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Dans cette édition anglaise de son livre Agir pour un autre. La construction de la personne masculine en Papouasie–Nouvelle-Guinée (2015), Pascale Bonnemère remet en question les notions de « genre » et de « personne » à partir de ses travaux ethnographiques en Océanie. Critiquant l’invisibilité des femmes dans la littérature sur les populations de Papouasie–Nouvelle-Guinée, l’auteure s’attache ici à démontrer l’importance de la participation des femmes dans la construction identitaire des hommes lors des rites de passage chez les Ankave-Anga de la vallée de la Suowi. Alors que ses prédécesseurs — tels Maurice Godelier, Pierre Lemonnier et Gilbert Herdt — affirmaient que les femmes devaient être exclues du processus de maturation des jeunes hommes chez les Ankave-Anga, Bonnemère souligne le rôle fondamental de ces dernières en tant que mères, soeurs et épouses des jeunes initiés. Elle propose ainsi une importante réinterprétation des rituels des hommes dans cette région du Pacifique. Par rapport à la publication originale française, cette nouvelle édition présente une plus grande diversité de travaux portant sur des peuples du sud de Papouasie–Nouvelle-Guinée, ce qui permet une plus fine comparaison ethnographique. Cet ouvrage offre ainsi une contribution importante à l’ethnographie de Papouasie–Nouvelle-Guinée ainsi qu’à l’étude anthropologique des rituels.

En première partie, Bonnemère recense les écrits ethnographiques traitant des rituels chez les Ankave-Anga, faisant une large place aux travaux des spécialistes de la région précédemment cités. Elle y remet en question l’interprétation selon laquelle les rituels des hommes n’impliquent pas la participation des femmes. Dans les chapitres suivants, en s’appuyant sur la logique relationnelle comme point d’entrée analytique, l’auteure s’attache à mettre en évidence l’importance du rôle des membres de la famille dans la construction de la personne, leur agencéité, leur capacité d’agir sur le devenir de leurs proches. À partir des observations effectuées lors de ses nombreux terrains ethnographiques, Bonnemère décrit et analyse la vie rituelle et sociale des Ankave-Anga, s’intéressant notamment à la naissance d’un premier enfant, aux différentes phases des rituels des hommes et au mariage, révélant que ces rites de passage sont liés les uns aux autres dans le but de permettre la construction identitaire de la personne, où la notion de « genre » est centrale. Dans un univers où l’individu est défini par sa position et ses relations avec les autres, l’auteure démontre que les paroles et les actes de chacun ont une incidence sur les autres, que ce soit par des interdits alimentaires imposés au mari pour veiller au bien-être de sa conjointe enceinte ou encore par des gestes qu’une mère et son fils doivent exécuter au même moment, mais dans des lieux différents, lors de l’initiation des jeunes hommes. Ces relations intimes et complexes, dans lesquelles les proches sont enchevêtrés, permettent à la personne de se transformer, d’acquérir le statut auquel elle souhaite ultimement accéder : père, mère, oncle maternel, soeur, grand-mère, grand-père, etc. Ainsi, les femmes, comme les hommes, contribuent au développement de la masculinité chez les Ankave-Anga. Bonnemère conclut par la mise en dialogue de ses analyses avec les débats actuels autour de la personne relationnelle, particulièrement sur la base des travaux de l’anthropologue Marilyn Strathern au sujet de la notion de « personne » en Mélanésie, une conception fort différente de celle des sociétés occidentales.

Le point fort de Acting for Others est sans aucun doute la description détaillée et minutieuse des mondes rituels des Ankave-Anga. En effet, Bonnemère n’hésite pas à présenter de nombreux détails afin de faciliter la compréhension du lecteur, par exemple lorsqu’elle relève chacun des aliments composant un certain type de repas (communautaire, initiatique, etc.). Grâce à ses nombreux séjours auprès des Ankave-Anga, Bonnemère dispose d’un riche matériel ethnographique dans lequel puiser pour produire des descriptions convaincantes. Cet usage de l’ethnographie rend le livre accessible aux lecteurs qui ne seraient pas familiers avec cette aire culturelle ou avec l’étude anthropologique des rituels. Il aurait été sans doute utile de situer plus explicitement la pratique des rituels dans le contexte contemporain en traitant, par exemple, de l’impact de la globalisation sur la société des Ankave-Anga. L’auteure ne mentionne pas si des changements sont intervenus, au cours des dernières décennies, dans les rituels décrits. Néanmoins, cet ouvrage est sans contredit une référence en regard de l’étude des rituels dans cette région du Pacifique.