Corps de l’article

Introduction

Il est clair que la pandémie de COVID-19 constitue un choc pour les systèmes de santé publique à travers le monde (Nau, 2020). Elle a mis à rude épreuve les capacités adaptatives des systèmes hospitaliers les plus performants et a balayé, en à peine quelques semaines, des certitudes que l’on croyait inébranlables (Bourse et Ségur, 2020). Aussi, elle a généré dans son sillage la résurgence d’interrogations parfois métaphysiques et existentielles sur le sens de la vie et le rapport à la nature, au temps et à l’espace (Morin, 2020).

La pandémie est bien plus qu’un séisme sanitaire mondial ; elle marque une rupture draconienne, et probablement irréversible avec le passé (Coulombe et coll., 2020). Des millions d’individus doivent composer avec des horaires de travail et des temporalités atypiques, des comportements sociospatiaux émergents et des situations parfois porteuses d’injonctions paradoxales. Des vocables comme « le survivalisme », « le slow movement », le « marketing de l’apocalypse » (Mercanti-Guérin, 2020) ou encore « la césure du siècle » (Marques, 2020) ont fait leur apparition dans les médias et sur les réseaux sociaux. Dans ce contexte, la solidarité nationale, l’esprit civique et l’altérité sont mis sous haute pression et revêtent, plus qu’en tout autre temps, un sens particulièrement fort.

La crise sanitaire de la COVID-19 est un rappel à l’ordre aussi brutal qu’inattendu concernant les limites du modèle libéral contemporain, fortement glorifié et associé à une certaine conception déterministe et dogmatique du monde (Morin, 2020). Elle charrie d’innombrables préoccupations lancinantes exigeant une remise en cause du paradigme dominant et une véritable mue socioéconomique. À cet égard, il convient de repenser les manières de faire et d’aborder les problèmes inhérents au nouvel ordre erratique et à la complexité de façon originale et holiste (Morin, 1990 ; Morin, 2020). D’ailleurs, l’équilibre rompu par la pandémie de COVID-19 peut être un accélérateur de changements tous azimuts (Coulombe et coll., 2020) et augurer de nouvelles tendances où la médecine numérique, la télésanté et l’intelligence artificielle occuperont une place grandissante.

Le maître-mot face à la COVID-19 semble aujourd’hui être la résilience sociale et économique, une expression incantatoire qu’on retrouve dans le discours des dirigeants mondiaux, des chefs d’entreprises et des experts. La rhétorique de la résilience est séduisante, mais la définition des mécanismes et des processus à l’oeuvre dans sa genèse et son développement se révèle complexe et contingente (Venegas et coll., 2019).

En réalité, la bataille sanitaire qui s’est engagée dans les pays touchés par la pandémie a désormais propulsé le personnel soignant sur le devant de la scène (Santarone et coll., 2020). Dans cette perspective, des questions légitimes se posent concernant sa capacité de résilience face à un quotidien professionnel inédit et jonché de tensions, surtout que, selon les épidémiologistes, la pandémie de COVID-19 risque de sévir de façon endémique.

Forts de ces constats, nous souhaitons faire ressortir les déterminants de la résilience du personnel soignant face à la crise sanitaire de COVID-19. Il paraît d’autant plus crucial de répondre à cette question qu’il semble y avoir des enseignements à tirer pour penser différemment les conditions de travail dans les hôpitaux publics. Dans le contexte pandémique actuel, les soignants semblent plus que jamais exposés aux risques psychosociaux et aux comportements à risque, notamment l’épuisement professionnel, le stress, la dépression, les dépendances et l’usure émotionnelle (Chen et coll., 2020 ; Pappa et coll., 2020). Pourtant, certains rechignent à demander de l’aide, de crainte d’être stigmatisés, dévalorisés ou dénigrés (Venegas et coll., 2019 ; Bahar et coll., 2020).

La description des déterminants de la résilience devrait permettre aux autorités compétentes de mettre en place des actions ciblées afin de promouvoir un environnement psychosocial propice au bien-être au travail au sein des hôpitaux. Il est certain que la préservation de la santé mentale et psychologique des soignants est une responsabilité nationale, et un déterminant de la qualité de la chaîne de soins et de l’efficacité du système de santé (Mehta et coll., 2016 ; Santarone et coll., 2020).

L’objectif de cette recherche est d’esquisser une analyse reproduisant les forces, les motifs et les processus en jeu dans la dynamique de la résilience des soignants. Plus particulièrement, cette étude ambitionne d’ériger une lecture fine de la résilience lors de la pandémie de COVID-19, en mettant l’accent sur la pratique professionnelle du personnel soignant des pays du Sud. Dans cette perspective, nous présenterons, de prime abord, le cadre théorique qui explicite le concept de résilience. Ensuite, nous présenterons la méthodologie qualitative adoptée. Pour conclure, nous discuterons les résultats de l’étude et nous présenterons leurs implications, ainsi que les perspectives de recherche.

Revue de la littérature

Dans son acception commune, la résilience est l’adaptation positive et constructive face à un événement traumatique, un choc émotionnel ou une situation déstabilisante. Elle désigne la capacité à rebondir face à l’adversité ou encore une stratégie d’adaptation active face aux changements imprévus (Britt et coll., 2016). En fait, la résilience est un phénomène dynamique, pluri-déterminé et multidimensionnel (Rees et coll., 2015). Elle est le fruit d’un noeud psychosocial et culturel et de (pré)dispositions individuelles. En outre, elle promeut la maturation psychologique et les comportements prosociaux et constitue une source d’avantages concurrentiels durables pour les organisations (Green et coll., 2016 ; Luthans et Youssef-Morgan, 2017).

La résilience professionnelle des soignants dépend de déterminants personnels, collectifs et institutionnels (Epstein et Krasner, 2013 ; Sherlock et John, 2016). Selon Eley et ses collègues (2013), il y a un lien positif entre le niveau de résilience du personnel soignant et les traits de personnalité comme l’estime de soi, l’optimisme, la persévérance, la coopération et le sens de la responsabilité. Par ailleurs, la valorisation du mérite, le mentorat ainsi que le recours à une politique de communication transparente, et un style de management stimulant promeuvent la résilience des soignants (Lowe, 2013 ; Sherlock et John, 2016).

La résilience dote le personnel soignant d’une plus grande combativité, lui permettant ainsi d’affronter sainement le stress et de maîtriser efficacement son environnement professionnel (Epstein et Krasner, 2013). De plus, elle réduit le taux de rotation de personnel soignants et augmente leur performance ainsi que leur résistance face aux exigences physiques, mentales et émotionnelles de leur métier (Eley et coll., 2013 ; Venegas et coll., 2019). La résilience développe une relation de soin basée sur la compréhension empathique, la bienveillance et l’écoute attentive (Lowe, 2013) et contribue à la réduction des erreurs médicales qui coûtent désormais cher au système de santé (Epstein et Krasner, 2013).

À ce propos, les médecins résilients sont plus conscients de leurs propres limites et capables de tirer des leçons de leurs erreurs, tout en étant plus soucieux de leur bien-être au travail et du perfectionnement continu de leurs compétences (Howe et coll., 2012). C’est pourquoi les cursus de formation en médecine devraient cultiver la résilience auprès des apprenants afin de préparer les futurs médecins à gérer les défis professionnels (Dyrbye et Shanafelt, 2012).

Les travaux publiés sur la résilience des soignants dans le contexte de la COVID-19 (Frias et coll., 2020 ; Chen et coll., 2020 ; Santarone et coll., 2020) soulignent unanimement que la pandémie soumet les soignants, un peu partout dans le monde, à des conditions de travail exceptionnelles, notamment l’isolement, le travail sous haute tension, le nombre inhabituel de décès, le haut risque médico-légal et les longues journées de travail sans repos. Cet environnement professionnel pénible peut avoir des conséquences graves sur la santé et l’équilibre familial. D’ailleurs, les risques fréquents auxquels s’exposent les soignants en première ligne contre la pandémie sont l’épuisement professionnel, l’anxiété, le stress post-traumatique, la contamination et parfois la mort des suites de la COVID-19 (Pappa et coll., 2020 ; Luceño-Moreno et coll., 2020).

Il ressort également des travaux consultés que la résilience a un effet protecteur et apporte une réelle valeur ajoutée à la pratique professionnelle quotidienne des soignants face à la COVID-19 (Bahar et coll., 2020). En effet, elle barde psychologiquement et mentalement les soignants en agissant comme un filtre pour gérer les imprévus et l’afflux important de patients COVID. Aussi, elle procure une capacité supérieure de ressourcement face à la pression temporelle et à l’intensité du travail (Santarone et coll., 2020 ; Frias et coll., 2020).

Selon Albott et ses collègues (2020), les soignants gagnent à activer leurs ressources défensives et le registre des émotions positives, en particulier l’autocompassion, l’empathie, l’espoir, la gratitude, le sens de l’humour et l’altruisme pour développer leur résilience face à la COVID-19. Sur le plan organisationnel, la mise en place de stratégies préventives, comme les formations en développement personnel et en résolution de problèmes, la sensibilisation concernant l’hygiène de vie et l’alimentation saine, l’accompagnement psychologique et les thérapies comportementales et cognitives, renforce le capital de résilience des soignants (Bahar et coll., 2020 ; Albott et coll., 2020). De même, le soutien des collègues de travail, l’éveil spirituel et l’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle confortent la solidité émotionnelle et mentale des soignants (Pappa et coll., 2020), leur permettant ainsi d’être mieux armés face à la deuxième vague de COVID-19 ou aux pandémies futures (Bahar et coll., 2020).

La revue de la littérature souligne que la résilience des soignants dans le contexte de la COVID-19 est un phénomène complexe et contingent (Bahar et coll., 2020 ; Albott et coll., 2020). Toutefois, il y a un certain flou dans les recherches menées, dans le sens où l’on retrouve des analyses tantôt explicatives, tantôt descriptives et prescriptives. L’absence de consensus concernant les déterminants et les voies à travers lesquelles la résilience des soignants émerge, et se meut, exige un effort supplémentaire d’investigation.

D’un autre côté, la majorité des études sur la résilience des soignants réalisées jusqu’à présent ont été menées dans les pays occidentaux et asiatiques. Or, à ce jour, aucune recherche scientifique sur cette question n’a été effectuée en Afrique du Nord. Pourtant, il est crucial de privilégier une compréhension encastrée dans les particularités locales et régionales. La transposition des conclusions issues d’autres environnements peut s’avérer inadaptée en raison des différences au niveau des valeurs culturelles, des systèmes de santé et des structures institutionnelles.

À cet égard, il est important d’élucider les arcanes de la résilience des soignants dans la lutte contre la COVID19, en particulier dans les pays du Sud. Force est de constater que la pandémie a creusé les inégalités entre les pays en matière d’accès aux services de soins, et a significativement fragilisé les systèmes de santé publique des pays du Sud déjà aux prises avec des défaillances chroniques (Bensimon et coll., 2020). Ainsi, cette recherche peut avoir une résonance particulière à travers la mise en perspective des particularités des conditions de travail dans le milieu hospitalier en Tunisie sur fond de crise sanitaire liée à la COVID-19.

Choix méthodologiques

Pour en arriver à une compréhension en profondeur de la résilience du personnel soignant, une méthodologie qualitative s’est avérée appropriée (Yin, 2003). Ce choix est justifié par le besoin de donner un sens contextualisé au vécu des interviewés et de développer une lecture riche des phénomènes complexes étudiés.

Terrain d’étude et stratégie d’échantillonnage

Nous avons choisi d’étudier le cas d’un hôpital public en Tunisie situé dans le gouvernorat de Bizerte, et entièrement consacré à la prise en charge des patients atteints de la COVID-19. Pour des raisons de confidentialité, nous avons choisi de le nommer établissement X. La sélection élective d’un cas unique était délibérée. Elle était guidée par la pertinence et l’intérêt du cas (Yin, 2003) eu égard à la question de recherche, mais également par le besoin de dégager une analyse localement ancrée.

Concrètement, nous avons entrepris notre étude par un échantillonnage initial centré sur quatre participants. Le noyau primaire d’interviewés était composé de deux médecins et deux infirmiers contactés de façon informelle et sur la base du volontariat. La sélection des autres répondants s’est faite en boule de neige. L’échantillon de convenance est composé au total de 21 personnes dont les caractéristiques sociodémographiques sont présentées dans le tableau 1 ci-dessous.

Tableau 1

Caractéristiques de l’échantillon

Caractéristiques de l’échantillon

-> Voir la liste des tableaux

Protocole de collecte des données qualitatives

Les données ont été collectées entre le 11 mars et le 5 mai 2020. Une première série d’entretiens semi-directifs en face à face doublée d’échanges informels avec deux médecins, un infirmier et un réanimateur a été réalisée avant le confinement total sanitaire qui a débuté le 21 mars et qui s’est poursuivi jusqu’au 3 mai. Une seconde série d’entretiens par téléphone, visioconférences et médias sociaux, a été réalisée au cours du confinement total. La durée moyenne des entretiens est de 50 minutes et la durée totale des entrevues effectuées avec les 21 répondants est d’environ 37 heures.

Le guide d’entretien employé se compose des thèmes suivants : les stratégies personnelles déployées pour composer avec la crise sanitaire, les ressources personnelles mobilisées pour résister aux sollicitations professionnelles, les bonnes pratiques adoptées pour atteindre les objectifs et les leviers qui promeuvent la capacité de résilience au travail.

De plus, une pluralité de documents (sites Internet, brochures, articles de presse, site du ministère de la Santé, site de l’Observatoire national des maladies nouvelles et émergentes) et des données informelles et secondaires ont été exploitées. Enfin, l’observation non participante a permis de compléter l’analyse grâce au recueil de données non verbales et paraverbales.

Les entretiens ont été retranscrits et le matériau qualitatif collecté a été analysé au fur et à mesure de la conduite de l’investigation. L’enchaînement des analyses élémentaires nous a permis d’étoffer incrémentalement le cadre global d’analyse, de mieux canaliser les entrevues ultérieures et de préserver la chaîne de sens. Le va-et-vient entre le terrain et l’analyse nous a permis de compléter les données et de nous assurer de leur saturation, et en même temps de vérifier que les premières ébauches d’interprétation traduisent fidèlement le point de vue des répondants. Ainsi, la teneur et la richesse du matériau qualitatif collecté ont constitué le baromètre de la saturation théorique (Strauss et Corbin, 1990), qui a d’ailleurs été atteinte après le 18e entretien.

Procédure de codage et interprétation des résultats

Nous avons écrit minutieusement les interviews enregistrés et nous avons attribué des codes numérotés aux extraits du texte retranscrit qui correspondent à des unités de sens. Les codes ont été créés in vivo à partir des propres mots, bribes de phrases et expressions des interviewés afin de refléter fidèlement leurs points de vue. Un double codage a été pratiqué de façon systématique à l’ensemble du matériau qualitatif.

Cette première étape a été suivie par une deuxième, qui a consisté dans le regroupement des segments issus du codage ouvert. La condensation des codes primaires a permis à la fin du processus d’élaborer un arbre catégoriel grâce auquel les catégories principales et les catégories secondaires ont été distinguées. L’évolution graduelle de l’analyse et la comparaison inter catégories ont permis l’affinement des propriétés des catégories et l’émergence d’une catégorisation plus formalisée et nette. Finalement, la grille de codage a permis de condenser les thèmes en six méta-catégories reflétant les déterminants de la résilience des soignants interviewés.

Plusieurs précautions ont été prises pour renforcer la validité interne de la recherche et la robustesse des résultats. Ainsi, nous avons adopté un cheminement clair et nous avons érigé une chaîne de preuve et de sens tout au long du processus d’analyse. Aussi, nous avons fait appel à la triangulation des sources d’information et à une collecte des données large, jusqu’à l’atteinte de la saturation. De plus, un résumé de l’étude a été envoyé par courrier électronique aux interviewés pour solliciter leur retour et la validation du cas.

La phase d’interprétation consiste dans la recomposition des différents éléments de l’analyse dans un canevas explicatif global qui explicite le sens des relations entre les catégories centrales. Selon Strauss et Corbin (1990), la sensibilité théorique du chercheur joue un rôle important lors de cette phase pour établir des interconnexions entre les catégories et extraire le sens. Le but principal est de « faire parler » les données, de décortiquer les soubassements des phénomènes observés et de décoder les perceptions en jeu et les non-dits.

Résultats de l’étude de cas 

À l’issue de l’analyse thématique, nous avons retenu trois pivots qui structurent les résultats obtenus. Le premier dévoile les conditions de travail des interviewés avant la pandémie (voir le tableau 2). Le deuxième met en lumière le risque sanitaire auquel s’expose le personnel soignant dans le contexte pandémique. Enfin, le troisième présente les déterminants motivationnels de la résilience des interviewés.

Conditions de travail avant la pandémie : usure professionnelle et négation du mérite

L’environnement professionnel tel qu’il est décrit par les interviewés cumule une pluralité de contraintes physiques : posture debout prolongée, travail de nuit, grandes distances parcourues entre les services, durée quotidienne du travail variable, horaires décalés, cadence de travail accélérée par intermittence, pauses courtes, pression temporelle, ambiance thermique inadaptée, insalubrité des locaux, etc. Du côté de la charge mentale et psychologique, les sources d’inconfort énumérées par les interviewés sont multiples, notamment la marge d’autonomie quadrillée, les agressions verbales et la violence de certains patients, les incivilités quotidiennes, le stress, les tensions avec la hiérarchie, l’absence de soutien institutionnel, les problèmes de coordination, etc.

Les interviewés livrent des témoignages sans concession concernant la pénibilité du travail qui les expose à des maladies professionnelles et « empoisonne » leur vie extra-professionnelle, comme en atteste ce verbatim : « Je cours tout le temps, je mange sur le pouce, j’ai des problèmes digestifs à cause du stress. Lorsque je rentre chez moi je veux juste dormir, ma famille comprend, mais souffre de cette situation… » (aide-soignante).

Dans le même registre, les interviewés déplorent un ensemble de défaillances managériales, notamment le cadre statutaire rigide, le formalisme paralysant, les pratiques de GRH standards, la non-reconnaissance formelle des efforts fournis, l’absence d’outils de veille et de pilotage social, la faible valorisation du rôle de la hiérarchie, le culte du leadership normatif et la faible compétitivité des salaires par rapport au secteur privé. Plus particulièrement, l’absence de reconnaissance institutionnelle et de gratification symbolique suscite une certaine frustration chez les interviewés.

Dans la même lignée, les interviewés estiment qu’ils sont sous-payés et peu valorisés. L’échelle salariale ne prend pas en compte l’indice des prix à la consommation ; de plus, les augmentations salariales sont dérisoires par rapport à l’inflation galopante et aux contraintes du métier. Cette situation affecte particulièrement les infirmiers et les aides-soignants qui affirment que la dégradation graduelle de leur pouvoir d’achat a produit chez eux un sentiment d’être des travailleurs pauvres.

Risques professionnels post-COVID-19 exacerbés 

Les interviewés soulignent que leurs conditions de travail se sont dégradées davantage avec la pandémie, comme en témoignent ces verbatim : « Je travaille en moyenne 10heures par jour, avec l’afflux sans précédent aux urgences » (médecin résident). « Je ne rentre plus chez moi, je suis hébergé dans l’hôtel réquisitionné pour minimiser le risque de contaminer ma famille » (médecin). En effet, les interviewés attestent qu’ils exercent leur travail dans des conditions extrêmes et dénoncent fermement le manque cruel de matériel de protection. « Au début de l’épidémie, les bavettes n’étaient pas disponibles en nombre suffisant, on porte parfois la même bavette pendant 24 heures…la situation serait grave si les soignants sont contaminés en grand nombre » (infirmier).

Les interviewés sont bien conscients des risques qu’ils encourent ; pourtant, ils affirment qu’ils doivent les affronter stoïquement. « Nous sommes dans une guerre sanitaire, malgré la fatigue on est prêt à se battre pour sauver des vies, ma seule inquiétude concerne la capacité d’accueil de l’hôpital dans le cas de contagion exponentielle » (médecin). En outre, les interviewés craignent que le contexte pandémique les place face à un dilemme et des choix difficiles à assumer sur les plans éthique et psychologique. « Nous redoutons tous un rebond de l’épidémie avec une saturation des unités de réanimation et surtout l’obligation de faire des choix entre les patients à réanimer, rien qu’en pensant à ce scénario je flippe totalement » (réanimateur).

Tableau 2

Éléments de contextualisation

Éléments de contextualisation

-> Voir la liste des tableaux

Les déterminants de la résilience au travail

Les résultats obtenus, présentés dans le tableau 3, ont permis de faire ressortir six déterminants cardinaux de la résilience des interviewés : connivence interpersonnelle, culture professionnelle forte, agir professionnel éthico-moral, leadership spirituel, motivation à l’égard du service public et reconnaissance des patients.

– Connivence interpersonnelle

La connivence interpersonnelle qui caractérise le construit social étudié est fondée sur la confiance et l’attachement affectif. Les interviewés ont bâti des relations de confiance fondées sur le respect, la franchise, la bienveillance et la réciprocité. Ils nous ont confié que cette philosophie du vivre-ensemble a réduit l’incertitude et les conflits et a promu la lisibilité du comportement de l’autre. Quant à l’attachement affectif, il se manifeste dans la démonstration d’intérêt à l’égard du bien-être des collègues, l’empathie, le soutien moral et l’investissement dans des relations positives au travail.

– Culture professionnelle forte

L’identification des interviewés à un repère valoriel partagé et l’adhésion à un système de conventions et de normes tacites ont promu un sentiment d’appartenance assez fort à la communauté soignante. Cette culture partagée est le fruit d’un mélange fondé notamment sur le vécu professionnel, les moments marquants de la vie du groupe, les principes déontologiques, la perception de similarité socioculturelle et le cursus de formation. Ce référentiel identificatoire a cimenté les liens socioprofessionnels et a impulsé une culture professionnelle centrée autour de standards de comportements, de codes et d’une identité collective. « L’esprit de famille qui règne dans le service nous fait oublier la peur face à la COVID…c’est une fourmilière tout le monde se donne à fond on se soutient mutuellement, il n’y a pas de distinction entre médecins et infirmiers » (médecin).

– Agir professionnel éthico-moral

Trois sous-catégories sous-tendent l’agir professionnel éthico-moral : la conscience professionnelle, la patience et le respect de la dignité humaine. En fait, la conscience professionnelle transparaît à travers l’autodiscipline et le sens de la réserve dans les agissements et la parole. Ainsi, les relations de travail se meuvent dans un cadre prescrit d’exigences et d’objectifs professionnels où chacun active ses compétences de façon responsable et dans le respect de l’autre. Par ailleurs, la patience constitue une qualité dominante dans l’exercice du métier de soignant, comme l’atteste ce verbatim : « Ce n’est pas toujours facile de garder son sang-froid…il faut prendre sur soi, contrôler ses émotions et réagir avec beaucoup de subtilité pour soigner le patient tout en préservant le lien humain » (infirmier).

Quant à la dimension touchant au respect de la dignité humaine, elle interpelle la primauté de la relation soignant-patient, l’accompagnement et l’écoute attentive. Sur ce point, tous les interviewés ont dénoncé unanimement la déshumanisation des soins de santé constatée ces dernières années, tout en insistant sur l’importance du lien social dans le traitement des patients.

– Leadership spirituel

Les interviewés ont dénombré les qualités humaines et professionnelles de leur chef de service. Trois sous-catégories ont émergé du travail de condensation des propos collectés : honnêteté, style d’animation bienveillant et stimulant et gestion par l’humour. Ces qualités du supérieur hiérarchique renvoient vers la piste du leadership spirituel.

Certains thèmes qui reviennent dans le discours des interviewés, notamment la constance du comportement, la droiture, la justice et la bonne foi, soulignent l’honnêteté du chef de service. Quant au style d’animation du supérieur hiérarchique, il est fondé sur l’accompagnement professionnel, la responsabilisation, le respect et le mentorat informel. De même, le recours à l’humour a promu des relations cohésives au sein de la dyade supérieur- subordonné et a permis aux interviewés de se détacher de la routine, de stimuler le registre des émotions positives et de réduire la fatigue psychologique.

Par ailleurs, les interviewés ont unanimement valorisé le savoir-faire du chef de service en matière de reconnaissance symbolique. Ce dernier a établi une routine en matière de valorisation professionnelle, notamment les félicitations publiques, l’appui positif auprès de la direction et les mots d’encouragement. Ces mécanismes de gratification informels ont érigé des relations de confiance et ont compensé en partie l’absence de reconnaissance institutionnelle.

– Motivation à l’égard du service public

Les données collectées montrent que les motifs de l’engagement des interviewés dans la fonction publique hospitalière peuvent être répartis en trois sous-thèmes : le sens du devoir civique, la vocation professionnelle et le service de l’intérêt général.

L’investissement professionnel des interviewés obéit à un impératif de conscience et véhicule du sens et des valeurs nobles de solidarité et de citoyenneté. À cet égard, les interviewés soulignent que les soins quotidiens au service des malades leur procurent un sentiment d’utilité sociale et une grande satisfaction personnelle. Ils estiment que leurs efforts ont une incidence directe et tangible sur le bien-être et la santé des citoyens. « J’ai eu des offres financières intéressantes pour travailler dans le privé et à l’étranger, mais j’ai refusé. Je ne quitterai jamais l’hôpital public et encore moins ma chère Tunisie, quelque part il y a un devoir de reconnaissance envers mon pays » (médecin). « L’engagement dans le public était une vocation pour moi, j’y travaille depuis 20 ans et le plaisir est toujours au rendez-vous malgré les difficultés, soigner les citoyens les plus fragiles, sauver des vies… croyez-moi ça n’a pas de prix » (médecin).

Dans la même veine, les interviewés soulignent fermement que la santé des Tunisiens n’est pas une marchandise, tout en insistant sur l’obligation morale de s’engager dans la bataille contre la pandémie malgré le risque omniprésent. « Dans ces circonstances exceptionnelles, il n’y a plus de place aux petits calculs et à l’égoïsme, nous sommes des soldats en blouse blanche on est prêts à servir nos compatriotes de toute notre force » (réanimateur).

– Marques de reconnaissance des patients

En plaçant le patient au centre du protocole de soin, les interviewés ont établi une relation soignant-soigné de qualité imprégnée d’humanisme, de confiance et de respect. « Certains patients COVID se sentent stigmatisés, certains pensent qu’ils vont mourir alors que d’autres croient que c’est une sanction divine. Il faut savoir les écouter et les rassurer face à la peur de la maladie » (médecin).

La redevabilité, les encouragements et les marques de reconnaissance exprimés par les patients en général, et par les malades guéris de la COVID-19 en particulier, mettent en avant le mérite professionnel des interviewés et colmatent en partie la brèche dans la relation avec la direction. À ce propos, la dimension affective de la relation de soin a promu le dépassement de soi, la motivation et le ressourcement des interviewés, comme en témoignent ces extraits de verbatim : « Les remerciements et les regards parfois en larmes et pleins d’estime de mes patients guéris de la COVID-19 sont la meilleure reconnaissance pour moi, ça met du baume au coeur et ça m’encourage à affronterle risque de contamination » (infirmière). « Après guérison, certains patients prennent des photos-souvenirs avec nous, on a eu droit à des fleurs, des gâteaux et des mots très touchants. Ces petites attentions boostent le moral à fond » (médecin résident).

Tableau 3

Les déterminants de la résilience des interviewés

Les déterminants de la résilience des interviewés

-> Voir la liste des tableaux

Discussion

La synthèse des résultats obtenus fait état de six déterminants de la résilience des interviewés renvoyant à la connivence interpersonnelle, la culture professionnelle, l’agir professionnel éthico-moral, le leadership spirituel, la motivation à l’égard du service public et la reconnaissance des patients. En fait, cette recherche a souligné que la résilience n’est pas une réaction spontanée dans un contexte professionnel difficile ou inhabituel (Venegas et coll., 2019). Elle est tributaire des dispositions personnelles, de la dynamique de groupe, du soutien social, de la stabilité familiale, du style de leadership et des contingences situationnelles.

L’étude a révélé que le leadership spirituel du supérieur hiérarchique et son accompagnement actif ont raffermi le développement professionnel et les ressources psychologiques des interviewés. Ce résultat est corroboré par les recherches de Lowe (2013) et Nilakant et ses collègues (2014) qui soulignent qu’un leadership bienveillant et spirituel promeut la résilience et les comportements prosociaux. De même, Fry et ses collègues (2016) affirment que le leader spirituel est capable de favoriser l’enracinement et la diffusion d’une culture de compassion, de foi et de performance.

D’autre part, la connivence qui caractérise les relations entre les interviewés a joué un rôle non négligeable dans la tolérance de l’âpreté du contexte professionnel. Ces relations denses marquées par la réciprocité, la confiance et une forte pénétration sociale (Altman et Taylor, 1973) ont renforcé la capacité d’auto-préservation et la libération psychologique des interviewés. En effet, la souscription à des relations de proximité avec les collègues renforce l’approbation sociale, agit positivement sur le bien-être au travail et promeut la résilience individuelle et communautaire (Aldrich et Meyer, 2015 ; Satterwhite et Luchnern, 2016). Effectivement, l’affiliation au groupe et la solidarité combattent le sentiment d’insécurité et d’impuissance et constituent un rempart contre l’adversité (Tousignant, 2012 ; Sharma et Sharma, 2016). La normativité du groupe dicte une ligne de conduite consensuelle, produit une référence collégiale de jugement et amenuise la perception de vulnérabilité. Dès lors, la résilience des interviewés apparaît comme le fruit d’une stratégie collective de regain de pouvoir.

Dans le même ordre d’idées, l’identification des interviewés à une culture professionnelle inclusive constitue une ressource-clé dans le développement de la résilience. Le référentiel culturel est un levier de résilience collective et de construction identitaire (Tousignant, 2012). Il renforce la capacité d’autorégulation et permet de transcender positivement le stress que les soignants expérimentent au quotidien (Mehta et coll., 2016). Sur ce point, les interviewés ont affirmé que l’absence d’une culture institutionnelle fédératrice a été compensée par l’adoption d’un système idioculturel (Fine, 1979) où le groupe d’appartenance constitue un lieu privilégié de création culturelle et de socialisation.

L’autre source de résilience des interviewés réside dans la culture sociétale. À cet égard, la cohésion du groupe, qui caractérise les cultures collectivistes comme la culture tunisienne, influence positivement la résilience, dans le sens où elle apaise le sentiment d’incertitude en aménageant les émotions négatives. En revanche, dans les cultures individualistes, la résilience est optimisée à travers le sens de l’autonomie et la confiance en soi (Satterwhite et Luchnern, 2016).

Les résultats obtenus mettent en lumière le rôle non négligeable des ressources personnelles en matière de résilience. En effet, les interviewés se caractérisent par un locus de contrôle interne et sont conscients de leur utilité sociale, de leur auto-efficacité et de leur compétence. Dans cette perspective, Eley et ses collègues (2013) affirment que les médecins qui ont une personnalité mature, une haute auto-directivité et de l’endurance disposent d’un niveau de résilience élevé leur permettant d’affronter les fortes sollicitations qui caractérisent le milieu médical.

D’un autre côté, la résilience des interviewés trouve son origine dans la motivation à l’égard du service public. Cette dernière renvoie à un attrait viscéral pour les missions de service public et un attachement à l’intérêt général (Perry et Wise, 1990). En effet, la motivation à l’égard du service public traduit un élan altruiste et désintéressé (Christensen et coll., 2017) ou encore une forme de « générosité patriotique » (Hondeghem et Vandenabeele, 2005). Elle interpelle les dimensions éthiques et morales qui sous-tendent l’engagement envers la communauté (Dahmani, 2015) et explique le comportement prosocial des interviewés face à la crise sanitaire.

Notons par ailleurs que le déni de reconnaissance au travail ressenti par les interviewés peut être interprété comme du mépris institutionnel et risque de générer de la souffrance sociale (Renault, 2017). Toutefois, le développement d’une relation de soin basée sur la bienveillance et l’écoute a créé de la réciprocité entre les interviewés et les patients, rappelant ainsi la logique du don/contre-don (Mauss, 1973). Ainsi, la reconnaissance symbolique des patients compense en partie le manque de reconnaissance formelle et peut être une source de motivation et de satisfaction pour les soignants (Bourdil et Ologeanu-Taddei, 2018).

Dans un autre ordre d’idées, la mise en perspective des profils des interviewés a permis de nuancer les différents points de vue et de distinguer deux groupes ; d’un côté, le corps médical, de l’autre, le corps des infirmiers et des aides-soignants. Pour le personnel médical, la résilience dépend principalement de déterminants intrinsèques liés à l’engagement envers l’ethos public et au sens du devoir civique. Pour les infirmiers et les aides-soignants, la résilience dépend en grande partie de déterminants extrinsèques, notamment la qualité du climat social et les relations humaines au travail. Ce résultat révèle que la résilience met en scène l’imbrication de motifs affectifs et normatifs et s’enracine dans des mécanismes motivationnels idiosyncrasiques qui traduisent les choix de carrière des interviewés et procurent un sens à leur investissement. Sans doute, l’intelligibilité de la résilience des soignants revient à reconnaître l’unicité et les particularismes de leur pratique professionnelle ainsi que la complexité des logiques d’action qui façonnent leurs comportements au travail.

Tout bien considéré, le fonctionnement résilient génère une réelle valeur ajoutée pour les patients, les soignants et la pratique des soins au niveau aussi bien humain, éthique, sanitaire qu’économique (Eley et coll., 2013 ; Bahar et coll., 2020). La résilience peut être assimilée à un capital psychologique positif (Luthans et Youssef-Morgan, 2017) ou encore une compétence psychosociale dont l’évolution suit une trajectoire imprédictible et réversible (Venegas et coll., 2019). C’est pourquoi il importe de cultiver et d’entretenir la résilience des soignants par des pratiques managériales congruentes et des efforts soutenus (Albott et coll., 2020).

N’étant pas un acquis définitif, la résilience peut parfois s’avérer insuffisante ou inefficace face à l’ampleur de certains évènements traumatiques et délétères. C’est pourquoi les autorités sanitaires doivent être vigilantes par rapport au risque d’érosion de la résilience des soignants dans le cas où la pandémie de COVID-19 s’installe dans la durée. Aussi, elles gagnent à repenser l’agir public en matière de santé, à ériger un système de soins résilient et inclusif et à moderniser la GRH publique dans le milieu hospitalier en Tunisie.

Conclusion

À partir des trajectoires professionnelles de 21 interviewés, cette recherche a mis en exergue les composantes motivationnelles de la résilience composé de déterminants autant personnels qu’interpersonnels et socioculturels. Les résultats obtenus soulignent que le développement de la résilience constitue une responsabilité partagée entre le personnel soignant, le système hospitalier, les autorités sanitaires, l’encadrement et les dirigeants des établissements de santé.

Bien que cette recherche soit à visée heuristique et exploratoire, son apport s’articule résolument autour de trois axes. D’un point de vue théorique, elle s’inscrit dans la lignée de plusieurs travaux qui attestent que la complexité de la résilience exige une approche systémique, transversale et contingente (Rees et coll., 2015 ; Venegas et coll., 2019). D’un point de vue managérial, les résultats obtenus pourraient être exploités utilement par les autorités politiques et administratives afin de mieux comprendre les attentes sociales et de rompre avec l’instrumentalisme, le managérialisme misanthrope et l’utilitarisme. Dans un monde en effervescence, les organisations publiques gagnent à souscrire à un modèle alternatif de gestion des hommes capable d’injecter du sens, d’impulser l’engagement et la motivation au travail (Yotawut, 2018).

Il clair que le développement de la résilience en milieu hospitalier représente un véritable défi pour les responsables des ressources humaines, les dirigeants publics et les autorités sanitaires. À cet égard, la réingénierie du système de santé tunisien qui est à bout de souffle s’impose. Des mesures urgentes doivent être prises concernant les conditions de travail du personnel soignant et administratif, la professionnalisation de la GRH publique, la stratégie de surveillance épidémiologique nationale et la réhabilitation des infrastructures de santé. Aussi, la mise en place de programmes de formation continue et d’accompagnement personnel et professionnel peut renforcer la résilience du personnel soignant et influencer positivement l’efficacité du système de soins (offre de soins de qualité, réduction des coûts cachés, des risques psychosociaux et des fautes professionnelles, performance, fidélisation des soignants) et la satisfaction des patients.

D’un point de vue institutionnel, les défis imposés par la pandémie exigent un raisonnement anti-conventionnel et induisent une réflexion profonde sur la gouvernance sanitaire (Bourse et Ségur, 2020). Une chose est certaine, l’amélioration effective du système de santé tunisien transite inexorablement par un recentrage autour des patients, des soignants et des professionnels de santé. De même, il est crucial d’améliorer les capacités hospitalières dans les régions rurales et de développer un secteur de santé publique de qualité capable d’être un catalyseur de progrès socioéconomique et garant d’équité sociale. Il est certain qu’une conception purement bureaucratique et technocentriste de la réforme du système de santé risque de générer un formalisme excessif et des coûts sans contrepartie, en particulier dans le contexte de transition démocratique vacillant que connaît la Tunisie depuis 2011, et se caractérisant par de fortes attentes sociales et un élan d’empouvoirement citoyen et politique sans précédent (Dahmani et Saidani, 2020).

La rupture brusque imposée par la pandémie de COVID-19 a bousculé l’équilibre du système socioéconomique, mais, parallèlement, elle a promu un certain désordre positif, des déséquilibres créatifs et la découverte de nouvelles capacités d’action collective (Coulombe et coll., 2020). Désormais, le pilotage de ce changement revient à une gestion prudente de cette base complexe de relations dialogiques, de désorganisation et de discontinuité (Morin, 2020).

Non sans un certain paradoxe, la crise sanitaire mondiale peut être une occasion pour penser autrement la souveraineté sanitaire. Des voies d’action possibles, comme le développement de la médecine numérique et l’usage des objets connectés de santé, sont porteuses pour lutter contre la propagation des épidémies et orienter efficacement la prévention, le contrôle et la veille sanitaire. En outre, il faut rappeler que la crise sanitaire a raffermi le tissu social et le sens citoyen à travers l’engagement bénévole et les actions caritatives. Elle a donné un élan aux initiatives et à l’inventivité des chercheurs, des médecins, des jeunes entrepreneurs et des ingénieurs face à la carence des équipements, notamment dans les pays du Sud, pour produire des appareils respiratoires, des masques et des unités de soins ambulants.

Il reste que cette ébauche d’étude n’échappe pas à la critique. En dépit des précautions prises, le risque d’interférence de biais comme la désirabilité sociale et l’auto-complaisance ne peut pas être exclu. En outre, la recherche s’est appuyée sur un cas unique, ce qui tend à amenuiser la portée des conclusions et la possibilité de nuancer l’analyse à moyen de comparaisons inter-cas.

Il serait utile de compléter cette recherche par une étude confirmatoire avec un échantillon plus large incluant des profils variés de professionnels de la santé. Aussi, l’identification des vecteurs de la résilience des patients atteints de la COVID-19 serait une piste intéressante. L’étude de la résilience des étudiants en médecine est une autre piste prometteuse qui gagne à être explorée par une approche longitudinale ou par les récits de vie.