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Introduction

En 2021, on ne peut pas dire que les bibliothèques publiques françaises aient réellement investi le domaine du livre numérique ainsi que l’ont fait d’autres réseaux de lecture publique dans d’autres pays. Les progrès sont patents pour quelques centaines de bibliothèques, il est vrai, mais il y a un manque de couverture du réseau global d’une part, un manque d’investissement financier des bibliothèques impliquées d’autre part.

Il faut dire aussi que deux grands modèles coexistent : le streaming[1] proposé par quelques distributeurs mais qui peine à proposer un catalogue significatif, et le prêt numérique en bibliothèque (PNB), le modèle à téléchargement proposé par Dilicom. Ce dernier, du fait que les éditeurs lui réservent leur droit de prêt (à l’exception de quelques offres de niches auxquels ils accordent des droits limités aux titres concernés), offre un catalogue beaucoup plus large[2] mais qui peine à convaincre une majorité de bibliothèques. Par ailleurs, les bibliothèques se cherchent quant à la place à donner à cette nouvelle offre pour laquelle on ne voit pas bien encore de vision homogène : compléter l’offre papier, constituer un renforcement de l’offre papier des titres les plus prêtés… Ce questionnement sur la finalité à assigner au prêt numérique ressort des discours tenus au sein du groupe Livres numériques de Réseau Carel ainsi que du consortium d’acquisitions numériques de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Le projet PNB, soutenu par le ministère de la Culture et le Centre national du livre (CNL) français, incontestablement, donc, le plus vaste projet de mise à disposition de livres numériques par les bibliothèques en Europe francophone, sera légitimement traité en premier dans cet article. Les nombreuses autres offres, majoritairement en streaming, ne pourront être abordées ici tant elles sont nombreuses, mais nous vous renverrons à un site qui décrit ces offres en détail et tenterons d’en dégager, comme pour PNB d’ailleurs, les avantages et les limites. Par ailleurs, un focus sur la déclinaison de PNB par les bibliothèques belges francophones, avec une approche plus collaborative et globale, est également proposé dans cet article.

Il convient de noter que les conséquences de la pandémie liée à la COVID-19 sur le prêt numérique ne font pas l’objet d’un traitement, même succinct, dans cet article. Les lecteurs intéressés pourront consulter les ressources présentes sur les sites officiels français[3] et belge[4].

L’offre principale : PNB (Prêt numérique en bibliothèque)

Le ministère de la Culture et le CNL furent inspirés par l’expérience québécoise Pretnumerique.ca, qui, en à peine trois ans, a atteint le nombre de deux millions de prêts de livres numériques. C’est ainsi qu’ils encouragèrent les éditeurs, distributeurs et libraires à mettre en oeuvre un projet similaire qui avait notamment pour principe de préserver en son sein l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre papier, les libraires étant jusqu’alors en général court‑circuités dans les offres de livres numériques aux bibliothèques.

Le projet est coordonné par Dilicom, opérateur interprofessionnel du livre mais dirigé uniquement par des éditeurs et des libraires (Dilicom, s. d.). PNB constitue un système organisé en étoile avec des échanges par services Web, selon une architecture de type SOA (« service oriented architecture »)[5].

Fonctionnement de PNB

Les acteurs du système sont un distributeur numérique (entrepôt de livres fournis par les éditeurs), une librairie (plateforme de vente), une bibliothèque (plateforme de prêt) et au centre Dilicom (« hub ») (voir figure 1).

Figure 1

Schéma contextuel du fonctionnement de PNB

Schéma contextuel du fonctionnement de PNB

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Les processus sont les suivants :

  • flux des métadonnées (en noir sur le schéma) ;

  • acquisition d’un titre par la bibliothèque (en bleu) ;

  • emprunt d’un titre par un usager (en rouge)[6].

Les conditions (ou variables) à fixer par chaque éditeur dans PNB sont :

  • le nombre de prêts autorisés à l’achat d’un titre (entre 20 et 60, selon les groupes éditoriaux, mais entre 20 et 30 pour la plupart) ;

  • le prix du titre (déterminé par l’éditeur selon une formule de calcul basée le plus souvent sur le prix du livre numérique grand public, parfois sur le prix du livre papier) ;

  • la durée maximale de la licence (entre cinq ans et illimité, selon les groupes éditoriaux) ;

  • le nombre maximum de prêts simultanés autorisés pour un titre acheté (entre un, ce qui correspond à aucune simultanéité, et le nombre total de prêts autorisés pour ce titre dans la licence) ;

  • le nombre maximal de jours autorisés pour un prêt (en général 59 jours, limite liée à celle de la DRM).

Il convient de noter que l’acquisition d’un exemplaire d’un titre ne constitue pas un achat définitif, mais bien l’acquisition d’une licence autorisant la bibliothèque à prêter ce titre un certain nombre de fois. La licence est assortie d’une durée maximale dans le temps pour la plupart des distributeurs (à l’exception des éditeurs du distributeur Immatériel). La simultanéité des prêts pour un même exemplaire acheté constitue la grande force de PNB, mais l’un des groupes éditoriaux les plus importants ne permet malheureusement pas cette simultanéité (Hachette). Une réflexion semble toutefois en cours au sein du groupe, qui a récemment décidé de « tester » cette simultanéité pour ses livres audio.

PNB sur base des chiffres du ministère de la Culture français

Le ministère de la Culture français a pris en charge l’évaluation de PNB, qui fut lancé fin 2014 par quatre bibliothèques publiques pilotes françaises, rapidement suivies début 2015 par le réseau des bibliothèques publiques belges francophones avec sa plateforme de prêt Lirtuel, et ensuite par la Ville de Paris et sa « bibliothèque numérique ».

Voici quelques constats clés tirés des chiffres publiés par le ministère de la Culture français avec l’aide de Dilicom (ministère de la Culture, 2019B[7]) :

  • 196 bibliothèques ou réseaux de bibliothèques, allant d’une bibliothèque avec une seule implantation à la moitié d’un pays (la Belgique francophone avec 400 implantations) en passant par de nombreux réseaux communaux de grandes villes (comme Paris) et de nombreuses Bibliothèques départementales de prêt ; en termes d’implantations, cela couvre 5100 implantations qui proposent des livres numériques via PNB à leurs usagers ;

  • 1045 éditeurs constituant le catalogue ;

  • 62,3 % des titres de livres numériques proposés au grand public se retrouvent dans le catalogue PNB ;

  • 496 421 prêts en 2018 ;

  • 83,51 % sont des prêts de fiction pour adultes et 46,74 % concernent des nouveautés ;

  • pic d’emprunt significatif durant les mois d’été (juillet et août).

Bien que Dilicom n’ait pas communiqué à propos du profil des usagers et bien qu’on ne puisse extrapoler pour l’ensemble du territoire français sans quelque réserve (sans parler de la Suisse), les statistiques du réseau belge francophone (Service de la lecture publique de la Fédération Wallonie-Bruxelles, 2021), révèlent les chiffres suivants :

  • 65 % des usagers sont des lectrices (ce qui est plus marqué que pour les emprunts de livres papier en France, où une étude menée pour l’année 2016 montrait une proportion de 56 % de public féminin (ministère de la Culture, 2017) ; les chiffres belges ne sont pas disponibles) ;

  • 75 % des usagers ont plus de 40 ans alors que, pour le papier, les chiffres français montrent un âge des usagers globalement plus bas (ministère de la Culture, 2017) (mais les indicateurs ne sont pas directement comparables car les mêmes tranches d’âges ne sont pas utilisées par la Fédération Wallonie-Bruxelles et par le ministère de la Culture français dans son étude).

Quatre de ces constats semblent particulièrement intéressants à analyser. Tout d’abord, le recouvrement de l’offre aux bibliothèques par rapport à l’offre grand public (62,34 %) est insuffisante, en particulier au regard du fait que les différentes associations représentant les acteurs du système (auteurs, éditeurs, libraires, bibliothèques) ont signé en 2013, sous l’égide du ministère de la Culture et du CNL, douze recommandations dont la première tient au fait de viser l’exhaustivité de l’offre par rapport à l’offre grand public. Il faut toutefois ajouter que, même si les bibliothécaires ne peuvent se contenter d’une telle couverture, aucune autre offre aux bibliothèques n’arrive à la hauteur de PNB en termes de taille du catalogue. En outre, les 37 % manquants sont, pour une portion non négligeable, constitués de titres d’un intérêt très relatif pour les bibliothécaires, comme des éditions scientifiques pointues ou des éditions d’une qualité inégale (celles de L’Harmatan, notamment). En revanche, il s’avère dommage que de nombreux petits éditeurs français, belges et suisses de qualité restent absents du catalogue. Par ailleurs, il faut aussi constater l’absence de grands éditeurs incontournables, notamment dans les secteurs de la bande dessinée ou de la littérature pour la jeunesse, comme L’école des loisirs, Fleurus, Soleil et Delcourt.

Il ressort des échanges que Réseau Carel a eus avec les groupes éditoriaux et distributeurs français et belges que certains éditeurs ou distributeurs nourrissent à l’égard des bibliothèques une crainte de « cannibalisation », à savoir de risque de pertes financières liées à des diminutions de ventes aux particuliers qui préféreraient emprunter en bibliothèque et n’achèteraient plus ou plus autant. Cette crainte de « cannibalisation » était déjà relevée en 2014 par Sébastien Respingue-Perrin lors d’une intervention à l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib) (s. d.). Bien que cela ne permette pas une généralisation directe étant donné la spécificité de la situation québécoise, il est intéressant de constater qu’au Québec (selon des chiffres communiqués par le distributeur De Marque lors d’une journée PILEn [Partenariat interprofessionnel du livre et de l’édition numérique, 2014]), les acquisitions par les bibliothèques constituaient à elles seules, en 2015, 26 % des achats de titres numériques auprès des éditeurs et que cela n’a pas entraîné de réduction des ventes au grand public.

Ensuite, les 196 réseaux de bibliothèques, qui correspondent à un total d’implantations de plus de 5000 bibliothèques, ne constituent qu’une faible part du réseau total des bibliothèques d’Europe francophone, qui en compte bien davantage (16 500 implantations rien qu’en France [ministère de la Culture, 2019A]). Nous reviendrons plus loin sur les raisons de ce succès relatif, notamment par rapport aux chiffres éblouissants du Québec avec Pretnumerique.ca[8].

Par ailleurs, un point fort de cette offre numérique, par rapport au prêt de livres papier, tient à l’accessibilité 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Et les chiffres montrent bien que beaucoup d’emprunts sont effectués en soirée et le week-end. Par ailleurs, du point de vue de l’usager, le fait de ne pas devoir se déplacer à la bibliothèque pour emprunter et de ne jamais devoir payer de frais de retard pour les retours sont d’autres grands avantages des offres numériques relevés par les usagers dans leurs échanges avec l’assistance en ligne.

Enfin, en prenant à nouveau toutes les précautions requises par rapport au fait que les chiffres connus (et évoqués plus haut) concernent la France pour le livre papier et la Belgique francophone pour le livre numérique, le lectorat qui utilise le service du prêt numérique apparaît plus âgé que le lectorat recourant à l’emprunt de livres papier. Il serait intéressant de vérifier que ces chiffres sont similaires en comparant les chiffres pour un même territoire et ainsi, si l’hypothèse ici élaborée se révélait confirmée pour chacun de ces pays, de mener une enquête qualitative pour identifier les éventuels freins à l’origine du faible engouement actuel apparent de la jeunesse pour ces offres numériques des bibliothèques.

Évaluation de PNB par le secteur des bibliothèques

Les associations de bibliothèques et de bibliothécaires que constituent Réseau Carel et l’Association des bibliothécaires de France (ABF) ont également communiqué à propos de PNB. De prime abord, l’ABF a exprimé des craintes par rapport à un risque de discrimination territoriale (2017) : un frein à la participation des petites bibliothèques viendrait des coûts de l’infrastructure à mettre en place ainsi que du coût des acquisitions. L’ABF estimait aussi, dans le même communiqué (2017), que le niveau de maîtrise technique requis risquait de repousser les usagers moins à l’aise avec les technologies. Réseau Carel était plus positif quant au projet, louant notamment le fait que les titres puissent être lus en immersion même en l’absence de réseau puisqu’ils sont téléchargés et non lus en streaming, et quant au modèle à simultanéité de prêts. Il s’agit en effet d’un modèle dont très peu de pays bénéficient. Réseau Carel nourrissait toutefois quelques craintes quant à la soutenabilité économique pour les acquisitions PNB, mais beaucoup moins pour l’achat de l’infrastructure, car plusieurs systèmes intégrés de gestion de bibliothèque (SIGB) proposent un module à bas prix au sein de leur SIGB et les fournisseurs de plateforme dédiée proposent une location annuelle à moins de 1000 euros.

Réseau Carel s’inquiétait également du fait que les conditions proposées aux bibliothèques par la majorité des groupes éditoriaux, à l’exception d’Immatériel, ne prédisposaient pas à des achats de titres de la longue traîne, même si nombre d’entre elles utilisent le prêt numérique comme appoint à leur offre papier pour les nouveautés. Cela apparaissait d’autant plus regrettable que les éditeurs reconnaissent, lors des rencontres avec Réseau Carel, qu’à part pour une petite partie de ce catalogue, ils ne parviennent plus à obtenir des ventes significatives des titres de leurs fonds aux particuliers.

Il s’est avéré par la suite que les obstacles techniques n’étaient pas insurmontables à la condition que les bibliothécaires soient bien formés pour aider les usagers sur le terrain et en ligne. D’ailleurs, le Québec, avec un modèle similaire et sans simultanéité, a réussi à effectuer plusieurs millions de prêts en moins de cinq ans. La DRM d’Adobe constitue toutefois sinon un obstacle, du moins un frein au développement de PNB. En effet, le réseau de lecture publique belge a relevé que la moitié des demandes d’aide qui sont transmises à l’assistance en ligne sont liées à la DRM d’Adobe.

Le rôle de Réseau Carel dans les négociations avec les éditeurs

Réseau Carel (Coopération pour l’acquisition de ressources électroniques en ligne)[9] est une association qui fut constituée comme telle en 2012. Elle est soutenue par la Bibliothèque publique d’information à Paris, et ses membres sont institutionnels (bibliothèques, réseaux de bibliothèques ou de centres de documentation). L’objectif principal de Réseau Carel tient à la négociation en faveur de ses membres de meilleurs prix et conditions de manière générale concernant les offres de ressources numériques aux bibliothèques. L’association organise également chaque année une importante journée d’étude consacrée à un type de ressource numérique ou à un sujet lié aux ressources numériques. La dernière en date, en octobre 2020, fut d’ailleurs consacrée aux livres numériques[10].

L’association regroupe actuellement près de 350 institutions et réseaux d’institutions, parmi lesquels de nombreuses bibliothèques (y compris départementales de prêt), mais aussi l’ensemble du réseau des bibliothèques publiques francophones belges (400 bibliothèques) et le réseau des bibliothèques de l’Institut français à l’étranger (plus de cent sites).

Réseau Carel joue un rôle important dans les négociations avec les distributeurs et les groupes éditoriaux au sein du projet PNB en tant que représentant principal des bibliothèques dans ces échanges avec les fournisseurs de contenus. L’association porte aussi la voix des bibliothécaires et des bibliothèques dans les échanges intersectoriels du livre numérique auprès du ministère de la Culture, de Dilicom et d’EDRlab[11].

Réseau Carel a en effet largement contribué à l’évolution de l’offre PNB quant à l’autorisation des bibliothèques départementales de prêt (BDP) d’entrer dans le dispositif, à l’élargissement des catalogues proposés par les différents éditeurs et à la disparition quasi complète de l’hétérogénéité des conditions des offres des éditeurs au sein d’un même groupe. L’association a également largement contribué à l’évolution de l’offre des éditeurs vers des durées de licences plus longues et des lots de jetons plus petits (entre 20 et 30).

Réseau Carel publie aussi régulièrement les conditions mises à jour des offres des groupes éditoriaux et distributeurs dans PNB ainsi qu’un indicateur de coût du prêt unitaire ou coût du jeton. En effet, comme chaque groupe propose un lot de jetons de taille différente pour ses titres, une bonne manière de comparer les prix consiste à ramener au « plus petit commun dénominateur » : le prêt unique, c’est-à-dire le jeton. À la demande des bibliothécaires, les plateformes de vente des libraires affichent désormais parfois également le prix du jeton à l’affichage d’une notice dans leur catalogue de vente aux bibliothèques.

Le tableau 1 montre une partie des éléments du dernier tableau de Réseau Carel[12].

Tableau 1

Conditions des groupes éditoriaux/distributeurs et indicateur de prix du jeton

Conditions des groupes éditoriaux/distributeurs et indicateur de prix du jeton

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Difficultés sur le plan technique et opérationnel

Techniquement, les problèmes principaux posés par la DRM ACS4 d’Adobe tiennent à la difficulté de mettre en place un système de prolongation satisfaisant et aussi au coût très élevé de cette technologie pour les distributeurs (sept centimes par prêt effectué), d’autant que toute prolongation est assimilée à un nouveau prêt et donc consomme un nouveau jeton. Son remplacement à terme par une DRM plus simple d’utilisation, comme LCP[13], élaborée par EDRlab, devrait permettre de réduire considérablement cet écueil technique. LCP ne présente aucun des problèmes d’ACS4, permet les prolongations, coûte beaucoup moins cher et a été conçue avec une grande attention à ne pas bloquer les propriétés d’accessibilité de l’ePub ou du PDF qu’elle accompagne.

Les groupes éditoriaux, qui vont faire de larges économies avec le passage à LCP et qui avaient justifié un prix aux bibliothèques supérieur au prix grand public notamment sur base du coût de la DRM Adobe, ne se sont toutefois pas engagés à réduire le prix de vente des titres aux bibliothèques jusqu’à présent. Néanmoins, les prolongations ne devraient pas coûter de jetons supplémentaires avec LCP, alors que c’est le cas avec l’utilisation d’ACS4 dont les prolongations d’emprunt sont « simulées ». En effet, comme elles constituent concrètement des « réemprunts », ces simulations consomment un jeton supplémentaire à chaque renouvellement de prêt par un usager. Ces coûts pour les bibliothèques vont automatiquement disparaître si de véritables prolongations sont rendues possibles par LCP.

LCP est actuellement testée au Québec. En Europe francophone, une nouvelle version de PNB (la V3) qui intègre la possibilité de recourir à LCP ou à ACS4 selon le dispositif de lecture utilisé par l’usager a été mise en production par Dilicom, et quelques réseaux pilotes testent actuellement cette technologie.

Toujours sur le plan technique, des applications de lecture comme Aldiko[14] (dont la dernière version bêta s’appuie sur LCP) ont permis des services simplifiés et augmentés aux usagers des bibliothèques : géolocalisation de la bibliothèque numérique la plus proche, élimination de l’obligation pour un nouvel usager numérique de créer un ID Adobe (étape parfois rebutante pour les personnes peu à l’aise avec la technologie). Aldiko peut enfin, grâce à un protocole nommé OPDS[15], interroger en direct le catalogue numérique de la bibliothèque, sans passer par le site Web de la plateforme. D’autre applications de lecture pourraient évoluer également vers cette possibilité et il faut noter dans ce sens le lancement récent de l’application de lecture de Dilicom, Baobab (qui recourt, elle, à un autre protocole : API App [PNB, 2020]).

Mais, outre cet obstacle technique que LCP et d’autres évolutions techniques pourraient à terme permettre de surmonter, pour que PNB décolle réellement en Europe francophone, il apparaît que les bibliothèques devraient bien sélectionner leur outil de prêt.

La qualité du service dépend en effet grandement de l’interface de prêt proposée par la bibliothèque. Les outils dédiés (plateformes de prêt numérique) présentent, selon les membres du groupe « Livres numériques » de Réseau Carel, des fonctionnalités et une ergonomie plus attrayantes jusqu’à présent que les modules intégrés à des SIGB ou à des sites Web de bibliothèques. Certaines bibliothèques sont logiquement attirées par la perspective d’une interface multi-documents proposant livres numériques et livres papiers, mais aussi périodiques électroniques, musique, cinéma, etc. A priori, cette perspective semble en effet séduisante, mais, toujours selon les bibliothécaires membres du groupe « Livres numériques », concrètement cela peut mener à des interfaces de recherche plus complexes et des affichages de résultats moins clairs.

En matière de communication, il y a aussi beaucoup d’améliorations possibles. Alors qu’au Québec, Bibliopresto effectue régulièrement des campagnes de communication pour l’ensemble du réseau québécois, il n’y a pas d’organisme équivalent en France. Dilicom pilote PNB mais sans communiquer auprès des usagers finaux. Par ailleurs, les bibliothèques ont des budgets de communication très réduits ainsi qu’un manque d’expérience dans la promotion de leurs livres. Au dire des bibliothécaires belges présents au sein des différents comités de concertation et consultation de la lecture publique, sur le papier elles seraient plutôt en position de connaissance historique par la population de leur service de prêt. Leur communication est davantage axée sur les activités organisées (ce qui leur donne néanmoins une certaine visibilité).

Enfin, la formation des professionnels au support technique des usagers constitue également un enjeu essentiel pour le développement de la lecture numérique en bibliothèques. Ce manque est relevé par les bibliothécaires participant au consortium d’acquisitions numériques de la Fédération Wallonie-Bruxelles ainsi que par les membres du groupe « Livres numériques » de Réseau Carel.

Évaluation sur le plan pécuniaire et sur le plan de l’offre des bibliothèques à leurs usagers

En 2016 et 2017, il y a eu des rencontres répétées entre Réseau Carel et les groupes éditoriaux présents dans PNB, au départ avec l’ensemble des représentants des groupes invités au sein du groupe « Livres numériques » de Réseau Carel et ensuite sous la forme de rencontres bilatérales en comités restreints (un à trois représentants de Réseau Carel et un à trois représentants d’un groupe éditorial ou d’un distributeur numérique). Réseau Carel, qui avait collecté les besoins des bibliothèques au sein de son groupe « Livres numériques », a présenté aux éditeurs lors de ces entretiens ses recommandations d’évolution de l’offre afin de répondre davantage aux besoins du secteur des bibliothèques publiques.

À la suite de ces rencontres, les conditions ont évolué vers des lots de jetons plus petits (entre 20 et 30, contre 40 à 60 au départ) et des durées de licence plus longues (minimum cinq ans alors que certaines licences n’avaient une durée de vie que d’un an lors du lancement de PNB). Ces deux revendications de l’association visaient à permettre aux petites bibliothèques qui n’ont pas des taux de rotation élevés sur leurs titres de ne pas « gaspiller des jetons » ou de ne pas se garder d’acheter certains titres (en particulier de la longue traîne). Il était donc important de lever la crainte de ces bibliothèques de ne pouvoir prêter ces titres qu’un petit nombre de fois pendant la durée de la licence, les jetons non utilisés étant alors perdus à l’expiration de cette licence. Une orientation de l’offre exclusivement vers les titres les plus populaires était également à craindre sans ces évolutions alors que la mission des bibliothèques en termes de collections ne se réduit pas à proposer uniquement une offre de titres à succès.

Réseau Carel a insisté pour que toute diminution de la taille des lots de jetons par un groupe éditorial soit aussi assortie d’une diminution de tarif au prorata. Cela ne fut pas vraiment le cas, plusieurs groupes éditoriaux en ayant profité pour augmenter le prix du jeton. Cette situation fut dénoncée auprès d’eux par Réseau Carel et certains groupes ont alors diminué leurs tarifs, mais sans revenir toutefois au tarif antérieur, pour la plupart. Il conviendrait de réduire encore ces tarifs, dans la mesure où un lot de 20 jetons est payé aussi cher qu’un titre papier alors qu’un titre papier a une espérance de prêts vraisemblablement de 40 à 50 fois plus élevée (fourchette d’estimation intuitive des bibliothécaires, ces chiffres étant très difficiles à estimer mathématiquement).

Si on part de cette hypothèse, lorsqu’on achète un titre numérique correspondant à 20 ou 25 jetons, on achète en quelque sorte l’équivalent d’un « demi-livre papier ». Il faut toutefois nuancer, car le livre numérique ne perd pas de sa fraîcheur même au cinquantième prêt, il ne requiert pas de travail d’équipement ni de catalogage du livre, et il constitue un service augmenté par rapport au papier s’il est vendu avec une simultanéité suffisante (au moins dix). Il apparaît donc raisonnable de payer, disons une fois et demie, voire deux fois au maximum, le prix du titre papier équivalent, mais pour la même espérance de prêt, à savoir 40 à 50 prêts. Le coût de 25 jetons, par exemple, ne devrait donc jamais dépasser le prix du titre papier équivalent et devrait être ajusté lors de la sortie en poche, ce que ne proposent que bien peu de groupes.

Pour aller plus loin dans la recherche de l’attrait de PNB pour les petites bibliothèques et encourager encore davantage les bibliothèques à diversifier leur collection en termes d’ancienneté des titres, il serait intéressant, comme le fait Immatériel, de ne pas limiter les licences dans le temps, notamment pour les livres de plus d’un an dont on sait qu’ils sont sortis de leur période de vie commerciale (estimée à huit ou neuf mois par les éditeurs). En effet, après cette période et à part pour quelques rares titres, les ventes grand public deviennent négligeables.

Une démarche a aussi été réalisée par Réseau Carel, l’ABF et d’autres associations de bibliothèques et de bibliothécaires pour essayer d’obtenir des conditions plus homogènes de la part des groupes éditoriaux. En effet, comme le montre le Tableau 1, l’offre reste peu lisible pour les bibliothécaires, en raison précisément de ces conditions très différentes d’un groupe à l’autre. Au départ, il y avait même des conditions hétérogènes entre éditeurs d’un même groupe, mais les rencontres éditeurs – Réseau Carel ont permis de réduire très largement cette hétérogénéité. Il faut espérer qu’on puisse en faire de même pour l’hétérogénéité entre les différents groupes. Cette lisibilité paraît essentielle à l’avenir de PNB, qui apparaît parfois comme une « usine à gaz » pour les bibliothèques qui envisagent cette offre.

Le Tableau 1 permet également de constater que les prix proposés sont, eux aussi, extrêmement variables d’un groupe à l’autre. Ainsi, un groupe comme La Martinière propose un prix très raisonnable alors qu’un groupe comme Actes Sud ou le distributeur Immatériel proposent, eux, un prix plutôt élevé. Il est à noter toutefois qu’on ne peut ici comparer des offres semblables, précisément parce que les conditions d’un groupe à l’autre sont très différentes. Il apparaît nettement que le manque d’homogénéité entre les offres rend la lecture de l’offre globale peu lisible. Ainsi, le prix relativement élevé des titres d’Immatériel est en partie compensé par le fait que la simultanéité autorisée est maximale dans leurs conditions, ce qui n’est pratiqué que par un autre distributeur, Iznéo. Ce dernier cumule un prix bas avec une simultanéité autorisée maximale et constitue, malgré son lot de jetons élevé, une offre particulièrement intéressante. Il apparaît néanmoins délicat de comparer Iznéo avec des groupes qui proposent d’autres livres que des bandes dessinées, ce qui rend là encore la comparaison hasardeuse.

Par ailleurs la durée de la licence est très importante également dans l’estimation de la valeur de l’offre : un titre dont la licence n’expire qu’après dix ans a beaucoup plus de chance de permettre un « écoulement » complet de ses jetons qu’un titre dont la « date de péremption » est fixée à cinq ans après la date d’acquisition. Comme on le voit, l’analyse de la valeur d’une offre doit être multicritères, ce qui rend le travail des acquéreurs particulièrement complexe. Réseau Carel tente depuis quelques années d’éclairer les bibliothécaires dans la lecture de ces offres, par des analyses et des recommandations.

Pistes d’amélioration de PNB sur les plans pécuniaire et territorial

Outre que la diminution des prix par plusieurs groupes éditoriaux semble essentielle pour enfin faire décoller PNB, les budgets consacrés aux acquisitions de livres numériques sont maigres, au dire des bibliothécaires en charge des acquisitions de livres numériques qui se réunissent au sein de Réseau Carel. Des efforts budgétaires doivent absolument être faits par les collectivités, ce qui passe par un travail de persuasion des élus. Le numérique ayant un attrait médiatique non négligeable, un certain optimisme peut être de mise de ce côté. Associer davantage les élus aux nouveaux services numériques et aux activités autour du numérique apparaît donc comme une voie intéressante pour obtenir des budgets plus en rapport avec les besoins liés au développement du numérique en bibliothèques.

Sur le plan de l’approche territoriale, il serait intéressant d’offrir en France et en Suisse, à toute la population, un catalogue significatif via une démarche plus globale, comme au Québec ou en Belgique francophone, où les livres numériques d’un même grand catalogue sont accessibles de n’importe où sur le territoire. C’est le cas de Lirtuel, qui dessert l’ensemble de la population belge francophone, et du catalogue de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), qui est positionné en complément de ceux des bibliothèques municipales québécoises. Cette approche a l’avantage notamment d’effacer la discrimination territoriale qui fait qu’actuellement, l’usager parisien accède à un catalogue beaucoup plus important que celui d’une petite ville de province, sans même parler des personnes habitant en zone rurale.

En permettant aux BDP de participer au dispositif, PNB a toutefois réduit significativement cette discrimination, mais il faudrait que chaque BDP adhère et consacre un budget significatif aux acquisitions dans PNB et évite le « saupoudrage » que l’on voit trop souvent entre les différents types de ressources numériques : livres numériques, auto-formation, presse en ligne, musique, cinéma, jeux vidéo, etc. À vrai dire, toutes ces ressources devraient être proposées par les bibliothèques, mais avec pour chacune un budget significatif.

La Belgique francophone : une approche originale au sein du système PNB

Lors de l’apparition du projet PNB, le réseau public de lecture belge a été retenu comme un des cinq expérimentateurs du projet. En tant que maillage de 400 bibliothèques publiques, il s’agissait à l’époque du seul réseau extra- communal impliqué dans le projet PNB, les quatre autres expérimentateurs étant les bibliothèques municipales de Grenoble, de Montpellier, de Levalois et d’Aulnay-sous-bois.

Les bibliothèques départementales n’ont rejoint PNB que bien plus tard, et Lirtuel demeure le plus grand réseau de bibliothèques publiques au sein de PNB. Les bibliothèques publiques de Wallonie et de Bruxelles se sont donc non seulement positionnées en tant que « fer de lance » par rapport au prêt de livres numériques, mais ont également mené, au sein même du système PNB, une approche singulière à plusieurs égards : approche territoriale globale, mise en place d’un système d’évaluation externalisé pointu et attention particulière portée à la qualité des métadonnées.

Le choix de PNB était en accord avec la stratégie numérique de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) et de ses partenaires qui avaient identifié l’adéquation de ce futur dispositif avec plusieurs critères importants pour le réseau de lecture publique belge francophone (Lemaire, 2013) :

  • pouvoir proposer une offre large sans discrimination territoriale (un usager habitant une petite commune doit avoir accès au même catalogue qu’un usager habitant une grande commune comme Bruxelles ou Liège) ;

  • pouvoir sélectionner au titre à titre et non être tenu de prendre un large bouquet, ce qui ne permet pas de mener une politique d’acquisition adaptée à la situation de son réseau de bibliothèques et aux usagers de son territoire ;

  • proposer les ebooks en téléchargement pour permettre une lecture immersive[16], sans les désagréments des déconnexions ;

  • offrir la simultanéité des prêts d’un titre acquis, ce qui permet de satisfaire davantage les usagers et de faire coller de près les achats/rachats à la demande réelle des usagers ;

  • privilégier les achats aux libraires belges indépendants, actuellement en grande difficulté face aux supermarchés et aux libraires géants en ligne ;

  • pouvoir mettre de l’avant les auteurs et les éditeurs de Belgique francophone ;

  • choisir la plateforme de prêt en fonction des besoins des bibliothécaires, avoir une maîtrise étendue de l’outil via la partie administration du site et pouvoir le faire évoluer en fonction des évolutions technologiques et des besoins des bibliothécaires ;

  • pouvoir établir des statistiques d’usages en fonction des besoins d’évaluation réels en disposant d’une maîtrise fine des données, au-delà de ce que propose la plateforme de prêt via son tableau de bord statistiques.

Il est intéressant de noter qu’un autre projet, qui a pris du retard, fut lancé en parallèle : la mise en oeuvre d’un entrepôt numérique. Cet entrepôt devrait permettre de proposer, outre les titres sous droits via PNB, des titres libres de droit, notamment d’auteurs belges, via la même plateforme de prêt numérique.

Avec l’aide de consultants spécialisés en architecture informatique, logiciels pour bibliothèques et ergonomie Web, le choix de la FWB s’est porté sur un outil en SaaS (« Software as a service »), c’est-à-dire dans le « cloud » (infonuagique), et dénommé Cantook station. Fournie par la société De Marque (située au Québec), cette plateforme permet aux bibliothécaires de gérer le catalogue et les services avec une philosophie axée sur les paramétrages qui laisse la possibilité, malgré le fait que ce soit un même système pour toutes les bibliothèques, de « personnaliser » l’offre aux usagers. L’ergonomie Web avancée a également constitué un critère important dans le choix. Il faut néanmoins mettre un bémol sur le plan de l’accessibilité du site, mais il s’agit d’un élément encore trop peu pris en compte par la plupart des éditeurs de logiciels de bibliothèques (ministère de la Culture, s. d.), globalement.

Une autre grande force de cet outil est de proposer des services Web très performants, qui permettent de tirer des données d’usages complètes vers un système d’évaluation statistique que la Fédération Wallonie-Bruxelles a effectivement mis en place avec un couplage Talend (outil de transformation des données importées ou ETL)/PostgrSQL (comme entrepôt de données)/Tableau (outil de « Business intelligence »).

Les acquisitions payantes de livres numériques (du catalogue PNB notamment, mais aussi des livres numériques en anglais en provenance d’une autre source) se font via un consortium numérique constitué par le Service de la lecture publique avec ses partenaires privilégiés, les bibliothèques centrales du réseau de lecture publique. Dénommées dans la législation belge « opérateurs d’appui » (des bibliothèques locales), ces institutions sont organisées par les provinces de Brabant wallon, de Liège, du Hainaut, du Luxembourg et de Namur, ainsi que par la Ville de Bruxelles. Ce consortium regroupant des spécialistes du numérique dans ces institutions, il sert aussi, bien que ce ne soit pas sa fonction première, de groupe de réflexion sur le fonctionnement de Lirtuel et sur la facilitation de l’accès des usagers aux ebooks.

Les bibliothèques se présentent (au côté d’un service d’assistance par courriel de la FWB) en première ligne pour assister les usagers en difficulté, notamment face à la DRM Adobe. Le passage vers la DRM LCP a été lancé en 2020 pour les dispositifs de lecture mobiles (tablettes, téléphones portables). Il devrait également permettre, outre une diminution significative des freins techniques (comme les bibliothécaires québécois l’ont constaté), un confort supérieur de lecture des bandes dessinées au format ePub plutôt que PDF. Enfin, l’adoption de LCP devrait permettre à terme, comme évoqué plus haut dans cet article, de vraies prolongations de prêts.

De leur côté, les usagers peuvent donc recourir à Lirtuel pour emprunter des livres numériques, mais aussi pour en réserver. Il leur est aussi loisible de diffuser via des outils de dissémination sociale la notice d’un livre (sur Facebook, sur Twitter…) ainsi que de l’enrichir par un avis sur ce livre, par des mots-clés, par une note d’évaluation reflétant son appréciation du titre. Des commentaires de bibliothécaires sur les titres apparaissent aussi dans le catalogue grâce à un module que la FWB a fait développer.

Figure 2

Évolution des prêts mensuels dans Lirtuel depuis son lancement

Évolution des prêts mensuels dans Lirtuel depuis son lancement

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Malgré le grand bénéfice tenant au fait de recevoir de Dilicom les métadonnées des titres acquis (y compris images de la couverture et du quatrième de couverture, et parfois notice sur l’auteur), une faiblesse de PNB tient à la qualité de ces données bibliographiques. En effet, le catalogage qui en est à l’origine est effectué par les éditeurs eux-mêmes et, contrairement aux bibliothécaires, ils n’ont pas une culture de métadonnées riches et de qualité. Pour remédier à cela, la FWB a pu, via une base de données bibliographique commerciale, enrichir les métadonnées des titres, notamment pour les sujets, les genres littéraires et la nationalité des auteurs (ce qui permet aussi de mettre de l’avant les auteurs belges). Un travail sur les âges des publics concernés par les titres est par ailleurs en cours.

Mais, outre les particularités des choix techniques et bibliothéconomiques des bibliothécaires belges francophones, la principale force et originalité du système mis en place en Wallonie et à Bruxelles est la vision globale envers tous les citoyens, sans discrimination territoriale. L’approche collaborative sur l’ensemble du réseau des bibliothèques publiques, tant pour la mise en commun des budgets que pour l’accompagnement des bibliothécaires et des usagers, participe également de cette vision globale. Une telle approche est absente en France à l’exception de certaines bibliothèques départementales de prêt qui présentent également une approche avec PNB plus globale que celle des bibliothèques municipales, bien que moins large qu’en Belgique.

Les autres offres de livres numériques aux bibliothèques

Il existe un grand nombre d’autres offres de livres numériques aux bibliothèques publiques. La plupart d’entre elles sont des offres en streaming. Elles sont proposées soit par un éditeur, soit par un distributeur numérique, soit encore par un « agrégateur ».

Il serait trop long de les présenter toutes ici, mais la liste des principales offres est reprise sur le site de Réseau Carel dans l’onglet « ebooks »[17].

Il nous paraît en revanche intéressant de comparer les avantages et inconvénients des offres en streaming par rapport aux offres proposant le téléchargement de fichiers « chronodégradables »[18].

Les avantages des offres en streaming du point de vue de l’usager sont notamment :

  • la facilité de prise d’un abonnement et la connexion immédiate à une plateforme avec accès à plusieurs milliers de titres (sauf si on veut intégrer plusieurs offres au sein d’un même portail d’accès) ;

  • un affichage en streaming sans devoir, pour l’usager, gérer un compte Adobe.

En revanche, par rapport à l’offre en téléchargement, et toujours du point de vue de l’usager, le streaming présente certains inconvénients :

  • un simple accès à des fichiers distants sur la plateforme du vendeur, ce qui ne permet pas (sauf mise en place de connecteurs) de profiter des outils de recherche performants comme les online public access catalogs (OPAC) de nouvelle génération des bibliothèques ;

  • l’impossibilité de lecture au moyen d’une liseuse, ce qui rend impossible une lecture « en immersion » et qui surtout ne permet pas le confort visuel (et sans lumière bleue) de la liseuse, encore nettement supérieur à celui des tablettes et smartphones actuellement (par ailleurs, la liseuse se décharge beaucoup plus lentement).

Si l’on observe cette fois sous l’angle du bibliothécaire, il y a un avantage important identifié : l’absence de nécessité de sélectionner au titre à titre et de gérer un budget acquisitions avec un suivi opérationnel et administratif des différents paniers achetés chaque année.

Et pour les inconvénients (toujours du point de vue du bibliothécaire) :

  • un marketing lié à des statistiques cohérentes et une vraie politique de promotion du livre numérique sont difficiles à mettre en place de manière efficace, car la bibliothèque est dépendante des outils de la plateforme du fournisseur ;

  • une offre généralement en bouquets, qui ne permet pas aux bibliothécaires de développer une politique d’acquisition spécifique en cohérence avec la politique d’acquisitions papier ;

  • l’intégration difficile des métadonnées des livres numériques proposés en streaming dans les catalogues des bibliothèques afin de permettre aux usagers des bibliothèques de visualiser, parmi les résultats d’une recherche unique, tant l’offre de documents papier que l’offre de documents numériques de la bibliothèque (et d’accéder directement à cette dernière).

Pour ce dernier point, la notion d’authentification unique ou, en anglais, de « single sign on » (SSO) est centrale. Les bibliothécaires souhaitent ardemment que leurs lecteurs, lorsqu’ils se connectent aux outils Web permettant de visualiser et d’accéder aux ressources de la bibliothèque, ne doivent pas multiplier les recherches pour visualiser l’ensemble des offres numériques de la bibliothèque qui aurait contracté avec plusieurs fournisseurs de contenu. Un seul couple nom d’utilisateur / mot de passe (et une seule saisie par session de recherche) doit permettre d’accéder à l’ensemble de l’offre, numérique et papier. En outre, côté administrateur, il est difficile d’obtenir des indicateurs d’évaluation identiques d’une ressource à l’autre.

Conclusion

Outre quelques offres en bouquets et essentiellement en streaming, l’offre de livres numériques en Europe francophone est largement dominée par PNB, qui propose un large catalogue de titres achetables à l’unité et un système permettant aux bibliothécaires de constituer une offre de livres numériques téléchargeables dans une plateforme de prêt de leur choix.

Bien que connaissant un développement significatif, le succès de PNB n’est pas encore à la hauteur des espoirs que son lancement a nourri : après six ans, de nombreuses bibliothèques et réseaux de bibliothèques français n’ont toujours pas adhéré au projet. Les causes de cet engouement mitigé tiennent sans doute, selon l’ABF et Réseau Carel, en partie aux tarifs trop élevés proposés par certains groupes éditoriaux, en partie à la difficulté pour les bibliothèques d’engager des budgets et des moyens humains significatifs pour la mise en place et le fonctionnement de l’infrastructure et de l’encadrement.

Proche de Pretnumerique.ca, le projet s’en démarque par la remarquable possibilité de prêter la plupart des titres à plusieurs usagers simultanément. Il s’écarte aussi du projet québécois par l’absence d’une offre plus globale de prêt numérique parallèle aux offres locales, comme celle de BAnQ au Québec. On peut regretter cette approche trop peu globalisante, bien que certains réseaux, comme le réseau belge francophone ou ceux de plusieurs bibliothèques départementales de prêt, aient néanmoins réussi à y construire des démarches plus globales et à trouver leurs publics. Ils constituent de véritables réussites au sein de PNB.

Le recouvrement encore trop parcellaire de l’offre grand public, avec une offre aux bibliothèques qui ne recouvre que 62 % des titres proposés au particulier (et plus faible encore pour la littérature de jeunesse et la bande dessinée) (ministère de la Culture, 2019B), constitue un autre frein au développement de PNB. Néanmoins, la part manquante compte, pour une part substantielle, un grand nombre de titres qui intéressent peu les bibliothèques.

Sur le plan technique, les avancées sont réelles avec en oeuvre des technologies permettant d’interroger en direct les catalogues sans passer par le site Web ainsi que d’ouvrir et manipuler les fichiers de manière plus fluide tout en protégeant mieux les données personnelles des usagers.