Corps de l’article

L’ouvrage de Thierry Rodon, Les apories des politiques autochtones au Canada, propose un survol historique et contemporain du rapport de l’État canadien aux peuples autochtones par l’intermédiaire du regard critique du politologue. Le titre trahit la position de l’auteur : les politiques autochtones du Canada aboutissent à une aporie, c’est-à-dire une « contradiction insoluble dans un raisonnement » (p. 3). Cette contradiction se retrouve dans le paradoxe créé d’un côté par l’ouverture de l’État canadien à la reconnaissance des nations autochtones, de leurs droits à l’autodétermination et à l’égalité, et de l’autre côté par sa fermeture concomitante à toute forme de réelle souveraineté autochtone (p. 4). Ces apories, l’auteur nous les présente au travers de plusieurs points clés de l’histoire des politiques autochtones canadiennes. Bien sûr, l’ouvrage aborde les enjeux centraux ayant marqué au fer rouge la relation de l’État canadien aux peuples autochtones, tels que la Loi sur les Indiens, les pensionnats et l’instauration du système de réserves. Cependant, l’épine dorsale du livre se trouve dans la présentation d’enjeux politiques contemporains variés, comme les politiques territoriales, l’autonomie gouvernementale et le développement économique des peuples autochtones. Si ces enjeux sont éminemment complexes, Rodon réussit fort bien à amener le lecteur à en comprendre les grandes lignes en consacrant le premier tiers de son ouvrage à une description à la fois vulgarisée et étoffée des différents concepts, conjonctures et évènements ayant mené à la situation politique actuelle définissant les relations entre l’État et les Autochtones au Canada.

Cet ouvrage, qui est la version manuscrite d’un des cours de l’auteur (p. 4), est divisé en trois sections : l’évolution des politiques dans le temps, leur application contemporaine et trois études de cas. La mission pédagogique de ce livre se fait d’ailleurs ressentir à de nombreuses reprises. Chaque chapitre est introduit par différents objectifs pédagogiques et est conclu par un retour sur ses points clés. Les apories des politiques autochtones au Canada comporte aussi un glossaire permettant aux non-initiés de s’approprier quelques concepts importants aidant à mieux comprendre l’évolution et l’application des politiques autochtones canadiennes.

Bien que Rodon soit politologue de formation, son ouvrage offre un intéressant apport à l’anthropologie, de par la vue d’ensemble qu’il donne des politiques autochtones canadiennes, dans lesquelles l’anthropologue s’intéressant aux questions autochtones sera forcément plongé au cours de ses recherches. La force de l’anthropologie n’étant pas la compréhension macro des enjeux sociaux, ce livre peut certainement contribuer à couvrir des angles morts de la recherche anthropologique ou, du moins, venir étoffer la compréhension de l’anthropologue desdits enjeux autochtones. Cependant, bien que l’intérêt pour l’anthropologie soit indéniable, la réelle force de cet ouvrage se retrouve dans la qualité de sa vulgarisation. Ce n’est donc pas en tant qu’anthropologue que je conclurai ce compte rendu, mais bien en tant que jeune enseignant.

Après avoir lu Les apories des politiques autochtones au Canada d’une couverture à l’autre, il m’est apparu inévitable que j’utilise dorénavant cet ouvrage dans mes cours portant sur les enjeux autochtones au Québec et au Canada, non seulement pour son contenu, mais aussi pour la qualité de la synthétisation et de la vulgarisation qui y est faite. Cependant, dans une approche pédagogique, une fois que la matière est vulgarisée, il devient nécessaire d’accompagner les étudiants pour qu’ils poussent plus loin leurs réflexions et leur curiosité, et explorent des pistes de recherche. C’est malheureusement ici que se trouve la faiblesse de l’ouvrage. En effet, alors que l’auteur passe en revue un grand ensemble d’enjeux, certains d’entre eux ne sont pas appuyés par une bibliographie permettant de pousser plus loin les recherches. Par exemple, l’ouverture sur les cas des États-Unis, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande permet une intéressante mise en perspective des enjeux autochtones dans le monde, mais n’est pas étayée d’une bibliographie permettant au lecteur d’aller plus loin dans ses recherches. Certaines sections du livre sont mieux pourvues que d’autres sur ce plan, mais je considère qu’une section bibliographique à la fin de chaque chapitre, qui permettrait au lecteur d’approfondir ses réflexions, aurait certes constitué un ajout d’une grande pertinence à l’ouvrage.

Somme toute, Les apories des politiques autochtones au Canada fournit une importante mise à jour de la littérature sur le sujet. Alors que les enjeux autochtones prennent de plus en plus de place dans l’arène publique, ils sont trop souvent mal compris. En cela, un ouvrage tel que celui-ci permet de contribuer à la construction du pont entre le monde universitaire et le grand public. En plus de sa pertinence pour l’anthropologie de par son regard englobant, il a le potentiel de devenir un incontournable pour accompagner l’enseignement des questions autochtones au Canada.