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La gestion du patrimoine en Belgique, un cas particulier

La période d’après-guerre (1945-1970) fut marquée par la démolition massive des anciennes infrastructures industrielles, épargnés par la seconde guerre mondiale mais qui n’étaient plus adaptées aux nouvelles exigences de la production. Ce phénomène est perceptible aussi bien en Angleterre que dans les autres pays européens. La crise économique des années 1970 annonce un changement des mentalités en Europe comme dans d’autres parties du monde. La reconversion d’un cluster de filatures et ateliers de tissages à Lowell (Etats-Unis) en pôle universitaire peut servir comme exemple illustratif. La crise économique a donc eu comme effet positif une nouvelle prise de position vis-à-vis du patrimoine industriel, offrant non seulement des possibilités de « re-use » (la récupération de bâtiments jugés jusque là comme vétustes et encombrants) pour la ré-affection à des fins diverses, mais illustrant également une attention et un intérêt certain pour la valeur humaine et sociale de ces vestiges industriels, comme témoins de la mémoire ouvrière et collective. Le nouveau mot d’ordre sonne dorénavant : ne pas casser mais réutiliser. C’est le nouveau credo préconisant l’attitude et le réflexe écologique, typique pour l’époque contemporaine. Cette nouvelle vision sur la conservation du patrimoine industriel s’exprime depuis lors, depuis le début des années 1970, dans de nombreuses récupérations de vestiges industriels[1]. La menace de destruction irréfléchie persiste néanmoins toujours, comme on peut le constater à Beringen, où le monumental triage-lavoir de l’ancien charbonnage, classé monument historique en 1994, à été partiellement « déclassé » récemment, pour permettre sa destruction, ayant comme objectif la création d’un parking pour un nouveau centre commercial à proximité.

En parlant de culture et de la gestion du patrimoine immobilier et mobilier en Belgique, il importe avant toute chose de souligner sa structure politique et administrative spécifique et très complexe de ce pays. En effet, depuis les années 1970, la gestion de la Belgique est fortement dominée par la régionalisation. La Belgique se compose depuis la fin des années 1980 de trois régions autonomes, à savoir la Flandre, la Wallonie et la Région de Bruxelles-Capitale et d’autre part de trois communautés linguistiques : la Communauté flamande en Flandre et en Région Bruxelloise avec son statut bilingue, la Communauté française en Wallonie et également en Région Bruxelloise, et troisièmement la Communauté Germanophone. Toutes les compétences personnelles, comme par exemple l’enseignement et la culture, relèvent du pouvoir des communautés, tandis que la gestion du patrimoine immobilier (par exemple le classement, la restauration d’édifices historiques, etc.) est la seule compétence des régions. Faut-il souligner que ce partage singulier (dans chacune des régions de Belgique) du domaine du patrimoine immobilier d’une part et mobilier et immatériel d’autre part ne facilite guère les opérations de sauvegarde et la politique culturelle patrimoniale. Cette situation crée régulièrement toutes sortes de malentendus. En plus, il y a une nette différence entre la législation patrimoniale, adoptée et suivie dans les différentes parties du pays. Une approche « belge » du patrimoine industriel n’existe donc pas. Nous y reviendrons.

Le développement de l’archéologie industrielle en Belgique

Le vrai départ de l’archéologie industrielle en Belgique : les années 1970-1975

Dans les lignes qui suivent, nous tenterons de dresser d’abord l’histoire commune du mouvement du patrimoine industriel en Belgique. Après cette chronologie nous tenterons de définir brièvement les caractéristiques propres dans les trois régions du pays.

Déjà avant 1970, certaines personnalités se sont clairement engagées dans la matière. Citons les noms de René Evrard et Georges Van den Abeelen, vrais pionniers dans le domaine de l’archéologie industrielle. Le premier s’est distingué à partir des années 1950 comme chercheur et archiviste au sein du Service des Eaux à Liège, où il travaillait. Le second fut actif dans la Fédération des Entreprises de Belgique, publiant dans les années 1960 les premières plaquettes sur les vestiges industriels en Belgique, soulignant leur importance comme témoins du développement fulgurant de l’industrie en Belgique à partir de la fin du XVIIIe siècle. Il importe aussi de souligner le développement précoce de plusieurs musées belges comme « conservateurs » du patrimoine préindustriel et industriel. Ainsi, le Musée de la Vie Wallonne à Liège illustre dès sa création en 1913 une démarche anthropologique, très en avance sur son temps au niveau de la récolte d’images, de photographies et de témoignages oraux, présentant les outils et machines provenant de différentes branches de l’industrie en Wallonie, la première région industrielle de l’Europe continentale.

Sans vouloir être complet, citons également la Maison des Brasseurs à Anvers (ouverte en 1933, actuellement en restauration), le Musée des Chemins de Fer en Belgique à Bruxelles (1951, actuellement connu sous le nom de Trainworld), le Musée National Maritime à Anvers (1952, intégré dans l’actuel MAS), le Musée du Fer et du Charbon à Liège (1958, devenu par la suite « Maison de la Métallurgie et de l’Industrie liégeoise »), le Musée des Transports Vicinaux à Schepdaal (1962), le Fourneau Saint-Michel à Saint-Hubert (1964), le Musée National du Lin à Courtrai (1964), le Musée de l’Histoire des Sciences à Gand (1964) et le Musée de la Brosse et de la Chaussure à Izegem (1966). Dans certaines universités, avant tout au sein des facultés d’histoire, l’archéologie industrielle fait sa première entrée. A l’Université de l’Etat à Mons (Wallonie) la professeure Marinette Bruwier propose un cours introductif, de même que le professeur Jan Dhont et plus tard Herman Balthazar à l’université de Gand (Flandre).

Figure 1

Cette publication de 1975, également publiée en néerlandais, fut le vrai point de départ pour l’archéologie industrielle en Belgique

Cette publication de 1975, également publiée en néerlandais, fut le vrai point de départ pour l’archéologie industrielle en Belgique

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Revenons deux ans en arrière. 1973 : année de fondation du WIARUG (Werkgroep Industriële Archeologie Rijksuniversiteit Gent ou « Groupe de Travail Archéologie Industrielle de l’Université de l’Etat à Gand »). Également en 1973 a lieu un premier colloque national sur le patrimoine industriel. Il se déroule dans un lieu symbolique : les anciens ateliers du charbonnage du Grand-Hornu, une des premières friches industrielles récupérée dès 1969 par un architecte (Henri Guchez), qui y installe ses bureaux. Le site du Grand-Hornu abrite de nos jours un prestigieux centre de design (« CID ») et le Musée d’Art Contemporain (le « Mac’s »).

Un développement rapide : la période 1975-1985

À partir de 1975, suite à l’exposition importante « Le Règne de la Machine », organisée par le Crédit Communal au « Passage 44 » à Bruxelles, visitée par de nombreux intéressés et par d’innombrables écoliers et étudiants de tout le pays, les notions « archéologie industrielle » et « patrimoine industriel » deviennent peu à peu connus du public. Cette exposition a certainement suscité la création de différentes associations locales, voulant protéger un vestige industriel. Une autre exposition et publication importantes : Le paysage de l’Industrie, rédigé par Hans Wieser–Benedetti. En 1976, une loi très progressiste en région flamande devient de vigueur incluant (pour la première fois en Europe) la « valeur d’archéologie industrielle » comme critère pour le classement d’un bien comme monument historique. Les années 1975 et 1976 ont été vraiment des « années charnières » pour le développement de l’archéologie industrielle en Belgique.

Figure 2

Ancien haut-fourneau du 17e siècle, reconstruit à la Maison de la Métallurgie à Liège

Ancien haut-fourneau du 17e siècle, reconstruit à la Maison de la Métallurgie à Liège
© Patrick Viaene

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En 1975 a lieu une tentative de mise sur pied d’une organisation nationale, le Centre pour l’Archéologie Industrielle (CAI, en néerlandais Centrum voor Industriële Archeologie – CIA) mais sans grand succès : l’ère de la régionalisation était arrivée. En Flandre, une nouvelle association-coupole (une des premières dans son genre en Europe) voit le jour en 1978 : le VVIA (Vlaamse Vereniging voor Industriële Archeologie), toujours active de nos jours et toujours animée par Adriaan Linters, le président-fondateur. Six années plus tard, en 1984, l’association-soeur, le PIWB (Patrimoine Industriel Wallonie-Bruxelles) démarre ses activités. Dans la même année, La Fonderie (Centre d’Histoire Sociale et Industrielle) prend son départ à Molenbeek-Saint-Jean, à deux pas du centre-ville de Bruxelles et installée dans l’ancienne fonderie « Compagnie des Bronzes ». Grâce à des actions tenaces du directeur infatigable Guido Vanderhulst et de son équipe, de nombreux vestiges industriels bruxellois seront sauvés dans leur entièreté ou partiellement, comme la Brasserie Wielemans (actuellement un important centre d’art contemporain, soutenu par la Région bruxelloise) ou encore « Tour & Taxis », témoin prestigieux du trafic ferroviaire et portuaire. La Fonderie gagnera en importance avec la création, en 1989, de la Région de Bruxelles-Capitale.

Consolidation du mouvement de l’archéologie industrielle : les années 1985-2000

Après 1980, l’impulsion vient moins des universités (en raison des restrictions budgétaires) que des musées spécialisés. Impossible de dresser ici un bilan complet. Un des musées phares est le MIAT à Gand (Museum voor Industriële Archeologie en Textiel, depuis 2018 dénommé Industriemuseum ou Musée de l’Industrie) présentant annuellement deux ou trois expositions thématiques dans des emplacements divers avant de s’installer en 1990 dans son lieu actuel, une ancienne filature au centre ville de Gand. L’exposition et double volume-inventaire « Industriële archeologie in België » (1986/1987), dont j’ai eu la chance d’être le commissaire et l’auteur, ont remporté un franc succès, malgré le catalogue unilingue en néerlandais.

En 1987, le TICCIH-Belgium, la section belge du TICCIH (The International Committee for the Conservation of Industrial Heritage) réussit à réunir l’ensemble des acteurs académiques pour la préparation du 7e colloque international du TICCIH (www.ticcih.org), qui a lieu en septembre 1990 à Bruxelles avec environ 500 participants venus du monde entier, excepté la plupart des pays africains, où la pratique de l’archéologie industrielle reste dans un stade embryonnaire.

Une nouvelle association voit le jour en Flandre en 1995, le SIWE (Stichting Industrieel en Wetenschappelijk Erfgoed – Fondation pour le Patrimoine Industriel et Scientifique). Elle sera rapidement reconnue et financée par la Communauté flamande comme porte-parole du secteur. Comme son nom l’indique, le SIWE se focalise non seulement sur le patrimoine industriel mais également sur le patrimoine de la recherche scientifique. Il cèdera sa place en 2012 au ETWIE (Centre d’Expertise du Patrimoine Technologique, Industriel et Scientifique, www.etwie.be), toujours opérationnel, tout comme le VVIA (www.vvia.be), travaillant depuis de longues années sans soutien financier de la part des pouvoirs publics.

À partir des années 1995-2000, des projets de recherche sont initiés par les universités et on ne compte plus le nombre de mémoires de master et de thèses de doctorat sur les divers aspects du patrimoine industriel et de sa gestion. Néanmoins, nulle part en Belgique est organisé un programme d’étude Master, uniquement focalisé sur le Patrimoine Industriel, contrairement à l’étranger (comme à Padoue en Italie ou à Freiberg en Allemagne). Aussi faut-il constater la persistance, voire l’élargissement du gouffre entre le monde académique d’une part et les associations et acteurs du terrain d’autre part, qui ont en général des difficultés à se rencontrer, à communiquer et à combler leurs besoins réciproques. On observe également un déséquilibre sociologique entre le public, en majorité assez âgé, et la faible quantité de jeunes actifs sur le terrain. Les associations semblent parfois éloignées du jeune public.

Depuis 2000, la majorité des revues du secteur du patrimoine industriel ont disparu sous leur forme imprimée. Le numérique offre des possibilités nouvelles de diffusion et de sauvegarde (des bâtiments, des objets, des machines) mais ne saurait se substituer à la préservation physique des éléments phares du passé industriel et technologique. Toutefois, il faut convenir que la place de stockage (avec des dépôts adaptés pour accueillir des collections et archives industrielles) fait cruellement défaut. Chaque petite surface dans la Belgique très peuplée est hyper-précieuse et souvent des intérêts économiques entravent le sauvetage du patrimoine industriel de grande taille, en particulier celui du XXe siècle. Durant les deux dernières décennies, les gouvernements régionaux de la Belgique ont réussi l’insertion de quatre nominations de patrimoine industriel dans la liste du Patrimoine Mondial de l’Unesco : les quatre ascenseurs hydrauliques du Canal du Centre (Wallonie) en 1998 ; la mine néolithique de silex à Spiennes (Wallonie) en 2000 ; l’imprimerie Plantin-Moretus à Anvers (Flandre) en 2005 ; le patrimoine minier majeur de Wallonie, incluant les Ateliers du Grand-Hornu, la mine et cité minière de Bois-du-Luc, le charbonnage du Bois-du-Cazier à Marcinelle (Charleroi) et l’ensemble de Blègny-Mine, près de Liège (2012).

Figure 3

Ascenseur hydraulique nr° 3 sur le Canal du Centre (Bracquegnies)

Ascenseur hydraulique nr° 3 sur le Canal du Centre (Bracquegnies)
© Patrick Viaene

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Les spécificités régionales

Essayons à présent de définir quelques spécificités régionales dans l’approche et la gestion du patrimoine industriel dans les différentes régions en Belgique. Ces spécificités sont le reflet de l’histoire économique des différentes régions, mais elles illustrent également leurs mentalités et visions divergentes.

Wallonie

En Wallonie, le Région s’identifie à un passé industriel glorieux et soutient activement l’étude et la conservation de ce patrimoine majeur. En revanche, les initiatives civiles et privées restent assez limitées. C’est avant tout le secteur public qui apparaît comme le principal défenseur du patrimoine industriel, notamment par le biais du tourisme et l’élaboration de routes patrimoniales balisées. Une nette différence de mentalité entre certaines sub-régions (exemple : Liège versus Charleroi) conduit parfois à une « concurrence » malsaine. Faut-il conserver par exemple les monuments-phares du patrimoine sidérurgique de la région liégeoise ou ceux de la région carolorégienne? Le débat sur la sauvegarde du HF 4 à Charleroi et du dernier haut-fourneau, situé près de Seraing dans l’agglomération liégeoise, est significatif des enjeux actuels. Un point fort en Wallonie est la notion de « paysage industriel » : la route balisée de la « chaîne des terrils », la « Route du Feu » (Province de Liège), la création du « Parc des Canaux » (Province du Hainaut), l’Itinéraire de la Culture Industrielle « ICI » en témoignent. Un autre point fort est l’attrait du patrimoine ferroviaire, qui peut être découvert à plusieurs endroits par les chemins de fer « muséifiés » comme le « Chemin de Fer à Vapeur des Trois Vallées » (Mariembourg-Treignes, Province de Namur), le Train touristique de l’Aisne (TTA) à Erezée (Province du Luxembourg), le « Petit Train du Bonheur » (à Rebecq, Province du Brabant Wallon), le Tram Touristique Lobbes-Thuin (Hainaut). Soulignons également l’importance de l’Institut du Patrimoine Wallon, organe officiel de formation et de diffusion de la connaissance autour du patrimoine.

Flandre

En Flandre, le premier classement d’un complexe industriel comme monument historique (la distillerie Theunissen-Stellingwerff à Hasselt) a eu lieu en 1974. Ce classement est illustratif de l’importance accordée au patrimoine du secteur alimentaire (brasseries, distilleries, moulins à vent et hydrauliques, minoteries, chocolateries, etc.). La Flandre est une terre de petites et moyennes entreprises, ce qui se reflète dans la typologie du patrimoine sauvegardé, souvent de taille plus modeste et moins spectaculaire qu’au sud du pays.

Figure 4

Ancien four à céramique Boch, intégré dans le musée KERAMIS à La Louvière

Ancien four à céramique Boch, intégré dans le musée KERAMIS à La Louvière
© Patrick Viaene

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Cette tendance comporte des exceptions. Par exemple, des réaffections d’envergure dans le vieux port d’Anvers : grues portuaires, le complexe Red Star Line, l’Entrepôt Saint-Felix. On peut également noter des opérations de sauvegarde ambitieuses à Gand : l’ancienne centrale électrique de la ville, réaffectée en centre multiculturel « De Centrale » ; l’ancienne maison du peuple du mouvement socialiste « Vooruit » ; les anciens ateliers métallurgiques Carels et Acec, reconvertis en bureaux et en centre commercial « Dok-Noord » et le MIAT/Industriemuseum.

Dans le bassin charbonnier Campinois (Province du Limbourg) ont eu lieu également des réaffectations de grande taille très remarquables comme C-Mine à Winterslag, le centre de recherches sur les technologies durables à Waterschei et à Houthalen, ou encore la réaffectation très réussie du bâtiment des turbines pour air comprimé « Luchtfabriek » à Zolder, en espace de rencontres et centre culturel. Une nouvelle vie a également été donnée à plusieurs bâtiments miniers du charbonnage de Beringen, malgré le risque toujours présent de la démolition d’une partie du triage-lavoir, dernier témoin monumental dans son genre en Flandre et en Europe de l’Ouest.

Figure 5

Façade nord du Musée de l’Industrie à Gand

Façade nord du Musée de l’Industrie à Gand
© Patrick Viaene

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Figure 6

La machine à filer « mule jenny », seul exemplaire conservé dans le monde, dans le Industriemuseum à Gand

La machine à filer « mule jenny », seul exemplaire conservé dans le monde, dans le Industriemuseum à Gand
© Patrick Viaene

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À côte de réussites certaines en matière de sauvegarde en Flandre, il faut déplorer dans cette région densément habitée la disparition d’innombrables témoins emblématiques de l’industrie ancienne. Ne citons ici que les filatures La Lys, La Liève, la Linière Gantoise et Texas à Gand, les Entrepôts Royaux à Anvers, le « Gistfabriek » et le pont tournant Scheepsdale (de type Vierendeel) à Bruges, le dernier Congo-steamer Charleville… Regrettons que le seul grand musée de l’énergie (musée privé, crée par Electrabel) ait dû fermer ses portes peu après sa création, suite à de nouvelles priorités de cette entreprise. Les trois musées d’Electrabel (à Gand, Zwevegem et Louvain) ne sont hélas pas les seuls musées privés dont les collections furent vendues après leur fermeture.

Terminons par une note positive, en soulignant la médiatisation du patrimoine industriel par le biais d’événements annuels à caractère festif et « grand-public » : « Erfgoeddag » (focalisant sur le patrimoine immatériel), l’« Open Monumentendag » (Journée du Patrimoine), « Oostende voor Anker », Journées « Ports de Mer Ouverts », etc.

Région de Bruxelles-Capitale

Voyons pour finir comment se présente notre problématique avec la Région de Bruxelles-Capitale. Il faut souligner le rôle pionnier de Bruxelles au niveau de la réaffectation d’innombrables monuments à partir des années 1970 : la Raffinerie de sucre Graeffe devenue centre de danse contemporaine, les Halles de Schaerbeek transformées en lieu de spectacles dans un ancien marché couvert, etc.). Le rôle de la Société de Développement Régionale Bruxellois, avec sa précieuse base de données mise à jour sur les anciens locaux industriels vacants (à louer ou à vendre), a été de grande importance, tout comme les efforts de la ville de Bruxelles comme médiateur pour l’achat collectif d’anciens immeubles immobilier, transformés en logements. La région bruxelloise est la seule à disposer d’un inventaire très exhaustif (25 volumes) de « l’architecture industrielle », réalisé par AAM (Archives d’Architecture Moderne) de 1980 à 1985 et partiellement actualisé depuis lors par La Fonderie, centre d’histoire sociale et industrielle.

Figure 7

Le FelixArchief à Anvers, archives municipales installés dans l’Entrepôt Felix, datant de 1863

Le FelixArchief à Anvers, archives municipales installés dans l’Entrepôt Felix, datant de 1863
© Patrick Viaene

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La Fonderie, installée dans les locaux de l’ancienne « Compagnie des Bronzes » dans le vieux Molenbeek (connu sous le nom de « Petit Manchester belge »), s’est profilée depuis la fin des années 1980 comme centre d’expositions et centre de recherche et d’action autour du patrimoine industriel et de la mémoire ouvrière. La Fonderie est à la base de nombreuses opérations de sauvegarde, comme pour la Brasserie Wielemans (actuellement Centre d’Art Contemporain de la Région) et pour le pôle historique des transports « Tour & Taxis », incluant la Gare Maritime, le Bureau des Douanes, l’Entrepôt Royal et d’autres édifices, tous sauvés après des années de lutte contre les plans mégalomanes et mémoricides de divers promoteurs immobiliers.

Figure 8

Hall pour la production d’air comprimé dans l’ancien charbonnage de Winterslag (Genk)

Hall pour la production d’air comprimé dans l’ancien charbonnage de Winterslag (Genk)
© Patrick Viaene

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Figure 9

Entrepôt Royal Tour & Taxis à Bruxelles, menacé (1985-2000), puis renové (2001-2005)

Entrepôt Royal Tour & Taxis à Bruxelles, menacé (1985-2000), puis renové (2001-2005)
© Patrick Viaene

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Figure 10

Section semi-permanente du Musée de l’industrie La Fonderie à Molebeek-Saint-Jean (Bruxelles)

Section semi-permanente du Musée de l’industrie La Fonderie à Molebeek-Saint-Jean (Bruxelles)
© Patrick Viaene

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La région bruxelloise est également riche en musées illustrant l’histoire des différents modes de transport. Citons : le musée du Transport Urbain, le musée Autoworld, le musée de l’Aviation et Trainworld. Ce dernier est installé dans l’ancienne gare de Schaerbeek et souligne brillamment le rôle pionnier de la Belgique, premier pays européen réalisant depuis 1835 le transport de voyageurs en train.

Conclusion

La Belgique a été le premier pays de l’Europe, après l’Angleterre, à connaître une massive industrialisation, commencée dès la fin de l’ancien régime. Il n’est pas étonnant que le patrimoine industriel y soit d’une grande densité, d’une énorme richesse et diversité. L’étude de ce patrimoine débute relativement tôt en Belgique, au début des années 1970. Néanmoins, la régionalisation des compétences culturelles et la nouvelle structure politique (décentralisée) du pays ne vont pas faciliter la sauvegarde de cet héritage et sa mise en patrimoine. Cette nouvelle configuration politique va rendre plus aléatoires les échanges d’expérience entre les régions et les projets transrégionaux. Pourtant, dans les deux dernières décennies, on observe un changement dans les mentalités, lié à la prise de conscience des enjeux du développement durable et de la demande d’identité culturelle, sans parler, on ne peut l’ignorer, de l’importance économique prise par le tourisme et l’augmentation de la mobilité mondiale. Le passé n’est plus seulement vu comme un passé, mais comme une part de l’identité collective qu’il faut préserver, y compris dans les politiques de développement urbain. Depuis les années 2000, on assiste donc à une meilleure mobilisation des moyens octroyées pas les instances régionales pour la recherche scientifique et appliquée dans ce domaine, bien que la sauvegarde physique du patrimoine industriel (en occurrence les structures de grandes dimensions et les efforts financiers qu’ils requièrent) s’avère souvent plus difficile.