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L’ouvrage collectif La renaissance des cultures autochtones : enjeux et défis de la reconnaissance, dirigé par Jean-François Côté et Claudine Cyr et paru en 2018, est le fruit d’une réflexion amorcée lors du colloque éponyme organisé dans le cadre de l’ACFAS en mai 2016. L’objectif poursuivi était de présenter les différentes stratégies utilisées par les acteurs culturels, les artistes, les militants autochtones et allochtones pour « reconsidérer les façons par lesquelles l’expression culturelle autochtone est aujourd’hui entendue, comprise et interprétée » (p. 2). En dressant une sorte de panorama des actions possibles et menées par des individus et des communautés autochtones, les spécialistes réfléchissent ainsi aux perspectives qui émergent depuis les années 1960 dans les Amériques pour une renaissance des cultures et des expressions artistiques.

Les onze textes permettent de « se mettre à l’écoute des expressions autochtones et d’en proposer une lecture, soit une compréhension et une interprétation » (p. 19). Il n’est pas question ici de comparer les méthodes, les moyens d’action employés pour une renaissance et une reconnaissance culturelles qui, bien qu’elles puissent profiter à un ensemble de communautés de façon transversale, sont menées et vécues de manière singulière. Deux questions centrales sont posées par la direction de l’ouvrage : « À quelle enseigne logent les transformations des rapports aux cultures autochtones, et comment s’assurer que leurs expressions soient justement entendues, comprises, interprétées d’une manière qui sache jouer réflexivement sur une capacité de redéfinition des rapports de domination ayant jusqu’ici fourni l’essentiel de leur contenu ? » (p. 1) Par cette problématique, s’esquissent alors une réflexion et une mise en commun des expériences de colonisation dans les Amériques, menant vers un processus d’autotransformation et d’empowerment culturel, à la fois individuel et collectif.

Le cadre théorique général de l’ouvrage apparaît dans les premières pages. Il est à la fois expérientiel et basé sur des épisodes personnels – la préface de Lise Michel, Innue, démontre d’entrée de jeu l’importance du témoignage à la fois comme base épistémologique et outil de guérison –, et appuyé par des autrices et des auteurs reconnus en sciences sociales pour leurs critiques des rouages politiques et culturels reliés au multiculturalisme. Les réflexions sur les politiques de la reconnaissance de Glen Sean Coulthard (2018), Déné, dans Peaux rouges, masques blancs, sont largement analysées par Côté et Cyr et posent les balises de la compréhension des exemples d’autoaffirmation autochtone qui sont présentés dans les chapitres subséquents. À cela s’ajoute également un apport critique sur l’utilisation et la pertinence des concepts de multiculturalisme, d’interculturalisme et de transculturalisme respectivement appuyés par les réflexions d’Elizabeth Povinelli, de Gérard Bouchard et de Fernando Ortiz. Le cadre théorique retenu donne alors le ton pour une remise en perspective des conceptions politiques et culturelles occidentales à l’aulne des préoccupations autochtones pour d’autres modalités de reconnaissance possibles.

Onze auteurs et autrices explorent un vaste corpus d’exemples de renaissance culturelle autochtone qui relèvent aussi bien des arts que des sciences humaines et sociales. Le cinéma, la littérature, le théâtre, les arts visuels autochtones sont ainsi analysés et permettent de mieux se figurer les moyens envisagés par les communautés pour se réapproprier leurs savoirs, maîtriser les modes de diffusion et revaloriser les identités. Chaque spécialiste présente un cas d’étude particulier qui repose sur une analyse et une méthodologie propres à son champ d’expertise. Cette hybridité, inhérente au format livre et à l’objectif de Côté et Cyr, démontre ainsi la multiplicité des points de vue, des moyens d’action et des conclusions qui peuvent en résulter. Pour autant, nous avons relevé plusieurs méthodes employées par les auteurs et les autrices : l’analyse anthropologique, artistique ou littéraire à partir de un ou de plusieurs exemples concrets, l’utilisation du témoignage comme forme de transmission ou encore le compte rendu critique comme moyen de réfléchir à un processus d’empowerment culturel. Il en ressort que la reconnaissance culturelle autochtone est un processus en marche, qui s’exprime de différentes manières avec une pléthore de moyens, d’objectifs et de contraintes.

Bien que la qualité de l’écriture puisse être un réel défi dans le cadre d’un ouvrage collectif, il en résulte ici un volume homogène qui présente un équilibre intéressant entre les apports théoriques issus de réflexions universitaires et l’utilisation de témoignages qui mettent en valeur les enjeux quotidiens des communautés. La reconnaissance culturelle passe finalement par l’esprit et le corps, le geste posé et l’action réfléchie.

De cette disparité des approches, des méthodes et des corpus d’analyse, le fil conducteur est tout de même sans cesse rappelé. En filigrane, l’organisation de l’ouvrage facilite également la compréhension générale. Les médiums artistiques sont regroupés de façon à instaurer une sorte de dialogue entre les cas d’étude. Claudine Cyr ouvre la discussion avec une réflexion sur le cinéma autochtone dans les Amériques. S’ensuivent les chapitres de Rita Olivieri-Godet, Jessica Janssen, Brigitte Thiérion et Licia Soares de Souza qui ont à trait aux littératures autochtones, à leurs différentes formes et aux sujets abordés. Par la suite, Julie Bruneau aborde la transmission culturelle féminine dans les arts visuels autochtones par le biais du perlage sur empeigne de mocassin. Les quatre chapitres qui suivent, signés Astrid Tirel, Julie Burelle, Jean Régnier et Jean-François Côté, traitent tous du théâtre autochtone, de ses formes et de ses fonctions. Pour finir, Nicolas Beauclair déroge quelque peu à l’analyse des médiums artistiques en proposant une analyse des discours de revendication andins comme moyen de transformation politique et d’affirmation culturelle autochtone.

Plusieurs points d’intérêt ressortent de cet ouvrage. En premier lieu, trois aires géographiques sont particulièrement représentées. La majorité des analyses sont campées sur les territoires considérés actuellement comme étant le Québec et le Canada. Plusieurs travaux sur le Brésil permettent aussi de mettre en lumière les défis et les actions de plusieurs communautés autochtones du Sud. L’ouvrage instaure ainsi un dialogue entre les Autochtones des deux Amériques. Cette mise en relation des moyens d’action utilisés, des revendications culturelles, des enjeux d’autotransformation et d’appropriation des outils relie plusieurs expériences de colonisation qui, quoique différentes, engagent les acteurs et autrices autochtones vers un empowerment généralisé et assumé à partir des années 1960. Il en découle une sorte de portrait pour une renaissance culturelle pan-autochtone.

Par ailleurs, la littérature et le théâtre autochtones sont les deux médiums les plus analysés dans l’ouvrage. Il apparaît alors que la transmission par l’écriture et la mise en scène sont deux moyens fortement privilégiés par les individus et les communautés pour retranscrire et revaloriser leurs savoirs, leurs cosmologies, leurs revendications. En s’appropriant le médium occidental de l’écriture, les communautés sont en mesure de réactiver des mémoires, des patrimoines immatériels, et assurent leur pérennité pour les générations futures. Le théâtre, lui, rappelle l’importance de la performativité du corps dans l’espace. En tant qu’objet multisensoriel et plurimédiatique, il permet selon les auteurs et les autrices d’activer des rituels de guérison historiques, culturels, spirituels complexes et partagés. La compagnie de théâtre Ondinnok, à laquelle plusieurs textes font référence, constitue à ce titre un cas d’étude intéressant.

Cependant, avec un corpus d’analyse parfois similaire entre les spécialistes, l’ouvrage semble se focaliser sur certaines pratiques culturelles au détriment d’autres outils employés par les Autochtones. La littérature et le théâtre paraissent alors être les moyens privilégiés par les communautés et les individus pour se réapproprier des pratiques culturelles fortement dominées par la colonisation. La musique, le chant, les arts visuels, les pratiques dites de craft ou d’artisanat qui sont, eux aussi, fortement employés par les Autochtones comme médium de revitalisation identitaire, sont relativement absents des réflexions proposées ici. Si l’article de Julie Bruneau se concentre sur l’exposition Walking With Our Sisters et aborde la pratique du perlage comme moyen de guérison collective – ici en résonance très forte avec les filles et les femmes autochtones assassinées et disparues –, il aurait pu être intéressant d’intégrer à l’ouvrage plusieurs autres exemples pour élargir la réflexion sur l’utilisation des autres formes d’art actuelles et leur impact sur la renaissance culturelle dans les Amériques.

En somme, l’ouvrage collectif La renaissance des cultures autochtones : enjeux et défis de la reconnaissance constitue une sorte de bilan des moyens d’action, des outils, des productions mis en place et créés par plusieurs communautés autochtones des Amériques depuis les années 1960. Ce panorama des pratiques permet de mieux envisager comment et pourquoi les individus et les communautés s’approprient des médiums et des langages artistiques traditionnellement occidentaux pour transmettre et valoriser leurs cultures, selon leur vocabulaire et leur cosmologie.

Derrière l’objectif résolument politique de se réapproprier les épistémologies et les connaissances ancestrales, les onze cas d’étude de l’ouvrage montrent que les Autochtones souhaitent également transmettre leurs cultures et créer des ponts entre Nord et Sud – et avec un public allochtone. La créativité et les productions artistiques autochtones, malgré la grande diversité dont une parcelle émerge ici, participent d’une praxis transformatrice qui contribue à la création d’un nouveau récit à la fois individuel et collectif où les ontologies naturalistes occidentales n’ont plus leur place.