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Introduction

Les médias socionumériques ont pris une grande importance dans le paysage médiatique et la vie quotidienne des citoyens[1] partout sur la planète au cours des quinze dernières années. Le monde universitaire n’est pas étranger à ces bouleversements. Cette note de recherche aborde les usages des médias socionumériques dans les universités. Trois aspects sont abordés. Les répercussions sur 1) l’enseignement, 2) la recherche et 3) les communications de l’université et le recrutement. Les questions à propos de la liberté académique des professeurs et chargés de cours ainsi que le possible ou impossible arrimage avec les stratégies institutionnelles déployées par le service des communications des universités sont également abordées.

1. Mise en contexte

Au cours des quinze dernières années, les médias socionumériques se sont imposés comme une composante importante du paysage médiatique dans plusieurs régions du monde (Pew Research Center, 2019; We Are Social and Hootsuite, 2021). Le Canada n’échappe pas à cette tendance. En effet, 94 % des Canadiens d’âge adulte avaient au moins un compte sur au moins une plateforme numérique en 2020. Les dernières années ont toutefois été marquées par une expansion et, de manière plus significative, une diversification de cette arène de communication en ligne. En effet, d’une part plusieurs plateformes accordant une importance particulière au contenu audio et visuel ont vu leur nombre d’usagers bondir entre 2017 et 2020. Ainsi, le nombre d’adultes ayant au moins un profil sur Instagram a crû de 14 %, alors que YouTube et SnapChat ont connu des gains de 5 % respectivement (Gruzd & Mai, 2020). D’autre part, bien que le taux d’usagers quotidien de certains canaux socionumériques ait stagné ou légèrement diminué entre 2017 et 2020 – notamment Facebook et SnapChat qui ont connu une baisse de 2 % et 3 % respectivement –, d’autres plateformes ont connu une croissance assez importante. Par exemple, le taux d’usagers quotidien de YouTube a crû de 16 % alors que ceux d’Instagram, de LinkedIn et de Twitter ont connu une hausse de 8 %, 7 % et 5 % respectivement (Gruzd & Mai, 2020).

Ces transformations dans l’espace sociomédiatique ont eu un impact sur plusieurs domaines d’activités, comme l’ont démontré de récents travaux portant sur la communication politique (Duguay, 2020; McGregor, 2020; Peng, 2020), le marketing (Chatterjee & Kar, 2020; Jacobson et al., 2020) ou la communication en lien avec la santé (Malecki et al., 2021; Puri et al., 2020). Cette note de recherche s’appuie sur et complémente les travaux de plusieurs chercheurs portant sur l’impact des médias socionumériques sur différentes facettes du monde universitaire (entre autres Delfanti, 2020; Peruta & Shields 2017a, 2017b). En effet, ils ont bouleversé la charge de travail de plusieurs acteurs dans la sphère académique, que ce soit les étudiants des trois cycles universitaires, les services de relations publiques et de marketing des universités, les départements académiques, les chaires et groupes de recherche, ainsi que les professeurs et les chargés de cours. Selon Britton et al., 2019), les médias socionumériques offrent un espace de communication flexible et décentralisé qui transcende les laboratoires de recherche, les frontières des pays, les étapes d’une carrière académique, les langages, les cultures ainsi que les expériences personnelles et professionnelles. D’une certaine manière, ils ont été la source d’une onde de choc pour la culture universitaire plus traditionnelle. Il est à noter que la crise sanitaire liée à la COVID-19 qui a débuté en mars 2020 a nécessairement forcé plusieurs à repenser et, dans certains cas, à intensifier leur utilisation des technologies de communication numérique, dont les médias socionumériques, dans un contexte où le travail en ligne a gagné en importance avec les différents épisodes de confinement (Flanagan, 2021).

Un nombre croissant d’acteurs académiques sont actifs sur une multitude de plateformes ayant des particularités structurelles, algorithmiques et techniques uniques, ayant des objectifs particuliers, observant des normes, des pratiques et des cultures de communication particulières et ciblant des publics précis (Bossetta, 2018; Bucher & Helmond 2018; Feng, 2019; Kreiss et al., 2018). De Twitter à Facebooksans aucun doute les plus populaires – en passant par Instagram, YouTube, Medium, TikTok et des plateformes plus spécialisées pour le monde académique comme Academia.edu, Researchgate et l’outil Open Researcher and Contributor ID (ORCID), ces acteurs partagent des contenus et interagissent avec d’autres usagers afin de rendre publiques des analyses et des opinions, d’offrir des mises à jour professionnelles (p. ex. des publications, des promotions), de développer des réseaux de collaboration ainsi que de promouvoir les succès, et les nouvelles susceptibles d’intéresser leurs publics et potentiellement se transformer en rayonnement positif en inscriptions et en dons pour leur(s) institution(s) (Kapidzic, 2020; Klar et al., 2020). De manière plus générale, ils utilisent ces canaux de communication afin de développer et peaufiner leur identité, image de marque ou image professionnelle sur la place publique (Greenhow & Gleason, 2014).

Dans cette note de recherche, nous discutons des usages des médias socionumériques dans le monde universitaire en abordant trois thématiques : 1) l’enseignement, 2) la recherche, 3) les communications de l’université et le recrutement. Les exemples ci-dessous tirés de nos propres pratiques mettent en lumière des stratégies de communication positives où il est question d’informer sur les offres d’enseignement et de programmes d’études (Figure 1), de mettre en lumière la position d’une université dans un classement de programmes académiques national (Figure 2) et de faire la promotion du succès d’un étudiant dans le cadre d’une semaine thématique (Figure 3). Ces exemples ne sont que trois parmi un grand nombre de publications partagées quotidiennement sur différents médias socionumériques et qui portent sur les universités. Cette note de recherche se conclut par une réflexion sur ces usages dans un contexte très particulier : celui de la liberté académique des professeurs et chargés de cours et comment cela peut s’arrimer à des stratégies institutionnelles déployées par le service des communications des institutions. Contrairement à d’autres secteurs d’activités (p. ex. des entreprises privées, des administrations publiques), les professeurs et chargés de cours ont généralement plus de latitude concernant la diffusion de contenus au nom de leur(s) institution(s) d’appartenance(s). Il est à noter que la question de l’utilisation des médias socionumériques par les étudiants des trois cycles universitaires diffère grandement de celle faite par les autres acteurs du monde académique et est laissée de côté dans le cadre de cette note de recherche (à ce sujet, voir Raynauld, 2018), laquelle pourrait faire l’objet d’une autre publication.

Figure 1

Publication du professeur Jason Luckerhoff sur sa page Facebook personnelle (29 janvier 2021)

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Figure 2

Publication du professeur Vincent Raynauld sur sa page Facebook personnelle (23 mars 2021)

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Figure 3

Publication de la professeure Mireille Lalancette sur sa page Facebook personnelle (15 février 2021)

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2. Les médias socionumériques pour favoriser le lien avec la population

Alors que les rouages du monde universitaire sont de plus en plus influencés par des considérations économiques et financières, les médias socionumériques sont devenus des outils de prédilection pour plusieurs afin de promouvoir des activités auprès des membres de la société civile et, de manière plus importante, de gagner en visibilité et en influence. Ils leur permettent de rejoindre et de développer des liens avec différents publics d’intérêt, comme les étudiants actuels et/ou potentiels, les journalistes, les élus ou des membres de la fonction publique (Duffy & Pooley, 2017; Feng, 2019; Tripathy et al., 2017). Cette dynamique s’inscrit dans une tendance plus large où il y a une informalisation et une personnalisation croissante des flots de communication provenant du monde universitaire, ce qui les rend plus accessibles au grand public (Kjellberg & Haider, 2019).

Lavoie (2020) remarque qu’un fossé générationnel, ou « fracture », existe entre les chercheurs en début de carrière et leurs collègues plus seniors en ce qui concerne leur présence sur le web (voir aussi Manca & Ranieri, 2016). Cette fracture comprend plusieurs facettes. Par exemple, il existe un fossé sur le plan de l’enthousiasme. Un grand nombre de chercheurs juniors voient l’usage des médias socionumériques comme étant un complément important à leurs activités et pouvant avoir des retombées positives multiples. Plusieurs chercheurs seniors, pour leur part, ont une vision plus traditionnelle de leurs activités professionnelles. Cette vision ne comprend pas nécessairement l’usage de ces outils de communication qui sont souvent perçus comme n’étant pas pertinents ni utiles dans le contexte d’une trajectoire professionnelle en milieu académique (Jordan & Weller, 2018; voir aussi Kapidzic, 2020). En d’autres mots, l’enthousiasme des uns contraste avec la méfiance des autres (Lavoie, 2020). Plusieurs dynamiques économiques et professionnelles internes et externes au monde universitaire poussent toutefois les chercheurs à adopter une approche beaucoup plus sociale dans leurs activités et à être davantage présents sur les médias socionumériques (Kapidzic, 2020).

Il existe aussi un fossé sur le plan des implications culturelles et techniques de l’usage des médias socionumériques entre les chercheurs juniors et les chercheurs seniors. Toute forme de communication sur ces plateformes doit tenir compte de leurs particularités (à ce sujet, voir notamment Dubois et al., 2018; Leroux, 2018). Plusieurs chercheurs seniors adoptent une stratégie inspirée des médias conventionnels en diffusant les mêmes contenus sur des plateformes ayant des fonctionnalités, des publics et des cultures de communication différentes comme Facebook, Twitter et LinkedIn. Selon Julien Chapdelaine, conseiller stratégique aux médias socionumériques pour le Fonds de recherche du Québec, « chaque plateforme doit avoir un type de contenu et un langage différents » (Apablaza, 2020). Peruta et Shields (2017a, 2017b) avancent même que différents types de publications sur une même plateforme peuvent entraîner des réactions différentes de la part du public, que ce soit les types de contenus ou les possibilités d’interaction qui sont offertes. Ainsi, des publications simples comprenant des informations sous forme de photos et de textes sur la plateforme Facebook ont tendance à susciter plus d’engagement de la part des usagers que des publications offrant des hyperliens les redirigeant vers des ressources externes (Peruta & Shields, 2017a, 2017b). Bref, une approche de communication spécifique pour chaque plateforme ainsi que pour chaque type d’action sur une même plateforme est de mise.

3. Appropriation et usages par le monde universitaire

Comme mentionné précédemment, la force des médias socionumériques a transformé la communication universitaire en termes de style, de structure du discours et d’objectifs communicationnels (Feng, 2019). Ces dernières années, les chercheurs se sont de plus en plus intéressés aux genres numériques, développant de nouveaux modèles d’analyse pour comprendre ce qui se passe lorsque différents genres se déplacent en ligne. Les nouvelles possibilités offertes par les plateformes de communication en ligne confèrent aux genres numériques des caractéristiques distinctes de celles des genres « traditionnels ». Des études sur les pages d’accueil, les sites d’achat en ligne, les blogues et les vidéos YouTube suggèrent que les genres numériques se caractérisent par des objectifs de communication multiples (on remarque une intensification du flou stratégique entre l’information, la promotion et le divertissement), une structure de déplacement non linéaire (la navigation via les hyperliens internes et externes) et l’utilisation de ressources multimodales. Une lacune est cependant notable par rapport aux écrits scientifiques. En effet, peu d’analyses systématiques s’intéressent aux genres du discours universitaire sur les médias socionumériques (Feng, 2019). Par exemple, Peruta et Shields (2017a, 2017b, 2018) ont mené plusieurs études portant spécifiquement sur les activités des universitaires et des universités sur Facebook, plus précisément sur la typologie et le format des publications. Il est important de comprendre comment l’accessibilité financière et technique des médias socionumériques ainsi que les pressions liées aux intérêts économiques et à la commercialisation de la recherche et de l’éducation universitaire ont modifié la pratique discursive des universités.

Bien que l’intégration des médias socionumériques dans les activités quotidiennes des universitaires comprend plusieurs défis (Britton et al., 2019), elle peut également avoir des retombées positives multiples : 1) expansion du réseau académique et professionnel des chercheurs, 2) diversification des sources de connaissances; 3) élargissement de la zone d’influence. Tout cela à condition de mettre en oeuvre les meilleures pratiques en matière de communication en ligne (Dauenhauer, 2020). Selon Dauenhauer (2020), dans les médias socionumériques, les publications peuvent être partagées et décrites; le format permet de clarifier les questions et de discuter des conclusions. Le cadre des médias socionumériques permet également de discuter d’idées et de concepts plus informels, y compris les nouvelles orientations de la recherche, les sujets proposés pour de nouvelles recherches et les mérites des outils et méthodes émergents. Toujours selon Dauenhauer (2020), les médias socionumériques élargissent le débat académique au-delà de la recherche. En effet, ils offrent un espace permettant des conversations portant sur des questions liées à l’embauche, à la diversité, à la gestion de la recherche, à l’enseignement et à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. En plus de promouvoir les possibilités d’embauche, les professeurs et les candidats universitaires discutent des stratégies et des lignes directrices pour le processus d’entretien, la création d’un laboratoire et le recrutement d’étudiants. Abordons, dans un premier temps, la question de l’enseignement.

4. Les médias socionumériques : des outils permettant d’enseigner autrement

Les médias socionumériques offrent la possibilité aux professeurs et chargés de cours ouverts aux changements dans leur approche pédagogique de partager et d’échanger sur leurs méthodes d’enseignement des sujets difficiles, y compris des conseils pour des explications simples et des examens pour lier la théorie et la pratique (Goodyear et al., 2014). Cela est particulièrement important alors qu’un grand nombre d’enjeux liés à l’inclusivité, à la diversité, à la tolérance et à l’équité forcent des réflexions et des remises en question des méthodes d’enseignement dans les universités (entre autres Gibson & Cook-Sather, 2020; Hudley et al., 2020). Les responsables de laboratoire décrivent les meilleures techniques pour enseigner aux étudiants la rédaction technique, la planification de la recherche et l’analyse des données (pensons ici à certaines chaînes YouTube créées par les professeurs pour expliquer des questions complexes, par exemple la chaîne de Prof Boyer[2], où la professeure Priscilla Boyer (du Département des sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières) explique comment problématiser une question de recherche. Dans un autre ordre d’idées, chacun peut discuter et apprendre les stratégies efficaces pour faire face au stress et à l’anxiété communs à l’environnement universitaire. La page Facebook de la professeure Sonia Lupien[3] de l’Université de Montréal est un bel exemple de vulgarisation scientifique à propos du stress, lequel est au coeur de ses recherches.

5. Développer de nouveaux publics pour la recherche et diffuser ses travaux

Un avantage important des réseaux socionumériques, selon Dauenhauer (2020), c’est qu’il s’agit de réseaux très ramifiés de connexions qui permettent d’exposer des contenus en dehors des bulles immédiates[4]. Les revues scientifiques, les universités, les centres de recherches, les éditeurs, les organisations professionnelles et les étudiants et diplômés peuvent partager du contenu dans leurs réseaux respectifs. Tous sont ainsi exposés à de nouvelles personnes et à de nouvelles idées. Parmi les plateformes privilégiées par les universitaires se trouve Twitter, qui a rapidement gagné en importance dans le monde universitaire. Les chercheurs s’en servent notamment pour diffuser leurs travaux, partager et débattre d’idées liées à leurs recherches, mais aussi liées à des enjeux culturels, idéologiques et sociopolitiques de manière plus générale. Les exemples aux Figures 4 et 5 montrent comment les professeurs peuvent diffuser leurs travaux et aussi solliciter de la rétroaction de la part de la communauté qui les suit.

Figure 4

Publication de la professeure Elizabeth Dubois sur son fil Twitter personnel (22 février 2021)

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Figure 5

Publication de la professeure Shelley Boulianne sur son fil Twitter personnel (17 mars 2021)

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À la suite de sa création, Twitter est devenu un instrument puissant pour la diffusion de nouvelles, de commentaires et d’opinions (Ortega, 2016). Ce service de microcommunication permet la diffusion de messages de 280 caractères ou moins destinés à un public d’adeptes, qui à leur tour les retransmettent à une sphère publique plus large, en parcourant l’espace web de manière virale. Cet hybride entre un réseau social et un service d’échange d’informations a touché toutes les facettes de la vie, transformant les formes actuelles de communication politique, économique et sociale (Kwak et al., 2010; Murthy, 2013). Ces changements se sont également produits dans la communication scientifique, où Twitter est devenu un outil important pour diffuser les résultats de la recherche et vulgariser les avancées scientifiques afin de les rendre accessibles à un large public (Côté & Darling, 2018; Klar et al., 2020). Le partage de contenus liés à des travaux de recherche pourrait être considéré comme un premier indicateur de l’impact de la recherche quant aux articles (Eysenbach, 2011; Priem et al., 2012; Shuai et al., 2012), car on suppose que plus un document obtient de la visibilité en ligne, plus il est important ou intéressant pour la communauté universitaire. Dans une certaine mesure, la force avec laquelle un document se répand dans le réseau pourrait également être une indication de l’impact éventuel de la recherche. Ainsi, des concepts tels que la diffusion et l’impact sont mis en relation, ce qui suggère que la manière dont un document a été diffusé influence l’impact de la prochaine citation (voir Eysenbach, 2011; Peoples et al., 2016). Cela peut aussi affecter la manière dont les comités d’embauche perçoivent les doctorants qui se cherchent un emploi (Raynauld, 2018). Les organismes subventionnaires demandent aussi que les revues scientifiques aient une certaine visibilité en ligne ainsi que de l’attraction sur les réseaux socionumériques. Cela ajoute une pression supplémentaire aux comités scientifiques et aux professeurs qui doivent ajouter l’animation des réseaux socionumériques dans leurs répertoires de tâches. De manière plus importante, alors que l’évaluation de la performance des professeurs s’est développée au cours de la dernière décennie avec la considération du facteur d’impact des revues scientifiques et du h-index, leur visibilité sur les médias sociaux devient un autre indicateur de leur productivité, de leur performance et de leur valeur pour les institutions universitaires (Delfanti, 2020; Marland, 2017).

Avant l’avènement du web, la diffusion était presque une activité exclusive des éditeurs de revues, où les auteurs participaient peu à cette tâche. Dans cette situation, les abonnements et l’indexation dans les bases de données bibliographiques étaient les seuls moyens de diffusion susceptibles d’influer sur l’impact des citations. Le libre accès aux articles a montré que l’élargissement de l’audience pouvait produire un impact plus important sur les citations. Avec les médias socionumériques, les auteurs acquièrent un rôle actif dans la diffusion de leurs propres résultats (Meishar-Tal & Pieterse, 2017). Cette participation intense pourrait gagner en importance dans l’évaluation de la recherche des chercheurs et affecter leur rayonnement académique. Dans ce nouvel environnement, l’impact de la recherche d’un auteur pourrait être attribuée non seulement à la qualité de ses travaux, mais aussi par sa capacité à faire sa propre promotion dans les espaces du web social. L’importance de cette nouvelle situation signifie que la question des impacts de la recherche n’est plus externe aux auteurs, mais qu’ils peuvent directement influencer la façon dont un article est cité.

Selon Zheng et al. (2018), la communication et la diffusion des résultats de la recherche constituent un défi pour les chercheurs. Il ne suffit plus de diffuser les travaux de recherche uniquement à un public universitaire. Il est question d’impact lorsque les résultats de la recherche créent des avantages tangibles et mesurables et qu’ils sont reconnus en dehors du milieu universitaire. Par exemple, des changements dans la qualité de vie, des modifications des politiques publiques et des améliorations des soins de santé pourraient être apportés en fonction de l’impact de la recherche. Ainsi, le grand public, les agences gouvernementales et les organisations commerciales peuvent tirer des enseignements précieux des résultats de la recherche. Il est donc essentiel de mener la recherche de manière proactive pour en faire bénéficier la société. Toutefois, certains facteurs semblent empêcher les décideurs politiques et les entreprises d’évaluer les résultats de la recherche directement à partir de la littérature universitaire, notamment le manque de connaissance des revues scientifiques, le manque de temps pour lire de longs articles, le manque d’accès aux documents universitaires, la complexité des documents de recherche ainsi que le manque d’opportunités de communiquer avec les auteurs, d’où le faible taux d’adoption et de diffusion des résultats de recherche en dehors du milieu universitaire. Pour combler cette lacune, les plateformes de médias socionumériques montrent qu’il est possible d’aider les chercheurs à partager leurs résultats avec un public plus large. Les revues scientifiques ont récemment commencé à utiliser les médias socionumériques comme plateforme de communication pour informer leurs lecteurs des derniers articles qu’elles ont publiés. Les lecteurs intéressés reçoivent ainsi des informations actuelles et opportunes sur les articles publiés dans diverses revues et peuvent plus facilement communiquer directement avec les auteurs sur les plateformes de médias socionumériques, ce qui permet de mieux comprendre les résultats des recherches. La présence des revues scientifiques dans les médias socionumériques pourrait donc, dans une large mesure, faciliter la communication et la diffusion des résultats de la recherche à un public plus large (Costa, 2016).

6. Communications des universités et recrutement

Les universités rivalisent d’ingéniosité afin de se faire connaître et achètent aussi beaucoup de publicité, qu’elle soit télévisée ou bien numérique (Teisceira-Lessard, 2012). Les universités et leur service des communications utilisent également les plateformes numériques afin de faire la promotion de leurs programmes, de leurs chercheurs et des étudiants (Mogaji et al., 2021). Ainsi, autant par les sites web des institutions, leurs infolettres que les pages Facebook, les comptes Twitter et Instagram, les universités communiquent leurs bons coups et mettent de l’avant leurs chercheurs et leurs travaux, les prix remportés ainsi que les publications récentes. Toutes ces stratégies de communication participent au rayonnement des institutions et peuvent certainement contribuer à construire une image positive des universités au sein de la communauté proche, des gens qui y travaillent, mais aussi au sein du monde académique en général et de leurs publics cibles : les étudiants. Grâce aux algorithmes des plateformes, il est possible pour les universités d’acheter de la publicité ciblée envers des groupes particuliers afin de piquer leur curiosité et qu’ils s’inscrivent éventuellement dans leurs programmes. Tout comme pour les autres entreprises, le virage vers les publicités ciblées dans les médias socionumériques demeure une tendance forte dans le monde universitaire. Plus encore, il est aussi possible maintenant de tenir des journées porte-ouvertes virtuelles, lesquelles font tomber toutes les barrières et frontières géographiques alors que les étudiants de partout dans le monde peuvent accéder en temps réel à ces événements.

7. Et la liberté académique dans tout cela?

Alors que les universités élaborent des plans de communication ciblés et précis pour rejoindre les différents publics et développer leur image de marque, ils doivent aussi composer avec une multitude d’acteurs qui communiquent aussi en tant que membres de la communauté universitaire. En effet, comme il a été discuté plus tôt, les universitaires se sont rapidement emparés des médias socionumériques afin de diffuser leurs travaux et débattre d’enjeux liés à leurs recherches. Les services de communication universitaires consultent peu les membres de la communauté universitaire afin d’élaborer leurs stratégies de communication, dans un contexte où les professeurs, chargés de cours et étudiants sont libres de diffuser du contenu sur leurs plateformes à titre de membres de cette communauté. Les universités peuvent parfois être tentées de les soumettre à des politiques de communication mais celles-ci sont parfois jugées comme allant à l’encontre de la liberté académique. Prenons l’exemple du professeur Amir Attaran[5] de l’Université d’Ottawa qui tient des propos sur Twitter (voir Figures 6 à 8) qui peuvent faire dérailler complètement la stratégie institutionnelle de communication de son institution d’appartenance. Ces tweets dénoncés par différents intervenants et couverts par les médias traditionnels ont amené l’Université d’Ottawa à gérer une forme de crise et à faire des relations publiques réactives plutôt que proactives. Alors que dans certains cas les universités vont considérer que les professeurs s’expriment à titre de professeurs 7 jours sur 7 et 24 heures par jour, le recteur a ici considéré que le professeur Attaran s’exprimait à titre personnel sur sa plateforme personnelle. Il s’agit donc pour lui de liberté d’expression et non de liberté académique.

Figure 6

Publication du professeur Amir Attaran sur son fil Twitter personnel (24 mars 2021)

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Figure 7

Publication du professeur Amir Attaran sur son fil Twitter personnel (25 mars 2021)

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Figure 8

Publication du professeur Amir Attaran sur son fil Twitter personnel (25 mars 2021)

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Plus encore, les universités ne peuvent pas non plus contrôler les discours des étudiants qui peuvent parler de leur satisfaction par rapport à leur formation, mais, plus souvent qu’autrement, porter un regard plus critique sur celle-ci, sur le travail des enseignants ou bien sur le campus en général (pensons aux pages Spotted). Ici encore, c’est un défi pour les universités de naviguer à travers une série de discours qui ne proviennent pas toujours de leur service des communications. Il serait pertinent de rencontrer les différents services des universités afin de voir comment ils réagissent lorsque des professeurs ou des étudiants communiquent dans des directions complètement opposées à leurs plans de communication et de marketing. Il serait aussi intéressant d’étudier quelle attitude est la meilleure et quelle façon de travailler est la plus adéquate pour un service des communications dans un tel contexte de liberté académique.

En terminant, les usages des médias socionumériques par les universitaires et les universités ne font que commencer et se stabiliser. L’avenir nous dira dans quel sens ces pratiques évolueront. Il reste qu’elles sont maintenant bien implantées et enchevêtrées autant du point de vue de l’enseignement, de la diffusion des travaux de recherche que des communications et des stratégies de recrutement des universités. Il serait notamment pertinent d’étudier ces stratégies et aussi leurs retombées. En effet, est-ce que tout ce travail visant à attirer l’attention de futurs étudiants porte réellement ses fruits?

Un des projets qui est présentement mené par les auteurs de cette note de recherche réside dans l’analyse de la communication, de la conversation et des réactions dans les médias socionumériques à la suite de la création de l’Université de l’Ontario français. Cette jeune université a vécu des hauts et des bas, notamment du point de vue de son financement. Une analyse de la couverture médiatique a déjà été réalisée (Lord, 2021). Il sera alors intéressant d’analyser et de comparer ce qui s’est passé du côté des médias socionumériques où la militance et les réactions sont souvent plus vives que dans les médias traditionnels. Les résultats pourraient être mis en parallèle avec d’autres recherches portant sur l’utilisation des médias sociaux dans des contextes soulevant des enjeux d’acceptabilité sociale (Lalancette et al., 2020, notamment), des controverses politiques (Raynauld et al., 2018), ou sur les usages plus politiques des médias sociaux (Lalancette & Raynauld, 2020).