer dans la spécialité de mon choix ») contribue faiblement au score de l’échelle. Les répondants correspondent à des étudiants ayant fait l’objet d’une première sélection. Toutefois, leur cheminement actuel ne leur permet probablement pas d’avoir les informations suffisantes pour se projeter vers une spécialisation en 3e cycle. Par ailleurs, se prononcer sur un arrêt des études médicales dans de telles conditions peut correspondre, pour ces étudiants, à une situation sans ancrage avec la réalité. La question du retrait de cet item de l’échelle SMMS française a été posée. Les résultats des analyses factorielles ont argumenté en faveur de son maintien.

Il existe une divergence entre les pourcentages de variance expliquée par la structure factorielle dans le travail d’Abbiati et al. (2019) (c.-à-d. 54 %) et dans le nôtre (~ 44 %). Cette divergence résulte très probablement d’approches méthodologiques différentes (ACP c. AFE) ; l’ACP surestime généralement le pourcentage de variance expliquée par les composantes extraites (Osborne, 2014). Les résultats décrits ici contestent la composition en items des différents facteurs déterminée pour des étudiants francophones (Abbiati et al., 2019). En effet, le facteur capacité d’engagement incluait les items 3 (« Je choisirais de toute façon la médecine, même si cela impliquait d’étudier dans un pays étranger, dans une langue que je ne maîtrise pas encore ») et 16 (« Je serais prêt à repasser mon bac afin d’obtenir une meilleure note, si cela était nécessaire pour étudier la médecine »). Au contraire, l’item 9 (« Si étudier me prenait plus que 60 heures en moyenne par semaine, je réfléchirais sérieusement à arrêter ») contribuait au facteur acceptation de sacrifices. Notre travail montre que les items 3 et 16 contribuent à l’acceptation de sacrifices, tandis que l’item 9 participe à l’opiniâtreté. Pour un étudiant en médecine en France, il est probable qu’étudier 60 h par semaine ne représente pas un sacrifice pour atteindre son objectif, mais une forme de normalité (Marra, 2018). En revanche, étudier la médecine dans un autre pays ou bien redoubler une année de préparation aux études est perçu clairement par les étudiants français comme un sacrifice, qui peut être accepté dès lors qu’il permet la poursuite d’études médicales.

Les résultats de ce travail montrent aussi que le facteur capacité d’engagement présente de faibles caractéristiques de validité (consistance interne et validité convergente des items). Par ailleurs, les analyses décrites ici ont réduit le nombre d’items constituant ce facteur par rapport au travail d’Abbiati et al. (2019), bien que trois items sur les cinq constitutifs du facteur présentent une forte ambiguïté d’allocation factorielle. Brown (2015) recommande qu’un facteur soit représenté par au moins quatre items. Il serait donc intéressant d’inclure de nouveaux items explorant la capacité d’engagement des étudiants dans les futures enquêtes s’appuyant sur l’échelle SMMS.

Équivalence de la force de motivation exprimée par les étudiantes et les étudiants

Entre 1986 et 2018, la proportion de femmes inscrites à l’Ordre national des médecins en France a progressé de 26 % à 47,5 % (Bessière, 2005 ; CNOM, 2018). Cette évolution est accompagnée depuis 2000 par une augmentation du nombre de femmes en formation médicale (taux de féminisation >60 %) (Fauvet et al., 2015). Ce constat, effectué pour la France, s’inscrit pleinement dans le schéma d’évolution globale des professions d’exercice de soins dans le monde (Adams, 2010 ; Jefferson et al., 2015). Ces chiffres suggèrent que la motivation à poursuivre un parcours de formation médicale peut différer entre femmes et hommes. Cette hypothèse a été explorée en utilisant différentes échelles de mesure de la motivation (revue dans Kusurkar et al., 2011a). Ainsi, plusieurs rapports s’appuyant sur l’échelle Academic Motivation Scale (AMS ; Vallerand et al., 1992) ont mis en lumière des différences liées au genre, avec une motivation supérieure pour les femmes turques (Karatas et Erden, 2014) et iraniennes (Ramezani et al., 2018), mais inférieure pour les femmes chinoises (Wu et al., 2020). De même, le travail de Kusurkar et al. (2013c) concluait à une supériorité des étudiantes en matière de motivation autonome en s’appuyant sur la version néerlandaise de l’échelle AMS.

Cependant, la réalité statistique de différences explorées par des échelles de mesure psychométrique repose sur une démonstration univoque de la mesure d’invariance pour chaque item (Dimitrov, 2010), faute de quoi les conclusions peuvent être remises en question. À notre connaissance, aucune démonstration d’invariance selon le genre n’a été préalablement réalisée pour les différentes versions des échelles AMS et SMMS. Les conclusions formulées dans les différents travaux peuvent et doivent donc être réinterrogées. A contrario, le travail décrit ici présente un cadre méthodologique rigoureux permettant d’établir que l’interaction item/facteur de la version française de l’échelle SMMS ne dépend pas du genre du répondant. Selon nos résultats rapportés, il n’existe pas de différence entre les étudiantes et les étudiants quant à leur force de motivation, leur acceptation de sacrifices, leur opiniâtreté et leur capacité d’engagement dans un parcours de formation médicale.

Limites de l’étude

Malgré un effectif d’échantillon important et l’emploi d’une méthodologie rigoureuse pour l’analyse des réponses, ce travail présente plusieurs limites. En premier lieu, il n’a pas été possible d’estimer le biais de désirabilité sociale dans les réponses rapportées par les participants. Ce biais pourrait être patent puisque la procédure de recrutement utilisée par les facultés de médecine peut induire une surestimation de l’acceptation de sacrifices, de l’opiniâtreté ou encore de la capacité d’engagement de la part des étudiants. De plus, ce travail correspond à une étude monocentrique restreinte à des étudiants de premier cycle médical. Il conviendrait d’élargir à des étudiants de second et de troisième cycles médicaux recrutés dans d’autres facultés de médecine. Cet élargissement permettrait de tester le caractère réplicable de la structure factorielle auprès d’étudiants confirmés. Il conviendrait aussi d’étudier la stabilité temporelle de la version française de l’échelle SMMS dans des conditions de test-retest. Enfin, il n’a pas été possible, dans cette étude, d’élargir l’enquête vers d’autres pays francophones, comme cela était proposé par Abbiati et al. (2019). Les résultats de l’utilisation de l’échelle SMMS demeurent donc restreints à la France.

Conclusion

Cette étude a proposé une analyse des propriétés des items de l’échelle SMMS en utilisant une démarche calculatoire rigoureuse impliquant l’exploitation d’une matrice de corrélation polychorique et une estimation par moindres carrés avec ajustement sur la moyenne et la variance pour les analyses factorielles et la mesure d’invariance d’items. Les résultats établissent une structure à trois facteurs et démontrent que l’interaction item/facteur n’est pas affectée par le genre du répondant. Ce travail montre que l’échelle SMMS peut être utilisée afin d’explorer la force de motivation pour les études médicales à travers la capacité à accepter des sacrifices, l’opiniâtreté et la capacité d’engagement.

À partir de septembre 2021, l’entrée en vigueur de la Loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants (ORE) élargira l’accès en formation médicale à des étudiants issus de parcours diversifiés (PASS et LAS). Cette diversification repose sur l’hypothèse selon laquelle les étudiants du PASS et d’une LAS présentent des qualités motivationnelles similaires. Les résultats exposés dans notre étude suggèrent que la version française de l’échelle SMMS constitue un outil valide permettant de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse émise par le législateur. L’exploration de la force de motivation chez des étudiants issus du PASS ou d’une LAS permettra aux facultés de médecine d’ajuster leur schéma de recrutement, mais aussi d’accompagner les étudiants nécessitant un renforcement de telle ou telle qualité motivationnelle.

L’exposition particulière à la maladie, à l’agonie et au décès des patients des étudiants en formation médicale représente un contexte d’apprentissage fortement affectant et susceptible d’altérer leurs qualités motivationnelles. Pour un étudiant démotivé, il existe un risque réel d’abandon de formation ou d’altération de l’acquisition des compétences cliniques. Pour prévenir ces risques, un dépistage est nécessaire, et la version française de l’échelle SMMS pourra y contribuer avantageusement, dès lors que les qualités d’invariance entre les différentes années de la formation médicale auront été démontrées. De futures études devront être entreprises afin de concrétiser cet objectif.