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Introduction et mise en contexte

La multiplication des conflits sociopolitiques et ethniques au cours des dernières décennies a entraîné de grandes situations de violence et, par conséquent, d’importants déplacements à l’échelle mondiale. Des milliers de personnes demandent chaque année la protection à des États, tels que le Canada, qui sont en mesure de les accueillir comme réfugiées. Ces personnes arrivent fréquemment en terre d’accueil avec un vécu d’exposition à la violence et à des événements traumatiques (Kalt et coll., 2013 ; Mollica, 2006 ; Steel et coll., 2009). Elles peuvent avoir été témoins de l’exécution de proches, avoir subi l’humiliation, la torture ou toute autre forme de privation des droits de la personne.

Les femmes réfugiées représentent une population particulièrement vulnérable considérant la nature et le cumul des violences vécues (Newbold et coll., 2013). En plus des traumatismes et types de violence auxquels les réfugiés peuvent avoir été exposés indépendamment du genre, les femmes, plus particulièrement, peuvent avoir subi des violences sexuelles, les viols et les agressions représentant une arme politique et idéologique visant la destruction des communautés (Diken et Laustsen, 2005 ; Hagen et Yohani, 2010 ; Lacroix et Sabbah, 2007). Les conflits au Rwanda dans les années 90 où plus de 250 000 femmes auraient été violées en sont un exemple (Amnesty International, 2004). Aux violences liées à la guerre ou aux conflits sociopolitiques s’ajoutent pour un grand nombre d’entre elles d’autres violences liées au genre, dont celles perpétrées par un proche tel un conjoint ou un membre de la famille (Gonçalves et Matos, 2016). En contexte postmigratoire, les femmes peuvent continuer à subir la violence conjugale ou à être exposées à d’autres formes de violence et discrimination dans le pays d’accueil (Gonçalves et Matos, 2016 ; Guruge et coll., 2012).

Les traumatismes et les violences intentionnelles de tout type atteignent les personnes au plus profond de leur être et ébranlent leur identité, leur confiance en elle et en l’avenir (Herman, 1997 ; Silove, 2005). Ces événements créent une rupture dans l’histoire de l’individu, une perte de continuité et du sens de l’existence, et ont des conséquences sur le sentiment d’appartenance à une communauté, sur le tissu social et sur la capacité à faire confiance et à établir de nouveaux liens (Hagen et Yohani, 2010 ; Rousseau, 2000). Au vécu de violence s’ajoute celui de l’exil. Les réfugiés doivent faire face à des pertes multiples, des deuils et des inquiétudes pour les proches demeurés dans le pays d’origine. L’installation qui suit la période migratoire comporte aussi son lot de défis. L’absence de repères, des conditions matérielles précaires, la perte de statut social et économique, l’éloignement des sources habituelles de soutien telles que la famille étendue et la communauté peuvent entraîner un sentiment de rupture sur le plan identitaire, fragiliser l’individu et mettre à l’épreuve ses capacités d’adaptation (Dionne, 2009 ; Miller et Rasmussen, 2017).

Si les personnes réfugiées ont souvent des parcours de résilience exceptionnels et qu’une grande proportion d’entre elles arrive à s’ajuster à la réinstallation au pays d’accueil et à composer avec un passé traumatique et des pertes multiples, plusieurs sont aussi à risque, indépendamment du genre, d’éprouver des problèmes d’adaptation psychosociale et de santé mentale, tels que le stress posttraumatique, la dépression et l’anxiété, la détresse psychologique et l’abus de substances (Bogic et coll., 2015 ; Guruge et coll., 2012 ; Kirmayer et coll., 2011 ; Priebe et coll., 2013).

Le soutien psychologique et psychosocial au cours des années qui suivent leur arrivée peut s’avérer salutaire pour ces personnes. Pourtant, au Canada, les personnes immigrantes et réfugiées ont peu recours aux services institutionnels, même si elles éprouvent de la détresse, des difficultés psychosociales ou de santé mentale (Chen, 2010 ; Durbin et coll., 2014 ; Kirmayer et coll., 2007). Plusieurs experts s’étant intéressés aux barrières à la consultation dans les services psychosociaux ou de santé mentale au Canada ciblent entre autres le manque d’adéquation des services offerts à cette population, les programmes d’aide institutionnels n’étant pas suffisamment accordés à l’univers de références et aux besoins des personnes immigrantes et réfugiées (Chen, 2010 ; Commission de la santé mentale du Canada, 2009 ; Donnelly et coll., 2011 ; Khanlou, 2010 ; Thompson et coll., 2015 ; Vasilevska et Simich, 2010). Notamment, la prévalence du modèle biomédical et les interventions réalisées dans un cadre professionnel d’échanges privés, axés sur la parole et le dévoilement de soi et orientés vers l’autonomie et la responsabilité individuelle, rejoignent peu les personnes provenant de cultures collectivistes où l’interdépendance et les appartenances familiales et collectives sont valorisées (Bemak et coll., 2003 ; Cohen-Émerique, 1996 ; O’Mahony et Donnelly, 2007). Il s’avère par conséquent primordial de promouvoir le développement d’interventions adaptées pour les personnes immigrantes et réfugiées et d’outiller les intervenants qui oeuvrent auprès de cette clientèle.

C’est dans cette perspective qu’a été élaborée en 2010 une intervention de groupe pour des personnes immigrantes et réfugiées ayant vécu la violence. Ce projet a vu le jour grâce à une collaboration entre des chercheuses de l’Institut universitaire de première ligne en santé et services sociaux (IUPLSSS) et des intervenantes du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l’Estrie-Chus. L’intervention a été mise sur pied dans un contexte bien spécifique : l’intervention de quartier en milieu défavorisé (Morin et coll., 2013). Le travail de terrain de l’intervenante de quartier a permis de constater que plusieurs femmes immigrantes partageaient un vécu similaire lié à la violence. Un projet pilote d’intervention de groupe destiné à des femmes immigrantes et réfugiées de la région des Grands Lacs d’Afrique a alors été mis sur pied. En 2013, la poursuite de la collaboration entre chercheuses et intervenantes a permis d’expérimenter une version bonifiée de l’intervention et a donné naissance à un projet de recherche-action. Depuis 2013, cette intervention de groupe est intégrée sur une base quasi annuelle à l’offre de services du CIUSSS de l’Estrie-Chus.

Cet article vise en premier lieu à présenter cette intervention de groupe. Il sera notamment question du caractère novateur de cette intervention, du rationnel clinique et empirique qui sous-tend le choix de ses principales composantes, du format, des objectifs et du déroulement de l’intervention, ainsi que de quelques éléments essentiels au bon déroulement des groupes. En second lieu, l’article présente brièvement les données préliminaires de la recherche-action en cours visant notamment à en évaluer les retombées.

Une intervention offerte spécifiquement à des femmes immigrantes et réfugiées

Une intervention novatrice

L’intervention présentée ici s’adresse à des femmes immigrantes et/ou réfugiées ayant été exposées à différentes formes de violence. L’intervention s’insère dans la catégorie « groupes de traitement », tel que définie pas Toseland et Rivas (2016), et s’inspire notamment du modèle de Den Bosh mis sur pied par Drozdek et son équipe dans un centre pour réfugiés aux Pays-Bas (Drozdek et Bolwerk, 2010 ; Drozdek et Wilson, 2004). S’appuyant sur l’approche psychodynamique et la thérapie cognitive comportementale, le modèle de Den Bosh se déroule en groupe et incorpore différentes modalités, dont la psychoéducation, l’approche narrative et des modalités d’expression créatrice. Cependant, ce modèle s’échelonne sur un grand nombre de séances (entre 60 et 70). L’intervention présentée ici revêt un caractère novateur en raison de sa brièveté (12 séances) et de sa structure évolutive qui s’appuie principalement sur des modalités d’expression créatrices auxquelles se rattachent des objectifs thérapeutiques précis. L’intervention s’adresse également spécifiquement à des femmes et les groupes sont culturellement mixtes. À notre connaissance, telle que conçue et avec ses caractéristiques spécifiques, cette intervention n’a pas d’équivalent pour la clientèle visée.

Rationnel sous-jacent aux composantes thérapeutiques de l’intervention

Les deux principales composantes de cette intervention sont le dispositif du groupe et les modalités d’expression créatrice. Le rationnel ayant guidé le choix de ces composantes s’appuie sur des expériences pratiques et des données empiriques se rapportant à l’intervention auprès des réfugiés.

En ce qui concerne le groupe, plusieurs auteurs mettent de l’avant les vertus de ce dispositif pour intervenir auprès de personnes immigrantes et réfugiées ayant vécu la violence (Baker, 2006 ; Benoît et Makhoul, 2004 ; Hanania, 2018 ; Kira et coll., 2012). Selon ces auteurs, la pratique de groupe offre un espace privilégié d’expression, de partage et de transformation personnelle et collective en soutenant la coconstruction de sens et la valorisation culturelle et identitaire. Le groupe permet de briser l’isolement et de restaurer des liens sociaux souvent rompus par les contextes de violence organisée. Tel que souligné notamment par Mollica (2006), le groupe offre un espace d’apprentissage à voix multiples et favorise l’entraide, un outil puissant pour mobiliser les forces individuelles et collectives et pour soutenir l’acquisition de nouvelles stratégies d’adaptation. Le dispositif de groupe met en relation des personnes ayant un vécu similaire et soutient le partage des histoires traumatiques tout en validant les expériences et les vécus qui y sont associés. Ce dispositif a également une fonction de « portage » qui aide à contenir la charge émotionnelle et à protéger l’ensemble des membres, tant les participants que les intervenants. Enfin, ce dispositif s’avère être adapté pour les personnes provenant de cultures collectivistes où le « nous » collectif est porteur de sens et où le processus de guérison prend souvent forme dans un contexte de groupe (Kira et coll., 2010, 2012 ; Legault et coll., 2008).

Plusieurs auteurs ont également étudié les vertus et l’efficacité de l’intervention par l’art, d’une part auprès des personnes traumatisées (Malchiodi, 2012 ; Schouten et coll., 2015), mais aussi plus spécifiquement auprès des personnes réfugiées (Baker, 2006 ; Benoît et Makhoul, 2004 ; Machouf et coll., 2009 ; McNiff et Barlow, 2011 ; Rousseau et coll., 2004). Il ressort des écrits que l’art constitue une forme de langage qui affranchit les barrières de la langue et favorise l’expression de soi, la communication et l’élaboration de contenus psychiques. De plus, le médium non verbal offre une distance protectrice qui peut rendre plus accessibles les mémoires enfouies ou déniées parce que trop souffrantes. Les actes de création par des médiums tels le dessin, la peinture, les collages, permettent de revisiter autrement les souvenirs douloureux et traumatiques et favorisent l’émergence d’un nouveau sens et l’expression de ce qui ne peut être dit en mots (Baker, 2006 ; Benoît et Makhoul, 2004). Le processus créatif permet aussi d’entrer dans un espace ludique et de détente qui favorise une libération des tensions internes et facilite le travail thérapeutique portant sur le vécu traumatique (Malchiodi, 2012 ; Spiegel et coll., 2006). Pour les personnes immigrantes et réfugiées, les modalités artistiques peuvent favoriser une reconnexion avec les pertes culturelles et sociales et soutenir un sentiment de continuité identitaire par le biais de créations qui évoquent des représentations culturelles et qui mettent en scène des aspects de leur histoire (Baker, 2006).

Le dispositif du groupe et les modalités d’expression créatrice apparaissent donc tout indiqués pour intervenir en contexte interculturel et postviolence et sont par conséquent au coeur de l’intervention présentée ici. Par ailleurs, considérant les vertus de la psychoéducation et des stratégies d’autorégulation dans le traitement des traumas (Kalmanowitz et Ho, 2017 ; Lubin et coll., 1998), l’intervention comporte aussi une dimension psychoéducative pour aider les participantes à comprendre et normaliser leurs réactions en lien avec le vécu traumatique et pour les outiller face à celles-ci.

Format de l’intervention

Il s’agit ici d’une intervention brève, composée de 12 séances d’une durée de 2 heures chacune, offertes sur une base hebdomadaire et suivant une séquence logique et progressive. Il est donc question d’un groupe fermé, idéalement constitué de 6 à 8 femmes et animé par 2 intervenantes. L’intervention s’adresse à des femmes immigrantes et réfugiées qui ont été exposées à différentes formes de violences prémigratoires, telles que les violences liées à des conflits sociopolitiques, les violences sexuelles, la violence conjugale ou autres violences liées au genre. Un entretien individuel préintervention est effectué par les intervenantes afin d’évaluer dans quelle mesure le groupe est approprié pour chaque participante ainsi que son intérêt pour les modalités artistiques. Le groupe se déroule dans un local de l’intervention de quartier, un appartement résidentiel situé au coeur de la communauté, qui a l’avantage d’offrir un espace convivial et chaleureux. L’intervention peut être octroyée par des travailleurs sociaux, des psychologues ou autres intervenants psychosociaux. Il est préférable que les intervenantes aient une certaine expérience dans le travail auprès des communautés culturelles et avec des interprètes.

Objectifs et déroulement

L’esprit qui sous-tend l’intervention est d’offrir un espace sécurisant et soutenant par lequel les participantes peuvent revisiter directement ou symboliquement leurs expériences douloureuses, leur donner un sens, et resituer les traumas vécus dans une histoire dynamique ayant un avant, un maintenant et un après. L’intervention a 4 objectifs pivots auxquels se rattachent des objectifs spécifiques mis en correspondance avec des leviers d’intervention. Le tableau 1 rapporte de manière détaillée les objectifs généraux et spécifiques de l’intervention.

Par le biais d’activités d’expression créatrice, psychoéducatives et de relaxation, l’intervention vise à soutenir les participantes dans le processus d’intégration du vécu traumatique et de violence dans leur histoire de vie, de même que dans le rétablissement d’une identité fragilisée par les expériences traumatiques et l’exil. L’intervention vise également à encourager la reprise de leur pouvoir et à briser l’isolement. L’intervention a comme trame de fond une ligne de vie où des allers-retours entre le présent, le passé et le futur sont effectués. Chaque séance comporte un thème et des objectifs spécifiques, et les séances se suivent dans un ordre logique et progressif. Le tableau 2 rapporte les titres et le contenu sommaire de chacune des 12 séances.

Les 3 premières séances sont consacrées à la formation du groupe et la création des liens, ainsi qu’à la présentation des participantes et à leurs expériences de vie actuelle. Les 3 séances suivantes se tournent vers le passé, sur les traces des bons souvenirs et de l’héritage familial ou de personnes significatives. Ces séances permettent aux participantes de renouer avec leurs forces et leurs ressources et les préparent pour les 3 séances subséquentes où seront abordés l’expérience migratoire, les souffrances morales et physiques et les traumas. Il importe de spécifier que le but ultime n’est pas le dévoilement et la verbalisation des expériences traumatiques, mais plutôt l’utilisation des ressources de la personne comme levier pour revisiter autrement les souvenirs douloureux. Les 3 dernières séances sont un retour au présent, avec un bilan du chemin parcouru, et posent un regard vers l’avenir, en abordant les projets et les rêves.

Tableau 1

Objectifs généraux et spécifiques mis en correspondance avec les leviers d’intervention

Objectifs généraux et spécifiques mis en correspondance avec les leviers d’intervention

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Tableau 2

Titres et contenu sommaire des séances

Titres et contenu sommaire des séances

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Pour illustrer la structure et le déroulement d’une séance, nous présentons dans le tableau 3 le déroulement de la séance 4 qui s’intitule : « Mon ancrage » et qui porte sur les sources de sécurité que l’on retrouve en soi. 

Tableau 3

Prototype d’une séance : Séance 4 : Mon ancrage

Prototype d’une séance : Séance 4 : Mon ancrage

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Quelques éléments essentiels pour le bon déroulement des groupes

Certains éléments sont nécessaires pour assurer la portée thérapeutique de l’intervention et la protection des participantes. Il sera question plus spécifiquement ici du rôle des intervenantes et de la composition des groupes.

Concernant les intervenantes, celles-ci ont la responsabilité d’établir une relation de confiance, la plus égalitaire possible, avec les participantes et de favoriser un climat soutenant, respectueux et sécuritaire dans le groupe. Elles veillent à inciter l’entraide et le soutien entre les participantes et s’assurent que les échanges favorisent l’accès à leurs compétences et à leurs ressources. C’est dans cette visée qu’elles guideront l’établissement d’un code de vie, un élément clé de la formation du groupe (Toseland et Rivas, 2016). Son élaboration se fait avec les participantes dès la première séance et trace les règles de fonctionnement du groupe et en définit les bases de sécurité. Il s’agit d’un premier moment charnière où les participantes sont actives, prennent leur place et du pouvoir dans le groupe.

Tout au long de l’intervention, les intervenantes doivent garder à l’esprit que le partage des participantes à propos de leur vécu est possible, mais non essentiel. Leur rôle est de soutenir les récits avec bienveillance, sans chercher des précisions ou des détails sur les vécus partagés, ni forcer l’introspection. Le respect du rythme de chaque participante est primordial pour diminuer les risques de retraumatisation, comme ceci peut être le cas avec des personnes sévèrement traumatisées (Kira et coll., 2012).

Puisque l’intervention vise également le rétablissement d’une identité fragilisée par l’exil, il est important de porter attention à la singularité de chaque participante, mais aussi à ses appartenances culturelles qui peuvent être multiples et métissées (Kira et coll., 2012). Dans cette optique, il est essentiel que les intervenantes fassent preuve de « sensibilité culturelle » et invitent et soutiennent le « culturel » dans le groupe. Elles seront ainsi à l’affût des symboles, récits et représentations diverses témoignant des repères culturels des participantes, donnant un sens à leur expérience et les resituant dans leurs appartenances collectives et culturelles. Elles seront également attentives à comment chaque personne s’inscrit de manière unique dans sa culture d’origine, y trouve une source de réconfort, mais aussi parfois de souffrance, comme ce peut être le cas par exemple lorsqu’une personne a été ostracisée ou victime de violence dans sa culture ou son pays d’origine. Les intervenantes seront également à l’affût des indices qui témoignent de comment les participantes se définissent par rapport à la culture d’accueil, et seront sensibles aux points de jonction et de divergence.

En ce qui a trait à la composition des groupes, cette question est délicate et doit faire l’objet d’une attention particulière. Dans leur pratique du groupe auprès de personnes immigrantes et réfugiées, certains auteurs ont choisi de réunir des personnes provenant d’une même région géoculturelle (Baker, 2006 ; Hanania, 2018 ; Kira et coll., 2010). Si ceci comporte certains avantages, Arsenault (2010) soulève les facteurs qui peuvent entraver le lien de confiance entre réfugiés de même appartenance culturelle et provenant de pays en conflit, et recommande plutôt des interventions auprès de groupes culturellement mixtes. Notre première expérience du groupe en 2010 auprès de femmes provenant de la région des Grands Lacs d’Afrique nous a sensibilisées aux risques de conflits inter/intra ethniques pouvant émerger dans les groupes provenant d’une même région géoculturelle. C’est en partie pour cette raison que nous avons opté pour la mixité culturelle dans la composition des groupes subséquents. La mixité culturelle présente aussi l’avantage de faciliter l’accès à un service qui peut être offert sur une base régulière à des femmes de différentes origines.

Recherche-action : résultats préliminaires

Depuis 2013, une recherche-action est en cours et vise 3 objectifs : 1) soutenir le processus d’amélioration continue de l’intervention afin d’aboutir à une version parachevée ; 2) documenter son implantation dans l’institution ainsi que l’expérience des intervenantes ; et 3) évaluer les retombées de l’intervention. Il sera question ici plus spécifiquement des résultats préliminaires en lien avec le troisième objectif qui se décline en 2 sous-objectifs : évaluer l’expérience subjective des participantes en lien avec leur participation au groupe et mesurer les changements postintervention au niveau de leur qualité de vie et des symptômes de stress posttraumatique. À ce jour, des données ont été recueillies auprès de 3 groupes et il est prévu que la collecte de données se poursuive auprès des prochains groupes.

Devis de recherche et méthode

Il s’agit d’un devis de recherche à méthode mixte (Tashakkori et Teddlie, 1998), combinant des données qualitatives et quantitatives recueillies en pré et postintervention. Les données qualitatives proviennent de questions ouvertes posées aux participantes via un entretien semi-structuré. Les entretiens préintervention sont conduits par les intervenantes lors d’une rencontre en individuel effectuée avec les participantes. Les entretiens postintervention sont conduits un mois après la fin du groupe par une professionnelle de recherche. Les données qualitatives proviennent également des notes prises par des observatrices participantes durant les séances. Les données qualitatives ont fait l’objet d’une analyse de contenu (Miles et Huberman, 2003). Les données quantitatives sont recueillies à l’aide de questionnaires administrés en pré et postintervention, notamment le Harvard Trauma Questionnaire (HTQ), qui mesure les symptômes de stress post-traumatique, et le World Health Organisation Quality of Life (WHOQOL-Bref), qui mesure 4 dimensions de la qualité de vie. En guise d’analyses préliminaires, les données quantitatives ont fait l’objet d’analyses non paramétriques (Wilcoxon). À ce jour, les données ont été recueillies auprès de 17  emmes issues de différentes origines géoculturelles. Le tableau 4 rapporte quelques caractéristiques sociodémographiques des participantes.

Tableau 4

Caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon en fonction des 3 groupes

Caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon en fonction des 3 groupes

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Résumé des résultats 

Les résultats de l’analyse de contenu effectuée sur les données qualitatives recueillies jusqu’à présent montrent que les femmes rapportent des changements quant à leur « état psychologique » à la fin de l’intervention. Elles disent toutes éprouver un certain apaisement face à leur vécu, se sentir moins troublées par les souvenirs douloureux, ceux-ci pouvant davantage coexister avec des souvenirs positifs et réconfortants. Plusieurs participantes ont aussi nommé se sentir plus fortes, plus en confiance, plus calmes et moins seules. Certaines rapportent mieux dormir et passer plus de temps à prendre soin d’elles-mêmes. Des effets sur l’« intégration à la société d’accueil » ont aussi été rapportés. Des femmes ont trouvé aidant de pouvoir partager avec d’autres femmes leurs difficultés d’intégration ainsi que des informations pouvant faciliter celle-ci. Elles ont aussi souligné la qualité du lien établi avec les intervenantes et plusieurs ont dit se sentir plus en confiance de faire appel à d’autres services ou ressources pour avoir de l’aide. Des participantes ont également nommé l’impact de l’intervention « sur leur famille et leurs proches », en rapportant notamment une amélioration de la communication et une diminution des conflits et des tensions dans la famille. En général, les activités artistiques ont été appréciées par la majorité des participantes et considérées pertinentes au processus thérapeutique. Les activités de relaxation ont également été appréciées et plusieurs femmes ont mentionné les avoir transposées dans leur quotidien et partagées avec des membres de leur famille. En moyenne, 2 participantes par groupe ont abandonné en cours d’intervention pour des raisons de santé ou d’indisponibilité, ce qui indique une bonne rétention.

Concernant les données quantitatives, le tableau 5 rapporte les résultats des analyses comparant les mesures prises en pré et postintervention. Les résultats des tests des rangs signés de Wilcoxon montrent une amélioration significative en postintervention sur la dimension « santé psychologique » du WHOQOL-bref (Z = -2,503 ; = 0,012*), avec un effet de taille modéré à large (r = 0,43). Pour le HTQ, les résultats montrent une diminution significative des symptômes de stress posttraumatique sur le score total (Z = -2,095 ; p = 0,036*), avec un effet de taille modéré (r = 036), de même qu’une diminution significative des symptômes d’hypervigilance (Z = -2,248 ; p = 0,025*), avec un effet de taille modéré (r = 039).

Tableau 5

Comparaisons entre le pré et le posttest sur les mesures de qualité de vie (WHOQOL-Bref) et de symptômes de stress posttraumatique (Harvard) avec le test de Wilcoxon

Comparaisons entre le pré et le posttest sur les mesures de qualité de vie (WHOQOL-Bref) et de symptômes de stress posttraumatique (Harvard) avec le test de Wilcoxon

* p < 0,05

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Considérant que l’échantillon est encore restreint, les résultats quantitatifs sont bons et soutiennent les résultats des analyses qualitatives qui témoignent de la portée thérapeutique de l’intervention. Ces résultats préliminaires devront être confirmés par les données recueillies auprès de futurs groupes.

Conclusion

Au-delà des retombées pour les participantes mises en lumière par les données préliminaires de la recherche en cours, cette intervention a des avantages pour les intervenantes de même que pour les milieux de pratique. Il s’agit d’une intervention structurée et les composantes de chaque séance ont fait l’objet d’une réflexion approfondie pour soutenir adéquatement le travail thérapeutique. L’expérience se base sur des appuis cliniques qui ont démontré les retombées positives de l’utilisation du groupe et des modalités artistiques auprès de cette clientèle. L’intervention s’accompagne d’un manuel détaillé et complet, outillant les intervenantes dans leur travail. La formule dirigée et progressive des thèmes abordés, le respect du rythme de chacune, la non-obligation de prise de parole et de divulgation des traumatismes vécus, de même que la fonction de « portage » attribuable au format de groupe offrent un cadre sécuritaire pour les participantes, mais aussi pour les intervenantes.

L’intervention présentée ici n’a pas la prétention d’offrir une réponse unique et absolue pour intervenir auprès de personnes qui ont vécu la violence. Le dispositif de groupe et les modalités artistiques peuvent ne pas convenir à tous et il importe de s’adapter aux besoins de chacun. Certaines personnes présentent des problématiques complexes et des suivis individuels ou familiaux peuvent être requis en complémentarité au groupe. Enfin, considérant la brièveté de son format, l’intervention n’a pas la prétention de pouvoir cicatriser les blessures morales et psychiques causées par l’exposition à une violence déshumanisante qui laisse des marques profondes et indélébiles, mais agit plutôt comme propulseur à un processus de guérison qui se fera sur le long court.

Par son format et sa structure, cette intervention représente une option de choix pour rejoindre une clientèle vulnérable qui ne consulte pas d’emblée les services psychosociaux et pour qui les interventions conventionnelles peuvent être moins porteuses de sens. Pour les institutions et les milieux de pratique, elle présente l’avantage de pouvoir offrir un service à plusieurs personnes à la fois et adapté à une clientèle ayant des besoins spécifiques. Les résultats préliminaires de la recherche laissent penser que l’intervention permet d’agir à un niveau plus large que l’individu et qu’elle peut avoir des retombées sur la famille et les proches. Les résultats laissent aussi croire que le lien de confiance créé avec les intervenantes peut se transposer à d’autres services et encourager les demandes d’aide ultérieures.

En terminant, ce projet n’aurait pas vu le jour sans le travail conjoint de chercheurs de l’Université de Sherbrooke et d’intervenants du CIUSSS de l’Estrie-CHUS, mettant en lumière l’importance des partenariats et la richesse du partage des savoirs intersectoriels et multidisciplinaires. Au niveau institutionnel, ce projet s’inscrit dans la lignée des efforts déployés pour rejoindre les populations plus vulnérables et leur offrir des services adaptés. Pour les personnes immigrantes et réfugiées, ces efforts témoignent de la valeur qui leur est accordée, du souci de les accueillir adéquatement et de créer des opportunités pour que ces personnes, venues de loin avec leur bagage de souffrance, leurs rêves et leurs espoirs, puissent se retrouver.