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La littérature a connu une progression similaire en Acadie et en Ontario français depuis la « longue décennie 1970 ». C’est ainsi qu’Emir Delic et moi-même avons nommé, dans un dossier spécial de la revue Francophonies d’Amérique, la période d’affirmation identitaire qui débute en 1968 et se termine en 1985. En ouverture à ce dossier, nous avancions que, du fait que la société québécoise prenait ses distances du projet national canadien-français, perçu comme caduc, « les communautés francophones évoluant à l’extérieur du traditionnel bastion de la langue et de la vie françaises en Amérique [étaient] amenées à s’affirmer dans leur spécificité » (Delic et Thibeault, 2014-2015, p. 11). La littérature, principalement par la forte présence des poètes sur la scène culturelle, a joué un rôle important dans ce processus de redéfinition puisqu’elle a permis de donner une voix à toute une génération engagée dans la formation d’une identité réinventée, spécifique à sa communauté et dont le récit recomposé acquérait une toute nouvelle profondeur. Les voix qui s’élevèrent alors en Acadie et en Ontario français cherchaient à se dégager de tout a priori identitaire pour se repenser dans le temps et l’espace : aux images passéistes, désuètes, folkloriques, de l’Acadie ou du Canada français, désormais perçues comme des boulets identitaires, les écrivains – que ce soit Raymond Guy LeBlanc, Guy Arseneau, Herménégilde Chiasson ou Gérald Lelanc, en Acadie, André Paiement, Patrice Desbiens, Robert Dickson ou Jean Marc Dalpé, en Ontario – opposeront celles qu’ils puisent dans leur quotidien, dans l’ici et maintenant de leur existence, dans la modernité qui les entourent et qu’ils habitent autant qu’elle les habite.

Le projet est donc clair, pour les écrivains de la longue décennie 1970, il s’agit de se réinventer en affirmant une parole qui soit bien ancrée dans le présent et qui cherche à définir les paramètres de leur avenir. En Acadie, Herménégilde Chiasson résume ce projet littéraire qu’entretenaient les écrivains de sa génération :

[N]ous arrivions après une oeuvre majeure, celle d’Antonine Maillet, qui va faire passer la littérature acadienne de l’oral à l’écrit, devenant ainsi, à l’instar de son illustre devancier François Rabelais, une sorte de mythe incontournable qui depuis jette une ombre dont il est difficile de se départir. Il nous restait à écrire le présent puisque le passé l’avait été. Notre projet littéraire allait se concentrer sur le réel, dont le territoire formait une composante inévitable.

Chiasson, 2013, p. 7

Le projet franco-ontarien, à la même époque, n’était pas très différent puisque, constate François Paré,

avec la génération des poètes et artistes de la Coopérative des artistes du Nouvel-Ontario (CANO), ce n’est pas tant la littérature franco-ontarienne qui prenait naissance (puisqu’elle existait déjà amplement), mais plutôt son institution sociale, entièrement axée, pour CANO, sur le combat identitaire.

Paré, 1995, p. 278

La vision de CANO est d’ailleurs explicitée dans une demande de subvention que fait le Théâtre du Nouvel-Ontario à l’époque. Les auteurs de la demande expliquent : « Le Théâtre du Nouvel-Ontario croit tout simplement qu’il existe une culture franco-ontarienne mais qu’elle est au stade latent. Il s’agit pour nous de manifester cette culture, de l’actualiser sur scène. Nous croyons ainsi mettre en branle une dynamique culturelle propre aux Franco-Ontariens » (Rodrigue, 1991, p. 17). Les projets littéraires, artistiques, servent donc à consolider les fondements d’une culture vécue au quotidien en la transposant dans le récit collectif et, ce faisant, en en mesurant toute la profondeur par l’exploration de l’imaginaire qui s’y rattache.

Ainsi, les écrivains acadiens et franco-ontariens qui s’expriment au cours de la longue décennie 1970 le font dans l’optique d’affirmer une identité originale représentative de leur réalité au quotidien et qui ne soit plus fondée sur des a priori appartenant à un passé révolu et perçus comme désincarnés. Le projet repose en quelque sorte sur le besoin de prendre la parole et de faire entendre un « dire » qui apparaît comme un « cri de terre » poussé dans l’espoir d’abolir « le dur mensonge/Des cavernes honteuses de notre silence » (LeBlanc, 2012 [1972], p. 47). Ce « dire » « est celui d’un nous – « têtus souterrains et solidaires » – qui lâche ses « cris rauques et rocheux/aux quatre vents/de l’avenir possible » (Dickson, 1978, p. 26). Il doit se faire entendre même s’il reste incertain, maladroit, comme chez le poète de Mourir à Scoudouc, Herménégilde Chiasson, qui ne trouve pour se dire que la peur et l’impuissance qui aliènent son peuple : « Comment arriver à dire que nous ne voulons plus être folkloriques, que nous ne voulons plus êtres des cobayes d’Acadie, Acadie, que nous ne voulons plus qu’on aie [sic] pitié de nous […]/Comment arriver à dire que nous n’avons peut-être rien à dire […] » (Chiasson, 1979 [1974], p. 39). Ou comme chez Roger, le personnage de Moé j’viens du Nord, ‘stie d’André Paiement, qui cherche à sortir du milieu social dans lequel son père est prisonnier, mais qui peine à l’expliquer : « Vous savez, hein, j’dis ça pour fourrer l’chien! (Il rit jaune.) Ça, c’est parce que j’sais pas quoi dire. J’ai pas la parole facile […] » (Paiement, 2004, p. 32). Dire le monde, même en absence de mots déjà prescrits, c’est déjà mettre à jour comme j’en ai déjà fait la remarque ailleurs, une parole qui se construit :

Dire. Se dire. Voici donc le projet littéraire qui semble rassembler les poètes de Moncton et ceux de Sudbury pendant cette période de la longue décennie 1970. Pour eux, « se dire » signifie essentiellement rompre avec les grandes vérités du discours identitaire qu’ils se sont vu imposer et construire un discours qui porterait la trace de leur vécu au quotidien, réduisant ainsi la mémoire au temps subjectif. En fait, la mémoire et l’espace sont ramenés à l’expérience intime, au contexte familial, aux lieux de sociabilité avec les amis dans la ville, dans le village, dans la rue, dans les cafés, chez le barbier, à l’église, à la maison et dans la chambre à coucher. Aussi est-il possible d’observer un désir marqué de nommer l’espace habité, de lui donner une profondeur émotive en l’instituant en lieu d’identification du sujet.

Thibeault, 2014-2015, p. 32

En définitive, l’acte de « dire » représente pour les écrivains une manière d’habiter l’espace, d’en prendre possession et d’y ancrer son imaginaire. 

Ce « dire » a si bien réussi à s’imposer dans l’imaginaire des communautés comme seul véritable projet qui importe qu’il s’est finalement institué en un mythe, celui d’un éveil, d’une fondation, qui laisse dans le récit collectif une empreinte impossible à effacer. Il en vient même à être fortement intégré au sens attribué à l’idée qu’on se fait encore aujourd’hui de ce que représente être « acadien » ou « franco-ontarien ». C’est qu’en se formant en mythe, l’écriture de ce « dire », c’est-à-dire du besoin de se formuler dans le projet identitaire, qui se construit tout au long de la longue décennie 1970, entre dans le récit collectif et devient, pour le lecteur, le point de référence servant à établir une grille de lecture qui a comme principale fonction de définir les particularités de ce que doivent être les littératures acadienne ou franco-ontarienne. Son poids se fait sentir rapidement au sein du discours critique qui va occulter une partie de la production littéraire au motif que cette production ne répond pas aux critères identitaires, ceux qui permettent d’affirmer et de légitimer la présence de la collectivité, de formuler un « dire » qui précise les contours du nous. D’une part, il y a l’occultation d’une écriture intime principalement pratiquée par les femmes, bien que cette écriture participe activement au mouvement de modernisation que connaît la littérature au cours de la longue décennie 1970. D’autre part et plus récemment, la relecture de l’écriture des femmes de la période des années 1970 et 1980, qui coïncide avec un intérêt grandissant pour les études des femmes, contribue à garder dans l’ombre la génération d’écrivains et d’écrivaines qui arrive à l’écriture, tant en Acadie qu’en Ontario français, à la fin des années 1990 et au début des années 2000. La longue décennie 1970, par la lecture continue de l’écriture identitaire et l’intérêt grandissant pour l’écriture des femmes, ferait ainsi ressentir doublement son poids sur la poésie des générations plus récentes, condamnées en quelque sorte à porter l’étiquette de « l’éternelle relève », c’est-à-dire d’une génération qui peine à se démarquer de ses prédécesseurs. Dans la suite de cet article, je propose d’explorer brièvement le discours de la critique savante autour de cette double occultation en tentant de faire ressortir l’influence que semble avoir encore aujourd’hui l’écriture identitaire de la longue décennie 1970 sur l’écriture intimiste et, surtout, sur celle de la génération 2000, encore fortement dominée par la poésie.

Le poids identitaire de la longue décennie 1970 : la nécessaire relecture des femmes

La prise de parole qui a lieu pendant la période de la longue décennie 1970 aura donc permis de tracer les contours d’une nouvelle manière de dire les identités acadienne et franco-ontarienne. La mise en place d’institutions d’emblée engagées dans le mouvement d’affirmation culturelle de la collectivité favorise un recentrement du programme littéraire sur les questions d’affirmation et de légitimation identitaires. La grille de lecture qui s’impose alors repose principalement sur l’expression des particularités acadiennes et franco-ontariennes, souvent en opposition avec le Québec mais toujours du point de vue de leur modernité. Cette grille de lecture a pour effet de fixer l’horizon d’attente de la critique et de réduire la production littéraire aux enjeux identitaires de la collectivité qu’elle représente, et cela, bien au-delà de la longue décennie 1970 : la littérature, telle que la critique la conçoit au cours des années 1980 et 1990, se met alors au service de la collectivité et sert de lieu d’affirmation et de légitimation de son existence. Le poids d’un tel programme n’est pas sans conséquence, puisqu’il fera en sorte de marginaliser une partie importante de la production littéraire acadienne et franco-ontarienne qui ne correspond pas aux canons identitaires. Cette production, principalement associée à l’écriture des femmes, a comme objet le soi, le sujet humain dans toute son individualité, et se veut plus intime, plus personnelle, plus intérieure. Si on reconnaît souvent les qualités esthétiques de cette production, qui correspondent au cadre de la modernité qu’on cherche à mettre en avant, les oeuvres n’attirent véritablement l’attention de la critique savante qu’au tournant du 21e siècle, moment où celle-ci s’intéresse davantage à l’écriture des femmes en Acadie et, de manière plus marquée, en Ontario français. François Paré parle notamment de cette part marginalisée de la poésie acadienne, principal champ de la production littéraire, comme d’une entité « autre » qui aurait pris forme parallèlement au discours identitaire :

À même la poésie néo-nationaliste des années 80, entrelacée, une autre modernité acadienne s’est alors écrite, largement l’oeuvre de femmes, mettant l’accent sur des motifs d’ouverture à l’altérité, d’une part, et sur des pratiques différentes de la communalité, pratiques spirituelles notamment, d’autre part. […] Et à la marche glorieuse dans la résistance de l’histoire se substituait une pratique active du renoncement au sens.

Paré, 1997, p. 119

Lucie Hotte remarque un même phénomène de marginalisation en Ontario français alors que

le discours idéologique et politique visant à mettre la littérature au service de la cause franco-ontarienne (mais ce pourrait aussi bien être la cause acadienne ou franco-manitobaine) aurait […] été assez puissant pour occulter une production littéraire considérable qui s’écartait de la vision dominante des choses.

Hotte, 2002, p.45

Les travaux réalisés par Lucie Hotte sur la réception critique des écrivaines en Ontario français démontrent que, comme en Acadie, ce sont des oeuvres d’écrivaines qui « comptent pour une grande part de la production occultée » (Hotte, 2016, p. 38).

Dans l’« Avant-propos » de l’ouvrage La littérature franco-ontarienne : Enjeux esthétiques, qu’il codirige avec Lucie Hotte en 1996, François Ouellet résume le projet de l’ouvrage en affirmant le désir de rompre avec la problématique identitaire qui teinte l’ensemble du discours critique sur la littérature franco-ontarienne et de proposer une lecture de cette dernière qui n’y serait plus entièrement réductible. En abordant les enjeux esthétiques de cette littérature, Hotte et Ouellet espéraient lui donner une certaine légitimité face aux discours du savoir :

Il nous semblait donc que la façon la plus sûre de faire accéder (timidement sans doute, mais il faut bien un commencement) la littérature franco-ontarienne au rang des discours du savoir était d’évacuer toute référence à la dimension identitaire dans laquelle les oeuvres ont été produites, donc de lire les oeuvres pour leurs qualités proprement formelles, ou si l’on préfère, selon le projet esthétique plus ou moins avoué des auteurs, qui sont autre chose que des sensibilités à refléter la réalité.

Ouellet, 1996, p. 8

Si le projet de rupture avec la problématique identitaire est d’abord clair, Ouellet en relativise rapidement la portée en précisant qu’à défaut d’une rupture complète, ils proposent, « [à] tout le moins, […] de relier la problématique identitaire à l’enjeu esthétique dont elle participait » (Ouellet, 1996, p. 8). Cet assouplissement du projet fait écho au texte que François Paré signe dans le même ouvrage, où il se demande s’il est possible, dans le contexte franco-ontarien – mais la question se pose aussi dans le contexte acadien et, plus largement, pour l’ensemble des littératures en contexte minoritaire –, de se dégager complètement de la problématique identitaire : « La question de l’identitaire a-t-elle fait son temps? La réponse est certes non, dans la mesure où elle n’est pas résolue – pas pour moi du moins – et où elle continue de hanter la conscience collective » (Paré, 1996, p. 18). Et s’« il convient d’aller plus loin », concède Paré (ibid.), il semble que plane toujours sur la lecture de l’oeuvre une conscience aiguë, explicite ou non, de la nécessité de l’identifier afin de lui conférer une légitimité collective : quelle place occupe-t-elle dans le corpus culturellement et socialement identifié? Comment contribue-t-elle à sa légitimation sur l’échelle des littératures mondiales? L’oeuvre, pour le critique conscient de la fragilité de l’espace minoritaire, doit toujours porter une étiquette qui permet d’identifier la place qu’elle occupe dans le récit de la communauté minoritaire.

Le lien entre les problématiques identitaire et esthétique de l’oeuvre se pose ainsi, dans une certaine mesure, comme un enjeu de relecture des oeuvres occultées de la longue décennie 1970. Marie Carrière montre bien comment fonctionne ce lien dans son étude de la poésie au féminin au Canada français : « On remarque depuis un bon moment le caractère personnel de l’écriture des femmes au Canada français. L’intimisme des oeuvres se sera démarqué des discours identitaires, ou des grands cris de terre, affichés par les littératures de l’exiguïté des années 1970 et 1980. Or, l’intimité et, de surcroît, son expression lyrique ne dissocient pas l’écriture de l’engagement social ou politique » (Carrière, 2016, p. 215). Citant une lettre d’Andrée Lacelle à Herménégilde Chiasson, Carrière remarque que, bien qu’il s’agisse d’intimité dans la poésie féminine, « il n’y a pas pour autant de polarisation entre l’intériorité et l’extériorité, le personnel et le politique, le soi et l’autre, ou […] le lyrisme et la postmodernité » (Carrière, 2016, p. 216) :

Il y a l’histoire qui se déroule autour de soi et il y a l’histoire qui se déroule à l’intérieur de soi. Pourquoi faudrait-il que l’une exclut l’autre? Trop souvent on polarise la littérature d’action dite politique ou engagée, et la littérature d’imagination. […] Les poètes savent bien que ces cloisonnements ne riment à rien. Et parce que nous poètes voulons tout dire, nous passons sans gêne de l’un à l’autre univers.

Chiasson et Lacelle, 1998, p. 166-167

Ainsi, l’oeuvre ne relève pas du vide, elle participe à un contexte et il s’établit bien une forme de dialogisme – au sens bakhtinien – entre l’écriture intime et son contexte. Monika Boehringer ne dit pas autre chose lorsqu’elle affirme qu’on ne prendra véritablement la mesure de la modernité acadienne qu’en s’intéressant aux oeuvres intimistes des femmes comme partie prenante de cette modernité :

En effet, pour que la modernité advienne réellement et qu’elle s’installe de façon définitive en Acadie, il faut considérer un autre moment décisif, celui de la prise de parole des femmes, des Dyane Léger, Rose Després, France Daigle, Hélène Harbec et Huguette Bourgeois, pour ne nommer que celles qui commencent à publier dans les années 1980. Sans leurs voix distinctes qui enrichissaient autrement la littérature acadienne, la poésie contestataire se serait bientôt essoufflée.

Boehringer, 2014, p. 174

On reconnaît donc chez Marie Carrière et Monika Boehringer un même désir de réhabiliter l’écriture des femmes, souvent considérée comme trop intimiste, en l’inscrivant de plain-pied dans le mouvement de modernisation identitaire de la longue décennie 1970. Il ne s’agit certes pas de forcer le sens des oeuvres pour en faire une lecture identitaire, mais d’amener cette production intimiste à cohabiter avec la parole identitaire de l’époque afin de démontrer toute la richesse de ces littératures qui émergent dans l’affirmation de leur modernité. Jules Tessier remarque qu’il

est rassurant en quelque sorte de constater que certains écrivains de la diaspora française d’Amérique produisent autre chose qu’une littérature-miroir d’une collectivité en s’orientant vers une oeuvre dérégionalisée, intemporelle, avec un objectif de perfection formelle. Les deux courants peuvent très bien cohabiter, se métisser; il y va d’une question de variété, de polyvalence et, tout compte fait, de maturité et de richesse.

Tessier, 2001, p. 93

La relecture de l’écriture des femmes qui se met en place à la fin des années 1990 aura donc permis de donner une nouvelle profondeur aux littératures acadienne et franco-ontarienne en les désenclavant de l’ornière identitaire, comme le souligne Élise Lepage (2014-2015, p. 75).

Ce décloisonnement du récit poétique, ce « revers » de la « poésie néo-nationaliste acadienne [et franco-ontarienne] de grande envergure » (Paré, 1997, p. 118), permet donc d’élargir la portée de la production littéraire des années 1970 et 1980 au-delà d’un enjeu purement identitaire, bien que cet enjeu ne disparaisse jamais complètement. On en souligne désormais la richesse par l’étude des oeuvres par le biais d’une autre approche que celle de l’identité. Pourtant, ce décloisonnement semble cacher une autre cloison qui, malgré quelques fissures, reste encore bien en place : de manière assez paradoxale, l’ouverture et l’intérêt que démontre la critique savante pour l’écriture intimiste des femmes contribuent, à plusieurs égards, à occulter la production littéraire de la génération qui arrive à l’écriture dans les années 2000, en monopolisant les efforts des chercheurs pour élargir leur compréhension de la littérature dans un contexte culturel donné.

Le poids de la longue décennie 1970 : quelle lecture pour la relève?

En 2016, vingt ans après La littérature franco-ontarienne : Enjeux esthétiques, Lucie Hotte et François Ouellet font paraître un nouvel ouvrage qui s’interroge sur la progression de la littérature franco-ontarienne depuis cette époque où ils avaient repéré le besoin de rompre avec le discours identitaire. Le bref survol qu’ils font de cette progression démontre que la littérature franco-ontarienne, désormais enseignée à l’université et largement commentée, est bien passée dans le domaine du savoir. Si la question identitaire reste présente, la fin des années 1990 correspond à une période de désengagement des auteurs à l’égard de la cause identitaire :

[C]’était déjà l’époque où Patrice Desbiens quittait Sudbury pour s’installer durablement à Montréal et se définir comme un poète « sans pays », citoyen du monde, et où, après avoir écrit trois premiers ouvrages directement concernés par l’émancipation de la communauté franco-ontarienne, Daniel Poliquin délaissait ce qu’il appelle la « pulsion idéologique » de l’écrivain au profit de la « pulsion esthétique ».

Hotte et Ouellet, 2016, p. 6

Il s’agit également d’une période où les frontières qui encadrent la littérature franco-ontarienne s’assouplissent légèrement, ce qui favorise une mise en réseau de la production littéraire avec celle de l’ensemble des francophonies canadiennes. Le maintien d’une certaine vitalité institutionnelle de la littérature franco-ontarienne va de pair, en fait, avec la mise en place « d’un espace de cohabitation institutionnelle » qui permet de la redéfinir dans son rapport étroit avec les littératures franco-canadiennes :

À titre d’exemple, les éditions Prise de parole, si étroitement liées au combat identitaire franco-ontarien dans les années 1970, ont commencé à publier des auteurs acadiens et ont introduit, au sein de leur comité éditorial, des auteurs du milieu du livre issu de l’Acadie, après la fermeture des Éditions d’Acadie en 1999. De la même façon, Liaison[1], revue fondée à Ottawa en 1978 et dévouée au développement du théâtre d’abord, puis de la littérature et de la culture franco-ontariennes, a modifié son mandat éditorial en octobre 2005, s’affichant désormais comme revue « pancanadienne »; depuis elle couvre, en principe à part égale, les productions de l’Acadie, de l’Ontario et de l’Ouest.

Hotte et Ouellet, 2016, p. 7

Cette ouverture marquée des institutions littéraires en Ontario français suscite deux constats : d’une part, remarquent Hotte et Ouellet, « la “littérature franco-ontarienne” n’est plus tout à fait la même, […] dédouanée de la problématique identitaire, elle cherche à être appréhendée dans un espace francophone qui excède les limites qui ont été les siennes […] » (Hotte et Ouellet, 2016, p. 7). D’autre part, et de manière un peu catastrophique pour la littérature franco-ontarienne, « il n’y a guère, actuellement, de relève littéraire en Ontario français » (Hotte et Ouellet, 2016, p. 7). De fait, ce sont les mêmes auteurs qui se démarquent au tournant des années 2000 que pendant la période précédente, soit André Paiement, Patrice Desbiens, Robert Dickson, Gabrielle Poulin, Jean Marc Dalpé, Daniel Poliquin, Marguerite Andersen : « À peu de choses près, ce sont encore les grands noms d’aujourd’hui, ceux que nous lisons le plus volontiers, ceux qui sont privilégiés par la critique savante » (Hotte et Ouellet, 2016, p. 7). Et si certains noms occultés dans les années 1990 semblent désormais s’imposer, « on serait en peine de nommer l’émergence d’un écrivain majeur depuis 1996 », puisque, « dans la génération qui commence à publier dans les années 2000, les plumes de qualité qui creusent un nouveau sillon sont rares » (Hotte et Ouellet, 2016, p. 7). En témoigne cette anecdote sur la genèse de l’ouvrage, qui trouve sa source dans un colloque organisé en 2013 et qui invitait les chercheurs à s’intéresser à la littérature franco-ontarienne récente : « Or, les sujets de communications présentées traduisaient on ne peut mieux la difficulté de cerner de nouveaux enjeux dans la littérature actuelle, les participants se rabattant sur des écrivains consacrés » (Hotte et Ouellet, 2016, p. 8). Prenant acte de ce désintérêt pour la production récente, le projet de l’ouvrage se veut donc plus discriminatoire, c’est-à-dire qu’il se veut le lieu d’une réflexion sur des oeuvres moins commentées publiées à partir du milieu des années 1990. Pour ce qui concerne la poésie, soulignons les articles de Jacques Paquin sur les oeuvres de Margaret Michèle Cook – qui, par sa double identité linguistique, « entretient avec la langue et l’identité francophone un rapport différent de la génération précédente des poètes franco-ontariens, chez qui domine la problématique identitaire » (Paquin, 2016, p. 129) – et de Louis Bélanger, qui propose une lecture brillante de la poésie franco-ontarienne de la génération 2000 dans le contexte de la mondialisation et de la société de consommation du début du 21e siècle.

La même année, Cécilia W. Francis et Robert Viau font paraître un ouvrage qui partage avec celui de Lucie Hotte et François Ouellet l’objectif de réfléchir, cette fois pour l’Acadie, aux grandes orientations de la littérature du début du 21e siècle dans la suite des « courants post-nationalistes […] ayant acquis avec les années ses lettres de noblesse[2] » (Francis et Viau, 2016, p. 7). C’est dans cette optique que Francis et Viau ont invité « des chercheurs chevronnés ou novices à discuter de nouvelles pistes esthétiques de création, à souligner les préoccupations de l’heure des romanciers, des poètes, des dramaturges, des chansonniers et des cinéastes en matière de thèmes, de sujets et de champs d’expérimentation, mais aussi en ce qui concerne des techniques et des modalités d’écritures » (Francis et Viau, 2016, p. 8). Le constat dressé par les auteurs de l’ouvrage est « que les oeuvres et les productions acadiennes retenues portent le sceau de la diversité et de l’universalité, tout en reflétant dans bien des cas la spécificité de leurs origines, que ce soit de manière manifeste, ou sous forme cryptée, masquée ou à l’aide d’un discours connoté » (Francis et Viau, 2016, p. 9). La littérature acadienne du début du siècle aurait ainsi réussi dans une certaine mesure à concilier les deux courants qui traversent la longue décennie 1970, entre l’affirmation de la particularité identitaire et l’ouverture à l’universel par la pluralité des destins singuliers. Il ressort cependant, en parcourant la table des matières de l’ouvrage, que la génération 2000 reste peu représentée dans le discours critique. Outre le survol que propose Denis Bourque du théâtre des années 2000 – où il aborde brièvement la production théâtrale d’Emma Haché, de Marcel-Romain Thériault et de Mélanie Léger en même temps que celle d’auteurs établis comme Laval Goupil, Jules Boudreau et Herménégilde Chiasson – et des articles sur le récit de voyage, la chanson et le cinéma, on y relève quatre articles sur l’oeuvre de France Daigle, un sur les romans récents de Jacques Savoie, et un sur les romans postmodernes de Jean Babineau. Seules, en fait, Juliette Valcke et Andrée Mélissa Ferron s’intéressent à la nouvelle génération de poètes en abordant respectivement les oeuvres de Georgette LeBlanc et de Jonathan Roy. La lecture que propose Valcke d’Amédé de LeBlanc se démarque particulièrement en ce qu’elle s’intéresse à un récit qui s’écrit hors du champ littéraire acadien et rejoint l’histoire universelle de la littérature :

L’innovation dans la continuité littéraire, tel est de fait le choix de Georgette LeBlanc qui, pour raconter l’histoire du Louisianais Amédé, crée une oeuvre dont la trame narrative et l’environnement thématique évoquent plus les textes courtois du 12e siècle et celui de La Chanson de Roland (v. 1100) que La Sagouine d’Antonine Maillet.

Valcke, 2016, p. 17

Valcke propose ainsi « de souligner les liens de “parenté” entre Amédé et ses ancêtres médiévaux, et, ce faisant, de montrer à quel point cet héritage dépasse les habituels rapports de la culture acadienne avec le carnavalesque pour révéler une exploitation nouvelle et audacieuse du Moyen Âge » (Valcke, 2016, p. 17). Andrée Mélissa Ferron s’intéresse pour sa part à la représentation de l’espace acadien dans le recueil Apprendre à tomber de Jonathan Roy, où elle relève des éléments d’intertextualité renvoyant aux oeuvres des poètes de la longue décennie 1970 : Guy Arsenault, Raymond Guy LeBlanc, Gérald Leblanc et Herménégilde Chiasson.

Les difficultés éprouvées pour réunir des études portant sur la génération qui arrive à l’écriture après 2000 dans des ouvrages collectifs qui visent spécifiquement la production de cette période qui va du milieu des années 1990 au milieu des années 2010 (les ouvrages ont dû être en préparation à partir de 2014 ou 2015 afin de paraître en 2016), suscitent un questionnement sur la véritable place que cette génération occupe dans le paysage littéraire en Acadie et en Ontario français. Soit la production de cette génération est effectivement plus faible que celle des générations précédentes, ce qui expliquerait qu’elle n’arrive pas à s’imposer d’elle-même; soit la critique savante n’est pas nécessairement prête à abandonner une grille de lecture qui repose sur les acquis de la longue décennie 1970; soit encore, la tendance du discours critique à aborder les auteurs établis est symptomatique d’un manque de relève chez les animateurs de la recherche en Acadie et en Ontario français. Quoi qu’il en soit, un certain inconfort existe à l’égard de la production récente dont on semble avoir de la difficulté à cerner la place qu’elle occupe dans la définition de l’imaginaire collectif. Dès lors, on se rabat sur le connu. François Paré notait déjà en 1994, dans son ouvrage Théories de la fragilité, la difficulté pour les nouveaux écrivains acadiens et franco-ontariens de sortir des a priori bien ancrés dans le discours critique :

Qu’ils le veuillent ou non les écrivains franco-ontariens et acadiens des années 90 appartiennent d’emblée à une histoire littéraire, à laquelle ils répondent, dont ils se jouent, qu’ils rejettent, qu’ils réinterprètent à leur tour, dont ils révèlent les échecs et les fautes : cette institution, qu’elle soit acceptée ou rejetée par eux, reste un puissant intertexte.

Paré, 1994, p. 16

Dans le texte qu’il signe dans l’Introduction à la littérature franco-ontarienne, Paré relève à nouveau le poids des acquis littéraires dans la production poétique postérieure au milieu des années 1990, alors que la génération des années 1970 et 1980, tant par la poésie identitaire que la poésie intimiste,

continue de baliser le paysage littéraire et d’en déterminer les enjeux textuels. Certes, des auteurs plus jeunes cherchent, depuis le milieu des années 1990, à bousculer les cadres établis et à renouveler les formes poétiques. Cependant, leur influence reste bien modeste. L’institution littéraire, encore très jeune, a eu naturellement tendance à consolider les acquis.

Paré, 2010, p. 120

Le phénomène est d’ailleurs nettement apparent dans les quelques études sur la génération 2000, dont la grille d’interprétation semble toujours influencée par un comparaison avec la génération 1970. On remarque en effet dès le début des années 2000 comment la poésie, qui domine la production littéraire de la nouvelle génération, est lue par la critique à travers la poésie de la longue décennie 1970. En abordant cette nouvelle production, la critique cherche à en tracer un portrait d’ensemble, mais ce portrait puise souvent dans les caractéristiques de la poésie des années 1970.

J’ai déjà relevé ce phénomène dans un article où je m’interrogeais sur l’obligation que ressentent les poètes de la relève de séjourner dans la ville de Moncton pour marquer leur appartenance à la poésie acadienne contemporaine, particulièrement aux yeux de la critique savante[3]. Je mentionnais notamment le constat fait par Isabelle Cossette et Manon Laparra à propos de la nouvelle génération de poètes associés à l’école Aberdeen[4], pour qui « [h]abiter la ville semble […] être un paramètre fondamental de l’écriture » (Cossette et Laparra, 2001, p. 146). Cossette et Laparra constataient que ces poètes avaient délaissé l’Acadie comme thématique : « Alors que la génération des Gérald Leblanc, Rose Després, Guy Arsenault, Herménégilde Chiasson, Raymond LeBlanc poussait un cri de libération spécifiquement acadien pour lutter contre une assimilation anglophone, la jeune poésie exprime, quant à elle, un questionnement incessant sur soi et sur la réalité, sur la place du “je” au quotidien » (Cossette et Laparra, 2001, p. 148). Cet effacement de la thématique « Acadie » – et non de l’Acadie elle-même, qui reste bien présente – entraîne une certaine dévalorisation des poètes de la relève et de leur « questionnement incessant sur soi », marque d’un individualisme et d’un égoïsme qui se traduisent par un manque d’engagement envers la cause acadienne. Raoul Boudreau explique ce manque d’engagement en faisant une différence nette entre la réalité que vivent les poètes de la relève et celle que vivaient les poètes de la longue décennie 1970. Ces derniers étaient arrivés, comme je l’ai souligné plus tôt, à un moment crucial d’affirmation qui dépassait la seule poésie et qui touchait l’ensemble des communautés francophones. Leur poésie représentait ce moment. Comme eux, les poètes de la relève intègrent à leur écriture les préoccupations de leur temps, qui ne sont plus centrées sur les luttes collectives mais sur des thèmes plus universels « comme le passage inexorable du temps, la fragilité de l’amour et du désir, la domination et la déception des sens » (Boudreau, 2005, p. 213) :

Si au cours des années 1970, la survivance collective passait avant toute chose, aujourd’hui, la défense communautaire paraîtrait bien futile devant les impératifs d’une conscience individuelle en péril. Le poète acadien des années 1970 se trouvait doté d’une spécificité parce qu’il était le seul à parler de l’Acadie. Son confrère d’aujourd’hui a rejoint le discours universel de la poésie et il doit se forger une spécificité en trouvant une manière originale de l’aborder.

Boudreau, 2005, p. 214

Cette quête de spécificité des jeunes poètes ne les a cependant pas conduits à un rejet absolu de leurs prédécesseurs; bien au contraire, ils se reconnaissent ouvertement comme les héritiers des poètes de la longue décennie 1970, plus particulièrement de Gérald Leblanc. C’est d’ailleurs en héritiers de Gérald Leblanc que Pénélope Cormier situe les poètes de l’école Aberdeen dans le paysage acadien. Le détour par Gérald Leblanc, comme elle le remarque, est « non seulement motivé, mais obligé » (Cormier, 2012, p. 179), puisque, en sa « double qualité de “poète de Moncton” et d’éditeur [aux Éditions Perce-Neige, de 1990 à 2005], Gérald Leblanc est tout naturellement devenu l’ami, le recruteur, le mentor et le protecteur des aspirants poètes qui sont arrivés en ville et/ou à l’âge adulte au cours de la décennie 1990 » (Cormier, 2012, p. 180). La rupture n’est donc pas nette et il est possible, avec Claude Beausoleil, de penser la poésie de la relève dans une sorte de continuité où l’héritage est complètement assumé – d’où l’absence de rupture – mais où il y a aussi un désir de se dire, comme le relevait Raoul Boudreau, en mettant en avant des préoccupations universelles : « Urbaine, mais autrement. Intime, mais autrement. Engagée, mais autrement. C’est dans cet “autrement” que l’on retrouve des pistes pour entrer dans le corpus de la poésie récente » (Beausoleil, 1999, p. 111).

C’est en quelque sorte la lecture que j’ai proposée des poètes associés à l’école Aberdeen en traçant un lien entre leur écriture, urbaine, et la ruralité de Georgette LeBlanc telle qu’elle apparaît dans son premier recueil, Alma. Dans ce recueil, LeBlanc réinvestit un espace d’emblée donné pour folklorique et, à l’instar de ses collègues de Moncton, en propose une reconfiguration en accord avec les changements qu’a provoqués l’accélération de la modernisation des communautés acadiennes. Certes, le contexte du récit d’Alma fait en sorte qu’elle ne porte jamais complètement le même regard que les poètes de l’école Aberdeen, mais le discours poétique de LeBlanc véhicule les mêmes rêves d’émancipation, d’ouverture au monde et de liberté individuelle :

Alma regarde en quelque sorte le monde avec les « yeux d’une romanichelle », à l’image de Sarah Marylou Brideau qui trouve l’inspiration dans son retrait de la masse grouillante que représente la ville, elle cherche le contact de l’autre comme plénitude de soi, à la manière d’Éric Cormier, rêvant de suivre les tramps dans leur errance pour se réinventer ailleurs, comme chez Jean-Philippe Raîche.

Thibeault, 2016, p. 143

Ainsi, la poésie de Georgette LeBlanc, comme le montre bien Juliette Valcke[5], ne pourrait être limitée au caractère folklorique qui apparaît d’emblée dans la ruralité, l’historicité et le parler acadien de la baie Sainte-Marie, contrairement à ce que laisse entendre François Paré lorsqu’il affirme qu’Alma s’inscrit dans une continuité puisqu’il est « inspiré sur le plan formel par La Sagouine d’Antonine Maillet » (Paré, 2009, p. 38). C’est également ce « faire autrement » que met à jour Andrée Mélissa Ferron dans son étude du premier recueil de Jonathan Roy, indéniablement influencé par les poètes de la longue décennie 1970, mais où se manifeste également un dépassement de l’a priori identitaire :

L’écriture de l’espace chez Roy se fonde sur les paramètres d’une nouvelle épistémè au diapason du rapport identité-espace au 21e siècle, s’appuyant sur un équilibre entre ancrage territorial (désir perpétuel – implicite ou explicite – longtemps exprimé dans le texte acadien) et mobilité accrue (nouvelle thématisation du déplacement qui ne s’appuie plus sur l’exil mais plutôt sur la fragmentation du registre identitaire spatial). L’identité monotopique s’archaïse. Entre « Caraquet et Moncton » réside l’écriture de la polarisation et de l’ambiguïté de l’identité culturelle, qui révèle sa nature composite. Au coeur de cette dynamique se trouve revisité l’héritage littéraire de l’écrivain acadien, au terme de quatre décennies de production endogène. Les textes du poète rappellent que certains attributs de l’Acadie ne sauraient disparaître; elle est construction, discours, mémoire, lecture et enfin, espace, à défaut d’être lieu.

Ferron, 2016, p. 171

Malgré une absence de rupture nette, de désir de faire table rase et de se réinventer complètement, comme l’ont fait les poètes acadiens dans les années 1970, il est donc possible de voir une volonté de dire autrement l’Acadie et, surtout, de se dire autrement, pas uniquement dans l’espace acadien, mais aussi dans l’universalité de cette acadianité qui les habite. Benoit Doyon-Gosselin remarquait récemment qu’il y a une certaine effervescence en Acadie, qui permet un renouvellement et un repositionnement de la poésie depuis le milieu des années 2000. Si la poésie de la période 1990-2005 a été fortement influencée par Gérald Leblanc, au point où Doyon-Gosselin remarquait que les écrivains devraient faire des choix s’ils voulaient que leurs livres dépassent le stade de la recension, celle depuis 2005 est en train de faire sa place en réinvestissant l’espace pour dire celui-ci autrement : « On pourrait aussi parler de la revanche des régions quand on pense à Jonathan Roy qui écrit et vit la Péninsule acadienne, à Sébastien Bérubé qui écrit et vit le Madawaska, et évidemment à Georgette LeBlanc qui écrit et vit la Baie Sainte-Marie. Elle est d’ailleurs la première et la plus fulgurante poète de cette récente génération » (Doyon-Gosselin, 2017). Certes, il est difficile de faire abstraction de la production de la période précédente – est-ce vraiment souhaitable d’ailleurs? – lorsqu’on aborde des corpus aussi spécifiques que ceux de l’Acadie et de l’Ontario français. C’est le réflexe de l’universitaire qui a une conscience souvent plus développée du contexte minoritaire que certains auteurs. Parlant de l’originalité du recueil Dead end de Monica Bolduc, Doyon-Gosselin ne peut s’empêcher d’associer ce « plaidoyer féministe engagé » à celui de poètes intimistes de la longue décennie 1970 comme Rose Després ou Dyane Léger. Mais, par cette comparaison, le critique élève Bolduc au rang de ses prédécesseures en marquant sa parole comme une parole qui s’impose et rejoint la leur au lieu d’en être une pâle copie.

La place qu’occupe la génération 2000 dans le discours critique n’est pas très différente en Ontario français, bien que la réflexion sur la relève y soit moins soutenue qu’en Acadie. Si on ne trouve pas d’article savant qui tente de brosser, comme en Acadie, un portrait global de la production littéraire – à l’exception des articles de Louis Bélanger –, il est tout de même possible de retracer quelques textes qui cherchent à en définir les paramètres. En 2004, la revue Liaison publiait un dossier intitulé « Une génération émergente : un portrait », consacré à la relève artistique franco-ontarienne. En ouverture au dossier, Marc Haentjens signait un texte intitulé « Les héritiers d’André Paiement » – titre qui aurait bien pu se terminer par un point d’interrogation –, où il remarquait le clivage qui semble s’établir entre les préoccupations de la génération de Paiement et celle de la relève. Les années 1970,

[c]’était l’époque où CANO triomphait à Toronto, où Robert Paquette chantait encore Bleu et blanc, avec son chapeau, et où fleurissait un peu partout une jeune génération pressée de s’exprimer et de tourner le dos à une société jugée sclérosée ou vieillissante. La Nuit sur l’étang et le Festival provincial de Théâtre Action étaient alors des événements aussi magiques qu’incontournables : c’est là que cette génération se nourrissait et qu’une nouvelle culture franco-ontarienne, suivie et documentée bientôt par la revue Liaison, était en train de s’inventer.

Haentjens, 2004, p. 7

Mais plus de 25 ans ont passé, constate Haentjens, et « beaucoup de jeunes artistes franco-ontariens auraient bien du mal aujourd’hui à dire qui était André Paiement. André qui? Celui qui a incarné le mieux la révolte et l’affirmation de la génération précédente fait aujourd’hui partie de l’histoire, ou de la littérature » (Haentjens, 2004, p. 7). Malgré cet oubli, la nouvelle génération d’artistes sent bien le poids de la génération précédente à travers les institutions qui, à peu de chose près, n’ont pas changé depuis la période d’affirmation. De jeunes artistes s’en étaient d’ailleurs plaints lors des États généraux de l’Association des professionnels de la chanson et de la musique à l’automne 2003 : « Plusieurs représentants de la jeune génération ont ainsi manifesté leur dépit, en suggérant que l’Association se préoccupait avant tout des intérêts des artistes accomplis et non de ceux que l’on pourrait qualifier d’émergents » (Haentjens, 2004, p. 8). C’est que, si les institutions ne semblent pas changer, la société, elle, a évolué et la nouvelle génération, comme le constate Haentjens, ne peut pas avoir les mêmes préoccupations que la génération précédente, notamment en ce qui concerne le projet collectif. Le texte que signe Anne-Lise Clément dans le même dossier, qui résume des entretiens réalisés avec des artistes de différents domaines âgés entre 21 et 28 ans, relève bien le changement d’intérêt de cette génération qui revendique peu son appartenance à un collectif minoritaire, préférant plutôt parler des « enjeux en mouvance et [d]es filiations métissées qui animent [son] cheminement » (Clément, 2004, p. 9). Comme en Acadie, les préoccupations reviennent au soi, à la place du « je » dans le monde, à sa rencontre avec l’autre et à son identité de plus en plus métissée dans le contexte de la mondialisation. Sur le plan de la poésie au sens strict, Clément fait ressortir une tension entre la continuité et la rupture semblable à celle que connaît la poésie acadienne. Éric Charlebois, particulièrement, rompt avec la poésie strictement identitaire de Faux-fuyants, son premier recueil, pour s’intéresser à des sujets plus ouverts à l’universel comme le discours médical, qui apparaît dans son deuxième recueil, Péristaltisme. Clystère poétique. Ainsi, remarque Clément, si Charlebois accepte volontiers de s’inscrire dans la filiation de poètes de l’Ontario français – par exemple, Patrice Desbiens, Sylvie Filion, Pierre-Paul Cormier, Sophie Bérubé, Stefan Psenak et Michel Ouellette –, c’est pour inscrire cette filiation elle-même dans un discours d’ouverture à l’altérité : « J’aimerais qu’on puisse tous être des poètes pour créer des liens avec le monde. Ce serait l’fun que notre littérature cesse de se recroqueviller et qu’elle éclose ainsi » (Clément, 2004, p. 12). Pour Tina Charlebois, la question de la filiation n’est pas si nette, comme le démontre cet extrait de son deuxième recueil :

Je suis Franco-Ontarienne seulement en Ontario. Traître si je change de province. Espionne si je saute de l’une à l’autre. Assassin perfide si j’ose transmuter ma culture qui ne peut point – me dit-on – survivre dans un autre environnement. D’ailleurs, il faut se rappeler Darwin. Je suis Canadienne mais francophone – et pas du Québec. Donc pas vraiment Canadienne. Et pas vraiment francophone.

Mais en anglais, I am Canadian, et pas juste en bière. I have been Ontarian, Albertan and British-Colombian. But not really. All along, I’ve just been Canadian. Ah, the apple core texture of generic culture. En anglais, ce n’est pas compliqué. It’s not complicated: a country is a country. Un pays, c’est une province.

Le bilinguisme : cause certaine de la schizophrénie. Trente ans plus tard, André Paiement nous rirait en pleine face. L’histoire ne se répète pas, elle s’éternise sur la même intrigue, sans point tournant.

Charlebois, 2006, p. 23

Bien qu’Anne-Lise Clément ne dégage pas de réel portrait d’ensemble de cette génération d’artistes, il semble évident, en mettant en parallèle son article avec celui de Marc Haentjens, que si les artistes peuvent se reconnaître une filiation avec leurs prédécesseurs, leur réalité n’est jamais complètement la même, ne serait-ce que parce qu’ils sont d’emblée confrontés à des acquis identitaires fortement localisés et à une culture de plus en plus délocalisée par le caractère mouvant du sujet.

Malgré que le dossier de Liaison n’offre pas une réflexion savante qui examinerait, à l’instar des articles publiés sur la relève acadienne, les enjeux thématiques et esthétiques de la nouvelle génération d’écrivains, on remarque certaines constantes qui seront explicitées dans un court texte de Margaret Michèle Cook paru dans la même revue en 2006. Dans ce texte, Cook s’interroge sur le rapport à la langue et à l’identité tel qu’il apparaît chez les écrivains du nouveau millénaire. Son constat confirme en quelque sorte ce qui ressortait des entretiens menés par Anne-Lise Clément, à savoir que la problématique identitaire est bien présente chez les poètes de la relève, mais, comme en Acadie, qu’elle n’a pas la même résonnance collective que chez ceux de la génération précédente. Cook remarque :

Chez les poètes de la nouvelle relève, bien qu’on y trouve un retour à la référence identitaire, la question de l’identité collective ne semble pas la préoccupation principale. La pseudo-résurgence de cette question est plutôt une porte d’entrée par où explorer le monde et l’identité individuelle. La langue, entité vivante, dans toutes ses manifestations et avec toute sa rhétorique est mise en jeu et portée au service du désir de l’être.

Cook, 2006, p. 53

Cette posture est bien celle de Tina Charlebois, comme le souligne Christine Knapp dans une étude du rapport qui s’installe entre le « je » et le « tu ». Knapp remarque que la présence du « je-tu » dans l’oeuvre de Patrice Desbiens dénote une certaine conscience du minoritaire qui inscrit le soi dans une réflexion renvoyant d’emblée au collectif; or, chez Charlebois, la présence du « je-tu » se situe à un autre niveau et s’inscrit dans un contexte où le sujet, plutôt que de s’associer à un collectif, se pense dans son universalité :

Le « nous » collectif, propre à la surcontextualisation, est remplacé surtout par un couple « je/tu » indissociable (du point de vue de l’énonciation) qui se base sur les expériences personnelles du « je ». La poésie de Tina Charlebois est marquée par l’individualité de la quête identitaire, qui rejoint la quête de l’identité franco-ontarienne. Le sujet « je » s’affirme en tant que Franco-Ontarienne, mais les références à l’Ontario français sont éclipsées par l’intime et l’individuel.

Knapp, 2013, p. 258

Ici, comme en Acadie, l’Ontario français n’est déjà plus une thématique mais une caractéristique parmi d’autres qui sert à définir le « je » dans son rapport au monde. Le phénomène d’individualisation du récit identitaire que décrit Margaret Michèle Cook, et que Christine Knapp relève chez Tina Charlebois, est également mis au jour dans l’excellent panorama que Louis Bélanger propose de la « jeune poésie franco-ontarienne », dont il retrace l’évolution de 1970 à 2000. Au sujet de la dernière partie de cette période, Bélanger note qu’il se produit bien une érosion d’un certain communautarisme propre à la poésie identitaire dominante et que, à l’instar de la poésie – plus marginalisée par la critique – qui s’ouvre à l’intime et à l’universel, la poésie récente repose davantage sur l’expression de soi :

L’érosion de la cohérence communautaire propre à une poésie franco-ontarienne alimentée par les fictions sociales d’un « nous » et d’un espace homogène a cédé le pas à une conscience identitaire non plus traversée par un destin unificateur, mais par les parcours de destins pluriels qui en ont aboli les référents initiaux. Du communautaire au communal, la poésie franco-ontarienne s’est éloignée d’une vision diachronique de l’histoire en y substituant la perspective synchronique des cultures modernes.

Bélanger, 2012, p. 221

C’est également dans cette logique de l’érosion du collectif et dans le recentrement du sujet poétique sur lui-même que Bélanger aborde, dans sa contribution au collectif La littérature franco-ontarienne depuis 1996. Nouveaux enjeux esthétiques, la poésie de la génération 2000 en tant qu’elle s’inscrit dans le mouvement de décloisonnement qu’entraîne la mondialisation : « L’heure n’est plus où produits de grande et petite culture renvoient à des univers radicalement inconciliables. Littéraire ou commerciale, de production restreinte ou massive, l’esthétisation de l’émotion s’affaire au déploiement de la beauté » (Bélanger, 2016, p. 128).

Ni en Acadie ni en Ontario français la génération 2000 ne cherche à rompre définitivement avec celle de la longue décennie 1970; au contraire, elle s’en nourrit afin de bien prendre la mesure de l’espace qu’elle habite. Pénélope Cormier se demande justement comment aborder le Moncton de la poésie récente sans d’abord penser au Moncton de Gérald Leblanc et à son héritage symbolique. Ariane Brun del Re remarque à juste titre le même rapport à la ville de Sudbury dans une étude consacrée au premier recueil du poète franco-ontarien Éric Charlebois, Faux-fuyants (2002), et à la première pièce du dramaturge fransaskois Gilles Poulin-Denis, Rearview (2009). L’énonciation du lieu en littérature n’est jamais complètement vide de sens et renvoie à un certain imaginaire collectif, fortement influencé, dans le cas de Sudbury, par la poésie de Patrice Desbiens :

Le Nord de l’Ontario, et plus particulièrement Sudbury, n’est pas une destination neutre : choisir d’y ancrer sa fiction, c’est d’emblée partir à la rencontre de [Patrice] Desbiens. Ce dernier est tant associé à ces espaces – c’est lui qui met « Sudbury sur la carte littéraire du pays, il la “littérarise” »– que leur simple mention ne manquera pas d’évoquer l’oeuvre de Desbiens dans l’esprit de n’importe quel lecteur qui connaît sa poésie.

Brun del Re, 2018, p. 111

En Ontario français, comme en Acadie, si la rupture ne passe pas par un rejet absolu de l’héritage des prédécesseurs, elle se fait par le dépassement, le réinvestissement du sens et un ajustement de la symbolique avec la réalité contemporaine. C’est ce que constate Andrée Mélissa Ferron chez Jonathan Roy. C’est également ce que constate François Paré dans l’étude qu’il propose du Sudbury de Thierry Dimanche dans Le Milieu de partout, et de la façon dont il se rapproche de – ou dépasse – l’espace tel que Desbiens le représente :

Au début, dans certaines oeuvres de Patrice Desbiens, le chronotope a semblé claudiquer, devenir forcément instable et même mortifère, alors que la mise en récit du sujet de l’énonciation paraissait impossible. Cependant, les enjeux se sont vite déplacés vers la reconquête du temps long. Voilà où nous a menés justement notre lecture du recueil palimpseste de Thierry Dimanche. La marginalité, bien qu’elle puisse être une souffrance débilitante et fortement intériorisée, reste néanmoins un facteur dynamique qui nourrit et structure l’identité des individus et des collectivités évoluant aux abords des ensembles dominants.

Paré, 2018, p. 139

Le Sudbury de Thierry Dimanche, mais aussi celui d’Éric Charlebois et de Gilles Poulin-Denis (comme quoi l’influence dépasse les frontières de l’Ontario français), comme l’Acadie de Jonathan Roy ou, plus récemment, celle de Gabriel Robichaud dans son Acadie road (2018), sont donc intériorisés et repensés à travers l’expérience du soi qui cherche à redéfinir son identité, à redéfinir ce que veut dire être franco-ontarien ou acadien aujourd’hui. L’évolution des littératures acadienne et franco-ontarienne retracée dans les quelques études qui ont été consacrées à la relève laisse entrevoir une certaine négociation entre l’écriture identitaire et l’écriture intimiste des femmes qui sont sorties de la longue décennie 1970. La forte présence du sujet, du soi, de son ouverture à l’altérité et de sa quête d’universalité amène cependant à repenser son héritage : bien que la production de la relève, depuis le milieu des années 1990, laisse une place importante aux figures mythiques de la poésie identitaire des années 1970, plus particulièrement Gérald Leblanc et Patrice Desbiens, elle semble plus marquée par l’héritage de l’écriture intimiste des femmes. Être acadien ou franco-ontarien, aujourd’hui, n’explique pas tout : que signifie cette identité devant les enjeux universels auxquels est confronté le sujet qui parle – par exemple, le choc post-traumatique que subit le sujet de Sonia Lamontagne dans Comptine à rebours (2015) ou l’hyper-sexualisation du quotidien dans Quatre pattes Catherine (2016) de Joannie Thomas?

Dans une chronique parue dans le webzine Astheure en 2014, le sociologue Mathieu Wade regrettait le manque d’engagement des jeunes écrivains acadiens, qu’il expliquait par une sorte d’ère du vide, pour reprendre l’expression de Gilles Lipovetsky, dans laquelle évoluerait la littérature acadienne : « C’est que depuis un bon bout de temps, l’essentiel de la production littéraire acadienne est insipide (lire individualiste, égotiste, narcissique, nombriliste, existentialiste, adolescente). […] Elle ne revendique rien » (Wade, 2014). Il ajoutait plus loin :

C’est la littérature qui a fait la révolution acadienne dans les années 1960-70. C’est elle qui a bouleversé de façon durable ce qu’être Acadien voulait dire. C’est dans la littérature que nous nous sommes représentés comme urbains, chiacs, undergrounds, nationalistes, intellectuels, révoltés, amants, homosexuels, drogués, ivres. La gamme de ce qu’il devint possible pour nous de devenir et de penser s’élargit d’un seul coup et ces oeuvres qui ont réussi à nous dire autrement sont celles qui sont passées à l’histoire. Et je crois que les artistes peuvent encore nous aider à nous réinventer, à élargir ce qu’il nous est possible de faire et de penser collectivement. À redéfinir ce qu’on entend par Acadie et la manière dont elle habite sa société.

Wade, 2014

Ce commentaire porterait-il sur la littérature franco-ontarienne qu’il dévoilerait un même désarroi face à une production qui n’a pas la force d’impact qu’a pu avoir la production littéraire de la longue décennie 1970. Cette dernière a permis, d’une part, de tracer les lignes d’une identité propre à chaque communauté et, d’autre part, de donner au sujet une profondeur qui le distingue comme un individu unique qui contribue par sa parole au rayonnement du collectif – comme le démontre la relecture de certains écrivains et, surtout, d’écrivaines alors marginalisées. Elle participait à un moment d’effervescence culturel, de prise de parole et d’affirmation identitaire qui est devenu mythique. En fait, les propos de Wade laissent peut-être entrevoir une certaine nostalgie de cette époque révolue. Mais, comme le souligne Louis Bélanger, nous n’en sommes plus là et il faut prendre acte du changement de paradigme qui caractérise la génération 2000, ce qu’ont fait peu de critiques jusqu’à maintenant. Pourtant, si on a beaucoup réfléchi à la place qu’elle devait occuper dans l’histoire littéraire acadienne ou franco-ontarienne, la production de cette « éternelle relève » commence à trouver sa place – très timidement, il est vrai –, particulièrement en Ontario français. Le projet de cette génération, à l’identité plurielle, souvent réduite à l’expression de soi, prend forme : s’approprier l’espace et le décrire autrement à travers les yeux d’un héritier incertain de la longue décennie 1970. Tina Charlebois, lors de l’entretien précédemment cité avec Anne-Lise Clément, affirmait qu’elle « souhaite redire ce qu’ont écrit les Desbiens, Dalpé, Dickson, mais pour sa génération. “We came a long way, on dirait que ça n’a plus aucune importance” » (Clément, 2004, p. 12). Pour cette génération, dire, se dire, c’est assumer l’héritage reçu des générations précédentes, mais c’est aussi négocier avec un monde qui n’est plus celui des grandes revendications identitaires des années 1970[6]. L’ouverture à une culture mondialisée, voilà son défi, et c’est aussi un défi pour la critique savante qui cherche encore à négocier avec un changement de paradigme qui, à plusieurs égards, entre en contradiction avec le besoin institutionnel de donner un sens à sa propre spécificité.